Sujet : « les crises sont-elles inscrites dans la dynamique du capitalisme ? »

Sujet : « les crises sont-elles inscrites dans la dynamique du capitalisme ? »

Sujet :« Les crises sont-elles inscrites dans la dynamique du capitalisme ? » Introduction En 1860, le docteur Juglar publiait l’ouvrage qui le rendra celebre : « Des crises commerciales et de leur retour periodique, en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ». Au debut des annees1930, E. Varga, economiste « officiel » de la IIIe internationale, affirmait que la grande crise qui ebranlait alors le capitalisme constituait l’ultime soubresaut de ce systeme. M. Aglietta declarait plus recemment que la crise asiatique constituait la crise la plus grave depuis 1945.

Marx ecrivait dans « le 18 Brumaire » que si l’histoire ne se repete pas, il lui arrive de begayer… Le capitalisme a deux cents ans d’histoire, et son parcours est emaille de crises. Les crises sont-elles inscrites dans la dynamique de ce systeme ? L’observation de l’histoire ne laisse guere d’arguments a une reponse contraire. Deux grandes raisons peuvent permettre de comprendre la propension de ce systeme a connaitre des crises. L’imperfection de l’economie de marche tout d’abord, en tant que systeme intrinsequement problematique, et parce que les conditions de son fonctionnement optimal ne sont jamais reunies.

La dynamique du capitalisme lui-meme ensuite, fondamentalement instable, en proie a des emballements, des «

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prurits », que viennent « purger » necessairement les crises par la suite. Mais enfin, les crises ne sont pas fatales non plus, et certains dispositifs de regulation peuvent etre mis en place pour les enrayer. L’analyse s’articulera autour de ces trois idees. I. Les vicissitudes de l’economie de marche et les heurts de la main invisible A. Decentralisation des decisions, rationalite limitee, et fonctionnement aleatoire des marches . Le systeme de l’economie de marche est un systeme de decisions decentralisees. L’economie repose sur la liberte individuelle, la liberte d’entreprendre, d’investir, etc. Le probleme central est celui de l’absence de coordination des decisions microeconomiques (cf. la parabole des iles de E. Phelps). L’interaction, l’agregation des decisions microeconomiques produit souvent des effets indesires, effets pervers au niveau macroeconomique, bien eloignes des harmonies supposees de la « main invisible ». 2.

Les errements du marche tiennent fondamentalement aux carences d’information et a la rationalite limitee des agents. Pour etre efficientes, les decisions doivent s’appuyer sur toute l’information disponible. Une hypothese peu raisonnable, d’autant moins que la realite economique se transforme a chaque instant sous l’influence de nouvelles decisions. L’information est lacunaire et deja obsolete au moment ou elle est rassemblee. H. Simon souligne que meme si l’information etait parfaite, la capacite humaine a la traiter demeure limitee, et la rationalite des decisions ne peut etre de meme que limitee.

Il en decoule des decisions erronees, menant a une mauvaise allocation des ressources et aux derives qui caracterisent structurellement l’economie de marche. Les keynesiens considerent que, face a l’incertitude, les comportements tendent a devenir mimetiques, et amplifient ainsi les desequilibres (cf. les marches financiers). B. Les rigidites et entraves au bon fonctionnement du marche : l’autoregulation perdue 1. Le modele neoclassique du marche est un modele d’echanges purs, sans frictions, impliquant une fluidite et une flexibilite parfaites.

La realite en est tres eloignee, et caracterisee par des « rigidites » de toutes sortes : de prix, de salaires, d’emplois, de qualifications, de contrats, de regles, auxquelles s’ajoutent les rigidites geographiques, culturelles, et celles qui decoulent des interventions publiques et des positions dominantes. 2. La capacite autoregulatrice du marche se trouve alteree par ces multiples « imperfections ». Les neoliberaux analysent la crise de la fin du XXe siecle comme le resultat d’un ensemble de rigidites, sociales et publiques, qui etouffent l’economie et bloquent sa reactivite.

