Madame Bovary, Chap VIII, partie 3 : « La mort d’Emma » En 1857, Flaubert entreprend l’ecriture de Madame Bovary, roman de m urs sur la societe normande du XIX eme siecle. Elle s’averera longue et difficile puisque Flaubert, a qui on a reproche trop de lyrisme dans son uvre precedente La Tentation de Saint Antoine, tente d’aller contre ses elans romantiques pour depeindre cette societe de maniere realiste. L’extrait etudie, qui decrit la mort d’Emma Bovary, en est un concentre. En quoi cette scene s’oppose t elle au Romantisme ?
L’opposition ressort dans un premier temps de la mort elle-meme puis d’Emma. En premier lieu, la description, par sa dimension a la fois realiste, religieuse et theatrale met en exergue l’opposition de cette scene avec le Romantisme. Tout d’abord, c’est par son aspect realiste et concret que la mort est anti-romantique. Flaubert, fils de medecin, decrit l’agonie de facon presque medicale. Il detaille les differents membres de son anatomie : « langue… bouche… yeux… cotes ». Il compare ses yeux a des « globes de lampe qui s’eteignent ».
De meme, l’auteur utilise d’autres comparaisons pour montrer le piteux etat dans lequel Emma se trouve « elle allongea le cou comme quelqu’un qui a soif… comme quelqu’un qui se reveille d’un
Enfin, la negation « ne put fermer les doigts » temoigne de la force physique d’Emma qui diminue de plus en plus au fur et a mesure que se rapproche l’heure de sa mort. De plus, cette scene mortuaire degage egalement une dimension religieuse. Tout au long de l’extrait le lexique religieux est omni present : « pretre… crucifix… Misereatur et Undulgentiam… Jesus-Christ… misericorde divine… exhortations… cierge benit… ». En effet, par le bais du pretre, dsigne par les periphrases « l’Homme Dieu » et « l’ecclesiastique », la religion entoure Emma lors de ses derniers souffles.
Ce dernier tente d’accompagner Emma dans la mort en lui donnant des conseils spirituels comme le montre le complement circonstanciel de but : « pour lui dire qu’elle devait a present joindre ses souffrances a celles de Jesus Christ et s’abandonner a la misericorde divine ». En cela le pretre d’apaiser l’esprit d’Emma pour qu’elle entre dans l’infini sereine. La comparaison « comme si le sacrement l’eut gueri » montre ce souhait. Enfin, s’ajoute une dimension theatrale. C’est principalement l’exageration qui est au service de l’aspect theatral de la scene.
La metaphore hyperbolique « secouees par un souffle furieux », tout comme la comparaison « comme si l’ame eut fait des bonds pour se detacher », vont dans le sens de l’exageration. Cette scene, tout comme au theatre parait sur jouee. De plus, Flaubert peint une sorte de tableau familial mediocre en montrant Charles aux cotes de son epouse par le verbe a l’imparfait a valeur descriptive « Charles etait de l’autre cote ». On voit le soutien desespere que tente d’apporter Charles a Emma grace a sa gestuelle « Il avait pris ses mains et il les serrait, tressaillant a chaque battement de son c ur ».
Ce pathetique portrait familial est meme accompagne d’une dimension auditive : « A mesure que le rale devenait plus fort, l’ecclesiastique precipitait ses oraisons ; elles se melaient aux sanglots etouffes de Bovary, et quelquefois tout semblait disparaitre dans le sourd murmure des syllabes latines, qui tintaient comme un glas de cloche ». Cette longue phrase ponctuee imite, par ses propositions enchassees, les bruits de la scene se melant entre eux. La comparaison finale evoque une cloche, qui pourrait etre la cloche qui retentira pour annoncer les funerailles d’Emma.
