Nationalisme ecossais et illusions regionalistes Cela fait plus d’un siecle que, pour l’essentiel, les Etats d’Europe occidentale ont fini d’etre constitues et sensiblement unifies. Cela n’a pas empeche pourtant l’apparition periodique de mouvements nationalistes remettant en question leur trace ou revendiquant un statut d’autonomie particulier pour une region ou une autre.
Les exemples ne manquent pas, de la Catalogne au Pays basque en passant par la Flandre, la Bretagne ou encore la Corse. Parfois, il s’agit de simples lubies de milieux restreints. Parfois, ces revendications trouvent un echo reel dans la population concernee, voire conduisent a des actions armees. Malgre son nom, le Royaume-Uni ne fait pas exception a la regle comme le souligne l’enlisement de l’Etat britannique dans le bourbier d’Irlande du Nord depuis trois quarts de siecle.
Mais si le cas de l’Irlande du Nord est bien connu, ceux des deux autres composantes regroupees autour de l’Angleterre au sein du Royaume-Uni, l’Ecosse et le Pays de Galles, le sont moins. Et pourtant dans l’une comme dans l’autre il existe egalement un courant nationaliste, moins virulent il est vrai que celui d’Irlande du Nord parce que de nature et d’origine assez differentes. Neanmoins on a assiste au cours de la derniere periode
AUX ORIGINES DU NATIONALISME ECOSSAIS C’est en 1688 que prit fin une fois pour toutes l’existence independante de l’Ecosse. Cette annee- la, les couches les plus riches de la bourgeoisie anglaise firent appel au prince hollandais Guillaume d’Orange pour venir avec ses troupes remettre de l’ordre dans une Angleterre dont la vie sociale etait encore bouleversee par les « debordements » de la revolution bourgeoise.
Cette periode, que l’historiographie officielle appelle en Grande-Bretagne la « Glorieuse Revolution » facon de dire que l’autre, celle de 1640, ou le petit peuple avait joue un role determinant dans le renversement du pouvoir de l’aristocratie, aurait eu quelque chose de honteux fut donc la periode finale de reaction par laquelle la revolution bourgeoise se consolida en Angleterre et ouvrit une ere de pillage systematique du pays par la nouvelle classe dirigeante. En Irlande, Guillaume d’Orange dut faire face a un soulevement general qu’il reprima brutalement.
Ce ne fut pas le cas en Ecosse ou la resistance, limitee a quelques clans de la vieille aristocratie fonciere des Highlands, dans le nord, fut de courte duree. La bourgeoisie ecossaise, elle, emboita le pas sans rechigner a son homologue anglaise en se rangeant derriere Guillaume d’Orange. Ce faisant, elle signa de fait l’arret de mort de la relative independance dont avait joui l’Ecosse dans la periode anterieure, acte qui fut formalise par la constitution de l’Union entre l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande, en 1707.
Par la suite la revolution industrielle entraina une integration economique etroite de l’Union, tant sur le plan du commerce que de la production. Il serait faux de dire que, dans ce processus, l’Ecosse fut plus exploitee ou opprimee que bien des provinces anglaises. Meme si, par la suite, lorsque la centralisation economique et politique du pays s’accentua, l’eloignement de l’Ecosse de Londres, c’est-a-dire du centre politique de l’Union, a sans doute contribue a limiter son developpement economique, en particulier par comparaison avec le sud de l’Angleterre.
Quoi qu’il en soit, la population ecossaise se fondit dans le brassage de populations qu’engendra l’explosion industrielle et urbaine dans toute l’Union. Elle se repandit d’abord dans le nord de l’Angleterre et de l’Irlande, puis un peu partout en fonction des besoins de main-d’ uvre qu’entrainait le developpement industriel. Dans ce mouvement, la population ecossaise perdit ce qui lui restait de specificite linguistique et ses traditions culturelles se transformerent.
L’identite ecossaise qui emergea de cette periode tenait plus d’une identite regionale que nationale. Jusqu’a la fin du 19e siecle il n’y eut pas vraiment de courant politique specifiquement ecossais. Il fallut attendre les deux graves crises economiques qui marquerent les annees 1882-1895 pour que le mecontentement des classes moyennes donnat naissance a un mouvement autonomiste ecossais inspire de celui qui existait deja depuis longtemps en Irlande. Mais ce mouvement ne reussit pas a se faire une place.
