Nelligan

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Émile Nelligan Poésies complètes 1896-1899 BeQ La Bibliothèque élect Collection Littérature Volume 43 : version 2 or86 Sni* to View Aussi, à la Bibliothèque : Louis Dantin : Nelligan et son œuvre. Édition de référence Fidès, Coll. du Nénuphar. L’âme du poète 4 Clair de lune intellectuel Ma pensée est couleur de lumières lointaines, Du fond de quelque crypte aux vagues profondeurs. qui frémit le soir sur la colline ! 6 D’avoir une âme douce et mystiquement tendre, Et cependant, toujours, de tous les maux souffrir, Dans le regret de vivre et l’effroi de mourir,

Et d’espérer, de croire… et de toujours attendre ! 7 Le vaisseau d’or Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l’or massif . Ses mâts touchaient razur, sur des mers inconnues ; La Cyprine d’amour, cheveux épars, chairs nues, S’étalait à sa proue, au soleil excessif. Mais il vint une nuit frapper le grand écueil Dans l’Océan trompeur où chantait la Sirène, Et le naufrage horrible inclina sa carène Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil. Ce fut un Vaisseau d’Orr dont les flancs diaphanes Révélaient des trésors que les marins profanes, Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputés.

Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?

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Qu’est devenu mon cœur, navire déserté ? Hélas ! Il a sombré dans l’abîme du Rêve ! 8 Le jardin de l’enfance Clavier d’antan Clavier vibrant de remembrance, J’évoque un peu des jours anciens Et l’Éden d’or de mon enfa PAGF OF étouffant, Combien ma souvenance eut d’amertume en elle, Lorsque, remémorant la douceur maternelle, Hier, j’étais penché sur ma couche d’enfant. Quant je n’étais qu’au seuil de ce monde mauvais, Berceau, que n’as-tu fait pour moi tes draps funèbres ? Ma vie est un blason sur des murs de ténèbres,

Et mes pas sont fautifs où maintenant je vais. Ah ! que n’a-t-on tiré mon linceul de tes langes, Et mon petit cercueil de ton bois frêle et blanc, Alors que se penchait sur ma vie, en tremblant, Ma mère souriante avec l’essaim des anges ! Le regret des joujoux Toujours je garde en moi la tristesse profonde Qu’y grava l’amitié d’une adorable enfant, Pour qui la mort sonna le fatal olifant, Parce qu’elle était belle et gracieuse et blonde. Or, depuis je me sens muré contre le monde, Tel un prince du Nord que son Kremlin défend, Et, navré du regret dont je suis étouffant,

L’Amour comme à sept ans ne verse plus son onde. Où donc a fui le jour des joujoux enfantins, Lorsque Lucile et moi nous jouions aux pantins Et courions tous les deux dans nos robes fripés ? La petite est montée au fond des cieux latents, Et j’ai perdu l’orgueil d’habiller ses poupées.. Ah ! de franchir si tôt le portail des vingt ans ! 12 Devant le feu Par les hivers anciens, quand nous portions la robe, Tout petits, frais, rosés, tapa eurs et « oufflus, Avec nos grands albums, n’a plus, PAGF 3 OF beaux dragons qui chevauchaient en troupes ! Je fus de ces heureux d’alors, mais aujourd’hui,

Les pieds sur les chenets, le front terne d’ennui, Moi qui me sens toujours l’amertume dans l’âme, J’aperçois défiler, dans un album de flamme, Ma jeunesse qui va, comme un soldat passant, Au champ noir de la vie, arme au poing, toute en sang ! 13 Premier remords Au temps où je portais des habits de velours, Éparses sur mon col roulaient mes boucles brunes. J’avais de grands yeux purs comme le clair des lunes ; Dès faube je partais, sac au dos, les pas lourds. Mais en route aussitôt je tramais des détours, Et, narguant les pions de mes jeunes rancunes, Je montais à l’assaut des pommes et des prunes

Dans les vergers bordant les murailles des cours. Étant ainsi resté loin des autres élèves, Loin des bancs, tout un mois, à vivre au gré des rêves, l_Jn soir, à la maison, craintif, comme j’entrais, Devant le crucifix où sa lèvre se colle Ma mère était en pleurs Ô mes ardents regrets ! Depuis, je fus toujours le premier à l’école. 14 Ma mère Quelquefois sur ma tête elle met ses mains pures, Blanches, ainsi que des frlssons blancs de gupures. Elle me baise au front, me parle tendrement, D’une voix au son d’or mélancoliquement.

