Maurice Godelier : « L’anthropologue doit mouiller sa chemise » 2011 propos recueillis par VICTORIA GARIN http://www. lepoint. fr/grands-entretiens/maurice-godelier-l -anthropologue-doit-moulller-sa-chemise- 1 1-04-2011-1317825 _326. php Sur quel principe se sont fondées les sociétés humaines ? Quelle est la place de l’imaginaire, du symbolique et du sacré dans les liens qui nous unissent les uns aux autres ? Telles sont les questions qui ont guidé la vie de l’anthropologue Maurice Godelier. Quitte à bo maîtres, celui qui a d or 11 grandes figures des s Sni* tc
Braudel et Claude Lé à ces énigmes, à attis ries de ses houlette des plus de poque, Fernand ité, pour répondre ettre en cause les évidences. C’est l’ tude d’un peuple de Nouvelle-Guinée, les Baruya, découverts en 1951, et chez qui il vivra en tout sept ans, entre 1967 et 1988, qui lui donne les clés essentielles pour la compréhension du fondement des sociétés. Les nouveaux modes de parenté, la structure du don, le rôle de la sexualité, autant de sujets de recherches qui ont inspiré des ouvrages de référence, tels que La productlon des grands hommesou L’énigme du on.
Son engagement communiste lui a coûté, dit-on, le Collège de France. Qu’importe. Il aura contribué au sein du CNRS à
On ne peut pas comprendre le monde dans lequel on vit sans en connaître les fondements, en décortiquer les systèmes et en analyser les entités. Les tribus qui existent en Afghanistan, au Kajakhstan, en Iran, en Irak, en Jordanie, ne sont certainement pas une pure invention de l’Occident, comme le prétendent encore certains de mes collègues. Pour preuve, la Jirga de la paix, qui réunissait à Kaboul en juin dernier plus de 1 600 représentants de tribus afin d’essayer de mettre en place un processus de paix avec les talibans. Les tensions tribales posent de réelles questions aujourd’hui.
On sien est rendu compte le 11-Septembre 2001 avec l’implication de fondamentalistes wahhabites dans les attentats. Or qu’est-ce que le wahhabisme ? Cest une branche de l’Islam née de l’alliance, en 1742, entre deux hommes : Mohammed ibn Abd al-Wahhab, un religieux qui voulait retourner aux sources de l’Islam, et Mohammed ibn Saoud, un chef local de tribu. En deux siècles, ils se sont hissés à la tête d’un royaume qui s’appelle désormais l’Arabe saoudite. Voilà comment le wahhabisme est devenu religion d’État. Son rôle a changé lors de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.
Lorsque les Soviétiques ont établi un régime communiste à Kaboul, des milliers de jeunes saoudiens sont venus le combattre avec Ben Laden. Puis, les Américains les ont armés et après la défaite soviétique, ils sont restés sur place et PAG » 1 les Américains les ont armés et après la défaite soviétique, ils sont restés sur place et ont créé la base d’entrainement d’Al Qaeda. Tous ces hommes armés, qui avaient déjà combattu, et qui étaient déjà entrainés, n’était-ce pas un vivier formidablepour mener le djihad contre l’Occident, les juifs et les chrétiens?
Tout ça pour dire que si l’on ne connait pas l’anthropologie et l’histoire, si on ignore sur quelles forces et quels groupes sociaux s’appuient les actions et les stratégies, on manque de comprendre tout un aspect des enjeux actuels. Ces évènementsne peuvent s’expliquer par la seule anthropologie… Certes. Même si elle constitue une démarche fondamentale. Il faut l’interaction de trois disciplines, le « triangle d’or des sciences sociales », pour saisir ce qui se passe dans nos sociétés.
