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Francois MAURIAC « Le noeud de vip? res » (1932) Roman Le roman prend la forme d’une longue lettre ? crite, dans les ann? es vingt, par Louis, un avocat d’assises vieillissant (il a soixante-huit ans) et malade (il est cardiaque). Malgr? sa r? ussite sociale (il dispose d’une fortune consistante, qui tient ? la fois aux vignobles familiaux et ? sa propre r? ussite professionnelle), il ach? ve une existence malheureuse reclus au premier ? tage de sa propri? t? de Cal? se, en Gironde, dans ? la plus vaste chambre, et la mieux expos? e? , ayant ? lui seul pour t? moin de sa gloire et de sa raison?.

La mort, plus qu’une attente, est pour lui une esp? rance, celle de pouvoir enfin assouvir quarante ans de rancunes et de haine contre ses proches : sa femme, Isa, et ses deux enfants, Hubert et Genevi? ve. Il laissera, en effet, dans un coffre-fort vide, une lettre o? il annoncera qu’il a d? pouill? de l’h? ritage qui doit lui revenir sa ? famille aux aguets, qui attend le moment de la cur? e?. ?Si je l’avais voulu, vous seriez aujourd’hui d? pouill? s de tout, sauf de la maison et

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des terres. Vous avez eu la chance que je survive ? ma haine… Oui, j’ai ? t? un homme capable de tels calculs. Comment y fus-je amen? moi qui n’? tais pas un monstre?? (1, 1). C’est surtout Isa qu’il esp? re ainsi atteindre : ? celle qui ? s’enl? verait le pain de la bouche? pour ses enfants, nulle douleur ne sera plus cruelle que de les voir souffrir. L’? ge et la maladie, l’espoir visible de ses proches d’h? riter bient? t de ses biens (? D? s que la maladie me d? sarme, le cercle de famille se resserre autour de mon lit ? [1, X]), portent sa rancoeur ? son comble. Afin de parachever son ? uvre de haine, il r? dige ? l’intention de celle-ci cette lettre vengeresse o? il ? panche enfin son c? ur, ? ce n? ud de vip? res satur? de leur venin?.

Le portrait qu’il y fait de lui-m? me n’est pas flatt? : tr? s t? t orphelin de p? re, choy? par une m? re d’extraction paysanne qu’il n’a jamais su aimer, il fut un adolescent b? cheur, m? prisant ses condisciples mais envieux de leur richesse, de leur statut social. Ses ? tudes furent mises ? mal par la tuberculose. Mais il fut, ? vingt ans, nanti d’une belle fortune, gr? ce ? la sage gestion maternelle. Il se tourna vers la politique, ? tant dans l’opposition ; mais il l’abandonna vite lorsqu’il comprit que, malgr? son anticl? ricalisme forcen? et un certain d? sir de justice sociale, il serait ? toujours du c? t? es poss? dants?. Cet ? tre inflexible et solitaire a pourtant connu une br? ve p? riode, de paix, de bonheur : ses fian? ailles puis son mariage avec une demoiselle Fondaud? ge, un des grands noms de la bourgeoisie bordelaise, lui ont permis de se croire enfin parvenu ? la r? ussite sociale convoit? e, tandis qu’il se d? couvrait capable ? d’int? resser, de plaire, d’? mouvoir?. D’autant plus dure a ? t? sa chute, le soir m? me de son mariage, quand elle lui a avou? l’amour qu’elle avait ? prouv? pour un autre ; il en a conclu qu’elle l’avait ? pous? seulement par int? r? t, ou par conformisme, qu’il n’avait ? t? pour elle, qu’un pr? tendant providentiel face au c? libat mena? ant. Alors commen? a pour cet ? poux de vingt-trois ans une longue lutte silencieuse, implacable, qui fit de lui un mari d? test? , un p? re d? moniaque. ?L’homme qu’on n’avait pas aim? , celui pour qui personne au monde n’avait souffert? , organisa autour de lui, avec volupt? , un enfer domestique, ne cessa plus de ha? r et d’? tre silencieusement ha? en retour. Des enfants naquirent, qu’alternativement il jalousa ou chercha ? gagner ? sa cause. Ses convictions lib? rales et anticl? ricales (malgr? sa richesse, il ? tait ? pris de justice sociale) achev? ent de l’? loigner de sa famille, catholique et pratiquante. Seul, ? cet homme qui se r? fugia dans le travail, r? ussissait son m? tier. Avocat au barreau de Bordeaux, tout entier absorb? par une carri? re lucrative mais harassante, devenu, ? moins de trente ans, un avocat d’affaires surmen? , salu? d? j? comme un jeune ma? tre dans ce barreau, le plus illustre de France apr? s celui de Paris, remportant des succ? s comme, en 1893, dans l’affaire Villenave qui consacra sa r? putation, se r? v? lant en outre comme un grand avocat d’assises alors qu’? il est tr? s rare d’exceller dans les deux genres?. Mais sa femme ? ait la seule ? ne pas s’en rendre compte. Si elle l’avait aim? , elle aurait ch? ri sa gloire ; elle lui aurait appris que l’art de vivre consiste ? sacrifier une passion basse ? une passion plus haute… ?La tare dont tu m’aurais gu? ri, si tu m’avais aim? , c’? tait de ne rien mettre au-dessus du gain imm? diat, d’? tre incapable de l? cher la petite et m? diocre proie des honoraires pour l’ombre de la puissance?. Mais il ne fut rien d’autre, pour la suffisance bien-pensante du cercle familial, qu’un ath? e ? sauver en m? me temps qu’un homme ? m? nager, car il ? gagne gros?. ?Isa, vois comme j’ai ? t? malheureux [… Je ne crois pas ? ton enfer ? ternel, mais je sais ce que c’est que d’? tre un damn? sur la terre, un r? prouv? , un homme qui, o? qu’il aille, fait fausse route ; un homme dont la route a toujours ? t? fausse ; quelqu’un qui ne sait pas vivre… Isa, je souffre?. Le c? ur lourd, il se r? fugia dans une d? bauche ? affreusement simple… r? duite ? sa pure horreur? , tarif? e (? J’aime ? savoir d’avance ce que je dois payer. Ce qui me plaisait dans la d? bauche, c’? tait peut-? tre qu’elle f? t ? prix fix?… Je d? teste qu’on me roule ; mais ce que je dois, je le paie? ). Bien des jeunes femmes, au-del? e l’homme d’affaires, auraient souhait? ?mouvoir l’homme. ?Mais, ? premi? re vue, je d? celais l’int? r? t qui animait celles dont je sentais la complicit? , dont je percevais l’appel?. Chez un tel homme, quel lien peut encore subsister entre le d? sir du c? ur et le plaisir? ?Les d? sirs du c? ur, je n’imaginais plus qu’ils pussent ? tre jamais combl? s ; je les ? touffais ? peine n? s?. Seuls de brefs ? clairs de tendresse illumin? rent cet enfer domestique. Sa petite-fille, Marie, fut le seul de ses enfants qui ait su ? mouvoir son c? ur. Mais, au cours d’un ? t? d? lirant, elle fut emport? e par la fi? re typho? de, et Isa l’en rendit responsable. L’abb? Ardouin, candide homme de Dieu, lui porta de la sympathie. Il b? n? ficia aussi de la confiance de sa belle-s? ur, Marinette, qu’il ? tait le seul ? savoir r? conforter. ? son tour, elle mourut en couches. Mais elle laissa un enfant, Luc, et Louis fut touch? par l’? d? nique innocence de ?ce petit gar? on [… ] le seul ? tre au monde pour lequel je ne fusse pas un ? pouvantail. Quelquefois, je descendais avec lui jusqu’? la rivi? re, lorsqu’il p? chait ? la ligne… La joie jaillissait de lui… Tout le monde l’aimait, m? me moi… Puis-je dire que je l’ai ch? i comme un fils? Non. Car ce que j’aimais en lui, c’? tait de ne m’y pas retrouver?. Mais Luc fut emport? dans la guerre, en 1917 au Chemin des Dames, apr? s lui avoir envoy? une carte qu’il garde dans son portefeuille : ? « Tout va bien, ai re? u envoi. Tendresses.  » Il y a ? crit « Tendresses ». J’ai tout de m? me obtenu ce mot de mon pauvre enfant?. L’amour m? me lui fut offert lorsqu’une de ses clientes s’attacha sinc? rement ? lui. Mais son instinct destructeur fut le plus fort, et il se contenta de lui faire l’aum? ne d’une petite rente lorsqu’elle le quitta, enceinte de lui. Maintenant, terrass? ar la maladie, il ne vit que pour se venger, cruellement, d’avoir tant souffert. M? par la haine des siens et aussi, pense-t-il, par ?? l’amour de l’argent ? , il projette donc de d? sh? riter sa femme et ses enfants au profit d’un fils adult? rin qu’il ne conna? t pas, Robert. Sa fille, Genevi? ve, son fils, Hubert, d? fendant la premi? re sa propre fille, le second sa situation, parviennent ? faire ? chec ? cette machination, qui d’ailleurs le mortifie car Robert, qu’il n’avait jamais vu auparavant, est un ? tre veule, mesquin, et finalement indigne de lui, comme il s’en est rendu compte ? la faveur d’un r? it survenu dans son mal qui lui permit de gagner Paris pour le rencontrer. ? ce moment, Isa meurt brusquement, rendant en partie caduc son plan de vengeance. Bient? t, sa propre haine mourant avec Isa, ?? le n? ud de vip? res?? qu’? tait son c? ur ayant ainsi ? t? d? nou? , alors qu’il est revenu ? Cal? se, une ? volution se dessine, il pose un regard apais? sur sa propre vie et s’ouvre aux autres avec bienveillance. L? pisode symbolique d’un orage de gr? le (l, XI) le marque bien par sa r? action ? trange, bien diff? rente, constate-t-il, de celle qu’il aurait eue autrefois, en de semblables circonstances : ?