Elle a les yeux couleur de ma vague chimère, ? toute poésie, ô toute extase ô Mère ! À l’autel de ses pieds je l’h rant, lys et le regard qui brille Comme un éblouissant miroir vénitien , Ma mère que voici n’est plus du tout la même ; Les rides ont creusé le beau marbre frontal ; Elle a perdu [‘éclat du temps sentimental Où son hymen chanta comme un rose poème. Aujourd’hui je compare, et j’en suis triste aussi, Ce front nimbé de joie et ce front de souci, Soleil d’or, brouillard dense au couchant des années. Mais, mystère de cœur qui ne peut s’éclairer ! Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées ?

Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer ? 16 Le talisman Pour la lutte qui s’ouvre au seuil des mauvais jours Ma mère m’a fait don d’un petit portrait d’elle, Un gage auquel je suis resté depuis fidèle Et qu’à mou cou suspend un cordon de velours. « Sur l’autel de ton cœur (puisque la mort m’appelle) Enfant, je veillerai, m’a-t-elle dit, toujours. Que ceci chasse au loin les funestes amours, Comme un lampion d’or, gardien d’une chapelle. » Ah sois tranquille en les ténèbres du cercueil ! Ce talisman sacré de ma jeunesse en deuil Préservera ton fils des bras de la Luxure,

Tant j’aurais peur de vair un jour, sur ton portrait, Couler de tes yeux doux les pleurs d’une blessure, Mère ! dont je mourrais, plein d’éternel regret. 17 Le jardin d’antan Rien n’est plus doux aussi que de s’en revenir Comme après de longs an PAGF s OF branches Nos sœurs en robes blanches. Aux soirs d’Avril anciens, jetant des cris joyeux Entremêlés de ritournelles, Avec des lieds joyeux Elles passaient, la gloire au yeux, Sous le frisson des tonnelles, Comme en les villanelles 18 Cependant que venaient, du fond de la villa, Des accords de gu’tare ancienne, De la vieille villa,

Et qui faisaient deviner l? près d’une obscure persienne, Quelque musicienne. Mais rien n’est plus amer que de penser aussi À tant de choses ruinées ! Ah ! de penser aussi, Lorsque nous revenons ainsi Par des sentes de fleurs fanées, A nos jeunes années. Lorsque nous nous sentons névrosés et vieillis, Froissés, maltraités et sans armes, Moroses et vieillis, Et que, surnageant aux oublis, Séternise avec ses charmes Notre jeunesse en larmes ! 19 La fuite de l’enfance par les jardins anciens foulant la paix des cistes, Nous revenons errer, comme deux spectres tristes,

Au seuil immaculé de la Villa d’antan. Gagnons les bords fanés d les râles PAGF 6 OF âme alors soudain je vois groupées Mes sœurs à cheveux blonds Jouant près des vieux feux ; Autour d’elles le chat rôde, le dos frileux, Les regardant vêtir, étonné, leurs poupées. Ah la sérénité des jours à jamais beaux Dont sont morts à jamais les radieux flambeaux, Qui ne brilleront plus qu’en flammes chimériques ; Puisque tout est défunt, enclos dans le cercueil, Puisque, sous les outils des noirs maçons du Deuil, S’écroulent nos bonheurs comme des murs de briques ! 21

Les angéliques Des soirs, j’errais en lande hors du hameau natal, Perdu parmi l’orgueil serein des grands monts roses, Et les Anges, à flots de longs timbres moroses, Ébranlaient les bourdons, au vent occidental. Comme un berger-poète au cœur sentimental, J’aspirais leur prière en l’arôme des roses, Pendant qu’aux ors mourants, mes troupeaux de névroses Vagabondaient le long des forêts de santal. Ainsi, de par la vie où j’erre solitaire, j’ai gardé dans mon âme un coin de vieille terre, Paysage ébloui des soirs que je revois ; Alors que, dans ta lande intime, tu rappelles,

