« Intercultural communication » et psychologie des contacts de cultures, un dialogue interdisciplinaire et interculturel encore à construire Tania Ogay université de Genève INTRODUCTION Travailler sur les questions interculturelles dans un environnement francophone mais en se référant principalement ? des modèles nord-américainsl de la communication interculturelle peut permettre de ressentir ce que vivent les pe marginaux culturels c’est-à-dire des pers cadres de référence culturels e 3) nomme les « or27 Snipe to • « al deux ou plusieurs lage avec les personnes solidement anc es dans l’une ou l’autre culture.
Cependant la double référence ne signifie pas uniquement décalage, elle implique également par définition une position de décentration, bien plus difficile ? construire lorsqu’on ne s’identifie qu’à une seule culture. La difficulté à se décentrer se voit par exemple chez les chercheurs nord-américains qui se consacrent ? l’étude de rintercultural communication ; en effet, ils semblent souvent considérer que les questions posées par le contact de cultures se traitent 1 .
Pour être plus précis, il faudrait parler de modèles « états- uniens » plutôt que « nordaméricains », dans la mesure où les eux-ci me demandent fréquemment en toute innocence comment sont organisées les études de communication interculturelle en Suisse et en France,
Mes efforts quotidiens pour établir un pont entre chercheurs « interculturalistes » francophones et anglophones m’ont permis de saisir eu à peu les complexités de cet échange que je souhaite instaurer, échange non seulement interculturel mais également interdisciplinaire. En effet, l’insertion disciplinaire des questions posées par l’interculturalité est très différente d’une rive à l’autre de l’Atlantique, et Finstauration d’un dialogue passe par une réflexion épistémologique sur l’articulation complexe entre ces différents savoirs.
Dans cet article, je me propose donc d’interroger cette articulation entre, d’une part, la communication interculturelle telle qu’elle s’est développée aux États-Unis au sein des sciences e la communication et, d’autre part, la psychologie francophone des contacts de cultures, une de ces « approches interculturelles » qui sont en Europe très souvent liées aux sciences de l’éducation.
LA COMMUNICATION INTERCULTURELLE • AUX ÉTATS-UNIS, UNE DISCIPLINE À PART ENTIÈRE DES SCIENCES DE LA COMMUNICATION Aux États-Unis, les Comm ces réservent une place PAGF retracer ailleurs (Ogay, sous presse) en détail le développement de la communication interculturelle comme discipline académique aux États-Unis ; on retiendra ici particulièrement le nom de l’anthropologue E. T. Hall (1978 ; 1979 ; 1984) qui, avec ses travaux dans un institut de formation des diplomates américains, est considéré comme le père du champ de la communication interculturelle (Hart, 1997 ; Rogers & Steinfatt, sous presse).
De cet héritage, la interculturelle garde le souci toujours très présent de l’application pédagogique des connaissances développées dans les recherches (en formation des adultes principalement, avec le développement de nombreuses 68 Intercultural communication et psychologie des contacts de cultures méthodes de formation interculturelle, voir par exemple Bennett, 986), ainsi qu’un intérêt axé sur l’individu « communiquant » et la qualité (ou plus souvent, l’efficacité) de son comportement de communication.
Si l’objet principal de la communication interculturelle est Pétude de ce que Dasen et Retschitzki appellent les contacts entre groupes culturels (1 989 ; voir aussi Dasen, texte d’orientation de ce volume), on trouve dans le domaine de la communication interculturelle différents écessairement courants.
Le premier ne c notamment de la dimension individualisme-collectivisme (voir Hofstede, 1980 ; Triandis, 1995), sans nul doute a plus étudiée dans ce genre de travaux, ainsi que les dimensions définies par Hall (1978, 1979, 1984) avec ses travaux sur la proxémie (la gestion de l’espace), la chronémie (la gestion du temps) et la part du contexte dans la communication (contexte faible : communication verbale explicite, peu de signification dans le contexte ; contexte fort : communication verbale implicite, beaucoup de signification dans le contexte).
Ce type de travaux peut aboutir à une critique interculturelle de la communication interpersonnelle mainstream, de la même façon que la psychologie culturelle comparée critique la psychologie ainstream quant à sa généralisabilité à d’autres contextes culturels (Martin, ce volume).
