Suis-je libre de penser ce que je veux? Etre libre (du latin liber), c’est n’avoir pas d’entrave, de chaines, au contraire de l’esclave. « libertas » designait l’etat juridique de l’homme libre par rapport a l’esclave. L’homme libre agit a sa guise, il n’a pas de maitre. C’est donc l’absence de contraintes. Mais toute societe est regie par des lois, des restrictions, des compromis, voire des sacrifices. Definir la liberte comme absence de contraintes, c’est en donne une definition factuelle qui se refere a l’action.
Mais qu’en est-il de la pensee ? Ne sommes-nous pas libres de penser, c’est-a-dire de concevoir des notions, des opinions qui nous sont propres, ce par l’activite de notre intelligence ? Qui peut nous contraindre moralement ou nous influencer ? Qui peut former des idees dans notre esprit ? Notre pensee est-elle formatee par la societe ou en est-elle totalement libre sans entraves ? Dans ce cas, notre pensee est-elle toujours le fruit de notre volonte quelle qu’elle soit ?
Se forger une opinion, avoir des idees, eprouver des sentiments, autrement dit penser est le propre de l’homme,. On ne peut pas s’empecher de penser. C’est une faculte qui l’opposerait aux animaux d’apres Descartes. La dignite de l’homme
Au vue de la loi, les hommes ont le droit de penser, d’avoir leur propre opinion comme le souligne l’article 19 de la declaration universelle des Droits de l’Homme : « Tout individu a droit a la liberte d’opinion (…), ce qui implique le droit de ne pas etre inquiete pour ses opinions. ». Ainsi, l’homme ne doit pas se soucier de ces opinions, car il est d’apres la loi, toute opinion, toute pensee, est autorisee. D’ailleurs il parait difficile voire impossible d’empecher quelqu’un de penser. Penser resulte d’une demarche de l’esprit. L’action de penser designe toutes les manifestations de la conscience.
Descartes (1596-1650) donne une large definition de la pensee : « Par le mot de pensee, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immediatement par nous-memes; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la meme chose ici que penser. » Neanmoins, lorsqu’on est conscient, on est conscient de sa pensee. La conscience n’est pas accessible a autrui. Etant donne que pensee et conscience sont etroitement liees et se confondent pratiquement _d’ou le celebre « je pense donc je suis » de Kant (1724-1804), chaque individu est le seul a pouvoir acceder a sa pensee.
La pensee est donc une activite interieure et individuelle. Ainsi, quelle que soit notre pensee, elle est propre a chacun, et n’est accessible par personne d’autres que soi-meme ; Personne ne peut venir perturber l’exercice de notre pensee. Penser que quelqu’un est laid, desagreable, antipathique, etc. est un sentiment personnel. A moins de l’exprimer d’une facon quelconque (par le regard, la parole…) personne ne peut detecter chez nous ce qui est en train de se passer dans notre for interieur. On ne peut pas mettre la police dans les pensees de chacun ! Personne ne peut controler puisque c’est dans notre interiorite.
Contrairement a ce que nous disons et a ce que nous faisons, la pensee ne peut etre surveillee par autrui. La liberte d’opinion plus largement la liberte de penser autorisee par la loi et le fait que personne puisse l’atteindre offrent donc la possibilite d’imaginer tout et n’importe quoi, ce qui nous procure une certaine liberte interieure. Mais certaines limites interieures comme exterieures freinent cette liberte de penser. Notre pensee est en quelque sorte guidee afin de ne pas franchir certains exces, qui pourrait etre contraires a notre reelle volonte ou aux valeurs d’une societe.
Penser est donc une capacite reflexive qui a lieu dans notre for interieur. S’exprimer signifie qu’il y a une communication avec le monde exterieur ; on sort d’un domaine ou nous etions les seuls maitres, celui de la conscience, et nous partageons nos pensees avec autrui. Avec autrui… La, nous prenons le risque d’exposer notre pensee aux autres. Dans la declaration des droits de l’homme, a l’article 10 est inscrit que « Nul ne doit etre inquiete pour ses opinions, meme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public etabli par la loi. . D’apres cet article, sous reserve de ne pas manifester ses pensees, chacun est libre de penser, sans porter nuance a quiconque, sans devoir etre inquiete d’une quelconque autorite. Ainsi, l’homme serait libre de tout penser, mais pas d’exprimer tout ce qu’il pense. Si nous devions exprimer tout ce que nous pensons, d’apres l’exemple cite precedemment dans lequel nous imaginions des jugements desagreables, nous ferions preuve de tant de franchise que cela depasserait l’insolence. On ne peut donc pas exprimer tout ce qu’on pense.