Il chercha vainement a gagner des soutiens dans les rangs de la classe ouvriere, alors la plus touchee par la crise, et disparut assez rapidement. A la meme epoque, le dirigeant syndicaliste mineur ecossais Keir Hardie n’eut guere plus de succes lorsqu’il tenta de mettre sur pied un Parti travailliste ecossais fortement teinte d’autonomisme et il finit par rejoindre le Parti travailliste independant qui allait jeter les fondements du futur Parti travailliste dans le cadre de la Grande-Bretagne.
Dans la periode suivante l’autonomisme ecossais survecut en tant que courant au sein du Parti travailliste, sans que cela influe d’ailleurs sur l’attitude de la direction de ce parti, qui se montra resolument favorable au maintien de l’Union. Ce fut une autre crise economique, celle des annees 1930, qui remit le nationalisme ecossais a l’ordre du jour. Cette fois encore les consequences dramatiques de la crise economique en Ecosse permirent au nationalisme de regagner un certain credit.
Mais un autre facteur vint s’y ajouter la cassure que provoqua au sein du Parti travailliste la constitution, en 1932, par le Premier ministre travailliste Ramsay MacDonald, d’un gouvernement d’union nationale avec les conservateurs et les liberaux pour appliquer un programme d’austerite brutal. En Angleterre, les appareils syndicaux prirent la tete de l’opposition a MacDonald et reussirent a reconstituer rapidement la cohesion du Parti travailliste dans l’opposition apres en avoir chasse MacDonald.
En Ecosse, en revanche, ou les appareils syndicaux etaient bien plus faibles, une partie non negligeable de la base du Parti travailliste s’en detourna. En 1934, cette situation favorable incita les nombreuses nuances du courant nationaliste a se fondre en une seule organisation, le Parti nationaliste ecossais (SNP). Mais si le nouveau parti reussit, cette fois, a s’etablir de facon durable, il ne reussit pas a se debarrasser de l’image sociale traditionnelle du courant nationaliste ecossais un melange etrique et reactionnaire de classes moyennes aisees des villes et de proprietaires ruraux.
Cette image fut au contraire renforcee par le fait que, lors de sa constitution, le SNP integra dans ses rangs une fraction importante des membres ecossais du Parti conservateur. Du coup le SNP devint pour tout le monde le « parti des conservateurs en tartan » (du nom du tissu raye en laine tres en vogue a l’epoque dans les milieux nationalistes) et il ne reussit pas a attirer les travaillistes desabuses qui auraient peut-etre pu se tourner vers lui s’il avait eu une autre image. Quoi qu’il en soit, le SNP dut attendre encore trois decennies avant de gagner une base populaire reelle.
LE NATIONALISME ECOSSAIS SUR L’ECHIQUIER POLITIQUE ANGLAIS Le debut des annees 1960 marqua un nouveau tournant. Les vieilles industries lourdes ecossaises (siderurgie et metallurgie lourde, construction navale, charbon, etc. ) furent les premieres touchees par ce qui allait etre bientot la fin de la relative expansion economique de l’apres-guerre. Si la classe ouvriere ecossaise n’avait guere profite de cette expansion du point de vue de son niveau de vie, la petite bourgeoisie, elle, en avait tire une prosperite bien reelle.
Et le fait que le reste de la Grande-Bretagne n’ait pas montre de signes comparables de crise suscita bien des ranc urs parmi les petits commercants, les cadres et les membres des professions liberales en Ecosse. Du coup certains d’entre eux se tournerent vers la demagogie du SNP, en se cramponnant a l’illusion que la seule cause de la depression en Ecosse etait le « pillage economique » que lui aurait impose l’Angleterre. Le SNP connut un premier succes, encore hesitant, lorsqu’il arriva second derriere le Parti travailliste dans une election legislative partielle en 1961.
Puis, en 1967, il sortit victorieux de l’election partielle de Hamilton, dans la banlieue de Glasgow, remportant le deuxieme siege de depute de son histoire (il avait obtenu le premier dans une election partielle en 1945, mais l’avait aussitot perdu lors des legislatives de la meme annee). Il faut dire neanmoins que la cause de ce succes fut probablement moins le soutien de l’electorat au programme du SNP que sa desillusion envers le Parti travailliste et son Premier ministre Harold Wilson qui en etait alors a sa quatrieme annee au pouvoir.