Ainsi, Kim (sous presse) critique la validité transculturelle de concepts comme assertiveness et selfdisclosure (que l’on peut traduire par assurance et révélation de soi), couramment mentionnés dans la littérature sur la communication interpersonnelle mainstream comme étant indispensables à une bonne communication interpersonnelle. Pour Kim, la validité de ces concepts n’est réelle que pour les contextes culturels individualistes ; parler de soi et avec assurance est au contraire un comportement de communication nadéquat dans les sociétés collectivistes (voir également Akkarl dans ce volume).
Les autres courants de la communication interculturelle portent quant à eux effectivement sur Fétude des situations de contact entre personnes contexte culturel étranger (typiquement des coopérants, des diplomates, des hommes d’affaires, des étudiants ou des jeunes en échange) ainsi que sur les méthodes de formation pour une adaptation la plus optimale possible, permettant notamment de dépasser le « choc culturel » (Ady, 1995 ; Furnham & Bochner, 1986 ; Grove & Torbiôrn, 1985 ; Harrison, Chadwick & Scalles, 996 ; searle & Ward, 1990).
Spécifiquement axés sur la problématique psychologique 69 T. OGAY de l’adaptation, ces travaux peuvent être rapprochés des travaux sur l’acculturation dans des contextes de migration (Berry & Sam, 1997 ; Kim, 1995), c’est-à-dire concernant des contacts à long terme.
La demande toujours pressante du terrain pour des formations permettant d’améliorer l’efficacité de la communication interculturelle a susclté le développement d’un courant qui est rapidement devenu dominant, celui de la compétence interculturelle, où les chercheurs (voir notamment Chen starosta, 1996 ; Imahori & car,igan, 1989 ; Kealey, 1989 ; Koester & Olebe, 1988 ; Martin, 1989 ; Ruben & Kealey, 1979 ; spitzberg, 1994) ont cherché à définir quels étaient les traits de personnalité, les attltudes et les habiletés permettant aux individus de réaliser une communication interculturelle efficace.
Très proche en plusieurs points du courant travaillant sur l’adaptation interculturelle, le courant représenté par les recherc PAGF s OF interculturelle. De nombreuses critiques peuvent être faites ? cette approche, dont notamment la centration sur un seul des acteurs de la communication, sans onsidération pour le rôle du contexte et des partenaires de l’interaction dans le déroulement de la communication (voir Ogay, sous presse).
Il ne s’agit toutefois pas de rejeter d’un bloc tous ces travaux, car malgré leurs défauts ils apportent des informations précieuses sur ces « dimensions de personnalité » impliquées dans la communication interculturelle et dont Camilleri (1 990 ; 1999), personnage central de la psychologie francophone des contacts de cultures, considérait l’étude comme un projet important pour la recherche interculturelle.
Deux compétences me semblent particulièrement ignes d’intérêt pour tout chercheur s’interrogeant sur l’interaction interculturelle : l’empathie (que l’on peut rapprocher de la décentration) (Redmond, 1989 ; Bennett, 1979, 1994) alnsl que la tolérance de l’ambiguité (aussl appelée tolérance de l’incertitude) (Berger & Gudykunst, 1991 ; Ruben, 1976).
Le quatrième courant que l’on peut définir dans l’intercultural communication correspond à des travaux qui, après les tâtonnements des premiers courants, ont pour ambition de produire des modèles de la interculturelle capables de saisir la dynamique interculturelle dans toute sa complexité.
Ainsi, Gudykunst (1995) intègre nombre de connaissances produites par les trois précédents courants dans sa théorie AUM (Anxiety / ur de laquelle se trouve Uncertainty Management PAGF 6 OF (Communication Accommodation Theory) de Giles et ses collègues (Gallois, Giles, Jones, Cargile & Ota, 1995), qui intègre la dimension micro et la dlmension macro dans un même cadre théorique, 70 reliant raccommodation du comportement de communication aux conditions sociostructurelles du contexte de la relation, dont notamment fhistoire des relations entre les groupes d’appartenance des interactants.
Ainsi, suivant sa perception des enjeux psychosociaux de la relation intergroupe, l’interactant cherchera à adapter son comportement de communication ? celui de son partenaire d’interaction (convergence) ou, au contraire, à accentuer les différences (divergence) afin de signaler son identité culturelle. Quant à Ting-Toomey (1993), elle propose de concevoir la sous l’angle d’un processus de négociation d’identités, les interactants devant notamment gérer dans l’interaction la dialectique entre l’inclusion et la différenciation2, dialectique importante pour l’estime de soi et le sens de ohérence de son identité.
