Michel Tozzi, professeur émérite en sciences de l’éducation ? l’Université Montpellier 3, didacticien de la philosophie Pour animer en classe une discussion à visée philosophique, on part généralement d’une questlon forte posée par les enfants et les adolescents en classe. IJne question, car celle-ci met individuellement et collectivement en posture de recherche pour y répondre, amène plusieurs solutions possibles, et suscite donc l’échange. ne question qui émane des intéressés eux-mêmes, ce qui résoud le problème de la motivation, car on a envie de chercher et de trouver une réponse à une question dès lors qu’on e la pose personnell Pour des enfants jeu spontanément, ou d questions » ; lorsqu’il en classe terminale d or 19 Sni* to View nextÇEge nt être recueillies ans une « boite ? sophique, comme re formulées à partir de notions du programme.
Elles peuvent surgir naturellement d’événements quotidiens, d’une situation qui pose un problème de fond, personnel (ex : l’amitié ou l’amour) ou collectif (une bagarre), de classe ou d’école, existentiel (un décès) ou de société (un fait divers)… Elles peuvent aussi surgir, de façon plus didactique, c’est-à-dire organisée pour un apprentissage réflexif, ? artir de supports choisis par le maitre : un album de jeunesse
Nous voudrions ici insister sur l’intérêt spécifique du mythe pour Swipe to vlew next page pour faire réfléchir les enfants. Le mutos et le logos, du mythe à la raison.. Pourquoi partir de mythes dira-t-on pour faire réfléchir philosophiquement des élèves ? La proposition peut paraitre provocante. Le mythe n’est-il pas, dans une perspective scientiste, pré-rationnel, de rordre d’une pensée prélogique, magique, eligieuse, préscientifique ; ou irrationnel, s’originant dans un inconscient collectif dirait Young, puisant dans l’imaginaire, alors qu’il s’agit pour les élèves d’exercer leur raison ?
La thèse la plus communément partagée n’est-elle pas que la philosophie occidentale nait précisément du passage grec du mutos au logos, au 6ième siècle av. J. -C. , lorsque Xénophane commence à critiquer le comportement répréhensible de Dieux bien trop humains, et quand Ouranos, Chronos, Zeus, laissent place chez les présocratiques à l’air, la terre, l’eau ou le feu comme élément primordial de l’univers ? Le logos comme raison ne nait- l donc pas de la critique du mythe, comme passage d’histoires imaginaires à une connaissance rationnelle du monde sous la forme scientifique ou philosophique de la rationalité ?
L’intérêt respectif du mutos et du logos est pourtant un vieux débat philosophique. Le mythe arrive-t-il à dire, en authentique langage, par sa puissance poétique de suggestion, sa suprarationalité, des choses que le logos, la raison, à cause de ses limites, de sa rigidité enfermante, ne peut formaliser ou comprendre (c’est la version des romantiques) ? Ou le logos est- il, par sa rationalité précisément, un dépassement du mythe, un rogrès de Ihumanité dans la connaissance ?
On voit bien cette ambiguité, je du mythe, un progrès de l’humanité dans la connaissance ? On voit bien cette ambiguïté, je dirai cette complexité chez Platon, qui d’un côté puise dans le mythe orphique, mobilise des mythes ou en crée lui-même, et de l’autre développe une maïeutique rationnelle serrée de définitions conceptuelles avec Socrate (« Qu’est-ce que le courage – ou la vertu ? et condamne la métaphore poétique comme mensonge à bannir de la Cité…
Ou chez Freud qui veut faire œuvre scientifique, mais a besoin ‘inventer le mythe moderne de la horde primitive pour rendre compte de l’infrarationalité de l’inconscient, qui a sa logique propre, étrangère précisément à celle du logos… Des philosophes du concept laissent ouverte la porte du mythe : pour des raisons pratiques, Kant maintient le mythe aux confins d’une « religion dans les limites d’une simple raison ». Et Hegel voit dans son type de représentation une manifestation spéculative de rabsolu de « Esprit, dépassée certes dans la dynamique de sa dialectique par le concept, mais conservée.
