Quand les riches se font la guerre

Quand les riches se font la guerre

Kim Flamion, 5eme « Quand les riches se font la guerre, ce sont les pauvres qui meurent. » Jean-Paul Sartre « La guerre », au centre de la phrase, frappe tout d’abord notre conscience en evoquant la mort ; elle cree aussi une decoupe syntaxique avec les riches d’un cote et les pauvres de l’autre. La guerre, conflit arme opposant au minimum deux groupes militaires organises, se traduit en combat plus ou moins devastateur. Elle semble avoir existe de tout temps et amene a se questionner sur la surprenante nature de l’agressivite humaine.

Comme pour toute interrogation, des coupables potentiels sont recherches, des prejuges s’elaborent et des communautes de boucs emissaires sont designees. Chacun concoit son fautif : Sartre, quant a lui, semble avoir choisi la communaute des riches. Par ailleurs, nous verrons que son propos peut se concevoir au sens propre et au sens figure. De prime abord, si la phrase est prise au sens propre, Jean-Paul Sartre semble attribuer les consequences des calamites de la guerre aux riches qui se battent entre eux.

Sartre, qui fut enseignant en philosophie au XXeme siecle en France, a developpe la theorie de l’existentialisme, selon laquelle l’homme construit son essence, choisit son but et devient ce qu’il desire. Ainsi, dans

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la philosophie sartrienne, tout homme est maitre de son existence ; si celle-ci est liberte, alors l’homme est libre jusqu’a sa mort. Sinon, c’est le malheur assure. Ayant personnellement connu les deux guerres mondiales, Sartre introduit dans sa formule tout un enseignement de vie.

Il se souvient certainement de son emprisonnement et des malheurs qu’il a vecus ; il cherche un auteur a ses souffrances. Plus excessif que realiste, il trouve ce coupable parmi les riches, qu’il voit se battre entre eux (« ils se font la guerre »), a travers une image infantile aux consequences catastrophiques (car « les pauvres meurent »). Or, sur ce premier point deja, le philosophe ne semble pas avoir raison. On voit mal une minorite de riches organiser de veritables guerres, surtout entre eux.

Ainsi, ceux qui decident des guerres, dictateurs ou presidents d’etats puissants, doivent convaincre et recruter de nombreuses personnes, voire tout un peuple. Dans le contexte historique, certains dictateurs ont reussi a inculquer des principes ephemeres dans l’esprit des individus, profitant de leur naivete. Hitler, par exemple, profite d’une faiblesse ideologique mondiale pour glorifier la nation et la race allemandes et amener ses concitoyens a attaquer le reste de l’Europe. Cela dit, ses motivations n’etaient pas basees sur la richesse mais plutot sur le nationalisme.

Cependant, malgre leurs faibles facultes a diriger eux-memes une bataille, les riches tentent parfois de proteger par la violence les biens materiels ou abstraits qu’ils cherissent, dans le but d’effrayer ou d’eloigner leurs voisins. D’ou nait le prejuge que l’homme riche est superficiel. Dans le bas Moyen-Age, la richesse provenait principalement de la possession de terres agricoles. Ainsi, les seigneurs cherchaient a etendre leur territoire pour affirmer leur pouvoir et augmenter leur puissance economique. Mais en realite, les etudes montrent que les guerres actuelles ont surtout un fondement politique.

A la tete de ces guerres, des dirigeants, pouvant presenter certaines similitudes avec les dictateurs, recrutent des appuis pour elaborer leur demarche de destruction. Precoce en ce domaine, Jules Cesar fonda sa politique sur l’extension geographique, procedant en tant que diplomate. Au Moyen-Age, le pouvoir etant partage entre les nobles et le clerge, les conquetes et les guerres qui les justifiaient etaient souvent religieuses. Malgre cela, le principe etait identique : les hommes au pouvoir profitaient de la faiblesse du peuple pour imaginer certaines ideologies a defendre.

Ainsi, consciencieux, les hommes partaient pour le front, emportant dans leur bagage une motivation parfois superficielle. Quelle que soit la facon dont elles demarrent, les guerres causent d’enormes degats sur les populations, les mentalites et les lieux ou elles se passent. Destruction de valeurs et de biens, morts, escalade de violence, injustice, desolation ; tant d’autres mots peuvent completer la liste. Or ce sont principalement les pauvres qui subissent les consequences souvent desastreuses des guerres.

Non seulement ils meurent en masse, par manque de ressources, mais de plus, dans un pays pauvre, la degradation d’un domaine agricole par des mines militaires peut bloquer tout espoir de reprise par son proprietaire. Ainsi, les recoltes etant diminuees au maximum, les famines toucheront les individus qui vivaient de cette agriculture. Non seulement les civils mais les militaires pauvres risquent plus de mourir. Durant la premiere guerre mondiale, les simples soldats venaient quasi tous des classes defavorisees. Ils etaient meprises par les officiers, issus de la haute societe et de la noblesse, et mouraient atrocement dans les tranchees.

