LE SOCIAL OU L’EFFICACITÉ DE L’IMAGE SANS IMAGES Éric Michaud Société d’études soréliennes Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle 2010/1 -no 28 pages 173 à 183 Document téléchargé depuis www. cairn. info – EHESS 193. 48. 45. 27 – 12/02/2013 10h54. @ société d’études soréliennes Article disponible en ligne à l’adresse: mil-neuf-cent-201 0-1 -page-173. htm article : or20 Sni* to View —Pour citer cet ————————Michaud Éric, « Le mythe social ou l’efficacité de l’image sans images h, Mil neuf cent.
Revue d’histoire intellectuelle, 201 0/1 no 28, p. 173-183. Distribution électronique Cairn. info pour Société d’études soréliennes. @ Société d’études soréliennes. Tous droits réservés pour tous prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www. cairn. info – EHESS – – 193. 48. 45. 27 – 12/02/2013 10h54. @ Société d’études soréliennes ISSN 1146-1225 Document téléchargé depuis www. cairn. info – EHESS – 193A8. 45. 27 – 12/02/2013 10h54. société d’études soréliennes L’hypothèse de ces pages est que le mythe sorélien, tout entier ondé sur une analytique du désir et du sublime, partage avec la publicité alors naissante la même obsession du passage efficace
Il s’agit seulement de souligner que « mythe social » et techniques publicitaires se fondent sur une même psychologie, sur une conception identique es ressorts qui font se mouvoir les hommes ; pour parvenir à leurs fins, ils tablent sur les mêmes dispositions de l’esprit humain, ils mettent en œuvre une même structure psychologique – celle qu’ils pensent * Comme le texte de Willy i le précède, celui-ci a fait PAGF 7 OF MSH, 2006), pour préparer cette communication, m’a souvent contraint de marcher dans ses pas, même si c’était pour m’en écarter finalement comme c’est Ici le cas.
Abréviations utilisées : R = Georges Sorel, Réflexions sur la violence (1908), Michel prat (edr), paris, Éd. du seuil, 1990 ; PF = Id. , « Revue critique. G. ce Bon, Psychologie des foules le Devenir social, novembre 1895, p. 765-770, repns iCi même, p. 125-130. 173 Le mythe social ou l’efficacité de l’image sans images * La position éthique que Sorel s’imposait de tenir face à l’avenir fut certainement la source de rune des ambivalences majeures dans lesquelles s’est déployée la « théorie des mythes » qu’il exposait les Réflexions sur la violence.
D’un côté, Sorel répétait continûment qu’il était non seulement vain mais encore dangereux de chercher à prévolr ravenir, comme le faisaient toujours les utopies, mais de ‘autre il ne cessait de formuler la nécessité de raisonner sur l’avenir et de construire l’avenir puisque « nous ne saurions agir sans sortir du présent » (R : 117). II se r Marx Qui compose un PAGF OF Marx et le mythe de la grève générale qui, selon lui, en avait pris la relève. Or sa position éthique sur l’avenir s’articulait très étroitement ? son jugement sur l’efficacité respective du mythe et de l’utopie. ? on peut, écrivait-il, indéfiniment parler de révoltes sans provoquer jamais aucun mouvement révolutionnaire, tant qu’il n’y a pas de mythes acceptés par les masses ; c’est ce qui donne une si grande mportance à la grève générale. » (R : 29. ) Cest donc parce que, étant fabriquée par des intellectuels, toute utopie demeure essentiellement extérieure et étrangère à la vie réelle des masses qu’elle est impuissante ? mettre en mouvement vers la révolution.
Mais l’utopie n’est pas pour autant dépourvue d’efficacité : « C’est une construction démontable dont certains morceaux ont été taillés de manière à pouvoir passer (moyennant quelques corrections d’ajustage) dans une égislation prochaine » ; c’est « le produit d’un travail intellectuel ; elle est l’œuvre e théoriciens qui, après avoir observé et discuté les faits, cherchent à établir un modèle auquel on puisse comparer les sociétés existantes pour mesurer le bien et le mal qu’elles renferment » (R : 30).
