Introduction : Il s’agit ici d’un passage de Pierre et Jean, extrait du chapitre 4. La scene se deroule en exterieur dans le port du Havre. Pierre, un jeune medecin celibataire, vient de decouvrir que Marechal, un ancien ami de la famille vient de leguer tout son patrimoine a son frere Jean. Marowsko, immigre polonais et ami de Pierre, qui l’a interroge sur cet heritage problematique, un peu plus haut dans le meme chapitre, est venu renforce ses doutes quant au passe de sa mere – Mme Roland – et a l’eventualite d’avoir entretenu avec le Marechal des relations adulteres.
Dans ce passage, Pierre est en proie a une reflexion douloureuse qui vient fouetter son amour propre. On observe ici tout le travail d’introspection que Maupassant fait subir a son personnage. La perturbation psychologique que vit Pierre dans cet extrait, le monologue interieur qu’il livre a lui-meme et l’appel du large et de l’ailleurs dans ce lieu qu’est le port tels seront les fils conducteurs de notre etude. Composition du texte Le texte est compose de 7 paragraphes structure par 3 mouvements Elle l’avait aime a son fils, a leur fils (l. ) : Pierre est envahit par le doute qui est
I- Perturbation psychologique : La tension psychologique interieure qui agite Pierre se manifeste des le premier paragraphe et se prolonge dans les deux paragraphes suivants. Cette tension s’exprime notamment avec le discours indirect libre present dans ces paragraphes : Elle l’avait aime. pourquoi pas ? (l. 1). ; S’etait-elle donnee ? (l. 6). L’emploi du discours indirect libre ici souligne les perturbations auxquelles est en proie le personnage et permet de mieux restituer le drame interieur de Pierre.
Maupassant accentue le travail d’introspection en appliquant ses donnees au caractere introverti de Pierre. Car en effet Pierre se tourne vers son moi s’interroge et se pose des questions qui n’en sont pas en fait car il en connait deja les reponses mais ne veut pas se resigner a les admettre : Fallait-il etre aveugle stupide au point de rejeter. ? (l. 2) S’etait-elle donnee ? (l. 6). Mais la verite redoutee peut difficilement etre mise sur le compte du delire, et Pierre qui, plus haut dans le chapitre, ayant revecu son enfance entalement, a imagine la jeunesse de sa mere sous un nouveau jour. C’est cette fatalite, ce caractere certain qui enrage Pierre. Il prend finalement conscience de la realite qui revele par la repetition obsessionnelle du confirmatif mais oui ainsi que l’anaphore en puisque qui institue la chose comme etant une evidence. On observe ainsi une dramatisation de la tension prenant appui sur la prise de conscience qui evolue en se clarifiant (dans le second paragraphe) et mene a la pulsion meurtriere de Pierre. II- Le monologue interieur :
On remarque clairement dans ce passage – et c’est ce qui est le plus suggestif – que Pierre se livre un monologue interieur qui depeint par ailleurs son delire mental. Ainsi, la premiere ligne du passage se caracterise par l’alternance de phrases courtes affirmative, puis interrogative et enfin exclamative qui traduisent le trouble de Pierre et son delire. De plus, les points de suspension qui jonchent le debut du texte viennent confirmer cette idee de delire et de divagation. Il faut cependant noter qu’il s’agit malgre les apparences d’un delire structure qui evolue avec un raisonnement logique.
Ainsi ceci est mis en evidence par les raisonnements deductifs apparus dans le premier mouvement : parce que ; anaphore en puisque qui indiquent que malgre son desordre mental Pierre parvient tout de meme a garder un minimum de lucidite. On peut egalement se referer dans la meme logique, a l’evocation par Pierre d’elements anterieurs qui indiquent le recoure a la memoire et la raison qui prouve que Pierre garde un minimum de logique et de clairvoyance : cet homme n’avait pas d’autre amie ; il etait reste fidele a la femme eloigne et vieillie ; il avait laisse toute sa fortune a son fils , a leur fils !
Cette derniere phrase marque la reelle prise de conscience de Pierre et sa certitude. Ce delire aboutit a la violence qui mene a une pulsion de meurtre. On peut ainsi relever le champ lexical de la violence : fureur, tuer, frapper, meurtrir, broyer, etrangler qui evolue en crescendo. On remarque aussi que cette violence ne vise personne en particulier mais a pour objet son entourage familial et le Marechal qui se trouve au cour de la haine de Pierre. Mais cette violence est stoppe net par la replique de la sirene. Pierre est tire de son combat moral interieur.
III- L’appel du large et de l’ailleurs : Apres la tempete, l’accalmie revient. En effet Pierre est violemment arrache a son introspection par une rude commotion qui le ramene au reel et aneanti sa vigueur et sa vehemence meurtriere. On observe que l’auteur evoque des a present l’appel de l’ailleurs. Ainsi, Maupassant utilise un ecriture metaphorique qui rappelle indirectement la voix des sirenes a laquelle Ulysse resista au cours de Son Odyssee : le cri strident de la sirene (l. 17). Mais Pierre lui cedera finalement a la tentation du depart. Par ailleurs, on remarque que la synecdoque du bateau (l. 6 : oil rouge) qui entre dans le port semble peindre l’oil peut-etre rempli de larmes de Pierre lui-meme, d’ou sa rougeur. On remarque par ailleurs le champ lexical portuaire : tourelle ; mat de signaux ; sirene ; parapet de granit ; vapeur ; maree ; jetees ; veilleur ; capitaine. Ce champ lexical suggere la fuite et l’exil prochain de Pierre. Les questions particulierement breves de l’echange entre le veilleur et le capitaine participent au deroulement presque tragique de la tension du recit. Enfin , l’interet de ce dialogue est peut-etre d’anticiper la fin, l’idee du depart de Pierre… Conclusion :
Ainsi, dans cet extrait, Maupassant restitue magnifiquement les mouvements psychologiques interieurs, tumultueux et agites, qui secouent le personnage introverti de Pierre. Ce meme qui dans un monologue interieur revele son trouble et son desordre interieur, un delire qui aboutit meme a un desir de meurtre. Mais, violemment sorti de sa reverie, on comprend la subtile evocation par l’auteur d’un eventuel depart de Pierre et l’appel d’un ailleurs. Mais le trouble et le dechirement interieur de Pierre s’arretera-t-il pourtant ici n’affectera-t-il pas ses proches s’il ne peut pas le garder pour lui seul ?