Cependant, d’apres Kant, il est impossible de separer la pensee et l’expression car ce sont deux caracteres lies. La pensee ne peut pas rester interne, il faut la partager avec autrui pour la forger, l’ameliorer, la contredire. « Il est vrai, que la liberte de parler ou d’ecrire peut nous etre otee par une puissance superieure, mais non pas la liberte de penser. Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensees et auxquels nous communiquons les notres ?
Aussi bien, l’on peut dire que cette puissance exterieure qui enleve aux hommes la liberte de communiquer publiquement leurs pensees leur ote egalement la liberte de penser (…) ». En bref, d’apres la loi nous avons tous les droits de penser, mais nous ne pouvons pas tout exprimer. Pour Kant, si on doit limiter l’expression de ses pensees, alors nos pensees sont elles aussi limitees automatiquement. Chacun est libre de penser ce qu’il entend d’apres la loi. Certes personne n’est au courant de ce que nous sommes en train de penser, mais nous, le savons. Notre conscience le sait.
Automatiquement des barrieres internes se dressent en nous, nous empechant de penser n’importe quoi. La aussi Kant va nous eclairer : « Une volonte libre et une volonte soumise a des lois morales sont (…) une seule et meme chose ». Ainsi, notre volonte, bien qu’il s’agisse de la notre et que personne ne peut l’en empecher car elle est interne, est automatiquement limitee par la morale, des valeurs qui fondent notre societe. La morale, n’est pas acquise a la naissance. Elle progresse grace a l’experience. Ainsi des facteurs exterieurs tels que l’education ou le milieu social participent au conditionnement de notre pensee.
C’est la societe qui nous forge, qui a une influence sur nous. Si nous avions vecu dans une bulle, sans etre confronte a autrui depuis notre naissance, nous ne serions confronte qu’a notre propre volonte, celle qui decoule de notre caractere tel qu’il a ete cree a la naissance, nous n’aurions pas ete influence. Or, des elements exterieurs, avec lesquels nous avons ete en contact au cours de notre vie, jouent un role important sur nous et vont influencer notre pensee, notre volonte de pensee, une volonte qui n’est plus naturelle, mais en quelque sorte artificielle.
En outre, d’autres limites exterieures freinent notre liberte de penser. Ce sont des limites qui sont communes a tous, contrairement a la morale que chacun se forge au cours de sa vie. Etre libre ne signifie pas faire tout a sa guise. Ainsi la liberte de penser doit se soumettre a des regles, des lois, pour ne pas atteindre l’exces et se nuire de trop d’excentricite. De nouveau Kant va nous eclairer : « La liberte de penser signifie que la raison ne se soumette a aucune autre loi que celle qu’elle se donne a elle-meme.
Et son contraire est la maxime d’un usage sans loi de la raison (…) Il s’ensuit comme naturelle consequence que, si la raison ne veut point etre soumise a la loi qu’elle se donne a elle-meme, il faut qu’elle s’incline sous le joug des lois qu’un autre lui donne ; car sans la moindre loi, rien, pas meme la plus grande absurdite ne pourrait se maintenir bien longtemps. Ainsi l’inevitable consequence de cette absence explicite de loi dans la pensee ou d’un affranchissement des restrictions imposees par la raison, c’est que la liberte de penser y trouve finalement sa perte.
Et puisque ce n’est nullement la faute d’un malheur quelconque, mais d’un veritable orgueil, la liberte est perdue par etourderie au sens propre de ce terme. ». Kant montre que trop de liberte nuit a la liberte car on s’enferme dans ses propres regles, en echappant a toute restriction exterieure. En consequence, il faut des lois, des regles communes a tous pour eviter les exces dus a une prise de liberte trop importante, et une demesure. Outre les limites morales et legitimes que nous avons evoquees, la pensee peut faire l’objet d’un veritable arcelement. Meme si on l’a vue, la pensee est interne et si on le souhaite, ne peut etre divulguee, on a vu aussi que la pensee et l’expression de la pensee etaient deux choses indeniablement liees. Un delit d’opinion consiste a empecher d’avoir nos propres jugements (jugements qui ne peuvent etre connus par autrui que par la parole ou notre comportement) en consequence c’est empecher d’assumer notre pensee, l’exercice libre de cette derniere.