Un profond instinct paysan me jetait en avant, comme si j’eusse voulu m’? tendre et recouvrir de mon corps la vigne lapid? e. Mais ce soir, me voici devenu ? tranger ? ce qui ? tait, au sens profond, mon bien. Enfin je suis d? tach?. [… ] des amarres sont rompues ; je d? rive. Quelle force m’entra? ne? Une force aveugle? Un amour? Peut-? tre un amour… ? (ibid. ). S’il ? choue jusqu’au bout ? renouer avec ses propres enfants (? On atteint ais? ment une ? me vivante ? travers les trimes, les vices les plus tristes, mais la vulgarit? est infranchissable? [II, XIX]), Louis trouve le r? confort aupr? de Janine, sa petite-fille, qu’un amour d?? u a amen? e aux lisi? res de la folie, et qu’il a recueillie pr? s de lui. La derni? re phrase de son journal, interrompue par la mort sur le mot ? ador… ?, laisse deviner que cet ath? e a finalement ? t? touch? par la gr? ce, que Dieu est venu ? la rencontre du vieil incroyant. Qu’importe que la famille, cet autre ? n? ud de vip? res? , continue ? tordre sa hideuse masse, puisque son c? ur s’est enfin ab? m? dans le divin Amour. Le roman se cl? t par deux lettres : l’une d’Hubert, qui voit dans la confession posthume de son p? re la preuve de son ali? nation ; l’autre de Janine, la ni? e d’Hubert, qui croit, au contraire, ? la conversion miraculeuse (Louis est mort un 24 novembre, qui est ? la fois la date du M? morial pascalien et celle de la Vigile de saint Jean de la Croix), et demande ? lire le texte, qu’on lui cache. Analyse Int? r? t de l’action Dans un avertissement liminaire, Mauriac, apr? s une ? pigraphe qui indique d? j? la difficult? de la connaissance de soi, invite le lecteur ? avoir la force et le courage ? d’entendre cet homme jusqu’au dernier aveu que la mort interrompt.? et suscite ainsi une attente, fait pressentir un myst? re ? ?lucider. Son portrait, s’il est noir, est si habilement bross? u’il ne risque gu? re d’? tre abandonn? en cours de route. Il est m? me plut? t ? craindre que cette exploration des chemins de la nuit soit plus envo? tante qu’? difiante. Le roman est d’abord tr? s habilement construit. ?crit ? la premi? re personne, il combine deux genres subjectifs, la lettre et le journal, pour composer une forme de ? confession? dont le scripteur va se rendre compte qu’? au fond, c’est pour moi-m? me que j’? cris. Vieil avocat, je mets en ordre mon dossier, je classe les pi? ces de ma vie, de ce proc? s perdu?. Le livre est divis? en deux parties. La premi? re (onze chapitres, 142 pages) est une lettre ? rite par un vieil homme malade (voir l’incipit : ? Tu seras ? tonn? e de d? couvrir cette lettre dans mon coffre, sur un paquet de titres? , page 11), qui, plus qu’un simple adieu, est un v? ritable r? cit autobiographique, ?? un journal interrompu, repris??. La r? daction est faite en continu dans un lieu unique, Cal? se. La deuxi? me partie (neuf chapitres, 130 pages) est un journal (non dat? ) ? crit ? Paris puis encore ? Cal? se. La nature nouvelle de l’? crit (un ? cahier? ) est mentionn? e dans la phrase liminaire : ? Comment ai-je pens? ? mettre ce cahier dans mes bagages?? (page 157). Cette composition conduit ? aire plusieurs remarques : – Le d? coupage mat? riel du livre est pr? cis et assez ? quilibr?. Les deux parties, d’un format quasi identique, marquent toutes deux une mont? e, une progression vers une lumi? re qui semble se r? sumer en un mot ? amour? , hypoth? tiquement lanc? ? la fin du premier temps (? Un amour? Peut-? tre un amour… ?, page 153), affirm? avec confiance ? l’ach? vement du second (? Cet amour dont je connais enfin le nom ador… ?, page 274). La premi? re partie s’ach? ve sur une s? rie de disparitions (Marie, Marinette, Luc), la deuxi? me se termine avec les morts d’Isa puis de Louis.