L’efficacité de l’utopie n’est donc pas nulle, mais d’une tout autre nature que celle du mythe : elle suscite la discussion et non l’action révolutionnaire. C’est en cela aussi que son emprise sur l’avenir se distingue de celle du mythe : tou•aurs ancrée dans les exemples du www. cairn. info – EHESS – 193. 48. 45. 27 – 12/02/2013 10h54. C Société d’études soréliennes apable de mener à la réallsation en acte de ce qu’elle véhicule, quelle qu’en soit la nature.
L’assentiment, dit Newman, si puissant qu’il soit, associé aux images les plus vives, n’est pas, par cela même, efficace. Strictement parlant, ce n’est pas l’imagination qui crée Paction ; c’est l’espérance ou la crainte, Yamour ou la haine, les désirs, les passions, les impulsions et l’égoïsme, du moi. L’imagination n’a d’autre rôle que de mettre en mouvement ces forces motrices, et elle y réussit en nous présentant des objets assez puissants pour les stimuler (R : 29 n).
Soulignant alors la très grande proximité de la pensée de Newman avec sa propre théorie des mythes, Sorel se disait également frappé « des analogies que présente sa pensée avec celle de Bergson comment ne pas songer en effet à Bergson, notamment au Bergson de Matière et mémoire qui écrivait que si « le passé n’est qu’idée, le présent est idéo-moteur 1 justifiant ainsi l’opposition des « Images motrices » du mythe sorélien à la vanité des « idées » de l’utopie. Mais, signe des temps, les nouvelles techniques publicitaires revendiquaient elles aussi la primauté des images motrices ans les processus psychologiques qu’elles sollicitaient : La loi fondamentale est celle de l’action idéo-motri ar exemple l’un des PAGF s OF Hollingworth, Advertising and selling : Principles of appeal and response, New York-Londres, Appleton and Company, 1913, p. 219. 175 l’histoire » (R : 29).
Tout au contraire, les mythes sociaux sont des « constructions d’un avenir indéterminé dans les temps [et qui] peuvent posséder une grande efficacité » (R : 1 17). À l’inverse de l’utopie enfin, dont chaque partie ou élément prête à la discussion, « un mythe aurait être réfuté puisqu’il est, au fond, identique aux convictions d’un groupe, qu’il est l’expression de ces convictions en langage de mouvement, et que, par suite, il est indécomposable en parties qui puissent être appliquées sur un plan de descriptions historiques » (R : 30).
Mais quelle était au fond la nature de cette efficacité si fortement revendiquée ? La réponse était chez lui sans équivoque : est efficace ce qui crée l’action, au sens que donnait à ces termes le cardinal Newman dont Sorel, dans la Lettre à Daniel Halévy qui ervait d’Introduction aux Réflexions, citait ces Ilgnes extraites de la Grammaire de l’assentiment 3. Dans l’Introduction à l’économie moderne (11 9031), Paris, Rivière, 1922, 2e éd. sorel point d’honneur du travailleur, c’est-à-dire : l’attention qu’il porte à son travail, l’amour qu’il a pour la besogne bien faite, et le désir qu’il éprouve de devenir une force indépendante, en se creant un foyer digne. » (P. 68-69. ) 4. Georges Sorel, La décomposition du marxisme, Paris, Marcel Rivière, 1908, p. 63-64. 5. Et Georges Sorel, « La valeur sociale de l’art D, Revue de étaphysique et de morale, mai 1901, p. 251-278. 76 Si l’on peut encore dire éthique la position de Sorel à l’égard de l’avenir, c’est non seulement parce qu’il opposait au bon avenir que pouvait faire surgir le mythe dans un temps indéterminé, l’avenir mutilé que préparaient les utopies – « qui présentent au peuple un mirage trompeur de l’avenir » (R : 121) -, mais c’est aussi parce qu’il ordonnait sa position à la question — tout aussi essentielle lui – de savoir non plus comment créer l’action, mais « comment peut se créer aujourd’hui la morale des producteurs futurs » (R . 26).