Le mythe fait indéniablement penser. Il est un tremplin pour la ensée, par son pouvoir de connotation, par la polyphonie de ses significations potentielles, la puissance de ses associations d’idées. Mais pense-t-il, ou n’y a-t-il que le concept qui pense vraiment ? Cest un débat philosophique, car il y a des philosophes du concept, qui ne font confiance qu’à la raison (ex : l’entendement et ses idées claires et distinctes chez Descartes, l’idée adéquate chez Spinoza, l’architectonique de la raison chez Kant, l’esprit chez Hegel… , et des philosophes ouverts à la métaphore du mythe (certains présocr Kant, l’Esprit chez Hegel… ) et des philosophes ouverts à la étaphore du mythe (certains présocratiques, Plotin, Nietzsche, Bergson… ). par opposition au mythe, le logos philosophique est comme dit Deleuze une « pensée par concept Le concept est une production du logos, comme le jugement ou le raisonnement.
Ses avantages, ce sont : – d’une part, à travers le langage, puisqu’on ne peut penser sans langage, son pouvoir de généralisation et d’abstraction, qui lui assure une large extension : le concept d’homme s’applique à tous les hommes passés, présents ou futurs, réels ou Imaginaires ; – d’autre part son pouvoir clarlficateur de définition par ‘énonciation de ses attributs, qui circonscrit et délimite, donc précise le contenu sémantique d’une notion, et permet de la comprendre (ex : « L’homme est un animal politique ce qui entraîne de la rigueur dans l’usage du langage (on commence à penser quand on commence à savoir exactement de quoi on parle) ; – enfin son pouvoir opératoire de compréhension rationnelle du réel : je comprends mieux ce qu’est un homme par rapport à un anmal quand je dis par exemple qu’il est loquans, c’est-à-dire parlant, et surtout cogitans, c’est-à-dire pensant. L’avantage du concept est sa rigueur, sa clarté explicative. Ses limites ?
L’aspect abstrait, froid et aride, qui l’éloigne du monde divers et coloré : le concept, comme le mot, n’est pas, ne veut ni peut être la chose ; sa recherche de l’univocité qui le rend clôturant ; sa façon de construire un système, qui en fait une totalité refermée sur elle-même. La métaphore à Fopposé est relationnelle, buissonnante, polysémique, imagina refermée sur elle-même. La métaphore à l’opposé est relationnelle, buissonnante, polysémique, imaginative, proliférante, mais elle appelle une herméneutique, une exégèse, car elle est Incertaine, elle a des contours flous. Mais faut-il jouer le concept contre la métaphore, ou vice-versa ?
L’intérêt de la reprise conceptuelle d’un mythe Par rapport à ceux qui privilégient respectivement la puissance poétique du mutos, au la puissance explicative rationnelle du logos, je développerai l’idée que chacun opère dans un champ propre. L’humanité a inventé au cours de son histoire de grandes formes culturelles pour répondre à la question du sens : la religion, l’art, la philosophie, la science… Chacune opère dans des registres distincts de vérité, qui ne sont pas forcément contradictoires. Le mythe de la Genèse cesse d’être un oncurrent de la science s’il n’est pas ou plus pris au sens littéral, fondamentaliste, mais considéré comme un texte symbolique susceptible d’interprétations. Le logos peut de ce point de vue permettre une interprétation rationnelle du mutos, une explicitation conceptuelle de ce qu’il dit métaphoriquement.
C’est cette troisième piste que nous privilégions, sans trancher si le logos dit avec continuité mais autrement la même chose que le mythe, ou s’il fait rupture en disant autre chose… Pour nous, amener des enfants ou adolescents à réfléchir à partir du mythe, c’est leur faire symboliquement et pédagogiquement eparcourir le cheminement grec qui mène du mutos au logos, d’un narratif sacré transcendant à une raison philosophique immanente. Une reprise conceptuelle du mythe par une discussion à visée PAGF s OF lg raison philosophique immanente. philosophique permet en effet de puiser dans sa polysémie de quoi alimenter féchange sur son interprétation ratlonnelle, et de se poser philosophiquement les questions de la condition humaine qu’il traite à sa façon (7).
