« Totalitarisme ». Ce concept forge dans l’ Europe de l’Entre-Deux-Guerres evoque l’apparition de phenomenes politiques inedits en URSS, en Italie et en Allemagne. Les regimes totalitaires sont a distinguer des dictatures classiques car, s’ils confisquent a leur profit exclusif les pouvoirs de l’Etat, ils developpent aussi des projets de societe completement nouveaux. Instrumentalisation de la violence et des moyens de communication, mobilisation de la population autour d’un chef charismatique et d’un parti unique, mise en oeuvre d’une ideologie reflechie, il existe d’un totalitarisme a un autre d’evidentes similitudes.
Neanmoins, chaque cas developpe des specificites qui lui sont propres. 1)Aux origines du totalitarisme. Beaucoup d’historiens ont reflechi aux racines profondes du totalitarisme. La question est d’une complexite redoutable. Le debat produit toujours entre specialistes d’interminables discussions. Pourtant, il semble que la conjugaison de facteurs politiques, sociaux et economique soit a l’origine du phenomene. a) Les ruptures de l’economie europeenne aux XIX° et XX° siecle.
Les transformations industrielles ont bouleverse les societes europeennes. Des millions de personnes delaissent leurs campagnes surpeuplees (ou la mecanisation agricole reduit les besoins de main d’oeuvre) et s’installent en ville. Deracines et declasses decouvrent d’autres reperes, un univers inconnu dans lequel ils peinent a trouver une place. Isolees et coupees de leurs milieux originels, ces populations instables sont en quete d’integration. Une ntegration que beaucoup trouvent dans les regimes totalitaires puisque ceux-ci remplacent les structures traditionnelles d’encadrement
L’effondrement du capitalisme europeen au debut des annees 30 ravive les critiques d’un systeme en faillite. Les regimes totalitaires s’imposent comme des organisations anticapitalistes antiliberales et captent de ce fait plus facilement l’attention des victimes ruinees par la crise. c) Les deceptions issues de la guerre 14-18. L’apparition du totalitarisme tire aussi ses origines de l’immense affrontement 14-18. En Russie, Lenine le precise depuis longtemps : la Revolution du proletariat ne pouvait surgir que d’un conflit generalise.
En 1917, les dirigeants bolcheviks profitent des desastres militaires et sociaux de la guerre pour preparer le soulevement d’Octobre et s’emparer du pouvoir. En Allemagne et en Italie, l’armistice produit le sentiment d’une humiliation intolerable. Une humiliation que les Nazis et les Fascistes utilisent avec succes. Tandis que les premiers envisagent le traite de Versailles comme la signature honteuse d’un veritable Dictat, les seconds entretiennent la certitude de ne pas avoir ete ecoutes (L’Italie reclame en vain plusieurs territoires aux Allies).
Les deux regimes exacerbent lesdeceptions de 1918 et le nationalisme agressif que celles-ci engendrent. 2)Chronologie de la montee des totalitarismes en Europe. a) L’URSS montre la voie. La conquete de l’Etat par les Bolcheviks s’accompagne de la montee progressive du totalitarisme en Russie (puis en URSS a partir de 1922). La conduite de la guerre contre les armees « blanches » demeurees fideles a l’ordre ancien, les desastres economiques et le developpement des opoositions ideologiques imposent des mesures d’une gravite exceptionnelle.
L’instrumentalisation de la terreur (pour mieux frapper les esprits et vaincre les tentations contre-revolutionnaires), les requisitions forcees dans les campagnes (et la deportation de ceux qui dissimulent leur ble), la personnalite charismatique d’un Lenine (Que l’on tente d’assassiner en 1918. L’evenement marque un durcissement du regime), le controle progressif de la presse et des elections, les dechainements de la police politique, la Tcheka, le poids accru du parti communiste, la Revolution de 1917 prepare en fin de compte les conditions necessaires a l’installation du totalitarisme stalinien.
