Tartuffe ou l’Imposteur Molière Oeuvre du domaine public. En lecture libre sur Atramenta. net 2 Préface Voici une comédie d longtemps persécuté qu’ils étaient plus puissant jusques or89 et I bruit, qui a été e ont bien fait voir x que j’ai joués ici.
Les marquis, les précieuses, les cocus et les médecins, ont souffert doucement qu’on les ait représentés, et ils ont fait semblant de se divertir, avec tout le monde, des peintures que l’on a faites d’eux ; mais les hypocrites n’ont point entendu raillerie ; ils se sont effarouchés d’abord, et ont trouvé étrange que j’eusse la hardiesse de ouer leurs grimaces et de vouloir décrier un métier dont tant d’honnêtes gens se mêlent. C’est un crime qu’ils ne sauraient me pardonner ; et ils se sont tous armés contre ma comédie avec une fureur épouvantable.
Ils n’ont eu garde de l’attaquer par le côté branlement de tête, le moindre pas à droite ou à gauche, y cachent des mystères qu’ils trouvent moyen d’expliquer à mon désavantage. J’ai eu beau la soumettre aux lumières de mes amis, et à la censure de tout le monde, les corrections que j’y ai pu faire, le jugement du roi et de la reine,
Ils n’en veulent point démordre ; et, tous les jours encore, ils font crier en public des zélés indiscrets, qui me disent des injures pieusement, et me damnent par charité. Je me soucierais fort peu de tout ce qu’ils peuvent dire, n’était l’artifice qu’ils ont de me faire des ennemis que je respecte, et de jeter dans leur parti de véritables gens de bien, dont ils préviennent la bonne foi, et qui, par la chaleur qu’ils ont pour les ntérêts du ciel, sont faciles à recevoir les impressions qu’on veut leur donner.
Voilà ce qui m’oblige à me défendre. Cest aux vrais dévots que je veux partout me justifier sur la conduite de ma comédie ; et je les conjure, de tout mon cœur, de ne point condamner les choses avant que de les voir, de se défaire de toute prévention, et de ne point servir la passion de ceux dont les grimaces les déshonorent.
Si l’on prend la peine d’examiner ma comédie, on verra PAGF 7 OF ag comédie, on verra sans doute que mes intentions y sont partout innocentes, et qu’elle ne tend ullement à jouer les choses que l’on doit révérer ; que je rai traitée avec toutes les précautions que demandait la délicatesse de la matière et que j’ai mis tout l’art et tous les soins qu’il m’a été possible pour bien distinguer le personnage de l’hypocrite d’avec celui du vrai dévot. J’ai employé pour cela deux actes entiers à préparer la venue de mon scélérat.
Il ne tient pas un seul moment fauditeur en balance ; on le connaît d’abord aux marques que je lui donne ; et, dun bout à l’autre, il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action, ne peigne aux spectateurs le caractère d’un méchant homme, et asse éclater celui du véritable homme de bien que je lui oppose. Je sais bien que, pour réponse, ces messieurs tâchent d’insinuer que ce n’est point au théâtre à parler de ces matières ; mais je demande, avec leur permission, sur quoi ils fondent cette belle maxime.
C’est une proposition qu’ils ne font que supposer, et ne prouvent en aucune façon ; et, sans doute, il ne serait pas difficile de leur faire voir que la comédie, chez les anciens, a pris son origine de la religion, et faisait partie de leurs mystères ; que les Espagnols, nos voisins, ne célèbrent guère de fêtes où la comédie ne soit êlée, et que même, parmi nous, elle doit sa naissance aux soins d’une 4 3 OF ag confrérie à qui appartient encore aujourd’hui l’hôtel de Bourgogne ; que c’est un lieu qui fut donné pour y représenter les plus importants mystères de notre foi ; qu’on en voit encore des comédies Imprlmees en lettres gothiques, sous le nom d’un docteur de Sorbonne et, sans aller chercher si loin que l’on a joué, de notre temps, des pièces saintes de M. de Corneille, qui ont été l’admiration de toute la France. Si l’emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raison il y en aura de rlviléglés. Celui-ci est, dans l’État, d’une conséquence bien plus dangereuse que tous les autres ; et nous avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction.