Même si les approches diffèrent, le paradigme dominant jusqu’? aujourd’hu dans les recherches sur la communication interculturelle a été celui de la psychologie positiviste, la culture étant généralement traitée comme une variable dépendante ou indépendante, antérieure et extérieure PAGF 7 OF alors à l’effet des variables de personnalité sur le résultat de la communication), et l’on a dans les trois premiers courants trop perdu de vue le processus ou la dynamque de la communication.
Plusieurs indices indiquent que la communication interculturelle e trouve aujourd’hui à un stade crucial de son développement scientifique (Hart, 1997). Les apports les plus intéressants me semblent provenir d’une part de ces chercheurs qui tentent de remettre au centre la question de la dynamique et du processus de la communication interculturelle (Gallois et al. , 1995 ; Gudykunst, 1995), et d’autre part des chercheurs qui revendiquent une approche subjectiviste de la communication, concevant la communication non pas tant comme échange de messages mais comme négociation d’identités (Collier, 1994 ; Ting-Toomey, 1993).
Le paradigme positiviste est eu à peu remis en question et le champ de la communication interculturelle semble s’ouvrir de plus en plus (voir par exemple Katriel, 1 995) à des références largement présentes dans les autres champs des sciences de la communication mais très curieusement quasi absentes de la communication interculturelle anglophone : je veux parler notamment de l’ethnométhodologie et de l’interactionnisme symbolique, qui construisirent leur notoriété il y a déjà plusieurs décennies avec des auteurs comme Blumer (1 969), Garfinkel (1967), Goffman (1973) et Gumperz (1982). . Qui peut être rapprochée d’un des antagonismes ondamentaux relevés par Demorgon (1996) : l’antagonisme entre ouverture / fermeture. PAGF BOF communication sont traditionnellement avant tout dédiées ? l’étude de la communication de masse et particulièrement des médias, avec une approche à dominante sociologique. On parle d’ailleurs plus volontiers des « sciences de l’information et de la communication b.
Mais lorsque la sociologie de la communication s’est détournée des théories structurofonctionnalistes pour se tourner vers des approches réhabilitant les acteurs de la communication et leurs rapports intersubjectifs, son chemin a croisé elui des linguistes qui s’étaient eux détournés de la linguistique structurale pour la linguistique communicationnelle ou « pragmatico- énonciative » (voir Baylon & Mignot, 1994 ; Mattelart & Mattelart, 1995).
Ainsi, sociologie et linguistique sont les deux disciplines fondamentales de référence des sciences de la communication francophones, la communication interpersonnelle et, encore plus, la communication interculturelle en étant quasiment absentes car, comme le remarque non sans ironie Winkin4, leur reconnaissance en France ne va pas de soi. La interpersonnelle est encore souvent perçue comme « raffaire des sy » et la communication interculturelle, celle des « socio-cul » qui s’occupent des immigrés.
Il faut donc, sans reproduire artificiellement le développement institutionnel de ces disciplines aux États-Unis, montrer que l’interpersonnel et l’interculturel sont des objets de savoir – pourvu qu’ils soient construits théoriquement – et que ces savoirs exigent une matrice disciplinaire spécifi ue au sein des sciences de la co 1993, p. 415). semi-pratique : conceptualisation maigre mais exemples nombreux, prêts à se transformer en conseils pour une audience tournée vers la vie économique et administrative » (p. 5).
Il va même jusqu’à affirmer que, par la faute d’une théorisation insuffisante, « il faut tout refaire » (1 993, p. 416). Dans un numéro spécial de la revue Sciences Humaines consacré à la communication, Winkin (1997) ne présente d’ailleurs pas la communication interculturelle nord-américaine mais ce qu’il appelle « l’anthropologie de la communication aussi appelée ethnographie de la communication, qui peut être définie comme « l’étude de la parole en tant que 3. Où ce n’est qu’en 1996, au moment de la fondation de l’Université de la Suisse italienne, qu’a été créée la seule et unique Faculté des Sciences de la
Communication de Suisse. 4. Winkin est un des très rares auteurs francophones qui n’ignore pas la communication interculturelle nord-américaine. 72 phénomène culturel » (Baylon & Mignot, 1994, p. 251 Or c’est justement dans l’ethnographie de la communication que se trouve l’origine de la notion de compétence de communication, développée par Hymes (1984) sur la base de la distinction opérée par Chomsky entre compétence et performance, et reprise à son propre compte par le courant de la compétence interculturelle. Le moins que l’on puisse 10 rif 77 sciences de la