M. le Professeur Michel Virally Vers un droit international du développement ln: Annuaire français de droit international, volume 1 1, 1965. pp. 3-12. Citer ce document / Cite this document : Virally Michel. Vers un droit international du développement. ln: Annuaire français de droit international, volume 11, 1965. pp. 312. doi : 10. 3406/afdi. 965. 1805 http://www. persee. fr/web/revues/home/prescript/article/afdi 0066-3085 1965 nu 8 next page VERS UN DROIT INTE ATb DU DÉVELOPPEMEN Michel VI RALLY La gravité des problèmes résultant des énormes écarts de développement ui séparent actuellement les Etats composant la société internationale commence à être aperçue aujourd’hui.
On prend progressivement conscience du fait que la distance entre les pays riches, ou industrialisés, et les pays pauvres, ou en voie de développement, est peut-être, à long terme, plus difficile à franchir que la barrière idéologique entre pays ? économie de de la vie sociale, mais de la VIe Individuelle et de la mentalité des hommes vivant en société.
H met en cause à la fois les sciences physiques et l’ensemble des techniques appliquées à la découverte et ? l’exploitation es richesses naturelles, y compris les ressources végétales et animales, ainsi que la totalité des sciences sociales : sociologie, psychologie, géographie, histoire, économie,
On admet très couramment que chaque système économique repose, en dernière analyse, sur un régime déterminé de propriété. C nte, indiscutablement, 2 OF raisons politiques ou idéolo giques, suppose d’abord une réforme ou une révolution du droit et se réalise, en fait, par ce moyen. Il serait paradoxal que le juriste n’eût rien ? dire sur ce point et que cela regardât seulement l’économiste et le politique. De la même façon, les obstacles auxquels se heurtent les efforts vue d’un développement accéléré et harmonieux de nombreux pays sont, sans doute, d’ordre économique ou sociologique.
Ils sont aussi et en meme temps juridiques, parce que leur structure leur est donnée par des règles de droit. Ce n’est donc pas un hasard si les mesures qui sont preconisees pour améliorer la situation existante prennent, tout naturellement la forme de principes et de règles juridiques. On sait les efforts qui ont été déployés dans ce sens par la Conférence de Genève sur le commerce et le développement, non sans quelque confusion parfois.
On admet que la formulation de ces principes et de ces règles devrait être précédée d’études économiques très poussées, et ce n’est pas douteux. Une préparation politique soignée n’est pas moins nécessaire. Est-il raisonnable de prétendre se passer de toute préparation juridique ? La participation, à de futures réunions, de conseillers juridiques plus nombreux que n’en comptait la Conférence de Genève ne saurait V suppléer. qu’il faut faire triompher. Us peuvent être pertinents et utiles, parfois même décisifs. s ne peuvent suppléer des études désintéressées, entreprises avec la seule intention d’informer, de mettre en lumière les termes vrais, objectivement analysés, dans lesquels les pro blèmes se posent dans la réalité, ainsi que les avantages et les inconvénients des solutions susceptibles de leur être apportées. Or, il y a beaucoup ? 5 faire dans ce domaine, le phénomène des écarts de développement n’ayant guère fait l’objet d’un examen systématique de la part des juristes.
Tout au contraire, le droit international classique part de ‘hypothèse, implicite mais certaine, que tous les Etats sont identiques. Il ne veut les connaître que comme des personnes juridiques abstraites, égales et souver aines. Leur structure économique fait partie des affaires intérieures, dans lesquelles il s’interdit de s’immiscer. L’idée de coexistence pacifique, patronnée par plusieurs gouvernements et dont la doctrine commence à se saisir, se départit un peu de cette attitude.
Elle insiste sur le fait que les Etats sont dotés de régimes économ- ux différents, dont il 4 OF conçue. On suppose que même opposés par l’idéologie, tous les Etats seraient identiques ur un point : la « suffisance pformimigy », c’est-à-dire le fait que tous disposeraient d’un marche intérieur en harmonie avec leur appareil de production, leur permettant d’équilibrer leurs échanges extérieurs en faisant varier le niveau de leurs importations en fonction des moyens de paiement dont ils disposent ou qu’ils peuvent acquérir.
Cette hypothèse ne se realise, en fait, que pour les pays industrialisés. pour les autres, elle ne représente qu’un idéal, encore inaccessible avant longtemps. Dès lors, ces derniers se trouvent empêchés, trop souvent, de s’établir en partenaires égaux face ? eux avec lesquels ils traitent sur 1 ** plan commercial. Le déséquilibre résultant de cette situation risque de se reporter sur l’ensemble de leurs relations internationales, et de remettre en cause même leur souveraineté.
Sil a été plus dune fois agité à des fins de propagande et a perdu ainsi beaucoup de sa crédibilité, le danger de «néo-colonialisme» est loin d’être inexistant. Seule est fausse l’analyse simplificatrice qui ne veut voir en lui que le produit de l’impérialisme », conçu comme la volonté de puissance et l’appétit de domination qui habiteraient quelques Etats, ou comme la endance irrépressible d’u omique avant besoin de fondamental, la cause essentielle de la situation de dépendancefi économique où certains Etats se trouvent placés à l’égard des Etats industrialisés.
Le caractère — et les effets de cette situation ne changent pas, quel que soit le régime économique dont ces derniers se sont dotés. VERS LIN DROIT INTERNATIONAL DU DÉVELOPPEMENT Un tel état de choses n’est pas sans analogie avec celui qui s’est rencontré et se rencontre encore dans de nombreuses communautés nationales, où différentes catégories sociales se trouvent aussi dans un état d’inégalité ?conomique marquée les unes vis à vis des autres. Le droit étatique a eu à en tenir compte afin d’assurer la protection des plus faibles.