Les plus beaux traits d’une sérieuse morale moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire : et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. Cest une grande atteinte aux vlces, que de les exposer ? la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant ; mais ne veut point être ridicule. On me reproche d’avoir mis des termes de piété dans la bouche de mon imposteur. Eh ! pouvais-je m’en empêcher, pour bien représenter le caractère d’un hypocrite ? Il suffit, ce me semble, je fasse connaitre les motifs criminels qui lui font dire les choses, que fen aie retranché les t rés, dont on aurait eu termes consacrés, dont on aurait eu peine ? lui entendre faire un mauvais usage. Mais il débite au quatrième acte une morale pernicieuse. – Mais cette morale est-elle quelque chose dont tout le monde n’eût les oreilles rebattues ? Dit-elle rien de nouveau dans ma comédie ? Et peut-on craindre que des choses généralement détestées fassent quelque impression dans les esprits ; que je les rende dangereuses en les faisant monter sur le théâtre ; qu’elles reçoivent quelque autorité de la bouche d’un scélérat ? Il n’y a nulle apparence à cela ; et l’on doit approuver la comédie du Tartuffe, ou condamner généralement toutes les comédies. C’est quoi l’on s’attache furieusement depuis un temps ; et jamais on s’était si fort déchaîné contre le théâtre.
Je ne puis pas nier qu’il ait eu des Pères de l’Église qui ont condamné la comédie ; mais e peut pas me nier aussi qu’il n’y en ait eu quelques-uns qui l’ont traitée un peu plus doucement. Ainsi l’autorité dont on prétend appuyer la censure est détruite par ce partage : et toute la conséquence qu’on peut tirer de cette diversité d’opinions en des esprits éclairés des mêmes lumières, c’est qu’ils ont pris la comédie différemment, et que les uns l’ont considérée dans sa pureté, lorsque les autres l’ont regardée dans sa corruption, et confondue avec tous ces vilains spectacles qu’on a eu raison de nommer des spectacles de PAGF s OF ag turpitude.
Et, en effet, puisqu’on doit discourir des choses et non pas des ots, et que la plupart des contrariétés viennent de ne pas entendre et d’envelopper dans un même mot des choses opposées, il ne faut qu’ôter le voile de l’équivoque, et regarder ce qu’est la comédie soi, pour voir si elle est condamnable. On connaîtra, sans doute, que, n’étant autre chose qu’un poème ingénieux, qui, par des leçons agréables, reprend les défauts des hommes, on ne saurait la censurer sans injustice ; et, si nous voulons ouïr là-dessus le témoignage de l’antiquité, elle nous dira que ses plus célèbres philosophes ont donné des louanges à la comédie, eux qui faisaient profession d’une sagesse i austère, et qui criaient sans cesse après les vices de leur siècle. Elle nous fera voir qu’Aristote a consacré des veilles au théâtre, et s’est donné le soin de réduire en préceptes l’art de faire des comédies. ous apprendra que ses plus grands hommes, et des premiers en dignité, on fait gloire d’en composer eux-mêmes, qu’il y en a eu d’autres qui n’ont pas dédaigné de réciter en public celles qu’il avaient composées ; que la Grèce a fait pour cet art éclater son estime par les prix glorieux et par les superbes théâtres dont elle a voulu l’honorer ; et que, dans Rome enfin, ce même art a reçu aussi des onneurs extraordinaires : je ne dis pas dans Rome débauchée, et sous la licence des empereurs, mais dans Rome disciplinée, sous sagesse des consuls, et dans le temps de la vigueur OF ag Rome disciplinée, sous la sagesse des consuls, et dans le temps de la vigueur de la vertu romaine. J’avoue qu’il y a eu des temps où la comédie s’est corrompue. Et qu’est-ce que dans le monde on ne corrompt pont tous les jours ?
Il n’y a chose si innocente où les hommes ne puissent porter du crime ; point d’art si salutaire dont ils ne soient capables renverser les intentions ; rien de si bon en soi qu’ils ne puissent tourner à de mauvais usages. La médecine est un art profitable, chacun la révère comme une des plus excellentes choses que nous ayons ; et cependant il y a eu des temps où elle s’est rendue odieuse, et souvent on en a fait un art d’empoisonner les hommes. La philosophie est un présent du ciel ; elle nous a été donnée pou porter nos esprits à la connaissance d’un Dieu par la contemplation des mervellles de la nature ; et pourtant on n’ignore pas que souvent l’a détournée de son emploi, et qu’on l’a occupée publiquement ? soutenir l’impiété.