Cependant, la premi? re partie recouvre soixante-huit ans de vie, un temps bien plus long que les quelques mois, de juillet ? novembre, de la seconde. – La premi? re personne qui parle et ? crit s’adresse toujours ? une deuxi? me personne, ce qui emp? che d’assimiler la confession ? un journal. Le r? cit de Louis suppose un destinataire, pas toujours identique, d’ailleurs. C’est ? Isa que la lettre s’adresse en priorit? , ainsi que l’affirment les premi? res pages du roman. Mais la lettre ne s’arr? te pas avec la disparition de l’? pouse du narrateur ; le destinataire, en revanche, change : ? J’irai jusqu’au bout de e r? cit. Je sais maintenant ? qui je le destine? (page 197). Toutefois, l’h? sitation persiste, l’apostrophe d? signant parfois la belle-s? ur de Louis (? Que reste-t-il de toi, Marinette, morte en 1900? , page 123), le plus souvent plut? t ses enfants pris en bloc. Le destinataire peut ? tre aussi le narrateur lui-m? me, accr? ditant par l? l’interpr? tation religieuse (le r? cit ? tant proche alors d’un examen de conscience tel que le pratiquaient Th? r? se d’Avila, cit? e en ? pigraphe, ou Baudelaire ? qui renvoie le titre (? Ah ! que n’ai-je mis bas tout un n? ud de vip? res,/ Plut? t que de nourrir cette d? ision!?? [dans le po? me liminaire des « Fleurs du mal »,  »B? n? diction »]) On lit page 72 : ? Au fond, c’est pour moi-m? me que j’? cris?. La narration subjective, le texte ? crit ? la personne par un personnage narrateur unique (m? me si l’on d? c? le quelques discr? tes interventions de l’auteur) autorise l’omniscience et r? sout la probl? matique du romancier-d? miurge. Tous les oublis, toutes les allusions sont permis ? un autobiographe subjectif et arbitraire. Pas grand-chose, par exemple, n’est dit sur les Fondaud? ge, sur la m? re de Louis, sur Philipot, sur son successeur aupr? s de Marinette, etc.

Ce proc? d? , en m? me temps qu’il suscite la frustration du lecteur (et donc son int? r? t), assure du rythme au r? cit et une richesse suggestive. Enfin, la technique romanesque adopt? e impose un point de vue unique. L’ensemble des personnages, des ? v? nements, n’est vu que par le regard de Louis. Il n’y a pas de contrepartie, de r? ponse d’Isa par exemple, de correctif apport? par un autre protagoniste. Except? , peut-? tre, les deux lettres d’Hubert et de Janine qui cl? turent le roman. Toutefois, elles ne sont pas d’une importance mat? rielle suffisante pour compenser le r? cit pr? c? dent. Le narrateur ? ant avocat, sa profession ? tant de d? chiffrer les consciences, de discerner le vrai du faux et de parler, les situations sont nombreuses o? il ? pie les autres, surprend des conversations, attrape au vol des r? v? lations (pages 94, 162, 202). La narration subjective suppose un rapport au temps assez libre. La ligne temporelle est in? vitablement bris? e par un constant va-et-vient entre le pr? sent de l’? criture, divers niveaux du pass? et m? me l’avenir conjectur?. La premi? re page du roman fournit un parfait exemple de ce jeu sur les temps et m? riterait une ? tude pr? cise. Un jeu subtil de pr? arations, de jalons, d’amorces ou de reprises en leitmotiv (Rodolphe, les enfants, Luc, l’argent, etc. ) permet de remettre en place patiemment les morceaux du puzzle. Quelques dates autorisent m? me une reconstruction chronologique (1862 : naissance de Louis ; 1885 : mariage ; 1893 : affaire Villenave ; 1909 : liaison avec la m? re de Robert ; 1917 : mort de Luc au Chemin des Dames ; 1930 : mort d’Isa puis de Louis, etc. ). Mais des renseignements manquent, des pi? ces font d? faut qu’il nous faut imaginer. Int? r? t litt? raire Le narrateur, ? tant un avocat, le style, un peu grandiloquent, est celui dont on use dans les pr? oires et dans les romans ? th? se. Quelques passages, quelques phrases ne manquent certes pas d’une certaine emphase : ? Morte Marinette, mort Luc, morte Isa, morts ! morts ! et moi, vieillard debout ? l’extr? me bord de la m? me fosse o? ils s’? taient ab? m? s? (p. 248). Il pratique assidument l’antith? se, proc? d? typique des plaidoiries d’audience et des d? monstrations didactiques, frappe des formules volontiers paradoxales (? envier des ? tres que l’on m? prise? , page 92 – ? nous ne savons pas ce que nous d? sirons, nous n’aimons pas ce que nous croyons aimer? , page 240 – etc. ). Mais, de m? e que cet avare et ce calculateur parvient ? se d? tacher des biens mat? riels, de m? me le brillant tribun ? chappe aux envol? es oratoires pour atteindre ? un lyrisme po? tique et m? lodique : ? Je descendis vers la terrasse. De gr? les arbres ? fruits se dessinaient vaguement au-dessus des vignes. L’? paule des collines soulevait la brume, la d? chirait… ? (page 68, ou encore pages 45-46, 119, etc. ). Le plus souvent, cependant, par souci d’efficacit? , de brutalit? aussi, le style se fait sec, dur, concentr?. Ainsi les petites phrases parataxiques du d? but (pages 12, 13) ; ainsi ces maximes cinglantes lanc? es ? a vol? e comme pour arr? ter tout ? panchement impudique : ? J’avais horreur des sentiments? (page 25) – ? c’est la maternit? qui l’a rendue ? la nature? (page 59) – ? c’? tait vrai, et ce n’? tait pas vrai? (page 204) – ? maintenant, c’? tait fini? (page 215). Une des exceptions ? cette r? gle du d? pouillement stylistique est constitu? e par la fr? quence des comparaisons et des m? taphores. Luc ?? sortait des mains du potier, intact et d’une parfaite gr? ce.?? Louis se d? crit ? Comme un chien aboie ? la lune? , ? fascin? par un reflet? , pareil ? ?ces jeunes b? tes que le chasseur attache et abandonne dans les t? n? res pour attirer les fauves?. Et se d? tache en particulier la m? taphore du ? n? ud de vip? res? qu’est le coeur de Louis, mais qu’est aussi la famille. Le ? noeud de vip? res ? qui repr? sente ? la fois la famille et son propre coeur : ? Je connais mon coeur, ce coeur, ce n? ud de vip? res : ? touff? sous elles, satur? de leur venin, il continue de battre au-dessous de ce grouillement. Ce n? ud de vip? res qu’il est impossible de d? nouer, qu’il faudrait trancher d’un coup de couteau, d’un coup de glaive.?? (I, XI). Int? r? t documentaire « Le noeud de vip? res », comme beaucoup d’oeuvres de Mauriac, est situ? dans le Bordelais.

