L’ARCHITECTURE MÉDIÉVALE DANS LES DE MAINS LIBRES PAUL ELUARD ET MAN RAY (4/4) : SENSUALITÉ ET ÉROTISME l. INTRODUCTION L’architecture, et l’es absent des Mains libr rues, peu d’immeubl naturelles à perte de peut distinguer deux org Sni* to nextÇEge st relativement s étendues e architecture contemporaine, qui fait r terence la modernité ; et une architecture médiévale, dont font partie châteaux. tours et murailles.
On distingue six diptyques poèmes / dessins évoquant l’architecture médiévale : « Château abandonné » à la page 19 « Les Tours du silence » à la page 38 ourtois est une conception de l’amour qu’on retrouve dans les textes du Moyen Âge, qui désigne toutes les manières possibles, pour un homme de qualité, d’approcher une jeune femme. Dans ses entretiens avec André Parinaud (1952), André Breton, chef de file surréaliste, définit cette tradition médiévale comme l’une des sources de l’amour surréaliste.
Aussi représenter un château est-il, pour Eluard ou Man Ray, une manière de se rapprocher de cette conception de l’amour courtois. 2. Le romantisme : le château d’If Par ailleurs, l’architecture médiévale telle qu’elle est représentée dans les Mains libres, bien u’elle paraisse sombre, est une image du romantisme, grâce à la mention du château d’If. a. Le fantôme d’Edmond
Mais le château d’If est aussi connu, en littérature, pour être le lieu où est enfermé le héros d’Alexandre Dumas, Edmond Dantès, dans son roman historique et d’aventures, le Comte de Monte-Cristo. Le Comte de Monte Cristo (1844) narre l’histoire d’un jeune marin, Edmond Dantès, qui rentre ? Marseille pour y épouser une catalane, Mercédès, dont il est ollement amoureux. Certains opposants, jaloux. s’arrangent pour le dénoncer comme conspirateur, et le font enfermer dans le château d’It Le protagoniste passe de nombreuses années enfermé, et perd tout ce à quoi il tenait, y compris, bien entendu son amour.
Il rencontre, dans son cachot, l’abbé Faria, qui lui son cachot, l’abbé Faria, qui lui révèle l’existence d’un trésor, caché sur l’ile de Monte Cristo. Edmond réussit à s’échapper du château, et se métamorphose, grâce au trésor, en comte de Monte Cristo. Sa quête de vengeance l’amènera également à revoir Mercédès, t à rechercher son amour perdu. Le compte de Monte Crista, aka Edmond Dantès, est donc un personnage hautement romantique. b.
Le personnage du gentleman Or, le personnage masculin présent sur le dessin « Le Château d’IP’ pourrait être une image d’Edmond Dantès, en ce qu’il ressemble à un gentleman, un dandy, avec son noeud papillon, et ses cheveux plaqués en arrière avec soin. De plus, son statut de seul homme dont on fait précisément le portrait dans le recueil, lui confère une aura de séducteur certaine. 3. Douceur et sensualité par ailleurs, les représentations de châteaux sont indlssociables ‘une certaine douceur, d’une sensualité. a.
Sensualité des ombres Ainsi, les ombres qui hantent les châteaux de « Château abandonné » et « les tours du silence » sont sensuelles. Le fait qu’elles soient mystérieuses, qu’elles ne soient que des Sllhouettes, qu’elles soient dans l’obscurité, renforce leur sensualité. L’ombre allongée devant le « Château abandonné », et sa pose alanguie, est l’incarnation même de cette sensualité. b. Symbolique érotique du *AGF 3 OFB Cette association est particulièrement présente dans l’image d’une tour qui n’appartient pas ? I architecture médiévale dans le recueil : elle de « Où naissent les crayons ».
En effet, la présence du serpent, symbole biblique et mythologique de la tentation pècheresse, renforce l’aura sexuelle de ce motif architectural. Pour en savoir plus à ce sujet, reportez-vous à la fiche « L’architecture médiévale (1) ». c. Lexique sensuel Enfin, la sensualité est surtout omniprésente dans les mots . lexique du corps (« langue » dans « château abandonné » ; « corps » dans « les tours du silence »), de la nuit, mais aussi du démoniaque En effet, l’amour n’est pas seulement courtois : il est aussi transgressif.
Ill. L’AMOUR TRANSGRESSIF : LE DÉMONIAQUE ET L’INTERDIT Au-delà de l’amour courtois, du romantisme et de la sensualité, l’amour apparaît également comme interdit. 1 . Amour interdit : la femme forteresse Cela est particulièrement clair dans le diptyque « Les Tours d’Éliane », aux pages 110 et 111. a. Eliane : l’amour défendu En effet, le dessin de Man Ray représente un château fort, dont l’entrée est gardée de deux tours.
A cette image du château, se superposent les formes d’une femme gigantesque, entièrement nue, dont le sexe, non dessiné, corres ond à l’entrée du château, devant laquelle se tient un étaphore de la porte du château, peut évoquer le mythe du vagin denté, selon certains critiques : « Dans son dessin « tours d’Eliane », Man Ray évoque l’interdiction d’accès à une femme forteresse ; la porte pourrait bien être une herse, susceptible de déchiqueter qui tenterait de pénétrer dans cet espace interdit : image du fantasme masculin du vagin denté, qui renvoie ? un mythe folklorique présent dans beaucoup de cultures.