Les choses mêmes les plus saintes ne sont oint ? couvert de la corruption des hommes ; et nous voyons des scélérats qui, tous les jours, abusent de la piété et la font servir méchamment aux crimes les plus grands. Mais on ne laisse pas pour cela de faire les distinctions qu’il est besoin de faire. On n’enveloppe point dans une fausse conséquence la bonté des choses que l’on corrompt, avec sépare toujours le mauvais usage d’avec l’intention de l’art ; et comme on ne s’avise point de défendre la médecine pour avoir été bannie de Rome, ni la philosophie avoir été condamnée publiquement dans Athènes, on ne doit ussi vouloir interdire la comédie pour avoir été censurée en de certains temps. Cette censure a eu ses raisons, qui ne subsistent ici.
Elle s’est renfermée dans ce qu’elle a pu voir ; et nous ne devons point la tirer des bornes qu’elle s’est données, l’étendre plus loin qu’il ne faut, et lui faire embrasser l’innocent avec le coupable. La comédie qu’elle a eu dessein d’attaquer n’est point du tout la comédie que nous voulons défendre. Il se faut bien garder de confondre celle-là avec celle-ci. Ce sont deux personnes de qui les mœurs sont tout à fait opposées. Elles n’ont aucun rapport l’une ‘autre que la ressemblance du nom ; et ce serait une injustice épouvantable que de vouloir condamner Olympe, qui est femme bien, parce qu’il y a une Olympe qui a été une débauchée. De semblables arrêts, sans doute, feraient un grand désordre dans le monde.
Il n’y aurait rien par là qui ne fût condamné ; et, puisque ne garde point cette rigueur à tant de choses dont on abuse tous jours, on doit bien faire la même grâce à la comédie, et approuver pièces de théâtre où l’on verra régner l’instruction et l’honnêteté. Je sais qu’il y a des esprits dont la délicatesse ne peut souffrir aucune comédie ; qui disent ue les lus honnêtes sont PAGF 8 OF ag dont la délicatesse ne peut souffrir aucune comédie ; qui disent que les plus honnêtes sont les plus dangereuses ; que les passions que l’on y dépeint sont d’autant plus touchantes qu’elles sont pleines de vertu, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations. Je ne vois pas quel grand crime c’est que de s’attendrir à la vue d’une passion honnête ; et c’est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme.
Je doute qu’une si grande perfection soit ans les forces de la nature humaine ; et je ne sais s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions des hommes de vouloir les retrancher entièrement. J’avoue qu’il y a des lieux qu’il vaut mieux fréquenter que le théâtre ; et, si l’on veut blâmer toutes les choses qui ne regardent pas directement Dieu et notre salut, il certain que la comédie en doit être, et je ne trouve point mauvais qu’elle soit condamnée avec le reste ; mais, supposé, comme il vrai, que les exercices de la piété souffrent des intervalles et que hommes aient besoin de divertissement, je soutiens qu’on ne leur eut trouver un qui soit plus innocent que la comédie. Je me suis étendu trop loin. Finissons par un mot d’un grand prince sur la comédie du Tartuffe.
Huit jours après qu’elle eut été défendue, on représenta devant la cour une pièce intitulée Scaramouche ermite ; et le roi, en sortant, dit au grand prince que je ve udrais bien savoir PAGF ag ; et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire. « Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche » ; à quoi le prince répondit : « La aison de cela, c’est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes ; c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir 8 Premier placet présenté au Roi Sur la comédie du Tartuffe.
Sire, Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules vices de mon siècle ; et, comme l’hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, ‘avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service ? tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une qui décriât les hypocrites, et mit en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique. je l’ai faite, Sire, cette comédie, avec tout le soin, comme je crois, et toutes les circonspections que pouvait demander la délicatesse la matière ; et, pour mieu time et le respect qu’on 10 IV Bq