En 1970, la mise en exploitation de la premiere plate-forme petroliere au large des cotes ecossaises redonna vie aux projets grandioses du SNP pour une Ecosse independante, avec le slogan « Ce petrole appartient a l’Ecosse ! ». Vint la crise petroliere de 1973. D’un seul coup le petrole etait devenu un luxe couteux que la Grande-Bretagne, a en croire le gouvernement, ne pouvait plus s’offrir en grandes quantites. Puis, en janvier 1974, le Premier ministre conservateur Edward Heath ordonna la reduction de la semaine hebdomadaire de travail a trois jours dans l’industrie.
Le but de cette mesure sans precedent etait surtout d’isoler les mineurs de charbon alors en greve dans tout le pays (en vain d’ailleurs). Mais elle renforca du meme coup l’image d’une Angleterre aux abois par manque de ressources energetiques. Ces evenements aiderent le SNP a donner un nouvel attrait a l’independantisme ecossais, en promouvant l’image d’une sorte de Koweit ecossais aupres duquel les ministres de Londres seraient obliges de mendier le droit d’acheter du petrole de la mer du Nord.
L’image traditionnelle du SNP celle de « conservateurs en tartan » s’estompa, faisant place a un langage plus populiste, comparable a bien des egards a celui qu’utilise par exemple aujourd’hui la Ligue du Nord en Italie, lorsqu’elle accuse l’Italie du sud appauvrie de vivre en parasite de l’Italie du nord. Ce fut au milieu de cette periode de demagogie flamboyante que le SNP atteignit le faite de son influence electorale, lors des elections legislatives d’octobre 1974.
Cette fois il fit un reel tabac, avec 30,4 % des voix dans l’ensemble de l’Ecosse un fait sans precedent pour un parti n’appartenant pas au club des trois grands partis parlementaires. Mais du fait du scrutin majoritaire a un tour, ce succes ne lui donna pas un nombre proportionnel de sieges, puisqu’il dut se contenter de 11 sieges sur le total des sieges ecossais au Parlement de Londres, contre 46 aux travaillistes et 16 aux conservateurs.
Ce succes etait probablement du pour une bonne part au vote tactique d’une partie de l’electorat conservateur en faveur des candidats qui avaient le plus de chance de l’emporter face aux travaillistes a un moment ou la victoire des travaillistes etait un fait pratiquement acquis d’avance. Mais d’un autre cote, les dirigeants travaillistes ne pouvaient plus desormais ignorer le SNP et ce d’autant moins que celui-ci se trouva bientot en position d’arbitrer le jeu parlementaire a la Chambre des Communes.
En effet, en 1978, suite a une serie de revers dans des elections partielles et au retrait du soutien liberal au gouvernement travailliste de Jim Callaghan, le sort de celui-ci en vint a dependre du vote des 11 deputes du SNP et des trois deputes de son homologue gallois, Plaid Cymru. En echange de leur soutien, Callaghan s’engagea a organiser un referendum sur la devolution en Ecosse et au Pays de Galles c’est-a-dire une forme d’autonomie regionale qui aurait donne a chacune des deux regions un parlement propre dote de quelques pouvoirs, limites mais uffisants pour satisfaire les ambitions des politiciens nationalistes, au moins dans un premier temps. Ces referendums eurent finalement lieu en mars 1979. Le SNP avait de toute evidence compte sur une majorite ecrasante de « oui », mais ce fut un echec pour les nationalistes : bien qu’il y ait eu une majorite de 51,6 % de « oui » en Ecosse, ceux-ci ne representaient que 32,9 % des electeurs, c’est-a-dire bien moins que la barre des 40 % exigee par la loi pour que le resultat soit reconnu valide.
De toute facon l’ere des travaillistes au pouvoir etait finie. Trois mois plus tard, en juin, ils etaient balayes par la victoire electorale de Margaret Thatcher. Dans ces elections, le SNP, ayant perdu le benefice du vote tactique de l’electorat conservateur, vit son score tomber de moitie en Ecosse, et le nombre de ses deputes reduit a deux. Cette fois, le gouvernement en place, n’ayant nul besoin des voix du SNP, n’avait plus aucune raison de lui faire la moindre concession. LA CAMPAGNE POUR UN PARLEMENT ECOSSAIS
Bien qu’integre completement dans le systeme politique et economique du Royaume-Uni, l’Ecosse a herite du 18e siecle un certain nombre d’institutions qui lui sont particulieres. Lors de la formation de l’Union, la bourgeoisie anglaise avait en effet fait certaines concessions a son alliee ecossaise ainsi d’ailleurs qu’a l’Eglise, en particulier celle de ne pas imposer a l’Ecosse l’alignement sur l’Angleterre de ses systemes educatif et judiciaire. Par la suite, et toujours dans le but de s’assurer les bonnes graces de l’opinion bourgeoise ecossaise, les choses furent maintenues en l’etat.