C’est le cas dans les regimes totalitaires comme l’URSS par exemple, ou les paysans riches, les koulaks, ont ete envoyes dans des camps de travail, pour ne pas avoir ete d’accord avec la collectivisation des terres, le partage des proprietes. Un regime totalitaire est fonde sur une ideologie dont le peuple doit se soumettre, doctrine, donc sa pensee est a priori reduite a celle de la doctrine. Prenons aussi l’exemple des sectes. Dans les sectes, le guru manipule mentalement ses disciples afin de s’approprier leurs biens, de les maintenir sous controle, etc.
Certes a des fins utilitaires, mais il s’agit tout de meme d’un « maniement » de la pensee : elle n’est plus totalement libre. Les moyens utilises par ses personnes sont tels, que le sujet pense donc agit sans etre conscient. Meme si il est libre car on ne l’en empeche pas, le sujet a ete manipule a tel point qu’il pense contrairement a sa volonte. Meme libre de sa pensee, l’homme est confronte a des obstacles exterieurs qui lui barrent la route. La morale, la loi, le despotisme ou la demagogie de certaines personnes influent sur notre pensee. Certes nous pourrions penser n’importe quoi mais nous ne le faisons pas.
Pourquoi ? Car des limites evidentes se posent devant nous. Automatiquement, sans que nous nous en rendions compte notre pensee voit des barrieres se dresser devant elle, a l’interieur de nous-meme. De plus, on ne peut pas nier certaine verite. Des faits reels, prouves, et meme constates par soi-meme ne peuvent faire l’objet d’une contestation. Ainsi, de tels exemples soulignent que malgre sa volonte, il est inconcevable de penser certaines choses car elles n’ont aucun sens. De plus, ce que nous pensons doit etre du bon sens, doit etre logique. On ne peut pas monter en bas.
Nous ne pouvons pas penser ceci car c’est contraire a toute rationalite. De meme, on ne peut pas contredire que 6+6 font 12. Ce serait absurde, inexact. En effet, ceci appartient au domaine des sciences exactes. Ce sont des principes scientifiques fondes et incontestables malgre toute volonte ! Penser et etre persuader de telles choses releverait de l’absurde car c’est etre borne a tel point de ne pas admettre la verite. En effet, notre volonte est de penser toujours la verite, de penser juste. Nous pouvons nous tromper involontairement et cela serait contraire a notre volonte, bien que nous ayons pense cette erreur, en etant conscient.
Mais voulons-nous vraiment faire des erreurs dans un controle de Mathematiques ? Non, ceci s’oppose a notre volonte. Ainsi, notre pensee n’est pas toujours le fruit de notre volonte. L’erreur est un etat d’esprit qui tient pour vrai ce qui est faux. Or quand nous sommes conscient de l’erreur, on se rend compte que nous avons pense contrairement a notre volonte, car notre volonte est de penser la verite. Ainsi nous ne pensons pas toujours ce que nous voulons. Le monde exterieur, on l’a vu limite notre pensee. Nous savons aussi que la pensee est une liberte fondamentale.
L’homme va trouver un compromis et parvient aussi a se limiter lui-meme car il est dote de raison. Bien que nous soyons regis par la morale comme nous l’avons vu precedemment, nos comportements et ceux des autres sont tels que parfois notre pensee depasse les limites de la morale. Des personnes peuvent nous enerver a tel point qu’il nous vient a l’esprit des idees inacceptables, des idees auxquelles nous n’aurions pas pense en temps normal. Notre esprit peut s’averer cruel et mechant et depasser toutes les limites de la morale. Cependant nous nous raisonnons rapidement. Le terme « raisonner » est le terme adequat.
En effet c’est grace a la raison que nous parvenons a nous defaire de telles idees, a nous autocensurer, car meme si on ne partage pas de telles pensees avec les autres, on culpabilise de les avoir penses. Ce principe qui consiste a se defaire de pensees que nous jugeons immorales est le refoulement. De telles pensees sont non desirees ; ce n’est pas notre choix de penser ainsi, ce n’est pas notre volonte. Il y’aurait une partie de notre esprit qui nous imposent de telles pensees. D’apres Freud (1856-1939), qui a beaucoup etudie le fonctionnement du systeme nerveux, nous aurions un inconscient.
L’inconscient n’est pas controlable. Il est inaccessible. Or il y aurait des pulsions venant de l’inconscient, ou plutot d’un preconscient qui influerait sur la conscience. Cet inconscient est defini par Freud comme le Ca, une des parties du psychisme humain. Le ca correspond a tout ce qui est instantane, naturel, involontaire. Aussi, une autre partie, le Moi, conscient, doit se defendre et censurer certaines des pulsions du Ca. Ainsi nous ne sommes pas libre de notre pensee car on a des pulsions qui s’imposent et que nous devons gerer.