Les lignes et les flux dans l’architecture de Zaha Hadid Introduction Une ligne apparait. Elle file. Une seconde arrive, puis sen suit une multitude. Toutes se deplacent, se suivent, se croisent, se separent puis se rejoignent. Elles finissent par creer un espace. De nombreux projets de Zaha Hadid sont presentes par un rendu filaire en mouvement. Longtemps etudie, cet element graphique de base a une importance primordiale dans le travail de l’architecte. Quels sont les enjeux des differentes lignes directrices et des flux que met en place Zaha Hadid dans ses realisations?
Nous questionnerons dans un premier temps le ressenti direct dun spectateur de telles architectures, puis nous nous interesserons a la maniere dont l’architecte peut influer sur le visiteur, s’adapter a chaque situation, et enfin nous interrogerons les effets des croisements de flux. I- La force dune architecture sculpturale. Parmi les architectes contemporains, Zaha Hadid s’impose comme une des actrices principales de la scene internationale. Son travail, hautement sculptural, impressionne et suscite de nombreuses reactions. En creant une nouvelle esthetique architecturale, qui decoule e ses nombreuses recherches sur les lignes et les flux, elle renverse les idees que nous avions jusqu’a present de la forme de l’architecture. Cependant, la grande mediatisation
Les volumes sont tendus, les lignes tracent des perspectives spectaculaires, les materiaux sont amenes aux limites de leurs performances techniques, et la realite architecturale du bati est masquee. Lorsque que l’on apercoit une oeuvre de Zaha Hadid pour la premiere fois, on est impressionne. Ainsi, le reflexe du visiteur qui entre dans le batiment consiste a contempler l’espace comme une sculpture. L’architecte enjolive cet aspect en theatralisant son edifice. Prenons l’exemple du pavillon mobile art cree pour Chanel en 2008.
La construction apparait comme une emergence du sol vers laquelle toutes les lignes au sol convergent. En regardant avec du recul, cette continuite du bati est ressenti comme un veritable rayonnement qui emerge de l’edifice. Il en est de meme avec la majorite des parkings que met en place l’architecte dans ses projets. Chaque ligne au sol est orientee de telle maniere quelle suive le flux des vehicules qui viennent et qui partent. « Afin d’eviter le probleme classique de l’immense parking au-devant d’un batiment, nous avons traite celui-ci comme un spectacle a part entiere.
Le dynamisme du mouvement automobile a l’interieur de l’edifice et tel qu’on l’apercoit de l’exterieur reprend la disposition des places de stationnement, ce qui laisse libre cours a la mouvance, a la couleur et a l’eclat qui emanent des sillons finissant a l’interieur »1 De cette maniere, Zaha Hadid transforme les alignements systematiques d’un parking rationnel en lignes dont la perspective magnifie l’architecture. Comme toute sculpture, les architectures de Zaha Hadid sont expressives. Lorsqu’elle parle de la caserne de pompier de Weil-am-Rhein realisee de 1990 a 1994 pour l’usine Vitra, ‘architecte justifie les arretes tranchantes et les angles tres aigus en affirmant que ces lignes evoquent l’etat d’alerte permanent des pompiers. Par l’aspect sculptural et artistique, l’architecture permet donc d’informer, de signaler la fonction qu’occupe le batiment. Ces informations, ancrees dans l’espace, vont permettre d’influencer le public qui parcourt l’architecture. II- Une architecture qui dirige le visiteur « La ligne est une force »2 disait Henry Van de Velde. En effet, lorsque l’? il d’un observateur rencontre une ligne, son regard tend a suivre sa direction.
Plus la ligne est prolongee, et plus cette force est grande. Le travail de Zaha Hadid se caracterise par un refus de l’orthogonalite au profit d’angles prononces ou de courbes et contrecourbes. En multipliant ces lignes, elle dynamise son architecture et cree des espaces en perpetuel mouvement. L’architecte peut ainsi suggerer des trajets fluides par de longues continuites de lignes ou induire des directions en mettant en place des perspectives exacerbees. Ce phenomene est visible tant dans ses architectures que dans ses objets. En 2008, Zaha Hadid amenage la outique phare Neil Barrett, une marque qui vend des vetements tres epurees. Elle met en place un element de mobilier minimaliste dont la structure, semblable a un mille-feuille, dessine des courbes qui conduisent le regard jusqu’a leur extremite ou il s’arrete sur les vetements qui sont presentes. Les lignes du mobilier sont dessinees pour servir le produit, pour le mettre en valeur, et favoriser sa vente. Dune maniere similaire, l’architecte guide les passants de la rue, a Cincinnati, lorsqu’elle cree le Lois & Richard Rosenthal Center For Contemporary Art, de 1997 a 2003.
Par un procede quelle nomme The Urban Carpet, elle conduit les visiteurs qui passent devant le musee jusqu’aux escaliers qui menent a l’etage, par une pente douce a peine perceptible qui prolonge le trottoir a l’interieur du batiment. L’absence de rupture dans la ligne, la suppression de la frontiere interieur/exterieur et la continuite permettent une demarche naturelle et intuitive qui attire les visiteurs, les invite, les guide. Ces forces peuvent donc etre visuelles ou physiques. En materialisant les flux, Zaha Hadid parvient a influencer les usages et les circulations a l’interieur de ses espaces.
