FONCTIONNALITÉ ET COULEUR EN ARCHITECTURE Expression d’un ordre nouveau de 1919 à 1974 LAURA GENEAU La couleur est un élément inhérent à l’architecture, elle est présente à toutes les époques et dans toutes les civilisations. Cependant, elle est utilisée à des fins très diverses. De manière générale, avant le XXème siècle, la couleur est appliquée sur les édificices dans un but plutôt narratif et ornemental.
Les pein les ornementations d ou encore les plafon pe. ,: témoignent de la vol l’animer. On peut ain or 23 to View s d’un édifice pour remonter en 1825 avec la theorie de la polychromie des édifices ntiques menée pa l’architecte français Jacques Ignace Hittorff. A partir du XXème siècle, les architectes tels ques Bruno Taut en Allemangne commencent à utiliser la couleur pour des fins qui dépassent son aspect ornemental.
Ainsi, à travers plusieurs exemples de l’histoire de l’architecture, une autre dimension de la couleur en architecture est mise en évidence. II s’agit d’une dimension sociale, politique qui témoigne d’une envie de donner une nouvelle représentation et perception du monde. Les exemples sélectionnés que s’appuient aussi sur les travaux sur la théorie de la couleur menés notamment par Johannes Itten au Bauhaus. Au delà, des desseins
I ) APRÈS LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE : LA COULEUR COMME MOYEN DUN NOUVEAU MONDE A) La chaîne de Verre (1919-1920) Au lendemain de la Première Guerre mondiale, et sans construction en perspective Bruno Taut, architecte et urbanisme allemand convie ses collaborateurs à ne pas rester inactif face à cette situation, mais plutôt il les pousse ? exprimer par le texte et le dessin une architecture nouvelle, celle d’un monde meilleur. « Que cela devienne un aimant, le noyau d’une avalanche ! Même SI out devait avorter, même si je me fais des illusions, du moins restera-t-il ? chacun un beau document en souvenir. ? Bruno Taut. S’en suit alors une correspondance de décembre 1919 à décembre 1920 entre architectes, écrivains penseurs (Wilhelm Brückmann Alfred Brust, Hermann Finsterlin, Paul Goesh, Jakobus Gòttel Otto Grdne, Wenzel Hablik, Carl Krayl, Wassily Luckhardt, Hans Scharoun, Bruno Taut, Max Taut). Cette correspondance nommée la Chaine de Verre (GISserne Kette a fortement contribué à l’essor de rava ande PAGF 3 par l’écrivain Paul Scheebart (1863-1915) pionnier de l’expressionnisme entre autres ui défendait l’architecture de verre.
Dans son ouvrage Glasarchitektur (1914) il décrit un monde qui s’émancipe de la masse et de la compacité de la brique en faveur de la transparence et de la luminosité du verre et de l’acier. « Nous vivons le plus souvent dans des pièces closes. Elles composent le milieu duquel est issu notre culture. Notre culture est dans une certaine mesure le produit de notre architecture. Si nous voulons atteindre un degré de culture plus élevé, il nous faudra bon grè, malgré, réviser notre architecture.
Et cela ne sera possible que quand nous aurons ôté toute compacité aux pièces dans equel nous vivons. Seul l’avènement de l’architecture de verre peut nous ouvrir cette possibilité, car elle laisse pénétrer la lumière du soleil et de la lune et des étoiles, non pas par quelques fenêtres, mais par le plus grand nombre possible de murs intégralement en verre – en verre de couleur. Ce nouveau milieu que nous créerons ainsi nous apportera une nouvelle culture. » Pour les architectes qui gravitent autour de Bruno Taut l’utilisation de ce matériau se fait de manière spirituelle, gothique.
Néanmoins avec l’avènement du modernisme international au milieu des années 20 les ntentions spirituelles sont réinvesties dans la structure mécanique du logement social. plutôt que la conviction spirituelle ce sont l’air frais, la lumière du jour et l’hygiène qui deviennent les objectifs de la nouvelle architecture. Afin de créer ce monde nouveau, les membres de la Chaine de Verre appli ue les convictions de Paul Scheebart. Ils des PAGF 93 nouveau, les membres de la Chaine de Verre applique les convictions de Paul Scheebart.
Ils dessinent et décrivent alors des architectures flamboyantes, colorées et transparentes. Des architectures qui font corps avec la nature. En effet, la nature tient une place ssentielle dans cette correspondance expressionniste, il est question d’une architecture cristalline et organique permise par l’emploi du verre et censée dintégrer à la nature. L’emploi de la couleur est donc très important dans les créations expressionnistes car c’est un moyen d’intégrer le bâtiment dans un site naturel notamment par le passage de la lumière au travers de verres polychromes.