C’est un jeu gagnant- gagnant, car on s’imprègne du pouvoir métaphorique de sa compréhension du monde, qui vaut en soi son pesant de rofondeur, pour le traduire dans une autre langue, celle de la raison interprétative, qui en explicite rationnement le sens, mais ne referme pas cette richesse dès lors qu’elle est dialogue, « conflit des interprétations » (P. Ricoeur). C’est pourquoi le mythe est formateur dans son accompagnement par une discussion à visée philosophique. Car 1) [‘on recueille ainsi par son intermédiaire la richesse connotative de l’image , 2) mais l’on essaye aussi de concentrer cette dispersion potentielle en un message plus explicite ; 3) tout en évitant cependant la clôture et la froideur du concept ride et réducteur par la pluralité des interprétations et le dialogisme de la discussion autour des questions fondamentales qu’il pose, en tentant d’y répondre.
Nous adhérons aux analyses de Bettelheim qui voient dans le conte de fée (c’est le même processus pour le mythe) une opportunité pour l’enfant de faire travailler inconsciemment, de façon projective, ses conflits intrapsychiques (8). Il pense aussi que la lecture de ces contes à des enfants se suffit en elle-même pour que ce travail se fasse. Nous pensons pour notre part qu’une réflexion plus organisée à partir des mythes permet en plu asse. Nous pensons pour notre part qu’une réflexion plus organisée à partir des mythes permet en plus un autre type de travail, apporte une dimension supplémentaire et complémentaire : l’exercice de la raison sur le récit, l’allégorie, l’image, la métaphore ; une raison partagée créatrice d’interprétations, qui se déroule à un niveau cette fois conscient, et de plus réflexif.
Nous rejoignons ici les travaux de Serge Boimare qui préfère pédagogiquement le mythe à des supports plus légers (comme la bande dessinée), à cause de sa portée anthropologique, qui accroche existentiellement les dolescents (en particulier les élèves en échec dont le rapport ? l’école et plus globalement au monde est problématique, qui ont « envie de savoir et peur d’apprendre Ce n’est pas donc pas tant la lecture structurale du mythe comme discours qui va nous intéresser ici, comme « mytho-logique » : système organisé de signes selon des lois, combinatoire à l’intérieur de la sémiotique d’un ensemble d’éléments circonscrits et repérables, les « mythèmes » (Cf. l’immense travail d’anthropologie structurale de Lévi Strauss).
Ce qui nous éclaire plutôt dans notre perspective de didactique de l’apprentissage u philosopher, et non d’anthropologie, d’ethnologie ou de linguistique (avec ses théories du discours), c’est, dans le mythe, la mobilisation du récit et de la métaphore, dans ses dimensions imaginaire et symbolique, ce qui concerne plutôt l’aspect sémantique de son discours (une vieille étymologie de mutos est « parole ce qu’il nous dit, le dit de son dire, ce qu’il cherche ? nous dire à sa façon propre, ce qui relève de so dit, le dit de son dire, ce qu’il cherche à nous dire à sa façon propre, ce qui relève de son rapport au sens et à la vérité, champs qui concernent particulièrement l’approche philosophique. Ce discours tenu, il ne le fait pas de façon conceptuelle, avec la notion moderne, scientifique de « cause Y. Lévi-Bruh parlait d’une pensée prélogique, magique, avec sa causalité anthropomorphique. Il raconte une histoire « sacrée en ce quelle touche aux choses essentielles, aux sources du cosmos, de la terre, de la vie, de l’homme, de l’impossible et de l’interdit, de la naissance et de la mort, de l’amour… Il raconte une histoire, il procède par une narrativité.