Les lignes quelle utilise permettent en quelque sorte a l’architecture de jouer le role de sa propre signaletique. III- Un fonctionnalisme adapte a chaque situation. L’un des types de lignes recurrent dans le travail de Zaha Hadid ressemble au graphisme que l’on trouve derriere les circuits imprimes electroniques. Bien que l’aspect esthetique renvoyant aux nouvelles technologies soit seduisant et donne limage dune architecture a la pointe de la modernite, on peut penser que leur utilisation n’est pas innocente et permette l’optimisation des flux. En effet, en electronique, les circuits imprimes doivent relier les ifferents elements qui sont greffes dessus de maniere logique afin que les flux d’informations electriques empruntent le trajet le plus efficace possible. On definit par le calcul le meilleur moyen de relier les differents points a desservir en tenant compte des multiples elements qui peuvent se rejoindre ou, ne doivent pas se croiser. Zaha Hadid ayant etudie les mathematiques avant l’architecture, on peut lire son travail comme etant le fruit de la rencontre des deux disciplines dans un souci d’optimisation des flux. Il est difficile de parler de Zaha Hadid sans evoquer Rem Koolhaas. En effet, avant d’ouvrir a propre agence et de realiser ses projets, Zaha Hadid a theorise l’architecture pendant pres de 25 ans en partenariat avec le celebre architecte neerlandais. Cette collaboration reste visible par le fonctionnalisme qui caracterise le travail des deux architectes : c’est le besoin et l’usage qui dessinent l’espace. A l’instar de Koolhaas, qui, par exemple, determine la forme de sa bibliotheque a Seattle en fonction du besoin de continuite dans la classification Dewey, Zaha Hadid va utiliser des lignes libres pour s’adapter a chaque besoin et a chaque contrainte du site quelle utilise.
A Wolfsburg, entre 2000 et 2005, elle cree Phaeno, un musee de vulgarisation scientifique. Chaque fonction du musee nait dune emergence du sol, creant differents cones sur le site. L’ensemble de ces volumes surelevent un vaste plateau d’exposition. L’architecte a donc aborde le projet en organisant les differents usages du musee de maniere autonome, puis ce sont les differentes connections et les flux verticaux qui ont determines l’integrite du batiment. Cette exploitation du plan libre permet une plus grande attention a l’environnement du projet, ouvre le batiment a la ville et donne a l’architecture le tatut dune place offerte au public. IV- Un reseau de convergences « Phaeno est une masse urbaine poreuse. Decolle du sol, le batiment cadre des vues vers l’usine ou vers la ville, et laisse passer les flux de pietons. Il devient un carrefour au lieu d’etre une barriere. La halle des cones est un espace gratuit pour decouvrir comment etre ensemble »3, commente Richard Copans lorsqu’il analyse le musee en question. Effectivement, si Zaha Hadid choisi de consacrer une partie de la surface de son projet a l’espace public, on peut penser que c’est par volonte sociale.
Cet espace sous-jacent a l’edifice abrite a la fois les flux internes au batiment, c’est-a-dire le passage des visiteurs d’un pole fonctionnel a un autre, mais aussi les differents flux urbains dus a la position du musee, entre le centre et la peripherie. Phaeno est alors un centre de convergences circulatoires mais aussi sociales. Les gens se rencontrent, partagent, echangent, organisent des evenements et construisent des relations sociales. Cet espace, ne dune necessite de circulation et offert au public, est pourtant une part primordiale du musee, peut etre meme le coeur du projet.
En effet, la culture est generee par le partage d’idees, et c’est en favorisant les echanges sociaux que Zaha Hadid cree un veritable espace culturel. Elle a dailleurs utilise le meme principe a Cincinnati avec « the urban carpet » puisqu’elle efface les frontieres entre espace public et espace culturel. Cependant, on peut retrouver cette idee de convergence sociale dans d’autres realisations de l’architecte. Le batiment central de lusine BMW a Leipzig a ete concu de 2001 a 2005. C’est 3 Richard Copans et Stan Neumann, Phaeno, le batiment paysage, Architectures, Arte, 2006. ans doute l’un des projets les plus interessants de Zaha Hadid en termes de gestion de flux. A l’origine, trois batiments independants constituaient l’usine. L’edifice que vient ajouter l’architecte relie les trois ailes, abrite la chaine de production des voitures qui cheminent dune zone a l’autre et permet la circulation des employes et des visiteurs. « Le melange des fonctions permet d’eviter la segregation traditionnelle des differents statuts : les bureaux d’ingenierie et d’administration, par exemple, sont situes sur le meme parcours quotidien des ouvriers »4
Cest donc un veritable point nevralgique de l’ensemble du complexe que Zaha Hadid met en place : elle cree des convergences entre les membres de l’entreprise, les visiteurs et le produit. Ce lien est renforce par la lisibilite des flux et par la multiplication des ouvertures et des liaisons entre les etages qui permet a toutes les personnes traversant le batiment de voir et d’etre vu, le tout dans un espace vitrine de l’entreprise. Conclusion Ainsi, les lignes dans l’espace sont des forces qui se ressentent et peuvent se reveler etre un outil efficace pour l’architecte.
Elles impressionnent, magnifient l’architecture, dynamisent et creent du mouvement, guident les visiteurs, suggerent des flux, induisent des directions. Maitrisant les lignes et les flux, Zaha Hadid optimise les deplacements, adapte librement ses espaces aux besoins du projet, et cree des convergences socialisantes et valorisantes pour l’architecture et son contenu. Globalement epuree, tendue et tres graphique, l’architecture de Zaha Hadid manipule le regard et les usages de ses occupants. Un constat qui nous invite a nous questionner sur l’influence que peut avoir l’espace dans notre quotidien. traduit de l’anglais par Virginie Bermond-Gettle, editions Parentheses, 2009, p1282 Henry Van de Velde, Die Zukunft, « Die Linie », 1902, p385 -388 dessine des courbes qui Cedric Mafat Ecole Bleue 3A Decembre 2010 4 Zaha Hadid, L’integrale, traduit de l’anglais par Virginie Bermond-Gettle, editions Parentheses, 2009, p128