Intro : Presentation : Pierre et Jean est le quatrieme roman de Maupassant. Cette oeuvre naturaliste qui a ete ecrite en 1888 raconte l’histoire de deux freres : Pierre et Jean. Alors que tout se passe au mieux dans cette famille de la petite bourgeoisie, Jean se voit leguer la totalite de la fortune d’un ancien ami de la famille. C’est le point de depart d’une crise familiale qui ne cessera de s’aggraver. Pierre, jaloux, commence a avoir des soupcons sur sa mere.
Au coeur du roman, au chapitre V, Pierre, de plus en plus certain de l’infidelite de sa chere mere, fuit pendant quelques heures la maison familiale qui l’oppresse. Il quitte Le Havre pour passer la journee a Trouville et prendre du temps pour reflechir. Alors qu’il se promene sur la plage, Pierre, solitaire, triste, envahit par le doute, commence a se poser des questions existentielles sur les femmes en general. Nous montrerons que le jeu de seduction que decrit Pierre dans ce passage, est en fait une peinture du paysage interieur du personnage.
Dans un premier temps nous presenterons les procedes narratifs et stylistiques mis en oeuvre par Maupassant pour montrer la prise de conscience par Pierre du jeu de
I -Prise de conscience du jeu de la seduction Maupassant utilise dans toutes ses oeuvres un tres grand nombre de procedes narratifs et stylistiques ce qui permet une proximite inegalee avec les personnages de ses romans. Lors de cette promenade sur la plage, l’auteur exploite un tres grand nombre de ces procedes qui sont destines a faire partager les sensations eprouvees par le heros tout en donnant une vision plus probante que la realite meme. On note une progression dans les differents points de vue utilises.
Le debut de l’extrait appartient au recit, le narrateur, omniscient, concentre l’attention du lecteur sur le heros « Il allait maintenant, frolant les groupes, tournant autour ». Puis, en utilisant le point de vue interne, celui de Pierre, le narrateur reussit a nous faire penetrer graduellement dans son monologue interieur. Au debut, dans la seconde phrase de l’extrait, apparait son point de vue : « Toutes ces toilettes [… ] lui apparaissaient soudain », puis dans la derniere : « Il songea que » ce qui a pour effet d’encadrer le passage : elles introduisent et concluent le monologue interieur de Pierre.
Entre ces deux phrases, le narrateur adopte le point de vue du heros sans le signaler : ses jugements ne sont ni mis a distance, ni relativises ce qui force le lecteur a partager sa vision « Toutes ces femmes voulaient plaire [… ] ne pensaient qu’a la meme chose ». De nombreuses images s’imposent a Pierre avec une succession frappante. Au debut du texte, les toilettes des femmes sont comparees a un « bouquet » qui fait echo au terme de « floraison ». La comparaison entre la femme et la fleur est classique dans la poesie amoureuse.
Lors du second paragraphe apparait l’image de la chasse « ces hommes [… ] chassaient » et la femme devient un « gibier souple et fuyant ». A la fin du texte, la metaphore filee du commerce impose l’idee de prostitution : les femmes « se vendaient, celles-ci marchandaient leurs caresses », la plage est comparee a une « halle d’amour ». Avec cette succession d’image, Pierre nous fait passer d’une image traditionnelle et galante de la femme a une vision beaucoup plus grossiere et inconvenante. On observe aussi un procede d’accumulation de verbes qui rend le style vif et nerveux.
La majeure partie de ces verbes sont des verbes d’actions ayant « ces femmes » pour sujet : elles s’attachent a « plaire, seduire et tenter », « conquerir », rencontrer, remarquer, attendre, se vendre, se donner, marchander, promettre, « offrir et faire desir ». Ces femmes jouent ici le role actif alors que les hommes sont passifs : seulement 3 verbes ont pour sujet « ces hommes » : « appeler », « desirer » et « chasser ». On en conclut que ce sont les femmes qui menent le jeu. II – Comment le jeu eveille un sentiment de duplicite
Le narrateur montre comment progresse le raisonnement de Pierre qui a partir d’un faible indice, celui de la beaute des robes, echafaude une theorie en laissant libre cours aux obsessions qui le ronge. Pierre remarque l’elegance des femmes mais il en deduit rapidement leur comportement artificiel : la « grace factice des tailles emprisonnees », les toilettes qui « couvraient le sable » en dissimulant ce qui peut etre naturel, pour qu’au final la plage lui apparaisse « comme une immense floraison de la perversite feminine » remplie de femme qui « s’etaient faites belles » pour l’occasion.