L’arrivee de Staline au pouvoir en 1924 accelere d’ailleurs l’evolution du regime. La collectivisation agraire de 1929 et les grands proces de Moscou en 1936-1938 sont deux etapes essentielles de l’experience totalitaire en URSS. b) En Italie, Mussolini impose le fascisme dans la seconde moitie des annees 1920. Mussolini cree le parti facsiste en 1919. La formation rassemble dans ses rangs les decus de la victoire de 1918, les nationalistes aigris, les victimes de la crise economique consecutive au conflit,les adversaires resolus du communisme ou du capitalisme en faillite.
Les turbulences politiques du pays (Emeutes de la faim, soulevements insurrectionnels et revolutionnaires confronte la peninsule a de redoutables defis) encouragent la rapide ascension du fascisme dont l’appareil paramilitaire prend en main la restauration de l’ordre public et mene contre ses ennemis (Anarchistes, syndicalistes…. ) de violentes expeditions punitives. La marche organisee sur Rome en 1922 (Un pari incertain et risque) decide le roi a appeler Mussolini. Celui-ci forme un nouveau gouvernement.
L’assassinat du depute Matteoti en 1924 (L’homme a denonce le peril qu’incarne le nouveau maitre de l’Italie) et le discours du Duce en Janvier 1925 ou il annonce une serie de mesures (Les lois fascistes) marquent les premiers pas du totalitarisme de l’autre cote des Alpes. En Allemagne, Hitler s’impose au cours des annees 30. Les debuts du NSDAP et de son chef, Hitler, sont compliques. Le parti apparait comme une organisation marginale et doit affronter des formations puissantes et experimentees (Le SPD, le Zentrum, les Chretiens-democrates…).
L’echec du pustch de Munich (1923) eloigne les Nazis de la scene politique quelques temps. Neanmoins, la depression de 1929 et ses repercussions tres prononcees en Allemagne permettent a Hitler de remporter plusieurs succes electoraux. Ses discours teintes de nationalisme agressif, d’antiliberalisme et d’anticommunisme seduisent aussi bien le proletariat que les classes moyennes et les milieux de la grande industrie. En 1933, il est choisi chancelier par Hindenburg.
L’incendie du Reichstag (Fevier 1933) et l’interdiction du Parti communiste ouvre la voie du totalitarisme en Allemagne. Avec les lois de Nuremberg deux ans plus tard (1935), le regime hitlerien devoile lesaspects antisemite de son ideologie. 3)Des aspects communs aux totalitarismes sovietique, italien et allemand. a) L’installation d’une dictature politique. Que ce soit en URSS, en Italie ou en Allemagne, les etats totalitaires controlent etroitement la vie politique. Les partis d’opposition sont supprimes. Presse, cinema et radio travaillent sous les contraintes de la censure.
Les grandes libertes disparaissent tandis que les adversaires du pouvoir tentent comme ils peuvent d’echapper aux poursuites organisees contre eux (Communistes en Allemagne et en Italie, Koulaks en URSS…). b) L’instrumentalisation de la terreur. Les totalitarismes reposent aussi sur l’emploi systematique de la terreur. Les camps de travaux forces (Camps de concentration en Allemagne, Goulags en URSS) accueillent des milliers de deportes, issus de milieux divers. La mortalite y est redoutable, les conditions de vie implacables.
La police du parti deploie un zele tout particulier a traquer les ennemis supposes ou reels que le regime designe : NKVD en URSS, Gestapo en Allemagne, OVRA en Italie…. Les manifestations de violence sont quotidiennes : des Pogroms allemands (La Nuit de Cristal en 1938), aux expeditions punitives italiennes en passant par les executions de masse en Union Sovietique (Environ 700000 entre 1936 et 1938). c) La glorification d’un chef charismatique. Les totalitarismes mobilisent la population autour de dirigaaeants charismatiques, admires et respectes pour leur action.
