La religieuse Le texte est un mémoire adressé au marquis de Croismare par la religieuse Suzanne Simonin qui, en 1760, âgée de dix-neuf ans, raconte ses mésaventures. Enfant, elle se sentait rejetée par ses parents. Son père, un riche avocat au caractère très dur, et sa mère, très croyante et soucieuse de son salut, chérissaient au contraire ses deux sœurs auxquelles ils accordèrent une dot considérable pour qu’elles fassent un beau mari aînée s’intéressait ? elle était belle et spiri apprit que M.
Simoni constamment la seul or 1 1 is de sa soeur ses deux sœurs, à sa mère qui lui u’elle lui rappelait ise dans sa vie qu’ainsi elle lui empoisonnait. Aussi l’envoya-t•on au couvent pour qu’elle ne lèse pas les intérêts de ses deux sœurs (on ne serait pas obligé de partager l’héritage entre les trois enfants) et pour qu’elle expie la faute de sa mère. La jeune fille, mal aimée chez elle, désireuse de rendre heureuse sa mère, accepta, à contrecoeur, de se rendre au couvent Sainte Marie de la Visitation, à Longchamp.
Elle y découvrit la f Swipe to View next page fausse indulgence des religieuses, leur hypocrisie, leur âpreté, la folie de l’une d’elles. Pourtant, la supérieure,
Et, faisant sentir qu’elle aimait son ancienne supérieure, elle s’attira les foudres de la nouvelle supérieure, mère sainte-Christine, femme ascétique, férue de théologie, mais orgueilleuse, méchante et mesquine, à l’esprit étroit embrouillé de superstitions. Quand ses deux soeurs furent mariées, Suzanne souhaita sortir u couvent. Mais ses parents voulaient qu’elle prenne le voile. Malgré ses réticences, du fait des conseils insidieux de la mère supérieure, elle accepta de devenir novice.
Mais, quand vint le moment de prononcer ses VŒUX, elle fit scandale en s’y refusant. «De ce moment, je fus renfermée dans ma cellule ; on m’imposa le silence ; je fus séparée de tout le monde, abandonnée à moi- même ; et je vis clairement qu’on était résolu à disposer de moi sans moi. Je ne voulais point m’engager, c’était un point résolu • et toutes les terreurs vraies ou fausses qu’on me jetait sans cesse ne m’ébranlaient pas. ? Mère Sainte-Christine, avec la complicité seraile des autres religieuses, lui fit alor PAG » 1 m’ébranlaient pas. ? Mère Sainte-Christine, avec la complicité servile des autres religieuses, lui fit alors vivre un affreux enfer de supplices quotidiens. Elle fut traitée en suspecte, persécutée comme une traitresse, exorcisée comme une possédée. On fit même semblant de l’exécuter comme une criminelle. La seule alliée qui lui resta fut sœur Ursule, religieuse très douce et pure, au cœur tendre, à la nature mélancolique et triste. Mais, lorsque sœur Suzanne, privée de nourriture et de vêtements ropres, empêchée de prendre tout repos, tomba malade, sœur Ursule mourut, rongée par le chagrin et l’inquiétude.
Sœur Suzanne survit et se remit, mais flottant « entre la résignation et le désespoir Cependant, un avocat, qu’avait requis sœur Ursule, monsieur Manouri, tenta une action en justice pour falre rompre ses vœux, perdit le procès, mais parvint, à la faire sortir de ce couvent en étant toutefois spoliée de sa dot. Ce fut alors qu’elle entreprit l’écriture de son mémoire pour, en relatant sa vie malheureuse, obtenir la protection et implorer le secours du marquis de Croismare. Ramenée chez ses parents, elle y fut équestrée avant d’être renvoyée dans un autre couvent.
Elle fut donc transférée au couvent de Saint-Eutrope, à Arpajon, dont la supérieure avait fait un lieu de plaisirs (jeux, rires, friandises, caresses, confort). C’est que, d’une sensualité éperdue, elle était prompte à baiser ses fille PAGF30F11 confort). Cest que, d’une sensualité éperdue, elle était prompte à baiser ses filles sur la bouche, à les déshabiller. CYembIée, elle éprouva pour Suzanne le « goût » le plus vif, lui voua bientôt un véritable culte : « Elle baissa les yeux, rougit et soupira : en vérité, c’était comme un amant.
Cela lui attira la jalousie et la haine de celle qui avait été auparavant la favorite, sœur Thérèse. Sœur Suzanne, qui était toute innocente, ny voyait rien de mal. Mais elle le révéla tout de même au père Lemoine, le confesseur des religieuses du couvent, qui lui ordonna de ne plus fréquenter la supérieure qu’il compara à Satan. Celle-ci le contraignit à quitter le couvent, mais, ayant perdu l’affection de Suzanne, en mourut de chagrin et de folie. Le père Lemoine fut remplacé par Dom Morel, un bénédictin qui, lui aussi, était entré en religion malgré lui et souhaitait abandonner son statut.