La nature et la v? g? tation sont tr? s pr? gnantes : m? taphores de l’arbre (page 123), de la racine (pages 88, 93). L’hostilit? g? n? rale du climat de la r? gion cr? e une atmosph? re pesante : la chaleur de l’? t? , ? touffante, est soulign? e par ? la f? rocit? des cigales? (page 127). Contre cette chaleur, la maison, la chambre, sont des lieux clos, aux volets clos, propices ? la surveillance, ? l’espionnage (et antith? tiques des ouvertures que constituent les promenades sous les tilleuls, les ? vasions dans un espace ? olien). ? travers le propri? taire de vignes qu’est Louis, Mauriac a pu traduire ses propres craintes : l’? o? t pluvieux? qui est ? voqu? affectait justement le Bordelais cette ann? e-l? , et les difficult? s ? conomiques de Louis refl? tent la crise bien r? elle qui s? vit en 1931 et fit chuter, en particulier, les cours du vin. Mauriac poursuit aussi sa satire de la province, qui est oppos? e ? Paris, lieu de la lib? ration (pas forc? ment bonne). Surtout, il fustige la bourgeoise ? triqu? e dont il ? tait issu. Enferm? e dans son conformisme, elle subit le poids des pr? jug? s, se compla? t dans la surveillance et l’hypocrisie. Dans ce milieu, on se donne la peine de na? tre, on ? l? ve ses enfants, on tient son rang.

On dissimule ses vices sous des masques qui sont d’ailleurs autant d’aveux. On prend sa place dans la cit? et, le dimanche, sur un prie-Dieu, on case ses filles. Ressort essentiel, l’argent compte tout autant que la fa? ade offerte au monde. Plus que l’argent lui-m? me, c’est la propri? t? qui semble ? tre le th? me central du roman. Cal? se, achet? par ses parents, ne sera pas l? ch? par Louis, m? me ? pour un million? (page 23), tant l’id? e de possession est profonde chez lui. Sa mort sera, pense-t-il, le signal de la cur? e (page 45). Car la rapacit? est h? r? ditaire et familiale : l’argent suppl? e ? ‘affection, justifie les mariages (ceux des deux filles Fondaud? ge), la fid? lit? conjugale (les actions de la compagnie de Suez qui sont dans la dot d’Isa). Mais, en fait, Louis n’appartient pas vraiment ? cette bourgeoisie h? r? ditaire. Petit-fils d’un berger, son p? re fut un modeste fonctionnaire ? la pr? fecture de Bordeaux, et il a ? t? ?lev? par sa veuve, qui lui l? gua le vice ? de trop aimer l’argent ; j’avais cette passion dans le sang?. Il est all? au lyc? e o? il fut un ? l? ve b? cheur. Or, ?? vingt et un ans? , il s’est trouv? ?possesseur de deux mille hectares de pins en pleine croissance et qui d? ? fournissaient des poteaux de mine. Ma m? re ? conomisait aussi sur ses modestes rentes.?. Aussi comprend-il qu’il serait ? toujours du c? t? des poss? dants?. Ses bonnes ? tudes lui permirent de devenir un grand avocat. Tout entier absorb? par une carri? re lucrative mais harassante, il fut, ? moins de trente ans, un avocat d’affaires surmen? , salu? d? j? comme un jeune ma? tre dans ce barreau de Bordeaux, le plus illustre de France apr? s celui de Paris, remportant des succ? s comme, en 1893, l’affaire Villenave qui consacra sa r? putation, se r? v? lant en outre comme un grand avocat d’assises (il est tr? rare d’exceller dans les deux genres). Mauriac fait alors d? couvrir les sombres manoeuvres matrimoniales en vigueur dans la bourgeoisie. Dans une ville d’eaux pyr? n? enne, l’avocat rencontra Isa Fondaud? ge et comprit que ? cette famille puissante, l’une des familles les plus puissantes de la ville, les Fondaud? ge voyaient en moi un parti avantageux?. C’est qu’ils avaient besoin d’argent et que leur fille elle-m? me, l’ann? e pr? c? dente, avait d? renoncer ? un mariage qu’elle esp? rait. ?Malgr? quelques embarras passagers, ils jouissent du plus grand cr? dit… Ils gagnent un argent fou, mais ils m? nent trop grand train…

