Lune

Avec 21 juillet 1969, 3 h 56 Neil Armstrong pose le pied sur la Lune : les Etats-Unis remportent sur l’URSS une importante victoire symbolique. L’astronaute avait ete precede de quinze ans par Tintin, envoye sur l’unique satellite de la Terre dans deux albums, « Objectif Lune » et « On a marche sur la Lune ». Herge n’etait pas le premier a envisager un tel periple : depuis l’Antiquite, nombre d’ecrivains avaient conte des voyages similaires, contribuant a faire de l’exploration lunaire le plus extraordinaire des voyages qu’on puisse imaginer.

Ce soir-la, le reve est devenu realite : « Le Monde » celebre le quarantieme anniversaire de cette incroyable aventure humaine Nous avons tous marche sur la Lune HERGE/MOULINSART 2009 Cahier du « Monde » N? 20057 date Mardi 21 juillet 2009 – Ne peut etre vendu separement 2 Tintin et la Lune Georges Remi, dit Herge (1907-1983) 0123 Mardi 21 juillet 2009 22 mai 1907 Naissance de Georges Prosper Remi, fils d’Alexis Remi, employe dans une entreprise de confection, et d’Elisabeth Dufour, ancienne couturiere, a Etterbeek, dans l’agglomeration bruxelloise. 1925

Le jeune homme entre comme secretaire au Vingtieme Siecle, journal dirige par un abbe nationaliste, le Pere Norbert Wallez. En 1926,

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il realise sa premiere serie, les aventures de Totor, C. P. des hannetons, pour une revue catholique, Le Boy-Scout. 1927 De retour de son service militaire, Georges Remi revient au Vingtieme Siecle. L’abbe Wallez lui confie bientot la responsabilite d’un hebdomadaire destine a la jeunesse, Le Petit Vingtieme. Dans le meme temps, il continue a collaborer au Boy-Scout, devenu Le Boy-Scout belge, livrant une planche des aventures de Totor par mois. 929 Premiere aventure de Tintin dans Le Petit Vingtieme. L’abbe Wallez a decide de la premiere destination du reporter : ce sera l’Union sovietique. Tintin au pays des Soviets rencontre un succes impressionnant : l’abbe Wallez decide d’envoyer le reporter au Congo belge. Ce sera Tintin au Congo. 1931 Les premieres planches de Tintin en Amerique paraissent. A la fin de l’annee, le dessinateur signe un contrat avec l’editeur Casterman, qui editera par la suite tous ses albums en langue francaise. 1932 Le 20 juillet, Herge epouse Germaine Kieckens (1906-1995).

Debut des aventures de Tintin reporter en Orient (les futurs Cigares du pharaon), dans lesquelles apparaissent deux policiers, les agents X33 et X33 bis : les futurs Dupond et Dupont. 1934 Rencontre de Tchang Tchong-jen (1907-1998), etudiant chinois aux Beaux-Arts de Bruxelles, qui influencera profondement son ? uvre. Debut du Lotus bleu. 1938 Debut de Tintin en Syldavie, le futur Sceptre d’Ottokar, quelques semaines apres l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. L’aventure s’acheve quelques semaines apres l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, en septembre 1939. Quelques semaines plus tard, l’invasion allemande force Herge a nterrompre Le Pays de l’or noir, en mai 1940. Le Vingtieme Siecle cesse de paraitre. L’entree du Musee Herge. NICOLAS BOREL/ATELIER DE PORTZAMPARC 2009 1940 Herge commence a dessiner pour Le Soir. On lui confie la responsabilite d’un supplement hebdomadaire, Le Soir Jeunesse. Sous controle allemand, les aventures de Tintin s’eloignent de l’actualite : pendant la guerre paraitront Le Crabe aux pinces d’or (ou apparait pour la premiere fois le capitaine Haddock), L’Etoile mysterieuse (dont certaines planches susciteront la controverse apres la guerre), Le Secret de la « Licorne », Le Tresor de Rackham le Rouge et Les Sept Boules de cristal.