L’analogie ne peut, certes, être poussée trop loin, car les rapports internationaux présentent des caractères très différents de ceux qui se nouent sous l’arbitrage et le contrôle des institutions étatiques. Elle n’en est pas moins fort parlante dans ce cas et suggère des directions dans lesquelles le droit international pourrait utilement s’engager. Il s’agit moins, semble-t-il, de remettre en cause les principes sur lesquels repose le droit international contemporain, que de les pprofondir.
Ces principes sont, trop souvent encore, conçus de façon purement formelle. Ils ont besoin d’être repen rès concrète, en les 6 OF lg à la Charte dans une résolution de l’Assemblée générale adoptée ? l’unanimité (Résolution 1815 (XVII), du 18 décembre 1962). Ils ont décidé d’en entreprendre une étude approfondie et l’Assemblée générale a créé un Comité spécial à cet effet (Résolution 1966 (XVII), du 16 déc. 1963). on peut se demander si c’était là la meilleure méthode.
Les craintes ressenties par certains ont, malheureusement, été confirmées par la première expérience u Comité spécial, qui s’est heurté à des difficultés considérables, dont beaucoup n’ont pu être surmontées. Une méthode moins ambitieuse et moins abstraite, attaquant les problèmes pratiques soulevés par l’application de ces principes là où elle se pose, permettrait peut-être de parvenir ? des résultats plus encourageants.
Certes, on n’est pas resté inactif face aux multiples difficultés nées des relations qui se nouent quotidiennement entre pays parvenus ? des niveaux différents dans leur développement. Toute une série d’institutions et. de procédures ont été imaginées, soit pour aménager les règles uivies en matière commerciale ou dans le domaine des paiements et des investissements, soit pour permettre aux pays industrialisés de soutenir l’effort des pays du Tiers Monde.
La réglementation de Aassistance technique et financière, bilatérale ou multilatérale, des prêts x, des investissements 8 et dispersée, sans vues d’ensemble, au fur et à mesure des besoins, et, souvent, sous la pression d’intérêts étroitement conçus. Un tel empirisme n’est pas critiquable, loin de là. Il peut être insuffisant. Il provoque, en tout cas, un foisonnement qui brouille les lignes et risque d’introduire d’autant plus de onfusion que les principes sont davantage oubliés, ou qu’on n’y fait référence que de façon purement formelle, sans s’entendre réellement sur leur signi fication et leurs conséquences.
Le temps paraît donc venu, au moment où les problèmes du développe ment sont attaqués dans toute leur ampleur par IOrganisation des Nations Unies, de mettre un peu d’ordre dans les créations de la pratique, de prendre un peu de hauteur pour en faire la synthèse et la critique, de les raccrocher aux principes dont ils devraient constituer l’application, de jeter enfin les bases d’un véritable droit international du développement (1) .
La conception d’un tel droit impose au juriste de comprendre les besoins du monde dans lequel il vit, les problèmes que ce monde doit résoudre et le sens de l’évolution dans laquelle il est présentement engagé. Cela suppose, de la part de ce juriste, un effort d’information et, probablement, une colla BOF fussent-elles. Le droit s’inspire de valeurs, mais repose sur des intérêts et se sert de forces sociales.
Le juriste, comme tout homme qui prétend agir sur la réalité, doit partir de la réalité, c’est-à-dire, ici, ? la fois des phénomènes sociaux et des règles qui leur sont applicables. L’inégalité e développement entre les Etats ne résulte pas d’un jugement de valeur. Elle est d’abord un fait, qui n’a pas manqué d’exercer son influence sur l’évolution du droit depuis vingt ans, nous l’avons dit, mais s’est heurté aussi à des refus de changements et à des résistances institutionnelles.
Il s’agit donc de procéder d’abord à un inventaire de ce qui n’est encore que le droit international des inégalités de développement — constitué par desArègles et des pratiques spécifiques, ou se traduisant par des perturbations (1) L’idée dun droit international du développement — et l’expression elle-même nt été lancées par le professeur André Philip au Colloque international de Nice, sur l’adap tation de l’O. N. U. au monde d’aujourd’hul, des 27-29 mai 1965 (V. L’adaptation de l’O. N. U. au monde d’aujourd’hui, Paris, Pedone, 1965, p. 29 et 8 VERS UN DROIT INTERNATIONAL BU DEVELOPPEMENT ou des *ftedif]cations_jians l’application AdfiS-jègle pratiques anciennes. H faudra ensuite, après avoir cerné les roblèmes pratiques, relever les solutions international du développement digne de ce nom. C’est seulement sur de telles bases, établies par des études désin et objectives, qu’il sera possible enfin, en prenant en onsidération les solutions techniques et politiques envisagées par les spécialistes du développement, de faire valablement et utilement des suggestions concrètes.
Une telle recherche exige d’être menée à quatre niveaux différents, car le problème du développement, par son ampleur et sa gravité, touche tous les étages du droit applicable aux relations internationales. e niveau supérieur est celui des principes. Nous y avons déjà fait allusion pour dire qu’il devait être abordé de façon très concrète, en se gardant de tout formalisme et en évitant les querelles de mots. Leur étude ne peut onc être séparée de celle des autres plans.
Il n’en est pas moins necessalre de les garder présents à l’esprit, lorsqu’on aborde l’analyse d’institutions particulières, et même de se faire une idées assez claire de leurs engences. Cest ici peut-être qu’une réflexion dépassionnée, c’est-à-dire dégagée de toute préoccupation politique, est la plus nécessaire, même si elle reste très difficile. La Conférencede Genève de 1 964 a accompli dans ce domaine un travail considérable, dont on peut se demander aussi, comme on l’avait fait pour celui du Comité spécial sur les rincipes du droit international, s’il 0 8