Tout passe dans les ? curies, dans la livr? e. Ils pr? f? rent jeter de la poudre aux yeux, plut? t que de mettre de c? t?. Pour cet homme rustre, Isa repr? sentait aussi l’ascension qu’il n’esp? rait pas : l’entr? e dans la haute soci? t?. Ce fut donc un mariage de raison, mais ce n’? tait pas ce que ce jeune homme avait cru faire ; il s’? tait laiss? prendre au pi? ge des apparences, il avait cru en cette r? pugnante com? die. Aussi cette union fut-elle un lamentable march? de dupes, il fut grug? et bafou?. Enfin, Mauriac peint (? travers le prisme d? formant d’un ath? e) un tableau des chr? tiens au XXe si? cle qui ont cess? ‘? tre des saints, qui ob? issent aux lois d’une habitude devenue mill? naire, qui sont trop souvent des pharisiens et des publicains pour qui la religion n’est qu’une fa? ade, un certificat de moralit? , une arme de pouvoir social et politique. Int? r? t psychologique Pour bien peindre des monstres, les romanciers devraient se donner pour r? gle de ne jamais sortir des limites d’une ? famille unie?. La famille, cellule organis? e, hi? rarchis? e, est une des deux ou trois entit? s qui exercent encore le plus de puissance sur l’? tre humain, produit de la soci? t?. Elle dissimule et recouvre ? la vie de famille? les incompatibilit? s d’? piderme, les rivalit? s, les haines, les jalousies et les ranc? urs de chaque jour, les r? pugnances des nuits. La famille est la cellule sociale o? l’on s’entre-d? vore le mieux jusqu’? disparition des partenaires. C’est cette triste fa? ade ouverte sur le monde, qui inspira ? Gide son cri fameux ? Familles, je vous hais ! foyers clos ; portes referm? es possessions jalouses…? Et Louis s’? tonne : ? Quand on songe ? la quantit? de m? nages o? deux ? tres s’exasp? rent, se d? go? tent autour de la m? me table, du m? me lavabo, sous la m? me couverture, c’est extraordinaire comme on divorce peu !

Ils se d? testent et ne peuvent se fuir au fond de ces maisons…? Heureusement, un net manich? isme ? tant sous-jacent ? la distribution des personnages, ? cette perversit? des adultes ? chappent encore les enfants et les adolescents. Le roman en rec? le quelques-uns qui sont des figures de puret? : – Luc et sa fra? cheur innocente en harmonie avec la nature (pages 143 et 199) : ? Chez cet ? tre tout instinct, ce qui me frappa davantage, ? mesure qu’il grandissait, ce fut sa puret? , cette ignorance du mal, cette indiff? rence… Si l’humanit? porte au flanc, comme tu l’imagines, une blessure originelle, aucun ? l humain ne l’aurait discern? e chez Luc : il sortait des mains du potier, intact et d’une parfaite gr? ce. Mais, moi, je sentais aupr? s de lui ma difformit?. – Marie est une touchante victime irradi? e par sa maladie (page 127). D’autres ne sont d? j? plus aussi positifs : le fils Villenave, Phili, Robert. Quant ? Louis, il appartient ? cette race dont on dit qu’? ils n’ont pas de jeunesse? ; il a ? t? priv? d’adolescence, ? charg? de cha? nes? tr? s t? t, ? petit gar? on ch? tif… pench? sur ses dictionnaires? (page 25) ; mais il semble avoir gard? la nostalgie de cette ? poque de puret? que constitue le premier quart de la vie.

Une famille est un front uni contre l’ennemi toujours possible de l’ext? rieur ; mais, ? l’int? rieur ? galement, contre cet autre ennemi possible qui peut se r? v? ler dans l’un de ses membres. « Le noeud de vip? res » est une peinture extr? me d’un tel affrontement. Face ? Louis, se dresse une famille qui, ? ses yeux, forme ? un bloc inentamable? (page 105). ?Je veux que tu saches, ? crit-il ? sa femme, quel ? tait cet homme qui vivait seul en face de votre groupe serr? , cet avocat surmen? qu’il fallait m? nager car il d? tenait la bourse, mais qui souffrait dans une autre plan? te…? ). Mais, en fait, la famille est divis? en clans, en oppositions de g? n? rations, conna? t des conflits, est victime de rapports oedipiens. Les personnages peuvent ? tre distribu? s en fonction de leur relation ? Louis : – Les opposants. Ce sont trois couples (Phili-Janine ; Genevi? ve-Alfred ; Hubert-Olympe). On peut ajouter l’? pisodique figure de Robert. – Les adjuvants. Ce sont trois personnages seuls (et qui meurent tous pr? matur? ment) : Marie, Luc, Marinette. ? qui il convient d’ajouter l’abb? Ardoin et la m? re de Robert. – Un interm? diaire : Isa ? qui s’adresse la lettre et dont le portrait m? rite la nuance. ? des aspects indiscutablement n? atifs, froideur, indiff? rence, m? pris, pharisa? sme, convention (? Tes principes ? tal? s, tes allusions, tes airs d? go? t? s, ta bouche pinc? e? ), s’ajoutent quelques traits positifs, amour maternel, discr? tion, sens des responsabilit? s. Surtout, elle pr? sente la circonstance att? nuante, dirait l’avocat, d’avoir connu une souffrance initiale : l’amour auquel elle a d? renoncer et le substitut qu’a ? t? Louis, qui a eu des indices de ce r? le qu’il a d? jouer : ? Il y eut pourtant des signes, mais que j’interpr? tais mal. Te rappelles-tu cette nuit? Soudain, sans cause apparente, tu ? clatas en sanglots…

Je croyais aux larmes de l’amour heureux. Il est vrai que tu me disais : « Ce n’est rien, c’est d’? tre aupr? s de vous » Tu ne mentais pas, menteuse. C’? tait bien parce que tu te trouvais aupr? s de moi que tu pleurais, aupr? s de moi et non d’un autre, et non pr? s de celui dont tu devais enfin me livrer le nom, quelques mois plus tard?. Pour le personnage complexe qu’est Louis, qui, de plus, est un avocat, il s’impose de faire un proc? s o? ? un r? quisitoire pourrait succ? der un plaidoyer. Mauriac nous y a invit? s dans sa courte pr? face? qui est une adresse au lecteur o? il pr? sente son personnage : ??

Cet ennemi des siens, ce c? ur d? vor? par la haine et par l’avarice, je veux qu’en d? pit de sa bassesse vous le preniez en piti? ; je veux qu’il int? resse votre c? ur. Au long de sa morne vie, de tristes passions lui cachent la lumi? re toute proche, dont un rayon, parfois, le touche, va le br? ler ; ses passions… mais d’abord les chr? tiens m? diocres qui l’? pient et que lui-m? me tourmente. Combien d’entre nous rebutent ainsi le p? cheur, le d? tournent d’une v? rit? qui, ? travers eux, ne rayonne plus ! Non, ce n’? tait pas l’argent que cet avare ch? rissait, ce n’? tait pas de vengeance que ce furieux avait faim.