Seulement une telle concession avait toutes les chances de se reveler etre a double tranchant. Si elle creait de fait toute une categorie sociale au sein de la petite bourgeoisie ecossaise, en particulier dans les professions juridiques, disposant d’un monopole sur les activites de ces secteurs en Ecosse, en meme temps, du fait des differences importantes entre les systemes anglais et ecossais, cette meme categorie se trouvait en grande partie exclue de fait des professions similaires hors d’Ecosse.
Or, avec la centralisation de l’Etat, la plupart des postes de direction des affaires ecossaises, en particulier dans les spheres administratives, financieres et economiques, se retrouverent a Londres, provoquant le ressentiment de la petite bourgeoisie ecossaise. Cela suscita bien des tensions et des rivalites qui ne furent que partiellement reglees par le demenagement a Edimbourg d’une partie des services du ministere des Affaires ecossaises.
Dans la periode qui suivit 1979, ces tensions furent encore aggravees par la montee rapide de la crise economique. De nouveau, on accusa Londres et la centralisation de l’Etat d’etre responsables du fait que l’Ecosse etait plus touchee par la crise que le reste du pays. De plus, du fait de l’effondrement des principales industries ecossaises et de la concentration des nouvelles industries de ervice dans le sud de l’Angleterre, la petite bourgeoisie ecossaise devint bien plus dependante de l’Etat pour trouver les emplois confortables auxquels elle aspirait. Or cette situation se developpa au moment meme ou le gouvernement de Londres en etait a supprimer des postes en grand nombre, et d’une facon generale a reduire une partie des activites des fonctions publiques nationale et municipale, afin de reduire ses depenses.
Bien que ces coupes claires aient ete moins franches en Ecosse qu’ailleurs, elles reduisirent a neant les espoirs de carriere de toute une partie de la petite bourgeoisie ecossaise. Et cette situation fut encore aggravee par l’habitude qu’avaient les gouvernements conservateurs de reserver les postes de responsabilites a leurs seuls supporters, de sorte que meme les postes de direction des services du ministere des Affaires ecossaises bases a Edimbourg furent fermes aux nombreux ambitieux Ecossais qui lorgnaient dans leur direction.
Dans ce contexte, la revendication d’un parlement ecossais qui prendrait en charge une partie des taches de gestion administrative assurees par le ministere des Affaires ecossaises, et qui jouirait d’une certaine autonomie financiere, a fini par apparaitre comme le seul salut a une partie de ces couches sociales. La devolution des pouvoirs de l’Etat est apparue a cette petite bourgeoisie ecossaise « necessiteuse » comme le meilleur moyen de retrouver son statut social anterieur ou, pour dire les choses lus crument, de lui offrir des carrieres plus allechantes. Et c’est ce qui a donne a la revendication d’un parlement ecossais une nouvelle popularite qui depasse tres largement le cadre des sympathisants habituels du SNP. Il s’est trouve par ailleurs que l’appareil du Parti travailliste et ses politiciens avaient en plus des raisons particulieres d’etre tentes par cette perspective. Car, en effet, le pouvoir regional du Parti travailliste en Ecosse dependait essentiellement des positions-cle qu’il occupait dans les municipalites.
Or ce pouvoir se trouvait menace par la politique des gouvernements conservateurs qui s’evertuaient a reduire les fonctions et le role des municipalites afin de mieux controler les depenses de l’Etat. D’ou le changement de politique du Parti travailliste sur la question du parlement ecossais, a contrec ur dans un premier temps, puis de facon de plus en plus ouverte, jusqu’a s’engager aujourd’hui a instaurer un tel parlement des que possible apres son arrivee au pouvoir, avec le pouvoir de prelever et d’administrer un impot supplementaire sur le revenu, a concurrence de 3 % de l’impot existant.
Bien sur, le Parti travailliste a du etre egalement influence par les changements qui se produisaient dans l’opinion publique sur ce plan, dans la petite bourgeoisie d’abord, mais aussi dans son propre electorat. Car d’election en election, tout au long des dix-sept ans de gouvernement conservateur, l’Ecosse n’a cesse de donner une majorite croissante aux travaillistes qui se sont invariablement tailles la part du lion aussi bien dans les municipalites qu’aux elections legislatives, tandis qu’a Londres, rien ne semblait jamais changer puisque les conservateurs restaient fermement au pouvoir.
