Madam bovary

Madam bovary

Universite Azad islamique de Teheran Branche centrale Facultulte des lettres et des langues etrangeres Les regards dans Madame Bovary De Gustave Flaubert Sous la direction de Madame le docteur Fariba ACHRAFI Prepare par Anahita Ravanbakhsh fevrier 2011 Les regards dans Madame Bovary Contrairement au principe flaubertien de ne pas exprimer son opinion dans ses romans, le narrateur de Madame Bovary emet frequemment des regards evaluatifs sur les actes de ses personnages. Cela nous laisse deja supposer un rapport fort embrouille entre l’evaluation du narrateur et la signification du texte. Nous tenterons donc d’eclaircir ces relations complexes.

Dans ce roman dont le sous-titre est « Moeurs de province », le narrateur ne cesse d’emettre un jugement evaluatif sur le rapport des personnages avec l’outil, autrement dit, sur la performance technique des personnages. Cela nous invite a reflechir sur l’evaluation de leur technicite. 1. Regard ambivalente de la technicite A Yonville, c’est incontestablement le pharmacien qui entretient le meilleur rapport avec les objets. Homais est evalue positivement pour son savoir-faire en matiere de production alimentaire. Le narrateur signale ses performances dans la fabrication de « quantite de confitures, vinaigres et liqueurs douces ».

Le verbe typique — « excellait » – qui qualifie l’habilete technique

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decoit discretement « l’horizon d’attente » du lecteur dans la mesure ou il ne s’agit pas de qualite, mais de quantite. Est-ce la competence de pouvoir confectionner une grande quantite de produits alimentaires dont il s’agit ? De meme, Binet excelle dans la manipulation des outils :«Fort a tous les jeux de cartes, bon chasseur et possedant une belle ecriture ». Il manipule excellemment les cartes, le fusil, le stylo et les cruchon». Ancien militaire devenu percepteur, il a la pretention d’etre un artiste : il a « la jalousie d’un artiste et l’egoisme d’un bourgeois ».

N’annonce-t-il pas deja les deux copistes flaubertiens (Bouvard et Pecuchet), curieux melange entre le bourgeois et l’artiste ? Le texte propose ainsi deux regars de la competence technique autour d’objets de la vie quotidienne et bourgeoise a la campagne. Les deux personnages sont caracterises par leur capacite technique. Si le portrait et l’evaluation se confondent,cela ne revele-t-il pas la portee de la force evaluative en tant qu’element constituant du roman ? Il n’en reste pas moins que cette evaluation semble demeurer provisoire, partielle et superficielle par rapport a la signification d’ensemble du texte.

Au-dela de la surevaluation explicite, n’y a-t-il pas une autre evaluation implicite ? En effet, le fait que le pharmacien est evalue positivement pour sa dexterite n’est pas globalement positif, d’autant plus que les dominos, la confiture, le vinaigre et la liqueur organisent un reseau d’objets insignifiants et provinciaux, du moins pour l’heroine du roman. Il en va de meme pour le percepteur. Bien que l’objet de sa technicite soit legerement moins terre-aterre que celui de Homais, Binet n’est evalue positivement que pour son savoir-faire de bourgeois provincial.

Tout cela renforce le climat d’ambivalence dans le domaine de l’evaluation du narrateur. 2. La technicite comme force organisatrice de la societe Plutot que d’etre un signe positif ou negatif, la dexterite ne represente-t-elle pas une appartenance totale a la societe bourgeoise qui se caracterise regard par la competence technique ? Du fait qu’« un travail est toujours un programme, la seriation ordonnancee d’une serie d’actes qui s’impliquent mutuellement»,non seulement accepter un travail mais aussi exceller dans une activite technique presupposent, du moins, une valorisation de ce travail.

Si la dexterite est etroitement liee avec l’engagement par rapport a une valeur sociale, elle fait surgir un autre aspect essentiel de la technicite. Ancree dans le systeme social, cette derniere constitue le fondement meme de l’organisation sociale dans la mesure ou, a travers sa transmission, la survie d’une forme sociale est en jeu. Reconnaitre la dexterite et la legitimite technique n’assure-t-il pas la perennite d’une societe ? Dans ce contexte, il est hautement symbolique qu’Emma demande,fut-ce par caprice, un onseil technique a sa belle-mere:Emma se montra plus docile, et meme poussa la deference jusqu’a lui demander une recette pour faire mariner des cornichons. Le narrateur explicite le rapport entre le respect et la technicite. Du point de vue de l’organisation de l’espace social, l’absence de noyau religieux,moral, economique et technique de Yonville en fait un espace social non polarise et favorise une concurrence ; d’ou l’importance de la technicite. A travers cette derniere, la legitimite est en jeu dans un espace ou elle fait defaut. 3. Ambiguite de l’origine de la voix narrative

Apres cette constatation, il nous reste a examiner, a travers l’examen de l’origine de la voix evaluative, ce que signifie l’espace social ainsi oriente. Dans la deuxieme partie du roman, la mauvaise performance agricole de Yonville par rapport aux localites voisines est d’emblee enoncee par le narrateur qui presente ce bourg en ces termes : C’est la que l’on fait les pires fromages de Neufchatel de tout l’arrondissement. Cette evaluation de la performance technique depasse le cadre des personnages : le « faire technologique » concerne tout Yonville.