Les keynesiens considerent ces rigidites comme des donnees de fait, l’economie n’etant pas dotee en consequence de « forces de rappel » et de « stabilisateurs automatiques », mais evoluant au contraire d’un desequilibre a l’autre, a travers des processus cumulatifs. Les crises sont inherentes au systeme et peuvent etre durables. II. Les desequilibres de la croissance capitaliste A. Les cycles de croissance et les crises periodiques 1. Les crises sont frequentes au XIXe siecle. Les « crises classiques » se substituent aux « crises d’Ancien Regime » t aux « crises mixtes ». Ces crises typiques du mode de production capitaliste sont toutes des crises de surproduction, intervenant dans les branches motrices, et s’accompagnent d’une dimension financiere. La recurrence des crises a conduit les economistes a forger le concept de cycle. Celui-ci reflete pour Juglar la « respiration naturelle » de l’economie, la croissance et ses exces amenant mecaniquement la crise. « Les causes d’une crise resident toujours dans la prosperite qui a precede », et la crise a une fonction de purge salutaire. . La dynamique cyclique tient pour beaucoup d’economistes a l’irregularite de l’investissement (Aftalion, Keynes…). D’autres, de facon proche, ont souligne le role du credit et des taux d’interet (Hawtrey, Wicksell, Hayek, Fisher…). Un ecart positif entre le « taux naturel » (taux de profit) et le « taux monetaire » (taux d’interet) determine chez Wicksell une tendance a l’endettement et a l’investissement, conduisant peu a peu a un ecart contraire, et au retournement conjoncturel. F. V.

Hayek, dans son livre celebre Prix et production (1935), montre que les crises de surcapitalisation proviennent d’un exces de credit qui nourrit l’investissement et mene a une hypertrophie du secteur des biens de production. Des cycles a plus court terme sont dus egalement au mouvement des stocks (cycles Kitchin), tandis que les cycles d’innovation rythment selon Schumpeter les mouvements a long terme de l’economie (cycles Kondratiev). B. Les contradictions du capitalisme 1. La croissance capitaliste : un etat de crise permanent.

Schumpeter definit la croissance comme « un processus de destruction creatrice, revolutionnant sans cesse de l’interieur la structure economique, en detruisant continuellement les elements vieillis, et en creant toujours des elements neufs ». Cette definition essentielle rappelle toute la dimension destructurante de la croissance, qui balaye les productions anciennes, les entreprises qui les produisent, les metiers qui y sont associes, affecte les regions et pays de production, etc. La croissance induit en permanence des ajustements, souvent problematiques.

Il en est de meme du systeme concurrentiel, au c? ur de la logique capitaliste. La pression concurrentielle fait continuellement des victimes, operant une « selection darwinienne » des « meilleures especes ». 2. L’une des caracteristiques majeures du capitalisme reside dans les desequilibres de la repartition. L’asymetrie de pouvoir entre les detenteurs des moyens de production et les detenteurs de la force de travail tend a induire une repartition historiquement plus favorable aux profits qu’aux salaires. Cela n’est pas sans rapport avec la tendance a la surcapitalisation et a la surproduction.