Sœur Suzanne et lui se rendirent compte qu’ils avaient subi des horreurs similaires. Il lui apporta un grand soutien moral, lui donna des conseils et l’incita ? s’échapper du couvent. Mais il tenta aussi d’abuser d’elle. Elle se blessa en recouvrant sa liberté et, après quelques douloureuses expériences dans Paris, put devenir lingère chez une blanchisseuse brutale, mais bonne. C’est dans la maison de cette femme qu’elle termina ce long mémoire. Analyse Genèse de l’oeuvre La condition des religieuses fut un su PAGFd0F11 mémoire.
La condition des religieuses fut un sujet pris très au sérieux u XVIIIe où Pon pleurait beaucoup aux récits des épreuves subies par des victimes innocentes de l’injustice sociale ou de la méchanceté de certains êtres humains. Cette oeuvre militante est née d’un ensemble de circonstances qui combinent la mystification, l’attendrissement et la colère. Diderot avait d’abord le souvenir obsédant d’une de ses propres soeurs qui, en 1748, dans un couvent de Langres, était morte folle.
Il connaissait aussi les multiples exemples réels de jeunes filles mises au couvent pour expier la faute des mères, comme Mme d’Egmont, ou refusant de prononcer les vœux, comme Mlle e Mézières, ou intentant un procès pour faire révoquer les siens, comme Marguerite Delamarre. Cette religieuse avait écrit à la justice pour demander qu’on la délivrât du cloitre où ses parents l’avaient enfermée. Elle accusait sa mère de l’avoir enfermée de force à l’abbaye de Longchamp, puis au couvent Sainte-Marie de la rue du Bac. En 1758, les salons parisiens parlèrent beaucoup de ce cas.
Marguerite Delamarre fut soutenue par un habitué du salon parisien d’une amie de Diderot, madame d’Épinay, le marquis de Croismare qui était un homme sensible. Mais il ne parvint pas à lui faire gagner son procès. Un soir surgit dans l’esprit de Diderot, de Grimm, de Mme d’Épinay, l’idée d’imaginer par jeu les aven s 1 surgit dans l’esprit de Diderot, de Grimm, de Mme d’Épinay, l’idée d’imaginer par jeu les aventures d’une religieuse imaginaire, Suzanne Simonin, qui avait réussi à s’échapper du couvent où elle était malheureuse, et de lui faire adresser au marquls de fausses lettres où elle lui demandait secours.
Le marquis tomba dans le piège, une correspondance s’ensuivit. Il fut à ce point ému que, se trouvant dans ses terres de Normandie, il Vinvita à venir à Caen, où il lui trouverait un emploi honorable. La plaisanterie dura longtemps, jusqu’au jour où Diderot se décida enfin à faire mourir l’héroine. Mais il ne s’en tint pas là. En marge de cette correspondance, pris à son propre jeu, il finit par composer le mémoire que Suzanne Simonin était censée avoir écrit ? l’attention de Croismare. Telle est l’origine du roman.
Mais il y mit toute sa conviction et fut lui-même si saisi par l’émotion que suscitaient chez lui ces aventures qu’il en allait jusqu’à en pleurer. Melchior Grimm rapporta : « Un jour qu’il était tout entier à ce travail, M. d’Alainville le trouva en larmes, disant . Je me désole d’un conte que je me fais. « » Ainsi ce roman procède à la fois du réel et de l’imaginaire. Intérêt de l’action Ce fut sous le signe de Richardson, que Diderot admirait particulièrement à cette époque, que se plaça la composition de « La religieuse ».
Les romans de Richardson touchaient de très près à la réalité, éta 6 1 composition de « La religieuse ». Les romans de Richardson touchaient de très près à la réalité, étaient animés par sa sensibilité, tendaient au pathétique et à la morale, non sous la forme d’une dissertation, mais à travers une aventure indlviduelle ui pouvait paraître réelle. Diderot rendit Suzanne pathétique en faisant d’elle un symbole vivant, agrandi, des malheurs de toutes les religieuses.
D’autre part, le sujet lui fournissait la possibilité d’étudier une de ces «conditions» que les « Entretiens sur « Le fils naturel' »‘ avaient proposées comme thème au drame serieux, doublement même, puisque la condition de religieuse n’est pour Mlle Simonin que la conséquence de sa condition de fille naturelle. « La religieuse » répondait aussi à toutes les exigences qu’il avait sur le genre du roman. Le sujet en est vraisemblable et ommun, l’action n’a rien d’extraordinaire.