L’objet v? ritable de son amour, vous le conna? trez si vous avez la force et le courage d’entendre cet homme jusqu’au dernier aveu que la mort interrompt…?? Il abat son jeu, sollicite notre piti? et exhibe l’exemple que fournit l’itin? raire de ce p? cheur aveugle. Aveuglement sur lui-m? me dont l’? pigraphe indique qu’il est g? n? ralis?. Il est d’abord ? le crocodile? , terme que Phili applique ? son grand-p? re qui ramasse l’insulte avec orgueil : ? Je ne te d? mentirai pas : crocodile je suis, crocodile je resterai? (page 76). D’ailleurs, c’est ce sobriquet qui devait primitivement servir de titre ? e livre, comme le r? v? la Claude Mauriac, le fils de l’auteur, lui aussi ? crivain qui, dans « La terrasse de Malagar », fit dire ? son p? re : ? J’appellerai mon prochain livre : « Le crocodile »… c’est l’histoire d’un anticl? rical qui ? crit son journal?. Le crocodile est un de ces ? tres qui n’ont jamais su plaire, mais qui, un jour, a cru plaire : ? Comment te faire comprendre ce que tu avais suscit? en moi? Tout d’un coup, j’avais la sensation de ne plus d? plaire? – ? Ce qui comptait, c’? tait ma foi en l’amour que tu avais pour moi. Je me refl? tais dans un autre ? tre et mon image ainsi refl? t? n’avait rien de repoussant. Dans une d? tente d? licieuse, je m’? panouissais. Je me rappelle ce d? gel de tout mon ? tre sous ton regard…?. On a vu comment il a ? t? cruellement d? sillusionn? : ? Tout ? tait faux. J’? tais un homme qu’on n’aime pas…? Ainsi, une fois de plus, la vie l’humiliait ; et, sur cette derni? re humiliation, il fonda le foyer dont naquirent ses enfants, les fils qui allaient porter son nom, cette race con? ue dans l’iniquit?. Cette faillite de l’amour annonce donc celle de la famille : ? Tu ? tais m? re, tu n’? tais que m? re… J’avais accompli, en te f? condant, ce que tu attendais de moi.

Tant que les enfants furent des larves et que je ne m’int? ressai pas ? eux, il ne put na? tre entre nous le moindre conflit… Tu ne commen? as ? t’apercevoir que j’existais que lorsqu’? mon tour je r? dais autour de ces petits. Tu ne commen? as ? me ha? r que lorsque je pr? tendis avoir des droits sur eux. Tr? s vite, j’ai ? t? jaloux de cette passion qu’ils avaient ? veill? en toi.? Il faut cependant remarquer que la m? tamorphose de l’? pouse en m? re obnubil? e par la maternit? n’est pas le fait de la seule Isa, que c’est m? me un ph? nom? ne universel, le couple se rompant trop souvent dans ce qui devrait l’accomplir.

Le terme de ? crocodile? peut d? signer aussi bien la rapacit? odieuse que la m? chancet? haineuse qui caract? risent Louis, en qui on peut voir une variante de l’avare provincial de Balzac. Il avait initialement song? ? mettre sa fortune ? l’abri de la convoitise de ses proches. Il est facile de montrer son avarice : souci d’un m? tier lucratif, th? saurisation, cupidit? , exploitation des autres… La cupidit? est ostensiblement revendiqu? e : ? J’aime l’argent, je l’avoue, il me rassure… Eh bien, oui, j’ai peur de m’appauvrir. Il me semble que je n’accumulerai jamais assez d’or. Il vous attire, mais il me prot? ge? page 52). L’argent devient pour lui l’aune de ses valeurs morales comme de ses plaisirs : ? J’aime que tout soit tarif? : oserais-je avouer cette honte?? (page 91). Dans ces protestations d’avarice il faut voir peut-? tre l’aveu d’une faiblesse et d’un d? sir d’amour. Pour ce maladroit, cet ? corch? vif, l’argent para? t ? tre un paravent, un alibi, une protection, un moyen de manifester son existence. La pr? face de l’auteur nous invite d’ailleurs ? la prudence des jugements : ? Non, ce n’? tait pas l’argent que cet avare ch? rissait… ? (page 7). N’arrive-t-il pas ? Louis d’avoir d’ailleurs de vrais ? lans de g? n? osit? , ou du moins des marques de d? sint? ressement (avec Luc, Robert, Marie… )? En revanche, la m? chancet? ne fait pas de doute. Il s’en fait m? me une sorte de gloire : ? Demandez ? ceux qui me connaissent… Interrogez ma famille, mes confr? res : la m? chancet? est ma raison d’? tre?. Les termes de ? haine? , de ? vengeance? , reviennent avec une fr? quence anormale. La m? chancet? est son fort, cette haine lucide et cynique constitue sa raison d’? tre. Toute la machination imagin? e ? la premi? re page du livre rel? ve d’une cruaut? sadique. La haine est ? galement accept? e, brandie comme une provocation : ?