On peut de prime abord se demander quel est le rapport entre l’histoire des Bovary et la qualite du fromage ? Le narrateur se moque-t-il du lecteur? S’agit-il d’annoncer l’etouffement de l’esprit romantique au sein de la societe agricole ? Avec la confiture de Homais et les « cruchons » de Binet, le fromage represente en effet a la fois un element essentiel dans la vie bourgeoise provinciale et un element inessentiel dans l’espace romanesque aimante par la vision d’Emma. Le narrateur annonce l’impossible rehabilitation du village par le climat. Des lors, ce climat morose ne condamne-t-il pas d’avance toutes les tentatives de Madame Bovary ?

Comme le signale Privat sur Yonville, « Flaubert savait aussi que dans cette monographie inaugurale allait s’inscrire le destin de Mme Bovar ». En soulignant l’immobilisme de Yonville, le narrateur relegue ce bourg au dernier rang dans la contree. Il explique en detail la raison de cette mauvaise performance agricole. Il est patent que le jugement du narrateur se focalise sur les Yonvillais ; les habitants ne profitent meme pas des possibilites accordees pour ameliorer la situation agricole ; cette derniere reste « stationnaire ». Et cela parce que les Yonvillais sont tetus, ignorants, incultes et « paresseux ».

Le dernier qualificatif revele clairement le point de vue du narrateur. Reflexions sur les regards de la technicite dans Madame Bovary l’evaluation concerne ici la qualite ; les Yonvillais ne profitent pas du produit issu du paturage. Ainsi, la negativite touche la performance technique des paysans ; la depreciation de Yonville passe par l’evocation de la mauvaise qualite de fromages qui necessitent un savoir-faire. Le narrateur annonce l’impossible rehabilitation du village par le climat. Des lors, ce climat morose ne condamne-t-il pas d’avance toutes les tentatives de Madame Bovary ? . Du discours social aux idees recues A force d’etre repete socialement, le discours officiel se transforme en poncifs. Comme en temoigne Le dictionnaire des idees recues, le discours proposant la promotion de l’agriculture reprend les idees recues de l’epoque : Reflexions sur les regards de la technicite dans Madame Bovary AGRICULTURE : Une des mamelles de l’Etat. Manque de bras. On devrait l’encourager. L’analogie entre le discours officiel et le discours stereotype est ici frappante. L’espace social du roman est ainsi incessamment contamine par le discours public.

Le narrateur raille-t-il les idees recues et les discours officiels ou alors se contente-t-il de les rapporter ? Ce rapprochement du texte romanesque avec les ideologies de l’epoque fait d’ailleurs partie d’une strategie textuelle qui joue de la derision tout en conservant l’objectivite du narrateur. L’enjeu de l’ecriture flaubertienne reside dans l’ephemere equilibre entre le « grotesque » et le « raisonnable », entre la mise en cause de l’opinion publique et sa consolidation. Flaubert se moque du discours du bourgeois tout en en reprenant mot a mot le vocabulaire et les formules, celles de la betise.

Cela nous met en garde vis-a-vis du discours du narrateur, du moins sur le risque de le comprendre de maniere litterale. Le narrateur evalue-t-il les Yonvillais en tant que tenant de l’autorite ou en tant que narrateur ironique qui tourne en derision la prise de position officielle ? Notre propos n’est pas de choisir, mais d’ecouter l’ambiguite semantique due a la polysemi, des lors que nous considerons « le texte comme processus inacheve». Ainsi, le recit flaubertien constitue par excellence un « systeme d’indetermination », meme si c’est generalement l’ironie qui l’emporte. . De la carence de finalite a la mise en cause generale du systeme de regard L’ambiguite problematique de l’origine de la voix flaubertienne fragilise de l’interieur le systeme meme de l’evaluation. Elle contraste nettement avec la clarte des enonces. Ce decalage engendre une configuration particuliere de la comparaison. Cette derniere ne requiert pas les compares –les fabricants de fromage sont absents, seule reste l’application de la norme derisoire de la technicite. Cela nous invite a nous interroger sur la finalite de l’evaluation de la technicite.

Nous avons deja constate que le texte presente la confiture, le cruchon, le fromage, la performance militaire comme un choix de norme qui va de soi. Cette presence massive des normes de l’evaluation n’escamote-telle pas la finalite de celle-ci ? Dans quel but doit-on se mettre a niveau ? Le texte feint d’expliquer cette finalite ;il s’agirait tout a la fois de « progres » et de « patriotisme ». Le fait que le narrateur attribue l’inspiration de « cette idee patriotique » aux deux consignes caracteristiques de la societe de l’epoque semble reveler un automatisme.

Ainsi, la logique de la phrase consiste a dissimuler precisement une carence : le questionnement sur la finalite est d’emblee escamote. En d’autres termes, les mots d’ordre « progres » et « patriotisme » remplacent une reflexion teleologique et s’imposent comme incontestables. La croyance aveugle l’emporte sur la reflexion sur la finalite. Cela cree un espace social ou l’action s’effectue automatiquement en fonction de l’opinion publique. Du moins, c’est ce que le texte precise : « comme il etait partisan du progres, il concut cette idee patriotique ».

Ainsi, s’etablit un lien de cause entre la pensee et le slogan de l’epoque. Bibliographie * HAMON Philippe, Texte et ideologie, Presses Universitaires de France,« Quadrige », 1984. * FLAUBERT Gustave, Madame Bovary, Edition de Jacques Neefs, Librairie Generale Francaise, coll. « Le Livre de Poche classique », 1999. * DUFAYS Jean-Louis, Stereotype et lecteur, Mardaga, coll. « Philosophie et langage », 1994. * PRIVAT Jean-Marie, Bovary Charivari – Essai d’ethno-critique, CNRS Editions, « CNRS Litterature », 1994. * BELEZE G. , Dictionnaire universel de la vie pratique a la ville et a la campagne, Hachette, 1862, p. 430