Sorel affirmait ne chercher que les conditions capables de donner sa pleine autonomie à une classe ouvrière dont il répétait qu’elle était parfaitement capable de s’édu uer elle-même, par le moyen capable de « sauver la civilisation » (R : 230), cette « morale des producteurs 3 » qu’il décelait in statu nascendi dans les ateliers, elle s’identifiait pour lui avec 1’« effort vers le mieux qui se manifeste, en dépit de l’absence de toute récompense personnelle, immédiate et proportionnelle [et] constitue la vertu secrète qui assure le progrès continu dans le monde » (R : 252).
Il rattachait cette vertu secrète l’effort désintéressé aux sentiments sublimes qui avaient animé jadis les premiers chrétiens dans leur attente eschatologique (R . 1 18), qul avaient reparu chez les moines franciscains millénaristes 4, puis chez les soldats de la Liberté durant la Révolution (R : 243-245), et qui enfin animait encore et toujours les artistes (R : 247 5).
S’il pensait, avec et malgré Renan, que le sublime avait disparu avec la bourgeoisie du xixe siècle, il le voyait renaître dans le prolétariat de son temps, héroïque et désintéressé, car « la notion de grève générale, ?crivait-il, éveille au fond de l’âme un sentiment du sublime en rapport avec conditions d’une utte gigantesque » (R : 162). 77 Document téléchargé dep . info – EHESS – PAGF E OF de ce risque puisqu’il disait craindre que le « sentiment très vif que nous avons de la nécessité d’une telle morale et [du] désir ardent que nous avons de la voir se réaliser ne nous induise à accepter des fantômes comme des puissances capables remuer le monde » (R . 253).
Véritablement obsédé par le souci de ne jamais dicter aux masses ouvrières d’autres fins que celles qu’elles se donneraient lles-mêmes, de ne pas trahir leurs désirs et leurs intérêts comme le faisaient les utopistes et les réformateurs, il soulignalt constamment l’origine profondément populaire et prolétarienne du mythe de la grève générale.
Ce « mythe vécu pour reprendre l’heureuse formule de Willy Gianinazzi, était à la fois son objet et son laboratoire : ces mythes lui permettaient, assurait-il, « de comprendre l’activité, les sentiments et les idées des masses populaires se préparant ? entrer dans une lutte décisive ; ce ne sont pas des descriptions de choses, mais des expressions de volontés » (R : 29-30). ur bien comprendre le mythe de la grève générale, il faut, disait encore Sorel , « interroger les hommes qui prennent une part très active au mouvement réellement révolutionnaire au sein du prolétariat » ; car ce sont hommes dont le « témoignage est décisif, souverain et irréformable quand il s’agit de savoir quelles sont les représentations qui agissent sur eux et sur leurs camarades de la manière la plus efficace », quelles sont les représentations « prâc raison, les espérances et PAGF g OF justifie une nouvelle fois le parallèle esquissé ici entre les ? mythes sociaux » et les techniques de la publicité : tous se fondent en effet sur le témoignage des groupes soclaux qu’ils vlsent – et d’abord sur celui de leurs leaders pour connaître « les représentations qui agissent sur eux et leurs camarades de la manière la plus efficace. » Il n’y a rien là d’étonnant : leurs sources théoriques sont les mêmes.
Tout comme Sorel, les premiers théoriciens de la publicité puis de la propagande se sont formés d’une part à l’école du pragmatisme et d’autre part à l’école des diverses théories de la suggestion qui leurissaient au tournant des xixe et xxe siècles, suscitant les débats passionnés des savants, des médecins, des psychologues et des philosophes. 178 Aussi voit-on publiés vers 1 910 les premiers ouvrages solidement et rigoureusement fondés sur ces théories de la suggestion et de contagion des émotions, dont les plus importants sont ceux écrits par Harry Hollingworth ou Walter Dill Scott aux États-Unis et Octave-Jacques Gérin en France, qui préfacent mutuellement leurs ouvrages. Sorel, quant à lui, n’ignorait rien nan lus de ces débats qui continuaient d’affleurer d ns sur la violence. Lui- 10 0