Ce mythe a été repris par la psychanalyse, qui le rattache à l’angoisse de castration ». (M. A. Gervais-Zaninger, les Mains libres, éditions Atlande, page 131). b.
L’espoir oxymorique Pourtant, le dessin suggère que l’amour est possible, en introduisant trois éléments qui sont à la fois phalliques (symboles du sexe masculin) et une manière, pour l’assaillant, d’entrer dans le château/d’obtenir une relation charnelle : la lance du soldat l’échelle la fenêtre, située à la droite du soldat Les deux vers du poème rappellent cet espoir, à travers une suggestion oxymorique Un espoir insensé dans « les tours du silence » à la page 38 — et l’ouverture.
Etant donné la charge sexuelle du diptyque, l’ouverture, ici, symboliserait l’accomplissement de l’acte sexuel. Cependant, la formule ‘fenêtre au fond dune mine » est oxymorique (c’est-à-dire qu’elle tient de l’oxymore) : il est impossible d’ouvrir une fenêtre dans une mine. Par conséquent, l »‘espoir » demeure insense. L’amour, ici, n’est pas forcément accessible. On voit que la représentation du château, si elle est liée à un certain érotisme, n’lnduit pas l’accomplissement de l’acte charnel. 2.
Amour interdit : le démoniaque L’amour interdit est également signifié par la présence du démoniaque, lié au château. Le fait que les ombres et silhouettes représentées ne fassent pas partie du onde (« Ils voudraient avoir une ombre » dans « les tours du silence » page 38) interdisent toute relatlon amoureuse ; sans, pour autant, que l’érotisme soit absent du diptyque, notamment par les poses provocantes arborées par les deux silhouettes, sur la tour gauche. Pour en apprendre plus à ce sujet, reportez-vous à la fiche « L’Architecture médiévale (3) » IV.
L’AMOUR MORTIFERE : EROS ET THANATOS par ailleurs, l’amour est aussi « interdlt » quand il est lié à la torture, ou à la mort – et c’est le cas dans le recueil. En effet, nous devons noter que le lien entre Éros et Thanatos, c’est-à-dire entre ‘amour et la mort, est très dévelo é dans le recueil, et particulièrement dans les médiévale. 1 . Eros et Thanatos Eras et Thanatos sont des personnages de la mythologie grecque : Eros étant le dieu de l’amour, et Thanatos celui de la mort.
Les philosophes et les théoriciens du Xxème siècle, à la suite de Sigmund Freud dans Au-delà du principe de plaisir, évoquent les liens entre pulsions amoureuses et sexuelles, et pulsions mortifères. Ce lien est présent dans nombre d’oeuvres surréalistes ou d’inspiration surréaliste, ? l’instar des Mains libres. 2. Érotique transgressif : Sade Ainsi, l’érotisme transgressif représenté par Sade, personnage très lié à l’architecture médiévale dans le recueil, met en évidence le lien entre Eros et Thanatos, entre Amour et Mort. . Une érotique de la violence ; et la contradiction avec l’amour courtois En effet, le sadisme est, à proprement parler, un amour de la violence, un amour de la douleur. En cela, il est à relier à l’amour mortifère, et au lien entre Eros et Thanatos. Certains titres de poèmes (à l’exemple de « Oui ou non ») ou certains dessins (comme « Pouvoir »), glorifient l’absence de choix, la possession violente de la femme. Cette esthétique violente, mortifère de l’amour, est en contradiction avec l’amour courtois prôné par les surréalistes.
Comme le précise Marie-Paule Berranger, dans son ouvrage sur le surréalisme, la notion même d’érotisme de la violence suffit à nuancer le sens de l’amour courtois pour les surréalistes : La Dame lointaine, aux pieds de laquelle le poète soupire en vain et meurt de ne pas mourir, celle qui ouvre sur le Culte de Marie, n’est pas la « femme cachée dans la forêt » surréaliste. Le poème-blason de Breton « L’union libre » est, à cet égard sans ambiguïté : l’amour implique a possession physique et la jouissance en rien un idéal d’amour éthéré.
Le surréalisme travaille au contraire à effacer la culpabilité attachée à l’amour par deux mille ans d’interdits religieux »‘ (nous soulignons) b. Le château, l’enfermement Par ailleurs, le château, expression classique de l’architecture médiévale dans le recueil, est également un outil de l’expression violente de l’amour, c’est-à- dire du sadisme. Car, on l’a dit dans « L’architecture médiévale (2) », ces châteaux représentés derrière Sade peuvent tout à fait constituer des références historiques, et être une llustration du château de la Bastille.
Malgré la ressemblance frappante avec la Bastllle, le fait même de représenter un château dont ferait partie Sade évoque l’un de ses romans les plus connus, les Cent Vingt Journées de Sodome, dans lequel quatre aristocrates enferment quarante-deux victimes (femmes et enfants) dans le château de Silling, tout au fond de la Forêt Noire. Beaucoup de ces victimes sont tués lors de l’exercice des perversions de la part des quatre aristocrates. Le château est donc, en soi, un élément lié à l’érotlsme transgressif et violent, à la fois à Eros (l’amour) et à Thanatos (la Mort).