La couleur est donc le moyen d’expression de ce monde nouveau. 1 . Taut, Dandanah, jeu en verre, 1919. 2. Paul Goesh, dessin sans titre 3. Wenzel Hablik, Coupole suspendue ayant comme base le sommet d’une montagne, huile sur toile, 1924. . Wassily Luckhardt, Édifice culturel, aquarelle, encre sur papier, 1920. B) Le pavillon de verre (1914) Après Alpine Architecture en 1917, Bruno Taut fait paraître un nouvel ouvrage en 1919 intitulé Die Stadtkrone (la s la ville) appelé Glashaus évoque cette idée de couronne de verre de la ville.
Avec la construction de ce pavillon Bruno Taut tend à démontrer les utilisations potentielles du verre pour l’époque avec une utilisation quasiment féérique fidèle aux idées du poète Paul Scheerbart_ pour l’architecte, le bâtiment doit inciter à la joie de vivre dans la perspective d’un monde meilleur. ?Dans l’esprit du poète Paul Von Scheerbart auquel il est dédié, il doit inciter à démanciper de la conception de l’espace qui domine par trop d’architecture actuelle et à introduire les effets propres au verre dans le monde de l’architecture. ? Si les écrits de Paul Scheerbart sont la principale inpiration pour la conception de ce pavillon, il existe cependant une autre référence à laquelle Taut s’inspire. Il s’agit d’un projet pour une piscine par Franz Roith’s un élève d’Otto Wagner dont le pavillon d’entrée se base sur un plan octogonal. Les murs de ce pavillon sont composés de blocs e verre et supportent un dome prismatique. pour Taut, ce pavillon de verre ne possède pas d’autre fonction que d’être beau.
Cela révèle parfaitement l’état d’esprit de cette réalisation ainsi que les volontés de la Chaine de verre de créer un monde nouveau, utopique où la vie est meilleure grâce à l’architecture de verre et de couleur. A ce sujet, Taut écrit «Ce bâtiment ne nécessite pas d’avor une fonction purement pratique. L’architecture, aussi, peut se libérer des demandes utilitaires. » Taut veut montrer avec le pavillon de verre comment la nouvelle architecture de couleur et de lumière peut servir nan eulement aux besoins ph aussi s 3 seulement aux besoins physiques, mais aussi satisfaire les besoins émotionnels et moraux de l’Homme.
Ce pavillon est une construction ronde avec quatorze colonnes de béton armé, dont les intervalles sont comblés avec de carreaux de verre de Luxfer, portant une coupole réticulaire de 8,70 de diamètre et 7. 65m de haut. La structure réticulée composée par des arêtes de voûte de 12 x 20cm , comporte trois couches. La couche intérieure se compose de prismes de Luxfer posés avec des nervures légères de béton armé. A l’extérieur, la coupole est en verre classique, du verre de ouleur compose la couche intermédiaire.
Les murs, plafond et escaliers sont eux-même en verre. L’emploi de verre coloré joue un rôle sensoriel dans la mesure où il a pour but de rendre heureux en quelque sorte. Peu avant la construction du pavillon, Bruno Taut demande à Paul Scheerbart d’écrire quelques aphorismes illustant le pavi Ion. En février 1914, Taut reçoit ces quatorze aphorismes qui insistent sur les raisons de l’emploi du verre et de la couleur pour permettre une vie mellleure à l’image du troisième aphorisme «le verre coloré détruit la haine» finalement choisi pour être inscrit sur le pavillon. . Le pavillon de verre, Bruno Taut Cologne, 1914 einen Glaspalast Ist das Leben eine Last. lm Glashaus brennt es nemmermehr; Man Braucht da keine Feuerwehr. Das Ungeziefer ist nicht fein Ins Glashaus kommt es niemals rein. Brennbare Materiala Sind Wirkliche Skandalia. Grbser als der Diamant Ist die lebendig im Kristall. 8. Maquette du pavillon de verre,ech 1/20, 2005 Das Prisma ist doch gros Drum ist das Glas famos- Wer die Barbe flieht nichts vom Weltall sieht. Das Glas bringt alles Helle, Verbau es auf der Stelle.
Das Glas bringt uns die neue Zeit; Backsteinkultur tut uns nur leid 9. Détail du dôme du pavillon (reconstitution) . 3runo Taut , Glashaus, Cologne 1914, vue extérieure 10. Détail du dôme extérieur C) Bruno Taut un archltecte de la couleur : évolution et signification (1 905/1 927) L’oeuvre de Bruno Taut est fortemment marquée par un travail trè couleur. Cette singularité PAGF 7 3 écrit . «Le peintre en moi se subordonne à l’architecte et cela est en accord avec ma nature. Pour moi, la peinture ne peut être une fin en soi ».