Mais de la calamite emane une question : certains pauvres pourraient-ils beneficier de la guerre ? On pense a l’image heroique du veteran americain. En effet, retournant aux annees 1960, considerons le « petit » soldat afro-americain parti defendre son pays au Vietnam. Nous pourrions imaginer a travers le malheureux un tableau de courage et de bravoure ; cet homme qui, en temps de paix, n’esperait aucune amelioration de son etat, pourrait, durant la guerre, grimper dans l’echelle militaire jusqu’au grade de general.

Avouons que ce schema est peu probable et qu’il ne peut concerner qu’un tout petit nombre d’individus. En resume, comme le decrit Sartre sous un masque communiste, plusieurs images de la guerre montrent qu’il s’agit d’une forme d’exploitation des pauvres par les riches, d’un procede mis en place pour aneantir les malheureux. Anatole France se rattache a l’idee du philosophe parisien lorsqu’il declare, a une epoque ou l’industrie est en pleine expansion : « On croit mourir pour sa patrie et on meurt pour les industriels ».

Jean Jaures, celebre socialiste, est plus violent dans son propos : il affirme que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuee, l’orage ». Autrement dit, le capitalisme, systeme economique et social base sur la richesse, rassemblerait toutes les proprietes qui conduisent a un conflit arme. Certains suggerent que la guerre est parfois necessaire, mais qu’elle doit etre « propre », visant des cibles precises (economiques pour la plupart) sans blesser le peuple. Les dirigeants (riches) tenteraient de la sorte d’imposer une nouvelle image positive des guerres.

Cette vision optimiste, d’abord utilisee dans les cercles militaires, balayerait les classes sociales. Malheureusement il faut la considerer comme une vision utopique, donc irrealisable. La guerre est toujours une tuerie. Enfin, pour terminer cette premiere partie du raisonnement, il faut se demander si la guerre profite aux riches (nous avons vu qu’elle n’apportait que de minimes avantages aux infortunes). C’est parfois le cas. Le president americain Bush, par exemple, parvint a exploiter le resultat de la guerre qu’il fit en Irak : des vendeurs d’armements, de materiel lectronique, d’avions, etc. , ainsi que des architectes et des entrepreneurs necessaires pour reconstruire les batiments demolis tirerent un grand profit de la situation. Sans compter les exploitants de petrole. Mais, dans l’ensemble, un pays devaste par la guerre subit un marasme economique et de nombreux nantis y perdent leur richesse. Au sens figure, dans un esprit communiste, la phrase de Jean-Paul Sartre denonce la lutte des classes sociales. Les riches montrent leur dedain des pauvres ; ils se disputent leurs richesses entre eux sans faire beneficier le peuple des retombees de cet argent.

La richesse incarne une ramification des sept peches capitaux, un vice, pour le chretien : elle touche a la facilite, se confond avec la paresse. Sartre souligne que les riches ont maintenu de tout temps les infortunes dans une situation inferieure. Par ailleurs, si le petit Larousse definit « le pauvre » comme un etre soit depourvu de richesse, soit incarnant la pitie, alors cet homme est dans les deux cas miserable. Les deux opposes sociaux rappellent que les riches ont generalement ete consideres comme les bourreaux quand les pauvres attiraient la sympathie.

Dans ce sens, les riches sont forcement a la base des miseres des pauvres, puisque ce sont eux qui dirigent le gouvernement et l’armee. La situation denoncee par Sartre est toujours d’actualite. Ainsi, les altermondialistes denoncent l’exploitation des pays pauvres (qui meurent de faim) par les riches (qui declenchent les guerres) et pronent la justice economique. Certains parlent meme de « guerres des riches » dans les pays plus evolues (Yougoslavie, Israel) ; ces guerres generent de belles images a la television pendant que les pays pauvres subissent des guerres moins mediatisees mais aussi meurtrieres.

La citation de Sartre peut aussi se comprendre dans une optique tres actuelle. Ainsi, les riches, en tentant desesperement d’atteindre le summum de la fortune, confondent des valeurs vraies avec des valeurs virtuelles. Cette demarche provoque aujourd’hui une crise financiere qui se transforme en crise economique pour le monde entier. Ce sont bien entendu les pauvres qui en patissent le plus, leurs revenus etant juges comme minimes. La « guerre » financiere tue des individus infortunes a la base.

En conclusion, pour tout pacifiste qui souhaite garder la Terre vivable, la guerre est un abrutissement collectif et intellectuel qui dresse les communautes les unes contre les autres et separe encore plus les riches et les pauvres qu’en temps de paix. Si l’on accepte ce sens plus large, la phrase de Sartre a du sens. La guerre, militaire ou economique, est un phenomene barbare et immoral contraire aux interets du peuple qui aspire a la stabilite economique. La violence, soubassement des guerres, est un dereglement de la parole peut-etre inevitable mais qui n’apporte que tres peu, ou aucun, avantage aux concernes.