Toutes les facettes de l’univers d’Herge A Louvain-la-Neuve, pres de Bruxelles, un musee consacre au dessinateur rend hommage a toutes ses creations, au-dela des aventures de Tintin Louvain-la-Neuve (Belgique) Envoye special 1944 Apres la Liberation, Herge est interdit de publication. 1946 L’ancien resistant Raymond Leblanc obtient pour Herge la possibilite de creer un nouveau journal. Il fonde le Journal de Tintin, qui parait le 26 septembre et s’ouvre par la suite des Sept Boules de cristal, Le Temple du Soleil, avant d’accueillir la version achevee de Tintin au pays de l’or noir a partir de 1948. L 1950

Naissance des Studios Herge. Debut du travail sur l’expedition lunaire, qui aboutira a deux albums, Objectif Lune (1953) et On a marche sur la Lune (1954). 1954 Debut de L’Affaire Tournesol, album domine par l’ambiance de la guerre froide. Suivront Coke en stock (1956-1958) et Tintin au Tibet (1959). Herge s’enfonce dans une grave crise personnelle. En 1959, il se separe de sa femme pour Fanny Vlaminck, qu’il epousera en 1977. 1961 Herge ralentit son activite, apres Les Bijoux de la Castafiore, sorte d’« anti-aventure » situee a Moulinsart (1961-1962). Il commence a voyager ; plusieurs adaptations cinematographiques de son ? vre voient le jour… Vol 714 pour Sidney parait en 1968. 1976 Parution du dernier album de Tintin, Tintin et les Picaros. 3 mars 1983 Malade d’une leucemie depuis 1980, Herge meurt a la clinique universitaire Saint-Luc, pres de Bruxelles. es amateurs de Tintin connaissent bien la rue du Labrador. Nous dirions meme plus : grace a l’album L’Oreille cassee, ils savent que le personnage cree par Herge y a longtemps vecut au numero 26, tres precisement, avant d’elire domicile au chateau de Moulinsart. Rien d’etonnant,donc,acequeleMuseeHerge aitchoisi pour adresse cette meme rue du Labrador, comme un clin d’? il pour les inities.

Inaugure en juin dernier a Louvain-laNeuve, une ville universitaire situee a une trentaine de kilometres de Bruxelles, le batiment a ete concu par l’architecte Christian de Portzamparc. Loin d’epouser la structure de Moulinsart, fortement inspiree de la facade du chateau de Cheverny, le museese composedeplusieurs blocsposes sur pilotis, en surplomb d’un petit parc, accessibles par une passerelle. Une case de l’album Le Crabe aux pinces d’or est reproduite, en format geant, sur l’une des facades : Tintin y deambule sur le quai d’un port, absorbe dans la contemplation des mouettes qui volent au-dessus de lui.

Invitation au voyage… Le site est ne de la volonte de Fanny Rodwell, la deuxieme femme du dessinateur, qui souhaitait depuis plusieurs anneesrendrehommageatouteslesfacettesdesacreation. Car Herge n’etait pas que le « pere » de Tintin, ni meme « seulement » un auteur debandesdessinees,deQuicketFlupkeaux aventures de Jo, Zette et Jocko. Il fut tour a tourgraphiste, affichiste ou encore illustra- Les centaines de dessins exposes sont renouveles tous les quatre mois pour proteger les originaux teur : il s’agit ici de presenter au grand public son ? uvre dans toute sa diversite.

En huit salles reparties sur trois niveaux, le musee passe en revue les differentes etapes du cheminement d’Herge. Lescentaines de dessins, croquis ouesquisses exposes sont renouveles tous les quatre mois afin de proteger les originaux d’une exposition excessive a la lumiere. « Certaines salles montrent que sa vie et son ? uvre sont liees de maniere tres etroite. Le public va decouvrir qu’Herge a fourni un enormetravailquivabienau-deladelabande dessinee », explique Dominique Maricq, archiviste aux Studios Herge et auteur notamment de Herge par lui-meme (Librio, 2007).