Lorsqu’il realise ses dessins au pastel, il utilise principalement des couleurs plutôt douces et naturelles dans des tons de vert, brun, jaune et gris. En 1906, Taut est chargé de concevoir la énovation d’une église à Unterriexingen. Pour cela il utilise les couleurs qu’il avait utilisé auparavant dans ses paysages à savoir blanc et vert clair pour les murs et rouge-brun pour le plafond. Néanmoins, ces tons colorés plutôt doux sont peu appréciés des clients qui font repeindre l’église peu de temps après la rénovation de aut.
Au fur et à mesure des commandes qui lui sont faites, Taut expérimente des couleurs de plus en plus vives. Il considère que la peinture et la sculpture de ses contemporains tels que Léger, Kandinsky, Archipenko, Marc Delaunay et Campendonk sont des exemples que les architecte devraient uivre, il écrit dans un article intitulé «Eine Notwendigkeit» publié dans la revue Der Sturm à la fin 1913 « les architectes doivent reconnaitre que l’architecture doit d’emblée enbrasser les conditions que la nouvelle peinture a créé à savoir la liberté de la perspective».
Ceci témoigne une nouvelle fois que le travail de mise en couleur des bâtiments s’appuie sur les recherches contemporaines artistiques. En 1912, il est chargé de concevoir le lotissement de Falkenberg. La construction débute en 1913 et continue jusqu’en 1914. La remière phase, le Akazienhof, concerne une ssenow PAGF B3 aison par Tessenow et 34 logements par Bruno Taut. Vingt-six des logements construits par Taut sont des maisons de plein pied et huit sont des appartements dans des maisons à deux niveaux. En 1914, la secon- 1 1 .
Pine forest, Bruno Taut (1903) pastel sur papier 36×21. Scm 12. Bruno Taut, lotissement de Falkenberg, 1912 13. Bruno Taut, lotissement de Falkenberg, 1912 -de phase entre en construction en cité-jardin avec 83 unités allant de l’appartement une pièce à la maison cinq pièces. Ce lotissement est caractérisé par une grande diversité typologique chère à Taut. Dans ce projet, l’utilisation e la couleur témoigne de la volonté de faire entrer la nature dans la ville mais aussi d’évoquer une certaine harmonie dans la diversité sociale.
Il s’agit donc là d’appuyer les opinions de Taut en ce qui concerne le logement ouvrier avec notamment une relation avec le travail d’Ebenezer Howard sur les cités-jardins. La couleur permet ainsi d’individualiser le logement à l’égard du langage architectural répétitif des logements en bande. La palette chromatique est diverse , on trouve du rose, du vert-olive, du brun doré et un bleu très fort, elle rappelle aussi les couleurs utilisées par les rtistes du jugendstil (équivalent de l’art nouveau en France. Par la suite, en raison de la guerre et par conséquent l’impossibilité de construire pour les jeunes architectes, Taut s n travail théorique dans PAGF ç 3 Die Stadtkrone en 1919 inspiré des idées d’Howard, puis peu à peu resprit réformiste de l’architecte allemand ramène à créer l’AFK Arbeitsrat für Kunst en 191 9 un groupement d’architectes, d’écrivains dont le but est entre autres de démocratiser l’Art : « L’art et le peuple doivent former une entité.
L’art ne doit plus être un privilège pour quelques uns mais doit être apprécié et connu par es masses. L’objectif est une alliance des arts par le biais de la grande architecture» (1919). Grâce à cela, il attire de nombreux artistes et architectes importants tels que Walter Gropius.
Et, alors que l’Allemagne subit une grave crise économique, Taut lance un «Appel pour parchitecture colorée» en 1919 par le biais d’un article intiltulé «Aufrufzum farbigen bauen» publié pour la première fois dans la revue «Bauwelt» avec pour sous-titre «Der Regenbogen» (l’arc en ciel) dans lequel il manifeste pour une architecture de couleur argumentant sur le fait que la peinture contrairement ux sculptures et décors moulés est bon marché ce qui est important en ces temps de crise économique.
La couleur étant pour lui le moyen de rendre «l’existence joyeuse» d’où l’importance de l’utiliser sur tous les bâtiments. Il écrit : « Nous dénonçons catégoriquement l’absence de couleur même si la maison est au milieu de la nature. Il n’y a pas seulement les luxuriants paysages de printemps et d’été mais les jours enneigés de l’hiver qui crient pour la couleur. Laissez le bleu, le rouge, le jaune, le vert, le noir et le blancs rayonner dans des tons nets et lumineux pour rempla- 14. Dize Stadtkrone , Bruno Taut 1919