Ceci a eu pour effet d’exceder l’electorat travailliste, y compris ses couches les plus modestes, et d’accrediter a ses yeux l’idee qu’au moins la mise en place d’un parlement ecossais permettrait d’en finir avec le monopole des conservateurs et d’offrir a l’Ecosse la possibilite d’etre administree differemment. Du coup l’electorat travailliste se sent aujourd’hui souvent au coude a coude avec celui du SNP derriere la revendication d’un parlement ecossais.
Au point d’ailleurs que, profitant du glissement de plus en plus droitier dans le langage tenu par la direction travailliste sur le plan social, les dirigeants du SNP ont lance une veritable operation de recuperation en direction de son electorat, en adoptant un langage plus radical sur le plan revendicatif d’autant plus radical, bien sur, que n’ayant aucune chance de parvenir au pouvoir, ils ne courent aucun risque a faire des promesses. Et les scores realises par le SNP lors des dernieres elections europeennes, ou ils ont atteint 33 % des suffrages exprimes, sembleraient indiquer que cette operation rencontre un certain succes.
LE MIRAGE REGIONALISTE En Irlande du Nord, aussi bien les gouvernements anglais et irlandais que les nationalistes ont souligne maintes fois qu’ils comptaient sur l’Europe pour faciliter la mise en place d’un reglement politique. C’est le calcul que semblent faire les politiciens du SNP, ainsi d’ailleurs que certains politiciens travaillistes ecossais ceux qui se rangent de plus en plus ouvertement dans le camp autonomiste, a la suite des dirigeants syndicaux regionaux du TUC. Apres tout une partie importante des subventions regionales attribuees a l’Ecosse ne vient-elle deja pas du Fonds de developpement europeen ?
Sans doute esperent-ils que l’Europe puisse fournir le cadre d’une autonomie ecossaise qui soit a la fois acceptable pour la bourgeoisie anglaise et suffisante pour leur laisser la place au soleil a laquelle ils aspirent. En tout cas, c’est dans le sens d’un telle perspective que le SNP a inflechi son programme nationaliste depuis plusieurs annees deja. Pour ce qui est de la classe ouvriere ecossaise, une telle perspective, qu’il s’agisse de celle d’un parlement ecossais a court terme, ou celle d’une autonomie dans le cadre de l’Europe a plus long terme, est purement illusoire.
Si, a la suite de la victoire probable des travaillistes aux elections legislatives de 1997, un parlement ecossais voit le jour, sa majorite, quelle qu’elle soit, n’aura pas une politique fondamentalement differente de celle qu’annoncent des aujourd’hui les dirigeants travaillistes de Londres qu’elle soit travailliste (comme c’est probable) ou SNP, elle ne fera rien qui puisse entraver en quoi que ce soit la course aux profits des capitalistes, et donc rien pour permettre aux couches laborieuses de regagner une partie du terrain qu’elles ont perdu au cours des deux dernieres decennies.
Tout au plus les contribuables ecossais, et en particulier les travailleurs, auront-ils le privilege de payer un peu plus d’impots qui ne serviront qu’a satisfaire les ambitions carrieristes d’une couche de « bureaucrates en tartan », voire a subventionner les « entrepreneurs ecossais » tout comme, en son temps, Thatcher a distribue des subventions a la creation d’entreprises sous pretexte de « compenser » les dizaines de milliers d’emplois supprimes dans la siderurgie, les mines et les chantiers navals nationalises.
Tout comme sous Thatcher, ce sont des subventions qui iront directement remplir les poches du patronat (ecossais ou pas, d’ailleurs) sans creer de reels emplois. Quant a la perspective d’une Ecosse autonome dans le cadre de l’Europe, vivant confortablement des royalties procurees par le petrole de la mer du Nord, ce n’est qu’une mauvaise blague.
Sans meme parler du rapport de forces qu’il faudrait creer pour imposer a la bourgeoisie anglaise de renoncer au controle qu’elle exerce sur ces reserves petrolieres, il faut savoir que l’un des attraits du petrole de la mer du Nord pour les grandes compagnies est justement que le gouvernement britannique a depuis longtemps fait le choix non seulement de n’exiger d’elles que des royalties minimes, mais en plus de financer en grande partie leurs travaux de prospection.