Tres vite, l’epoux est isole et n’apparait qu’une seule fois dans le texte : dans une forme negative « excepte pour l’epoux », alors que les autres hommes sont mis en valeur avec un champ lexical masculin « amant, « hommes » qui sont repetes plusieurs fois ce qui a pour but d’insister sur le nombre. La succession de termes, mis sur le meme plan, mais de valeur differentes, est frequente dans cet extrait. Cette succession obeit toujours au meme principe : le premier mot traduit une observation, le dernier formule une sentence. Cherchant caracteriser l’attitude de ces femmes, Pierre parle d’abord de « seduction » puis de « coquetterie » et enfin de « perversite ». Les femmes veulent « plaire, seduire et tenter », plaire n’est pas pejoratif alors que tenter contient un jugement moral. Il pense aussi qu’un homme peut etre « rencontre, remarque, attendu », l’ordre est revelateur : on peut rencontrer par hasard mais le fait d’attendre suppose une intention et sans doute une arriere-pensee. Pierre croit prouver la culpabilite des femmes en recourant, pour les decrire, a des termes de plus en plus lourds de reproches.
Pensant mener une deduction rigoureuse, il ne craint pas d’etablir des liens logiques entre les propositions « Cette vaste plage n’etait donc qu’un halle d’amour ». Il deforme progressivement la realite en projetant sur elle ses propres obsessions. III – Ce que denonce ce jeu de seduction Le narrateur porte a son comble la jalousie de Pierre qui glisse vers la folie. Le doute qui le torture a propos de la fidelite de sa mere le submerge, il etend cette idee en generalisant tout ce qu’il pense. On remarque que Pierre effectue constamment des generalisations.
A partir d’un nombre limite d’elements « ces toilettes [… ], ces etoffes [… ], ces ombrelles », il evoque « toutes ces inventions [… ] depuis [… ] jusqu’au [… ] ». Pour parler des femmes il dit a deux reprises « toutes ces femmes » ce qui designe aussi bien les promeneuses de la plage que toutes les femmes de la societe, y comprit sa mere. Il pense que ces femmes sont parees « pour les hommes, pour tous les hommes ». L’adjectif “tout” revient cinq fois dans le texte, Pierre ne se soucie pas des nuances.
Pour enfermer le concretdans une seule vision negative, il use de tournures reductrices et notamment la locution ne… que. La plage « n’etait donc qu’une halle d’amour », toutes les femmes « ne pensaient qu’a la meme chose ». La derniere phrase est particulierement vigoureuse « sur la terre entiere c’etait toujours la meme chose ». Le personnage englobe dans une seule vision du monde tous les lieux, toutes les epoques et tous les comportements humains. Pour souligner la confusion qui regne dans l’esprit du personnage, le narrateur associe, a l’interieur de meme phrase, des impressions totalement contradictoires.
La deuxieme phrase du texte commence agreablement « toilettes multicolores », « etoffes jolies » et s’epanouit par la comparaison « comme un bouquet » mais s’acheve par l’expression « une immense floraison de la perversite feminine ». Pierre transforme la beaute en un vice de facon subite, inattendue et irrationnelle. La premiere phrase du second paragraphe debute par un evocations des « hommes assis pres d’elles, les yeux dans les yeux [… ] bouche pres de la bouche » qui traduit l’intimite du tete a tete pour qu’a la fin les hommes partent chasser et qu’ils considerent la femme « comme un gibier souple et fuyant ».
Cette phrase passe brusquement de l’immobilite au mouvement, de la proximite a la distance, de la complicite a la poursuite. On constate que la vision est trop fievreuse, trop hallucinee, pour etre parfaitement coherente Conclusion : A l’occasion d’une promenade de Pierre et a partir d’une simple description realiste, le narrateur presente de facon naturaliste et de maniere saisissante les obsessions et les efforts du personnage principal. La phrase suivant cette extrait permet au heros de repondre a la question qui le hante « Sa mere avait fait comme les autres, voila tout ! . Ce passage est un tournant dans l’esprit de Pierre, il lui permet de deculpabilise sa mere tout en demontrant pourquoi elle a ete infidele. Mais le heros s’isole de plus en plus en deformant le monde environnant. D’apres sa description, il se retrouve seul contre tous ce qui s’accentuera jusqu’a la fin du roman. Dans toutes les descriptions realistes de Pierre et Jean, Maupassant ne desire pas nous montrer la photographie banale de la vie, mais il cherche plutot a donner une vision plus complete que la realite elle meme tout en donnant sa vision personnelle du monde.