Une journee d’Ivan Denissovitch, d’Alexandre Soljenitsyne Sommaire Introduction 1 I) Une reconstitution modele 2 A) Une journee type 2 B) L’archetype du prisonnier 2 C) La vie du Zek 3 II) La denonciation d’un systeme 3 A) L’esprit du camp 3 B) A l’est : un espoir de liberation 4 C) A l’ouest : une prise de conscience 4 Conclusion 5 Bibliographie 5 Introduction Alexandre Issaievitch Soljenitsyne est un ecrivain russe. Ne en 1918, il est soldat pendant la Seconde Guerre mondiale. Il passe des 1945, 8 ans dans un camp de travail pour une correspondance contestataire.
En 1956 il enseigne les sciences physiques, mais la publication en 1962, d’une journee d’Ivan Denissovitch lui assure une renommee mondiale. Devenu un symbole de la dissidence, il est chasse par le regime et s’exile en Suisse puis aux Etats-Unis pour continuer son uvre litteraire. Pour celle-ci, dont la place centrale est laissee au goulag il recoit le prix Nobel de litterature en 1970. Une journee d’Ivan Denissovitch est un roman qui raconte la longue journee d’un detenu sovietique dans un des camps de l’archipel du goulag. L’action se passe dans un camp special, qui est un camp de prisonniers politiques aux conditions de vie tres dure.
Cette journee n’est pas datee precisement, mais semble se situer au debut des annees 1950. Cette periode correspond
A) Une journee type Soljenitsyne a vecu l’enfer du goulag. Mais avant de livrer sa propre experience a travers un temoignage, il decide de publier un roman. Ecrire une fiction c’est d’abord le moyen pour lui de decrire le reel a defaut du vrai, depasse ce qu’il a vecu pour decrire ce que tous les prisonniers ont pu vivre. Avec la fiction, il peut prendre du recul par rapport a l’action et adopter une narration externe. Malgre certains traits communs avec son personnage, il s’exclut de son roman. Cela est necessaire pour empecher tout exces lyrique ou pathetique. Il s’agit d’une fiction, mais pas d’une invention.
C’est une reconstitution precise que l’auteur realise grace a son experience, a sa connaissance du systeme et des detenus. La structure de ce livre est celle d’une journee au camp. Soljenitsyne tente de dresser ici un modele type de cette journee, qui permet d’aborder tout ce qui fait la vie d’un detenu, mais aussi d’eviter les repetions qui alourdissent beaucoup de livres sur les camps. Le roman nous eclaire la journee d’un zek. (zek vient de prisonnier du canal, c’est le nom que l’on donne au prisonnier du goulag en reference a la construction du canal mer Blanche Baltique en 1934. A travers cette journee qui mele souffrance et banalite, c’est la vie tout entiere du zek qui est decrite, car comme le suggere la derniere phrase du livre, au camp toutes les journees sont semblables. Dans cette journee modele, symbole d’un temps infini et sans espoir, le personnage central est l’archetype du prisonnier. B) L’archetype du prisonnier Le roman est entierement centre sur le personnage d’Ivan Denissovivitch, imagine par l’auteur. En Russie, seuls les intellectuels decrivent les camps.
La fiction permet donc d’envisager les choses d’un point de vue plus conforme a ce qu’ont vecu la majorite des prisonniers du Goulag, celui d’un simple paysan. Tout est fait pour nous replonger dans son monde. Le style et le vocabulaire utilises par le narrateur sont par exemple ceux du paysan. Le point de vue developpe est toujours celui du personnage. On y percoit ainsi ses sentiments, ses pensees. Nous sommes en immersion au c ur du camp, et nous n’en saisissons que ce que lui-meme en comprend. Ainsi que cette journee, le personnage est un detenu modele, ce qui fait sans doute que beaucoup d’anciens bagnards se sont reconnus en lui.
Mais on pourrait justement reprocher a ce prisonnier d’etre trop idealise pour etre vraisemblable. Il est soumis, stoique, integre et est sans doute trop consciencieux pour nous montrer ce qu’est vraiment le travail concentrationnaire. Les autres personnages sont eux aussi stereotypes, comme Cesar le « planque », Aliocha le baptiste ou Turine le bon chef de brigade. S’ils sont utiles a la comprehension, l’utilisation d’une journee et de personnages standardises donne pourtant un cote un peu artificiel qui diminue le realisme du livre. Ce zek ordinaire est place dans le bas de la hierarchie sociale du camp.