De sorte que cette manne petroliere constitue aujourd’hui moins une source de revenus pour l’Etat britannique qu’un moyen d’economiser ses devises, mais surtout un moyen de verser des subventions considerables au secteur prive. Et ce n’est surement pas une Ecosse autonome, avec ses cinq millions d’habitants et son economie devastee, qui serait en mesure d’imposer aux multinationales du petrole de changer les regles d’un jeu si profitable pour elles, d’autant moins d’ailleurs que la nappe petroliere s’etend bien au-dela des eaux territoriales ecossaises, vers le Danemark, la Norvege et le Groenland.
Reste le probleme de la desertification economique engendree par la crise en Ecosse, de la marginalisation par le chomage d’une partie de sa population laborieuse et des conditions de vie qui y sont, pour elle en tout cas, plus dures que dans les regions les plus riches du sud de l’Angleterre. Mais justement, dans ce domaine, il n’y a guere de raccourcis. Si la petite bourgeoisie peut se satisfaire de sinecures et de subventions, le sort de la classe ouvriere, lui, est lie a celui de la production.
L’economie britannique est une entite depuis longtemps indivisible dont les fils sont tires par une bourgeoisie dont le champ d’operation est le marche mondial. Les sieges sociaux des entreprises au travers desquelles cette bourgeoisie opere peuvent bien etre installes a Londres, a Glasgow, ou meme aux Bermudes d’ailleurs, sans que cela change d’un iota sa politique. Et face a cette bourgeoisie, la classe ouvriere ecossaise ne peut pas se permettre de se laisser enfermer dans un mirage regionaliste qui ne pourrait que l’affaiblir en l’isolant du reste de la classe ouvriere britannique.
C’est pourquoi les organisations se placant sur le terrain de la defense des interets de la classe ouvriere se devraient de denoncer ces chimeres regionalistes et les arriere-pensees des politiciens qui s’en font les champions. A l’impasse regionaliste, elles devraient opposer une perspective internationaliste, c’est-a-dire affirmer l’unite d’interets de la classe ouvriere internationale, et en particulier de la classe ouvriere britannique dans son ensemble, contre toutes les divisions que la bourgeoisie anglaise ou ecossaise peut chercher a lui imposer.
Et pourtant c’est loin d’etre le cas. A partir du tournant du Front populaire dans les annees trente, le Parti communiste a toujours ete marque de relents nationalistes en Ecosse, tout comme, a l’echelle de la Grande-Bretagne, sa politique degageait des relents de chauvinisme imperial. Cela pouvait sans doute paraitre contradictoire et periodiquement cela creait d’ailleurs des frictions. Mais la contradiction n’etait qu’apparente, car dans un cas comme dans l’autre les accents nationalistes du PC ne faisaient que refleter sa perspective reformiste.
Et lorsque le PC a fini par eclater a la fin des annees 1980, les courants qui en sont issus en Ecosse ont eu tot fait de se placer avant tout sur le terrain du nationalisme ecossais, allant jusqu’a se confondre pour certains avec la mouvance du SNP. L’extreme gauche, elle, n’a pas l’« excuse », si l’on peut dire, de se revendiquer ouvertement du reformisme. Mais cela n’a pas empeche ses principales organisations d’emboucher la trompette du parlement ecossais, cedant ainsi aux sirenes nationalistes, ou plus exactement aux courants qui vehiculent leurs idees dans les rangs de la gauche travailliste.
Ces organisations ne manquent pas, bien entendu, d’invoquer un pretendu « droit des nations a disposer d’elles-memes », dont la lettre est sans doute tiree de Lenine, mais dont elles defigurent ainsi l’esprit au point de le rendre meconnaissable. Certaines vont meme jusqu’a vouloir voir dans le regain d’influence des idees nationalistes l’expression d’une radicalisation qui n’existerait qu’en Ecosse, sans s’expliquer ni sur la nature sociale de cette pretendue « radicalisation » ni sur les limites d’une « radicalisation » qui ne s’exprime ni dans la rue ni dans les luttes sociales, mais seulement dans les bureaux de vote !
Tout cela n’est qu’un bien piteux paravent pour un opportunisme honteux et… bien banal, mais qui n’en revient pas moins pour ces organisations a tourner le dos a leurs responsabilites politiques vis-a-vis de la classe ouvriere, en particulier ecossaise, et a la perspective revolutionnaire, c’est-a-dire a leur propre programme.