Le genre « vrai» existait avant 1760, mais l’originalité de Diderot commença à partir du moment où il essaya de rendre le réel de la manière la moins artificielle possible. Ce roman d’une destinée malheureuse est d’une impitoyable vérité. Ce fut ainsi qu’il posa les bases de ce que le XIXe siècle appellera l’art réaliste, qu’il dépassa toutefois en recréant, à partir de ce réalisme même, tout le mystère de l’aventure romanesque, en ne poussant pas l’amour de la vérlté jusqu’à choisir un personnage médiocre, comme on en voit tous les jours.
PAGF70F11 érité jusqu’à choisir un personnage médiocre, comme on en voit tous les jours. L’aventure et le caractère de Suzanne Simonin gardent quelque chose d’exceptionnel. Si, de ce fait, l’œuvre s’écarte de ce que sera le réalisme, il n’en reste pas mons que Diderot a mis au point une technique de description réaliste et qu’il lui demeura fidèle par la recherche du détail vrai.
L’action, pleine de mouvement, est un amalgame de pathétique et de farce, d’humour et de colère, de cynisme et d’attendrissement, de fiction et d’illusion, la fiction et l’illusion étant des moyens d’arriver à l’essence du vrai. Mais le roman témoigne de la prodigieuse fertilité de l’imagination créatrice de son auteur. La composition du roman est simple et dramatique. Même si le texte est d’un seul tenant, on peut y distinguer quatre grandes parties qui évoquent successivement quatre aspects de la vie monastique et quatre étapes du calvaire de sœur Suzanne.
Elles contrastent entre elles et ménagent une gradation. La première, le noviciat, est placée sous le signe de l’argent, la deuxième évoque la grandeur mystique de la première supérieure ; par contraste, la troisième développe le thème du fanatisme t provoque l’horreur ; la dernière, enfin, mélange l’ironie et l’ignominie pour se terminer dans la frénésie et l’hallucination. Les événements sont étroitement liés et, par une exacte nécessité, font marcher fatalement l’héroine vers l’abîme B1 font marcher fatalement l’hérôine vers l’abime.
En fait, le roman est une juxtaposition de scènes et de tableaux où le goût de Diderot pour le théâtre et la peinture se déploie. Mais, vers la fin, le récit est interrompu et il est indiqué : « Ce qui suit ne sont plus que les réclames de ce qu’elle se promettait apparemment d’employer dans le reste de son récit. ? On appelait « réclame en typographie, le mot qu’on mettait au-dessous de la dernière ligne d’une feuille ou d’une page d’impression et qui était le premier de la feuille ou de la page suivante.
Il faut donc comprendre que la religieuse ne note alors que quelques détails qui lui permettront d’assurer la continuité de son récit. En réalité, Diderot a encore artistement travalllé le récit de la folie et de la mort de la supérieure. Mais il n’a jamais eu le temps, ou le désir, de développer la fin du roman. Roman sous forme de Mémoires, drame bourgeois, tragédie hrétienne de l’expiation et du remords, on ne saurait rattacher « La religieuse » à un genre précis.
Les tons sont variés : pathétique richardsonien (les trois supérieures représentent trois formes de pathétique, provoquant chez le lecteur soit l’admiration [la mystique], soit l’horreur [la sadlque], soit la pitié [la lesbienne]), scènes shakespeariennes de folie et de mort dans des éclairages de nuit et de ténèbres. Che shakespeariennes de folie et de mort dans des éclairages de nuit et de ténèbres. Chez les Simonin, l’atmosphère est glaciale et sinistre ; la mère présente à Suzanne un visage fermé et le père ui montre de la haine : dans sa famille, comme elle le sera au couvent, Suzanne est en prison.
Le roman exploite les thèmes romanesques conventionnels de l’innocence persécutée et des malheurs de la vertu. Le récit des persécutions qu’elle subit annonce les sévices des héroïnes de Sade et on peut parler du sadisme de sœur Sainte-Christine. Si la supérieure du couvent de Saint-Eutrope est une obsédée sexuelle, si, dans ce couvent, ce n’est plus Suzanne qui est le diable et fait peur aux autres religieuses, la mère supérieure connaît une agonie est en fonction de son péché, et on ne peut parler d’érotisme. Nous sommes loin du roman libertin qu’on s’est longtemps contenté d’y voir.
Il faudrait être aveuglé par le parti pris pour n’y voir, comme l’ont fait certains critiques, qu’un conte licencieux. Pour Montherlant : «Le livre est à peine licencieux et n’est pas du tout frivole mais au contraire très grave». Suzanne utilise souvent le récit expressionniste pour émouvoir, provoquer la compassion du destinataire : « On me jeta une chemise, on m’ôta mes bas, on me couvrit d’un sac, et l’on me conduisit, la tête et les pleds nus, à travers les corridors. Je criais, j’appelais à mon secours ; mais on avait sonné la cloche p 11