J’ai cru longtemps que ma haine ? tait ce qu’il y avait en moi de plus vivant? (page 12). ? Isa, ? laquelle l’attache un amour-haine f? roce, il avoue : ? Je t’ai ha? e d? s la premi? re ann? e? (page 80). ? l’? gard de Phili, repr? sentant d’une jeunesse ex? cr? e, il proclame : ? Je d? teste, je hais les jeunes gens? (page 121). Il est envieux (envers ses condisciples comme envers sa famille : ? Envier des ? tres qu’on m? prise, il y a dans cette honteuse passion de quoi empoisonner toute une vie? ), m? prisant (envers ses confr? res), malveillant (envers Robert, ? cet employ? , ce subalterne, cet abruti? page 161]), calculateur (avec les domestiques), sceptique, froid, insociable. L’anticl? rical s’ent? te : ? Je n’en continue pas moins de ha? r ceux qui se r? clament du nom chr? tien? (page 151). Il se veut l’incarnation du mal, l’instrument d’une force mauvaise qui le soutient, en attendant d’? tre relay? e par une autre : ? J’ai tenu bon, j’ai ? t? le plus fort, la haine me soutenait? (page 133). Et, si la maladie l’affaiblit parfois, il pr? vient : ? Mais ne vous y fiez pas : entre mes crises, je reprends du poil de la b? te?. ? cette haine, il trouve une justification, reprenant en quelque sorte les propos du misanthrope de Moli? e : ? J’avais ? t? un homme si horrible que je n’avais pas un seul ami ; mais me disais-je, n’? tait-ce pas parce que j’avais toujours ? t? incapable de me travestir? Si tous les hommes marchaient ainsi d? masqu? s… Au vrai, personne n’avance ? visage d? couvert, personne?. Il aurait ? t? victime de sa lucidit? : ? Cette habilet? ? se duper soi-m? me, qui aide ? vivre la plupart des hommes, m’a toujours fait d? faut. Je n’ai jamais rien ? prouv? de vil que je n’en ai eu d’abord connaissance… ? Louis est surtout un solitaire meurtri et c’est pourquoi il s’est construit une carapace de m? chancet?. En proie ? un d? ire de pers? cution (qui confine ? la folie, dont il est tr? s souvent menac? et qui atteindra Janine), il souffre d’une double solitude : celle que constitue son incapacit? ? communiquer avec les autres et celle qui le ferme ? Dieu. Il n’est pas excessif de voir dans « Le n? ud de vip? res » l’illustration des d? gats que cause la non-communication entre les ? tres. Si Louis entreprend d’ailleurs d’? crire cette lettre qui est le pr? texte du livre, c’est pr? cis? ment parce qu’il souhaite dire ce que jusqu’ici il a tu. Il veut ? tre entendu, expliquer, s’expliquer. Il lui faut ? tablir le dialogue pour rompre sa solitude : ?

Eh bien ! oui, je parle seul parce que je suis seul. Le dialogue est n? cessaire ? l’? tre humain? (page 217). L’? chec de son mariage, la suspicion qu’il s? cr? ta et exer? a, la difficult? de parler ? autrui l’ont renvoy? au silence : ? Le silence est une facilit? ? laquelle je succombe toujours? (page 68). L’hypocrisie et le silence ont donc pr? sid? aux relations conjugales, puis familiales. Mais Louis n’est pas inaccessible au sentiment comme le veut Hubert par exemple : Marinette, Marie, Luc (pages 141, 159… ), ont su trouver, dans ce c? ur apparemment insensible (? J’avais horreur des sentiments? page 25), des traces de tendresse et d’? motion. Il semble souffrir de cette situation qu’il a lui-m? me cr?? e en grande partie. Il implore quelques mots de sa femme : ? Pourquoi ne me parles-tu pas? Pourquoi ne m’as-tu jamais parl?? Peut-? tre existe-t-il une parole de toi qui me fendrait le c? ur? (page 151). Et sa haine n’est-elle pas l’autre face d’un amour d?? u, encore esp? r? : ? Si je te voyais rentrer dans ma chambre, le visage plein de larmes? Si tu m’ouvrais les bras? Si je te demandais pardon? Si nous tombions aux genoux l’un de l’autre??? Mais cet homme, o? qu’il soit all? , a fait fausse route, de quelque c? ? qu’il se soit tourn? , a vu des routes barr? es. Atteint par la vieillesse, aux portes de la mort (? Ils ne savent pas ce qu’est la vieillesse. Vous ne pouvez imaginer ce supplice : ne rien avoir eu de la vie et ne rien attendre de la mort? ), le personnage devient touchant, ?? le n? ud de vip? res?? qu’? tait son c? ur ayant ? t? d? nou? par la mort d’Isa. Il est anim? du regret de n’avoir pas ? t? aim? , ni par Isa, ni par une autre ; du regret de voir ses anniversaires oubli? s ; du regret de susciter la haine ou l’indiff? rence : ? C’est vous qui me ha? ssez. Ou plut? t mes enfants me ha? ssent. Toi… u m’ignores, sauf quand je t’irrite et que je te fais peur? (page 183). Surtout, la perspective de la mort, qui a d? j? atteint Isa, remet en question toutes les folies de ces existences : ? Depuis bient? t un demi-si? cle, nous nous affrontions. Et voici que, dans cet apr? s-midi pesant, les deux adversaires sentaient le lien que cr? e, en d? pit d’une si longue lutte, la complicit? de la vieillesse. En paraissant nous ha? r, nous ? tions arriv? s au m? me point. Il n’y avait rien, il n’y avait plus rien au-del? de ce promontoire o? nous attendions de mourir. Pour moi, du moins. ? elle, il restait son Dieu ; son Dieu devait lui rester?.