Soljenitsyne explique ainsi son choix « j’ai pris un trimmeur […], car lui seul est a meme de percevoir les veritables correlations des camps ». Avec ce prisonnier, nous pouvons decouvrir ce qu’est une vie au camp. C) La vie du Zek Cette journee nous transporte dans la vie d’un zek et nous montre ce qu’a pu etre l’interieur d’un camp. Soljenitsyne brosse le tableau des principaux elements de cette vie : le logement insalubre, l’habillement inadapte, l’infirmerie surveillee, les repas insuffisants, le travail intensif, la fouille humiliante, les tres controles loisirs…
Le systeme d’autogestion des camps est aussi mis en avant. En comparant une journee d’Ivan Denissovitch au manuel du GOULAG de Jacques Rossi, on peut constater la precision et la fiabilite des descriptions de Soljenitsyne. Les souffrances du detenu, faim, froid, fatigue, et humiliations, mais aussi les punitions, qu’il doit a tout prix eviter, sont-elles aussi passees en revue. Cependant, certains ont reproche a Soljenitsyne un recit trop edulcore, attenuant les horreurs des camps staliniens. En effet, beaucoup de sujets ne sont abordes qu’allusivement, comme la mort, pourtant omnipresente dans un camp.
Il est sur que la description de l’horreur des camps sovietiques ne va pas aussi loin que dans les Recits de la Kolyma de Chalamov, un autre grand livre sur les camps. Peu de details egalement des insoumissions et des actes de barbarie, pourtant frequents. Mais si l’auteur ne s’attarde pas sur cela, c’est pour mieux nous faire comprendre la souffrance morale du prisonnier, qui se bat tous les jours pour sa survie. Les seuls instants de plaisir sont les quelques temps de repos et les maigres repas. Ceux si apparaissent dans le livre comme d’exceptionnels bienfaits. L’auteur denonce ce systeme qui crase l’homme et tout d’abord ce qui fait l’esprit de ce camp. II) La denonciation du systeme A) L’esprit du camp En arriere-plan de cette vue centree sur le personnage est esquisse le goulag dans toute son etendue. Il est fait mention de son histoire, des differents camps, de leurs populations, des arrestations sans motif qui y amenent. Mais, il est clair que l’essentiel n’est pas la. Ce recit n’a pas pour objectif d’expliquer tous les rouages du systeme concentrationnaire stalinien. Il met seulement en lumiere son c ur, en illustrant ce qu’est la sombre vie de l’interieur d’un camp special.
Boynovsky se plaint ainsi quand on le met nu dans le froid : « Vous n’etes pas des Sovietiques ! Vous n’etes pas des communistes ! » Ce que Soljenitsyne souhaite nous faire comprendre c’est que le systeme entier est l’antithese de l’ideal communiste. Les zeks sont des esclaves, que l’on prive de toute dignite. Le camp est un ensemble fortement hierarchise. Les differences de richesse et les avantages subsistent, comme l’illustre le personnage de Cesar. Et le camp est surtout un systeme individualiste ou chacun ne vit que pour assurer sa propre survie. L’humanite a quasiment disparu de ces hommes seuls.
Ce roman nous permet bien de comprendre cette mentalite si particuliere. Finalement ce qui est denonce c’est aussi l’absurdite du systeme concentrationnaire. Absurdite d’un travail inutile, des reglements et des punitions. Ce livre est un requisitoire contre le goulag et doit montrer ses realites au monde. En plein contexte de guerre froide, sa publication a eu comme effet immediat un choc politique qui fait evoluer la perception de ces camps. B) A l’est : un espoir de liberation Pour savoir comment ce livre a permis de faire evoluer la connaissance du goulag, il convient de revenir a son contexte de publication.
Il parait d’abord dans le Novy Mir avec l’autorisation de Khrouchtchev. La parution de ce roman correspond pour l’URSS a une periode de denonciation des crimes de Staline. De plus, il est assez allege en violence pour etre publie en URSS (contrairement aux Recits de la Kolyma). Quelques modifications doivent pourtant etre effectuees. Ces changements nous montrent ce qui a pose probleme aux autorites, comme la reference aux institutions encore en place. Pas question, en effet pour Khrouchtchev, de remettre en cause le regime. Or il n’a pas percu dans ce livre que la denonciation ne s’arrete pas aux portes du camp, ni meme au temps de Staline.