Mon cœur, ces angélus d’antan, fanés, sans voix . Tous ces oiseaux de bronze envolés des chapelles ! 22 Dans l’allée Toi-même, éblouissant comme un soleil ancien Les Regrets des solitudes roses, Contemple le dégât du Parc ma icien Où s’effeuillent, au pas du PAGF 7 OF en paix morte les boulingrins, Tissant nos douleurs aux ombres brunes, Tissant tous nos ennuis, tissant tous nos chagrins, Mon cœur, si peu quiet qu’on dirait que tu crains Des fantômes d’anciennes lunes . 23 Foulons mystérieux la grande allée oblique ; Là, peut-être à nos appels amis

Les Bonheurs dresseront leur front mélancolique, Du tombeau de l’Enfance où pleure leur relique, Au recul de nos ans endormis. 24 Le berceau de la muse De mon berceau d’enfant j’ai fait l’autre berceau Ou ma Muse s’endort dans des trilles d’oiseau, Ma Muse en robe blanche, ô ma toute maitresse ! Oyez nos baisers d’or aux grands soirs familiers… Mals chut ! j’entends déjà la mégère Détresse À notre seuil faisant craquer ses noirs souliers ! 25 Amours d’élite 26 Rêve d’artiste Parfois j’ai le désir d’une sœur bonne et tendre, D’une sœur angélique au sourire discret •

Sœur qui m’enseignera doucement le secret De prier comme il faut, d’es érer et d’attendre. J’ai ce désir très pur d’une PAGF 8 OF canaris et les jokos bélîtres. Mais la petite Miss en berline s’en va, Dans son vitchoura blanc, une ombre de fourrures, Bravant l’intempérie et les âcres froidures, Et plus d’un, à la voir cheminer, la rêva. Ses deux chevaux sont blancs et sa voiture aussi, Menés de front par un cockney, flegme sur siège. Leurs sabots font des trous rands et creux dans la neige ; Tout le ciel s’enfarine en un soir obscurci. Elle a passé, tournant sa prunelle câline Vers moi.

Pour compléter alors l’immaculé De ce décor en blanc, bouquet dissimulé, Je lui jetai mon cœur au fond de sa berline. 28 placet Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle Des lames des cheveux aux lames du ciseau, Pour que j’y puisse humer un peu de chant d’oiseau, Un peu de soir d’amour né de vos yeux de perle ? Au bosquet de mon cœur, en des trilles de merle, Votre âme a falt chanter sa flûte de roseau. Des lames des cheveux aux lames du ciseau ? Fleur soyeuse aux parfums de rose, lis ou berle, Je vous la remettrai, secrète comme un sceau, Fût-en Éden, au jour que nous prendrons vaisseau

Sur la mer idéale où Pouragan se ferle. Reine, acquiescez-vous qu’une boucle déferle ? 29 Le Robin des bois Pendant que nous lisions Werther au fond des bois, Hier s’en vint chanter un robin dans les branches , blanches, Et fai saisi vos mains, fai s m’appelant, vous m’avez crié : « Vois ! » Voici qu’était tombé du frissonnant feuillage L’oiseau sentimental, frappé dans son jeune âge, Et qui mourait sitôt, pauvre ami du printemps. Et vous, vous le pleuriez, regrettant sa romance, Pendant que je songeais, fixant l’azur immense Le Robin et l’Amour sont morts en même temps ! 30 Le mai d’amour

Voici que verdit le printemps Où l’heure au cœur sonne vingt ans, Larivarite et la la ri ; Voici que j’ai touché l’époque Où l’on est las d’habits en loque, Au gentil sieur il faudra ça Ça La la ri Jeunes filles de bel humour, Donnez-nous le mai de l’amour, Larlvarlte et la la rl. Soyez blonde ou brune ou châtaine, Ayez les yeux couleur lointaine Larivarite et la la ri Des astres bleus, des perles roses, Mais surtout, pas de voix moroses, Belles de liesse, il faudra ça 31 Il faudra battre un cœur de joie Tout plein de gaîté qui rougeoie, Larivarite et la la ri. Moi, rêvé de celle-l