En Allemagne, Hitler presente le visage d’un chef de guerre (Le Fuhrer) determine a mener le redressement de son peuple (Un peuple blesse par la defaite de 1918). En Italie, le Duce Mussolini se pare d’un role identique. Staline conduit l’Union Sovietique en pere de famille attentif et soucieux. L’installation du culte de la personnalite necessite l’instrumentalisation de l’information. Une propagande efficace et omnipresente encadre les moyens d’expression traditionnels. Cinema, radio, litterature, peinture sont mis au service d’une seule et meme cause : la gloire de celui par lequel vit le regime. ) La mobilisation de la population. Il s’agit d’un caractere essentiel. Les ideologies staliniennes, hitlerienne ou mussolinienne reposent sur l’idee d’une societe en rupture avec le passe. L’education de la jeunesse est a ce titre un aspect fondamental du projet totalitaire. « Jeunesses communistes » en URSS, « Jeunesses Hitleriennes » en Allemagne , « Jeunesses fascistes » en Italie, l’Etat embrigade dans ses propres structures le monde de l’adolescence. La formation dispensee vise a la promotion d’un Homme nouveau.
Le pouvoir controle jusqu’a la vie privee de chacun. C’est la aussi un critere incontournable du totalitarisme. Organisation des loisirs, des activites, le parti intervient jusque dansl’intimite familiale. Les defiles, les ceremonies sportives ou militaires sont un moment fort de l’adhesion (Sincere ou instrumentalisee) de la societe a l’ideologie officielle (En URSS, les manifestations a l’occasion des comemorations de la Revolution d’Octobre ; en Allemagne, lescongres du Nazisme a Nuremberg ou les Jeux Olympiques de Berlin). )Les specificites nationales des totalitarismes sovietique, italien et allemand. a) Des ideologies propres a chaque totalitarisme. Le Stalinisme entend conduire jusqu’a son terme la revolution dont Lenine avait precise lesobjectifs : l’avenement d’un monde sans classe ou l’Homme socialiste vivrait libere des contraintes de la propriete privee. L’Etat controle (au moins dans un premier temps) les moyens de la production industrielle et agricole. L’ideologie du regime est donc fondamentalement antiliberale et anticapitaliste.
S’ils formulent eux aussi la critique du dogme liberal et offrent au parti un role tout aussi essentiel qu’en Union Sovietique, le Nazisme et le Fascisme condamnent neanmoins avec autant de force la contagion communiste. A la recherche de soutiens financiers, les totalitarismes italien et allemand se rapprochent du monde industriel et financier (auxquels ils garantissent stabilite et ordre publics). Hitler et Mussolini seduisent egalement les classes moyennes et la petite bourgeoisie inquiete du spectre revolutionnaire.
Le Parti propose a ces milieux souvent modestes des occasions de promotion. b) Racisme et antisemitisme en Allemagne. L’une des specificites marquantes du Nazisme au regard de ses voisins italien et sovietique reside bien dans le caractere resolument antisemite du regime. L’ideologie hitlerienne developpe l’idee d’une purete raciale menacee par lespratiques de metissages propres a certaines populations (Ce theme n’apparait absolument pas en URSS). Les considerations du Fuhrer sur ce point s’expriment des 1935 lorsque sont publiees les Lois de Nuremberg.
En Italie, le regime mussolinien adopte tardivement cet element de la pensee nazie sans pouvoir toutefois l’appliquer de maniere aussi aboutie. Si Staline envisage de purger la societe sovietique de sa population juive apres 1945, il donne a son projet une dimension tres differente : les Juifs sont d’abord envisages comme ennemis de classe, infeodes aux interets du capitalisme occidental. c) Totalitarismes et politique exterieure. Les regimes hitlerien et mussolinien developpent tres tot une politique exterieure agressive (Une specificite que l’on ne trouve pas en URSS).
Pour les Nazis, il s’agit d’abord d’offrir a l’Allemagne son espace vital, un theme dont le Fuhrer avait precise le contenu dans Mein Kampf. Les coups de force successifs du III° Reich a la fin des annees 1930 provoquent la la guerre (Rhenanie, Autriche, Tchecoslovaquie, Pologne…). Le projet mussolinien vise a la conquete d’un empire mediterraneen herite de l’Antiquite romaine. L’invasion de l’Ethiopie (1936) et de l’Albanie lance les armees italiennes sur les voies d’un conflit mondial pour lequel elles ne sont pas preparees.