D’abord l’histoire, pour comprendre comment ont disparu les régimes communistes, pourquoi l’Empire romain est tombé en écadence, comment sont nés le sunnisme et le chiisme. Puis vient l’examen du terrain, auquel s’attelle l’anthropologie, et sa méthode d’observation et d’immersion prolongées, mais aussi la sociologie avec ses enquêtes de grande envergure, qui consistent à questionner des milliers de personnes pour en extraire des connalssances statistiques. Enfin, il y a l’économie. Non pas que les économistes comprennent les sociétés dans leur diversité.
Ils saisissent les grands phénomènes qui relèvent de la logique du marché et du développement du capital, mais ne nous disent rien ur les identités et sur leur complexité. C’est pourquoi ces trois disciplines sont complémentaires. D’autres, comme le droit, sont égalemen PAGF30F11 complexité. C’est pourquoi ces trois disciplines sont complémentaires. D’autres, comme le droit, sont également nécessaires. Le grand défi des sciences sociales, c’est de créer le lien entre elles. Mais concrètement, comment travaille un anthropologue ? Comme je vous l’ai dit, il doit s’immerger pour pratiquer une observation participante.
La difficulté est d’instaurer des rapports de confiance avec les personnes étudiées, et de faire en sorte ue ces relations soient porteuses de connaissance scientifique. Cest compliqué, car lorsque vous entrez dans un champ pour en prendre les mesures, vous ne savez pas vraiment où vous mettez les pieds. Et l’on vous apprend que vous venez de marcher sur des plantes maglques, sacrées. Alors on vous explique, vous passez du temps avec les gens, vous apprenez si nécessaire leur langue, pour qu’ils finissent par vous adopter. Moi, par exemple, chez les Baruya, j’étais Maurice le Rouge.
Non pas pour mes opinions politiques de l’époque, mais pour les coups de oleil qu’attrape l’homme blanc lorsqu’il vit là-bas. Lorsqu’on se voit attribuer un nom, en principe, c’est qu’on a fini par se faire accepter. Et c’est tout l’enjeu de notre métier. Ces populations tirent-elles bénéfice de votre présence ? C’est une question que chaque anthropologue devrait se poser. Cest très délicat, car en général, on arrive chez les autres sans y être invité. Juste parce qu’on veut faire du terrain, et que cette étude soit reconnue dans notre pays d’origine. En même temps, vous êtes là pour connaître l’autre.
Je pense fondamentalement ue lorsqu’on passe des années entières à étudier une société PAGFd0F11 fondamentalement que lorsqu’on passe des années entières ? étudier une société, quel que soit l’accueil qu’elle vous réserve au départ, votre intérêt pour ceux qui vous reçoivent leur montre nécessairement quelque chose à eux-mêmes. plus largement, ? travers la compréhension et la comparaison de logiques sociales différentes, c’est l’humanité tout entière que l’on essaie de comprendre. Chez les Baruya, j’ai découvert par exemple que leur système de parenté était comparable à celui des Iroquois ‘Amérique du Nord.
J’ai donc cherché à comprendre l’apparition de mêmes systèmes en des lieux différents. Or, les Baruya, qui ne connaissent évidemment pas les Iroquois, et savent encore moins où ceux-ci se trouvent, se fichaient éperdument du problème que j’essayais d’analyser. C’est là que le travall scientifique dépasse l’horizon de la société étudiée. Quand on me demande Qu’avez- vous fait au juste pour les Baruya ? Avez-vous apporté des sacs de riz comme Monsieur Kouchner je réponds que oui, mais que cela ne suffit pas. Que man métier ne se réduit pas à cela, et qu’il e faut pas être prisonnier de l’immédiat.
L’analyse des sociétés prend certes beaucoup de temps, mais elle finit toujours par apporter des clés pour comprendre les comportements actuels. Dans Les métamorphoses de la parenté (2004), vous affirmez que la famille et la parenté ne sont pas le fondement de la societé. Absolument. Quand j’étais jeune, il semblait acquis que les sociétés dites primitives étaient fondées sur la parenté. Donc je l’ai lu, assimilé, répété. Jusqu’à ce que, sur le terrain, je m’aperçoive que l’idée que des rapports sociaux, de s 1