Devant lui, il n’y a que ce monde sans lumi? re, cette barri? re ? paisse, ce monde clos, cette tombe glac? e au-del? de laquelle rien n’existe. La solitude de l’? me r? pond ? celle du c? ur. Mauriac met en sc? ne un incroyant dont la conversion finale, le passage de l’irr? ligion haineuse ? une foi d’amour, n’est pas vraiment impr? visible. L’auto-accusation, le recours ? l’examen de conscience en forme de confession ? taient d? j? des signes de l’insatisfaction de cet ange du mal qui choisit le Jeudi saint pour commencer son aveu : les diatribes antireligieuses dans lesquelles se lance cet avocat impie ressemblent parfois ? es exercices de style convenus. Il se montre sensible aux paroles de l’abb? Ardoin, aux pri? res de Marie (page 127). S’il est ferm? ? Dieu, c’est parce que les pr? tendus fid? les ont utilis? l’image divine comme alibi ? un pharisa? sme qui d? figure ? un visage, ce Visage, cette Face? (page 151). Il a compris, lui, que la vraie saintet? consiste ? ?suivre l’? vangile au pied de la lettre? (page 104). Moins qu’un coup de th?? tre, ce d? nouement didactique est l’aboutissement d’une ? volution. Enfin, « Le n? ud de vip? res » ne peut-il ? tre vu comme le portrait de l’? crivain, qui y mit beaucoup de lui-m? me? Louis, r? igeant son journal, ne reproduit-il pas l’image de Mauriac ? crivant son livre? L’avocat solitaire comme le romancier-d? miurge cherchent ? voir, ? d? couvrir, ? conna? tre, ? comprendre. L’? crivain, qui subvenait aux besoins de sa famille nombreuse et pressentait peut-? tre l’accident de sant? dont il fut victime l’ann? e suivante, pouvait aussi s’identifier au propri? taire terrien inquiet. Surtout, il s’y montr? en lui en incroyant d? couvrant la foi. Int? r? t philosophique « Le noeud de vip? res » est un roman dont la valeur ? difiante ne doit pas faire de doute, et cela depuis l’adresse initiale au lecteur. Ce roman ? th? e fait r? fl? chir d’abord sur l’obsession de l’argent et de la propri? t? dont on voit bien qu’elle n’est aussi grande que lorsque, dans une existence, sont bannis les plaisirs de l’amour et de la famille. Trois personnages y ? chappent et font preuve d’un d? sint? ressement qui fascine le vieil avare? : Marie, ? qui ? l’argent ne tient pas aux doigts? (page 99) ; Luc qui refuse, pour partir ? la guerre, de s’encombrer de ? toute monnaie? (page 146) ; Marinette qui pr? f? re un mariage d’amour aux millions du baron Philipot. L’argent, la possession sont de fausses valeurs. Se d? pouiller de sa fortune, c’est un peu comme se d? ouiller de sa fausset? morale. Le d? bat sur la propri? t? se superpose au d? bat sur la religion qu’il reproduit et complique. Le renoncement aux biens mat? riels permet d’atteindre le d? nuement asc? tique de l’amour spirituel. C’est ce ? quoi invite l’? pigraphe? qui est une citation de sainte Th? r? se d’Avila : ? Dieu, consid? rez que nous ne nous entendons pas nous-m? mes et que nous ne savons pas ce que nous voulons, et que nous nous ? loignons ind? finiment de ce que nous d? sirons.? Le personnage de Mauriac ne sait pas ce qu’il d? sire, il n’aime pas ce qu’il croit aimer. ?Comme un chien aboie ? la lune? il a ? t? ?fascin? par un reflet? ; et toute sa vie s’est pass? e ? ?tre le prisonnier d’une passion qui ne le poss? dait pas, pareil en cela ? ?ces jeunes b? tes que le chasseur attache et abandonne dans les t? n? bres pour attirer les fauves?. Toute la d? marche de Louis, dans cette confession, consiste ? se lib? rer de la pesanteur ? touffante qui opprime son corps et son c? ur. Il se rend compte de l’illusoire possession de la terre et des ? tres. Les derni? res lignes substituent ? l’oppression du mal, un souffle nouveau qui n’aura pas le temps de s’exprimer : ? Ce qui m’? touffe, ce soir…? (page 274).

Non sans paradoxe, la qu? te du salut et la lib? ration finale sont pass? es par le long chemin de la haine. Mauriac a indiqu? dans « Le roman » qu’il s’? tait propos? de ? remonter le cours d’une destin? e boueuse, et d’atteindre ? la source pure? , persuad? que ? le plus souill? d’entre nous ressemble au voile de V? ronique et [qu’] il appartient ? l’artiste d’y rendre visible ? tous les yeux cette Face ext? nu? e?. Ce roman de la maturit? est surtout un roman de la conversion ou de la r? volte d? pass? e qui marqua l’ach? vement de la crise spirituelle de Mauriac. Son ? pigraphe traduisait bien sa volont? e revenir, apr? s les scandales et les malaises soulev? s par  »Le baiser au l? preux »,  »Th? r? se Desqueyroux » et  »Destins », au roman catholique. Le sujet est la d? couverte de Dieu par un ? tre qui semblait le plus ? loign? de lui, suit l’itin? raire d’un individu qui ? tait ? pris de Dieu et qui l’ignorait, comme l’? tait d? j? Th? r? se Desqueyroux, qui passe de l’irr? ligion haineuse ? une foi d’amour. Mauriac a trouv? un incomparable accent pour saisir, enfouies dans la pleine touffe de la haine, les racines vivantes de la charit? et de l’amour. Le c? ur humain demeure plein de t? n? bres et le secret des ? es est l’affaire de Dieu qui, au bout du roman, est ?? l’aff? t?. La progression vers la lumi? re semble se r? sumer en un mot? : ? amour? , hypoth? tiquement lanc? ? la fin du premier temps (? Un amour? Peut-? tre un amour… ?, page 153), affirm? avec confiance ? l’ach? vement du second (? Cet amour dont je connais enfin le nom ador…? , page 274). Par rapport ? la ti? deur des chr? tiens conventionnels, alors que le Christ a bien pr? venu qu’il vomirait les ti? des, le monstre qu’est Louis, le plus d? sesp? r? des solitaires, le forcen? le plus mis? rable, ? le plus malheureux des hommes? , porte en lui, ? son insu, les signes tr? visibles du gibier de Dieu qu’il est, appara? t ? la fin comme une esp? ce de saint et de martyr de la monstruosit?. ?Dieu, dit Mauriac, nous aime quand nous connaissons notre f? rocit?…?. Ce chasseur qui devient une proie, ce bourreau devenu victime, marche sur les traces de Marguerite de Cortone qui ? crivait : ? Le monde se hait lui-m? me infiniment… La volont? de puissance le pousse ? se d? chirer les entrailles, non pas dans une crise de folie furieuse, mais lentement, ann? e par ann? e… La souffrance est une monnaie d’? change pour le crime. Cela a ? t? cru depuis qu’il y a des hommes ; et m? me ceux qui vivent ans Dieu agissent pratiquement comme s’ils le croyaient. Cela fait partie du langage courant de dire d’un condamn? qu’il a pay? sa dette?. Destin? e de l’oeuvre Le livre fut bien accueilli. La critique s’accorda ? le consid? rer comme une des plus grandes r? ussites de Mauriac, comme le couronnement de sa carri? re litt? raire, comme la d? finition la plus nette de ce qu’on peut appeler le mauriacisme. Drieu La Rochelle lui ? crivit : ?? Il faut que je vous crie mon admiration. Voil? s? rement votre chef-d’? uvre et le chef-d’? uvre des derni? res ann? es.?? Paul Claudel dut conc? der : ? « Le n? ud de vip? res » est votre chef-d’? vre, et un chef-d’? uvre? si fran? ais que j’en suis un peu g? n? !??  »Le n? ud de vip? res » lui ouvrit le chemin de la gloire, mais ne leva pas toutes les r? ticences des lecteurs catholiques et de l’? glise, qui se partag? rent autant qu’Hubert et Janine dans leurs jugements sur la conversion du h? ros, souvent tenue pour peu cr? dible, et virent dans le d? nouement une facilit? romanesque. N? anmoins, aujourd’hui encore,  »Le n? ud de vip? res » est consid? r? comme l’un des romans les plus typiquement repr? sentatifs de l’univers moral et du style de Mauriac et comme l’un de ses ouvrages les plus marquants.