?COMMENTAIRE COMPOSE, PARFUM EXOTIQUE C. BAUDELAIRE (1821-1867), Les Fleurs du Mal 1857 SITUATION DU TEXTE. « Parfum exotique », ecrit en 1846 est un poeme de jeunesse qui n’a ete publie qu’en 1857 dans la section « Spleen et Ideal » des Les Fleurs du Mal. Son inspiratrice est Jeanne DUVAL, superbe mulatresse avec qui il a eu une liaison orageuse de 1842 a 1855. « Parfum exotique » met en evidence le pouvoir magique de son parfum, createur d’un univers fait d’harmonie et riche en correspondances. Ainsi, se trouvent associes dans ce poeme la femme, le parfum et l’evasion (trois themes obsessionnels chez BAUDELAIRE ).
IDEE GENERALE. Le theme principal de ce poeme est l’evasion dans la reverie du bonheur par l’intermediaire de la femme. MOUVEMENT DU TEXTE Le poeme se subdivise en deux grandes parties : *Vers 1 et 2 : cloture initiale ou l’intimite propice *Vers 3 a 14 : le deroulement du spectacle Vers 3 a 8 : l’ile Vers 9 a 14 : le port EXPLICATION LINEAIRE ·Vers 1 et 2 : Le poete debute par une cloture pour une intimite propice a l’extase. Le regard du poete se ferme a la realite et le loin en estompe les lignes (cf. e balcon
Ces visions annoncees d’entree de jeu par « je vois » se prolongent sur six vers et ont une certaine ampleur : elles sont restituees sur le mode syntaxique de l’enumeration par la juxtaposition d’elements qui aboutissent a un tableau. Le verbe se « derouler » qui evoque un glissement solennel et melodieux est renforce par un mouvement ondulatoire du rythme avec des enjambements (3;4, 5;6) et des elements phoniques qui se repetent et ‘oe’ et ‘r’ et, par la phrase melodique a forte attaque a l’initiale (« je vois »), au deploiement progressif et au decrescendo final.
Le poete est ici spectateur de la reverie, spectateur passif d’une reverie constituee d’elements visuels qui s’organisent tout d’abord en vue panoramique avant d’aboutir a un effet de zoom (sur la femme). Le spectacle est celui des « rivages heureux », d’une ile. Depuis la plus haute antiquite, l’ile a fascine les hommes car elle symbolisait l’age d’or. L’element primordial de ce passage est la lumiere. C’ est une « chaude lumiere » (cf. L’invitation au voyage) a la fois intense (cf. ‘’eblouir’’), uniforme (cf. ‘’monotone’’), et dont les reflets se multiplient a l’infini (« les feux »).
Mais ce paradis baudelairien rappelle une vision paienne (cf. « J’aime le souvenir de ces epoques nues ») et s’oppose ainsi a la modernite et a l’Eden biblique. En effet, la ‘’paresse’’ s’oppose a l’agitation du monde moderne, a la frenesie du travail comme du plaisir. Elle est nonchalance, abandon, pamoison. L’absence du peche est presente dans « les fruits savoureux », sans arriere gout de peche ou de remords, dans les etres preadoniques que sont les hommes, remarquables par leur purete et leur innocence. En cela d’ailleurs, ils sont opposes a la laideur des hommes modernes (cf. . 22 : « O pauvres corps tordus, maigres, ventrus ou flasque ») et a la corruption des femmes (cf. v. 25-26 : »Et vous, femmes, helas, pales comme des cierges,/ Que ronge et que nourrit la debauche »). Nous sommes ici en presence de la tradition des paradis exotiques ou l’homme et la femme vivent en harmonie avec la nature, mere nourriciere, loin de toute idee de faute. ·Vers 9 a 14 : Le vers 9 est une reprise anaphorique d’un schema conducteur presque identique. « Quand je respire l’odeur, je vois » repond « Guide par ton odeur, je vois ».
Cette architecture rigoureuse ou deux phrases seulement composent le sonnet est voulu par le poete qui construit ainsi la reverie loin de toute angoisse, de toute conscience malheureuses liees a la fragmentation et a la division. Le port ici combine a la fois le bonheur de l’immobilite et la promesse d’une evasion dans la profusion des sentiments qui ouvre a l’ivresse extatique. (NB. extase : du grec qui veut dire action d’etre hors de soi-meme. Etat dans lequel une personne se trouve comme transportee hors de soi et du monde sensible avec le sentiment de s’unir a quelque chose de transcendant).
En effet, de l’ordre de la vision sont les navires berces par le roulis qui sont evoquees par les synecdotes ‘’voiles’’ et ‘’mats’’ mettant l’accent sur les lignes verticales et les « verts tamariniers » ou l’adjectif qualificatif ‘’vert’’ insiste sur la couleur. De l’ordre du sens olfactif releve le parfum des « tamariniers » dont le mouvement incessant ‘’circule’’, cree une atmosphere enivrante et penetrante. A l’ordre du sens auditif appartient le « chant des mariniers » dont l’intensite est traduite par des sonorites graves en ‘a’ ou ‘a’ que l’on retrouve d’ailleurs dans beaucoup de mots des tercets.
Le poete n’est plus ici spectateur de sa reverie, il est entre dans sa reverie grace a la mutation de l’element olfactif. L’odeur de la femme devient celle des tamariniers que le poete sent dans son present. Ainsi, la fusion des sensations s’opere dans le creux de l’ame du reveur et ce luxe de sensations s’epanouit dans un monde harmonieux, harmonie des choses entre elle et le soi du poete, harmonie des parfums, des couleurs et des sons qui se repondent. Nous atteignons ici l’apotheose de l’extase.
Ce reseau de correspondances et d’echos (assonances en ‘i’ et ‘a’, alliterations en ‘m’ , ‘r’, ‘l’ ) cree un mouvement regulier proche du bercement. Et l’ultime vers conjugue tous ces effets poetiques pour mettre en evidence l’harmonie de la fusion (« je mele »), la plenitude de l’exteriorite (« dans mon ame »), l’exaltation sereine. Des lors, le contexte environnant est remplace par le contexte exotique non plus vecu par les sens mais par l’ame. Le parfum a ouvert la voie d’un univers ideal qui parle a l’ame plus qu’a la sensibilite. CONCLUSION
Par un sonnet regulier, tres classique par sa structure ou coincident organisation syntaxique et structure du sonnet, BAUDELAIRE a reussi a nous faire penetrer dans le mouvement meme de sa reverie. Cette reverie est pour BAUDELAIRE l’image meme du bonheur dans un ailleurs lumineux ou il est comble car protege par un lieu a la fois clos et isole du monde exterieur ou s’epanouit une nature genereuse, ou les hommes sont beaux et purs, ou regne l’harmonie la plus absolue. Le spleen est bien loin certes mais le bonheur est tres fragile.