Il fait donc appel à l’imaginaire Mals il y a une spécificité du mythe par rapport à d’autres textes narratifs. La frontière n’est certes pas facile à tracer, et G. Dumézil avouait avoir passé sa vie à distinguer un mythe d’un conte.. Mais on peut dire que la légende garde trace d’une historicité, en l’enjolivant ensuite. Le conte est fictionnel, c’est une histoire merveilleuse, même quand il y a des moments de peur, il ne veut pas explicitement montrer. La fable au contraire est didactique, il y va d’une morale. Le mythe est d’emblée saturé de sens humain, par sa référence aux Dieux. Son imaginaire est fortement articulé sur du symbollque.
Sa spécificité, c’est de nous parler historico-ontologiquement de ‘origine, il métaphorise le commencement, le temps d’avant le temps, mais aussi celui du rapport à notre temps, de toutes ses chutes et rechutes, c’est-à-dire aussi de ses recommencements. C’est un discours qui peut être, comme tout discours, décodé par la lingu recommencements. C’est un discours qui peut être, comme tout discours, décodé par la linguistique, mais qui ne prend sens et qui n’a de valeur épistémique qu’en référence à du « réel » naturel et social. Il dlt quelque chose à quelqu’un sur quelque chose. Il se veut « explicatif il tente de rendre « raison » de (la aissance de l’univers, de la société, des problèmes humains… )- Il a une fonction instauratrice (Micea Eliade), en articulant le temps historique sur un temps primordial.
Il engendre du rite et du sacré, affect mélangé d’amour et de crainte. Parce que le « réel » est voilé, opaque, mystérieux, quelque part inconnaissable, dans ses dimensions suprarationnelle (renvoyant à du « spirituel ») ou infrarationnelle (renvoyant à l’inconscient), le mythe esquisse une intelligibilité de ce monde secret, sans pour autant le rendre totalement transparent (ce que tentera le logos). Il est en ce sens pédagogique, comme un maitre délivre un message, transmet un secret de fabrication (les more info mythes furent historiquement en Grèce d’abord des récits sacrés se transmettant ésotériquement dans certaines lignées).
II est à la fois ésotérique, par les limites rationnelles de la métaphore, qu’on ne peut toujours filer que jusqu’à un certain point au-delà duquel elle égare et même aveugle (alors que le logos se veut clarté et universalité, base intellectuelle de la démocratie) ; et partageable, parce qu’il puise dans une tradition collective, orale, populaire t non lettrée, et fait appel à la sensibilité et à l’imagination de chacun. C’est par cet enracinement sensible et imaginatif sous forme de récit qu’il va résonner PAGF lg de chacun. C’est par cet enracinement sensible et imaginatif sous forme de récit qu’il va résonner chez renfant, en tant que petit d’homme.
L’enfance est l’âge du pourquoi, de la soif de comprendre une situation que le né-au-monde n’a pas choisie, où il a été jeté à, et qui pose le sens de cet événement mystérieux, tragique par son premier cri de détresse, et qui finira dans un dernier soupir. Le mythe est en phase avec cette interrogation existentielle rimordiale, parce qu’il esquisse un type d’éclairage sur cette question béante que les hommes ont historiquement forgé bien avant la raison. Cest ainsi parce qu’il résonne qu’il peut être le terreau du raisonnement, qui argumente une réponse à un questlonnement originalre. Exemples de démarche 1) L’explicitation rationnelle du sens implicite du mythe Illustrons notre propos.
Nous travaillons aussi bien sur le mythe avec des enfants, des adolescents, des adultes – professeurs d’école en formation, participants au café philo ou à notre atelier philo de Pl_lniversité populaire de Narbonne. Preuve que d’un certaine façon, le mythe n’a pas d’âge : il traverse la grande histoire des hommes, et la petite histoire de notre vie, parce qu’il raconte une histoire (ce que nous aimons – enfants ou adultes), plus accessible par sa narrativité qu’une approche directement conceptuelle. Nous utilisons beaucoup les mythes platoniciens, parce qu’ils puisent dans l’inspiration à la fois de la mythologie et de la philosophie grecques, mettent en interaction étroite le mutos et le logos, dans son émergence et sa tradition philosophique, comportent une forte dimension culturelle (essenti