Ainsi la mort de l’heroine devient de plus en de plus eminente. Apres avoir decrit la mort dans son aspect realiste, religieux et theatral, Flaubert choisit maintenant Emma pour aller a l’encontre du mouvement romantqiue. Il la montre comme une heroine au passe tourmente, qui, apres avoir reve sa vie, va reellement vivre sa mort. En effet, cet extrait fait plusieurs allusions au passe tourmente de la jeune femme, qui n’a pas toujours ete un exemple de vertu. Par un passe simple, Charles l’evoque « Et Charles se rappela un jour ou, ainsi pres de mourir, elle avait recu la communion.
Ce dernier fait reference au moment durant lequel la depression profonde d’Emma avait failli causer sa mort. Mais c’est surtout dans le passage du debut de l’extrait qui rappelle les frasques d’Emma dans sa vie anterieure. De nombreux connecteurs logiques structurent cette evocation : « d’abord… puis… puis… puis… enfin ». Flaubert prend pour pretexte differents elemens du corps en adoptant une vision descendante d’Emma pour les relier a son passe : « sur les yeux… sur les narines… sur la bouche… sur les mains… sur la plante des pieds… ».
En effet, Flaubert finit par les pieds, comme il l’avait fait dans la descrpition de Charles dans l’incipit, ce qui rappelle encore une fois la chute eminent qui pourrait etre liee avec le passe qu’il evoque. C’est par de nombreux substantifs ou adjectifs que le romancier fait allusion aux actions d’Emma « friandes de brises tiedes et de senteurs amoureuses… le mensonge… Orgueil… Luxure… contacts suaves… assouvissance des desirs ». La passion incontrolable d’Emma, sa soif d’aventures est ici decrite et peut etre mises en relation avec sa chute. Enfin, la chanson de l’aveugle est une reference teintee d’ironie au passe d’Emma.
Les premiers vers « Souvent la chaleur d’un beau jour/ Fait rever fillette a l’amour » renvoient certainement a l’education au couvent qu’a recu Emma, ou ses lectures l’ont beaucoup influence et l’ont rempli d’illusions quant a l’amour. Enfin, apres avoir tant reve sa vie, Emma est amenee a pleinement vivre sa mort. En effet, le texte met en relief la souffrance et le desespoir ressentis par Emma lors de ses derniers moments sur terre. La structure meme du texte rappelle la chute. Elle commence par la chute du cierge qu’Emma laisse tomber, comme le montre le conditionnel « et le cierge, sans M.
Bournisien serait tombe a terre. ». Le declin de la jeune femme est egalement suggere par les positions des personnes qui l’entourent : tous sont attires par le bas : « Felicite s’agenouilla… le pharmacien lui-meme flechit un peu les jarrets… Bournisien s’etait remis en priere, la figure inclinee… Charles etait de l’autre cote, a genoux ». De meme, la thematique de la chute est rappelee par la comparaison « comme au contrecoup des ruines qui tombent », ou les mouvements d’Emma sont reduits a etres de simples ruines croulantes.
De plus, la souffrance aussi bien mentale que physique subie par Emma est suggeree par l’antithese entre « lentement » et « rapidement ». L’etat de la jeune femme change continuellement. Elle ne sait plus ou elle en est et commence a perdre ses esprits. Le passe simple « Et Emma se mit a rire », suivi d’une accumulation « d’un rire atroce, frenetique, desespere » prouvent de meme qu’Emma n’a plus toute sa tete puisqu’elle est en proie a des reactions incoherentes.
De plus, la derniere parle de la chanson « Il souffla bien fort ce jour la, Et le jupon s’envola. » indique un mouvement vers le haut. Mais Flaubert fait suivre une phrase au passe simple « Une convulsion la rabattit sur le matelas » qui rabaisse une ultime fois le desir d’Emma de fuir sa realite. Enfin, c’est le rythme ternaire decroissant de la derniere phrase de l’extrait « Une convulsion la rabattit sur le matelas. Tous s’approcherent. Elle n’existait plus. », qui avec la negation achevent la chute atroce de l’heroine.