Marx montre la contradiction profonde d’un systeme toujours tendu vers l’accumulation et la croissance d’un cote, et qui restreint les debouches de la production de l’autre par une exploitation accrue et la substitution capital-travail. Les « crises de realisation de la marchandise » s’enchainent avec les « crises de valorisation du capital », l’aggravation de ces contradictions dans le temps donnant lieu a des crises de plus en plus violentes. III. Les crises… evitables ? Des regles a la regulation… A. Crises et carences de regles . D. North et d’autres ont insiste sur l’importance de la definition de « droits de propriete ». Ils doivent constituer des garanties sures incitant les agents a developper a partir de la leurs activites. Certaines crises, differentes de celles qui ont ete evoquees, semblent liees a une definition insuffisante de ces droits de propriete. Les crises russe, japonaise, asiatique, africaine, des PVD en general, sont celles de systemes aux regles peu transparentes, gangrenes par des mafias, et obeissant a des logiques clientelistes. . En particulier, les crises financieres qui ont secoue l’Asie resultent avant tout d’une opacite dans les reseaux de distribution de credit, et de l’absence de regles suffisantes pour garantir la « soutenabilite » des endettements. Au XIXe siecle de meme, de nombreux vides juridiques ont cree des situations de crise dans ces secteurs notamment. L’imposition de « regles prudentielles » constitue un enjeu majeur aujourd’hui dans un capitalisme dans lequel la dimension financiere a pris une importance primordiale.

B. La regulation contre les crises 1. Les Trente Glorieuses ont fait quasiment disparaitre les crises, en tout cas sous leurs formes les plus violentes (depression, deflation). Celles-ci ont fait place a des « fluctuations conjoncturelles », d’une amplitude amortie. La crise du dernier quart de XXe siecle ne peut etre comparee a celles des annees 1930 ou du siecle precedent. Cette quasi-disparition des crises peut etre mise a l’actif du nouveau « mode de regulation » de l’economie, mis en place apres 1945.

Dans ce nouveau mode de regulation dit « administre », de nouvelles institutions sociales et etatiques interviennent dans les decisions et font contrepoids au pouvoir jusqu’ici univoque des entreprises. Trois piliers principaux ont pu garantir la stabilite de la croissance. La mise en place d’un « rapport salarial fordiste », celle d’un Etat providence distribuant des revenus garantis, et la mise en ? uvre de politiques keynesiennes de regulation conjoncturelle. 2. Les politiques economiques ont constitue au cours de cette periode un instrument de stabilisation, voire de dynamisation de la conjoncture.

Politiques monetaires, budgetaires, fiscales, sont mobilisees dans un sens contracyclique en cas de recession, ou procyclique pour soutenir l’expansion. La montee de la stagflation dans les annees 1970 a entame le credit des politiques de relance, mais les Etats y recourent toujours, de facon moins voyante, pour conjurer les crises. La FED baisse ses taux pour contrer la recession aux Etats-Unis, le Japon multiplie les plans de relance, L’Europe laisse gonfler les deficits budgetaires et baisse les impots pour stimuler l’activite. Conclusion Les crises paraissent inherentes au systeme de l’economie de marche et a la logique capitaliste.

Les economistes neoclassiques admettent que ce systeme, qui procede par « tatonnements », puisse connaitre a court terme des « desajustements ». Sa souplesse d’adaptation lui permettant neanmoins de toujours ramener l’economie vers l’equilibre a moyen terme. Les crises au-dela ne peuvent etre dues qu’a des « chocs exogenes ». Le probleme en realite semble plus grave que ca. La loi de Say d’impossibilite des crises durables, ou la theorie walrassienne de l’aptitude endogene de l’economie de marche a tendre naturellement vers l’equilibre general, constituent des modeles normatifs bien eloignes le plus souvent de la realite.

Les conditions reelles de fonctionnement des marches expliquent, comme on l’a vu, cette propension endogene du systeme a engendrer des crises : problemes d’information, decisions approximatives, jeu des croyances et comportements imitatifs, exces en tous sens, rigidites diverses, carences de regles… Mais peut-etre aussi, plus fondamentalement, la crise s’inscrit-elle dans le mouvement meme de l’histoire, quel que soit le systeme considere.

Aucune evolution n’est exempte de tensions, et tout systeme vivant est en proie a des forces contraires « d’entropie » et de « neguentropie », qui se nouent et se denouent a travers des crises. La crise apparait alors comme un catalyseur du changement, un creuset des mutations, un mode de depassement de combinaisons qui ne fonctionnent plus. A ce titre, le systeme capitaliste, pas plus que d’autres ne saurait y echapper.