C’est toute la logique du totalitarisme sovietique qui est vise. Pour les autorites sovietiques, le goulag a pour but de mettre a l’ecart les « ennemis de la revolution » et de les reeduquer. Il n’a pas disparu sous Khrouchtchev et meme si les conditions de vie s’y sont ameliorees. Les bases du regime aussi sont intactes. La publication a permis d’aborder le sujet tabou du goulag dans la societe russe. Apres cet espoir de liberation auquel a contribue la publication de ce roman, le regime s’endurcit et les controles sont stricts.
Beaucoup d’anciens prisonniers ayant lu une journee d’Ivan Denissovitch souhaitent a leur tour decrire ce qu’ils ont vecus. Ces temoignages sont utiles a la connaissance du phenomene concentrationnaire, mais ils sont censures en URSS. Ils paraissent neanmoins en Occident ou le livre de Soljenitsyne a permis une prise de conscience. C) A l’ouest : une prise de conscience Ce livre a aussi une portee politique en occident. Il touche un tres large public. Soljenitsyne est mediatise et alors vu comme un representant de la dissidence au regime sovietique.
L’horreur des camps est desormais montree au grand jour. La denonciation est efficace, plus personne ne nie desormais l’existence des camps en Union sovietique, mis a part au parti communiste, ou beaucoup pensent que ceux-ci n’appartiennent qu’au passe stalinien. Les mentalites sont decomplexees et des etudes serieuses voient enfin le jour. Cependant, on manque de sources, les archives sovietiques etant a l’epoque tres secrete. La parution de ce livre souleve aussi en occident un autre debat, celui de la comparaison entre camps staliniens et camps Nazis.
On confronte ce livre aux temoignages sur les camps de concentration allemands et on en deduit des hierarchies dans l’horreur a l’image d’Hannah Arendt. La logique des deux camps n’est en effet pas la meme. On remarque grace au roman de Soljenitsyne que le but du camp sovietique n’est pas l’extermination, mais l’isolement, la punition et la reeducation. Neanmoins meme si cette journee se veut comme un modele, ce n’est qu’un exemple qui ne reflete pas toute la diversite des camps du goulag. En realite, la Kolyma de Chalamov n’est pas si eloignee d’Auschwitz que nous decrit Primo Levi.
Mais la encore, on manque a ce moment de sources et de recul pour apprehender pleinement le phenomene concentrationnaire dans toute son envergure. Si ce livre nous transporte au c ur du camp, cela n’est pas suffisant pour en saisir son mecanisme. Conclusion Avec le recul, cette fiction est donc un outil interessant qui nous livre une analyse pertinente pour comprendre a quoi ont pu etre confrontes les detenus dans un camp de travail de la periode stalinienne. Il se veut comme une reconstitution modele d’une journee de souffrance ordinaire. Il nous replonge avec beaucoup de precisions et une volonte de realisme dans le monde d’un zek type.
Pourtant, ce realisme a ses limites. C’est sa propre vision du goulag que Soljenitsyne defend, attenuant les souffrances physiques pour mieux nous faire comprendre l’ecrasement de l’homme par un systeme. Ce livre a ete avant tout ecrit pour denoncer l’horreur de celui-ci. Mais s’il nous en fait voir le c ur, nous ne pouvons qu’entrevoir l’ensemble du goulag. Il suscite dans le monde un vif interet pour la question des camps. Mais il faut attendre la publication d’autres temoignages (comme l’archipel du goulag) et surtout l’ouverture des archives russes pour que les historiens puissent enfin l’etudier pleinement.
Ce roman est d’abord un livre aux grandes qualites litteraires dont la reflexion depasse le camp stalinien. Bibliographie Chalamov, Varlam, Les Recits de la Kolyma, Verdier, coll. Slovo, 2003, 1760 pages Kotek, Joel, Rigoulot, Pierre, Le siecle des camps, JC Lattes, 2000, 805 pages. Parrau, Alain, Ecrire les camps, edition Belin, coll. Litterature et politique, 1995, 279 pages. Rossi, jacques, Le manuel du GOULAG, Le Cherche-Midi editeur, coll. document, 1997, 333 pages. Soljenitsyne, Alexandre, Une journee d’Ivan Denissovitch, Pocket 1979, 189 pages. (Pour la preface de Jean Cathala)