L’epopee spatiale formee d’Objectif Lune et On a marche sur la Lune occupe evidemment une place de choix. Au sein d’une section baptisee « Le laboratoire » – pour Dominique Maricq, « le mot evoque celuidu professeurTournesol,maisaussiun laboratoire d’idees » –, qui atteste de l’importance de la science dans les histoires de Tintin, non loin du « Supercolor-Tryphonar », cetancetre dela televisionencouleur imagine par le professeur Tournesol dans Les Bijoux de la Castafiore (1963), on trouvera notamment la maquette de la fusee et celle du char lunaire utilise par Tintin et ses compagnons.

Ces reproductions cotoient planches originales et esquisses, ainsi que des livres dont s’est servi Herge pour nourrir ses albums et les rendre, sinon exacts scientifiquement, du moins plausibles. p Christophe Quillien Musee Herge, 26, rue du Labrador, Louvainla-Neuve (Belgique). Tel. : 00-32-10-488-421. www. museeherge. com COMMANDEZ PAR CORRESPONDANCE BON DE COMMANDE a completer et a retourner, sous enveloppe affranchie, avec votre reglement a : TINTIN LUNE ET LA LE DOUBLE ALBUM le double album + 5€ de participation aux frais d’envoi ? 9 € ,90 Le Monde VAD – B1200 – 60732 Sainte-Genevieve Cedex. TINTINMQ 92WMQTTB

I OUI, je souhaite profiter de votre offre exceptionnelle et je commande ………. exemplaire(s) de l? ouvrage TINTIN ET LA LUNE Je joins mon reglement de ………. x 14,90 € soit ……………… € Nom ……………………………………………………………………. Prenom ……………………………………………………………… Adresse ……………………………………………………………………………………………………………………………………………. Objectif Lune On a marche sur la Lune + 16 pages d’archives © Herge / Moulinsart 2009

Code postal ……………………………… Ville………………………………………………………………………………………………… Tel. ……………………………………………………………………… E-mail………………………………………………………………… MODE DE PAIEMENT I Cheque bancaire ou postal a l? ordre de : Societe editrice du Monde I Carte bancaire I Visa I Mastercard I American Express N° Expire fin * Les 3 derniers chiffres du numero figurant au dos de ma carte, pres de la signature Cryptogramme* Date et signature obligatoires : Format H 298 x L 227 • 144 pages couleur Plus d’informations sur : www. lemonde. fr/boutique ou au 0825 120 219 (0,15 € TTC/min) Offre valable en France metropolitaine jusqu’au 31/12/2009, et dans la limite des stocks disponibles. Societe editrice du Monde – 80, boulevard Auguste-Blanqui 75707 Paris Cedex 13 Societe par actions simplifiee au capital de 149 017 497 € – RCS Paris B 433 891 850 – TVA FR 67 433 891 850 Vos nom, prenom et adresse seront communiques a nos services internes, et le cas echeant, dans l’avenir, a quelques ublications partenaires, sauf avis contraire de votre part en cochant la case ci-contre I 0123 Mardi 21 juillet 2009 Tintin et la Lune 3 Tintin a quitte la Terre quatre ans avant Spoutnik, alors que la conquete spatiale n’en etait qu’a ses balbutiements. Herge, qui pourtant n’aimait pas la science-fiction, fait preuve dans ces albums d’une intuition magistrale De Bruxelles a la Lune Par Pierre Assouline A ctuellement, la Lune, qui est a l’ordre du jour. » On lit ca aux archives du dessinateur dansuntexte manuscritintitule Journal Tintin. Note Herge.

Mais comment la Lune peut-elle etre a l’ordre du jour en 1952 ailleurs que chez les rares specialistes russes et americains ? Le mystere est d’autant plus epais que la conquete de l’espace n’en est encore qu’a ses balbutiements : le premier satellite artificiel, Spoutnik, ne sera lance qu’a l’automne 1957. Pour Georges Remi, alias Herge (1907-1983), rien de plus naturel. Il n’est pourtant pas un amateur descience-fiction oude litterature d’anticipation, ni meme du Jules Verne de De la Terre a la Lune. Quoi, alors ? Un peu de Ray Bradbury, et surtout une puissante intuition.

C’est la-bas que cela va se passer ; il n’attend pas et decide, au sortir de son quinzieme album, Tintin au pays de l’or noir (1950), que les prochaines aventures de Tintin, Milou, Haddock et Tournesol se derouleront la-bas. On s’en doute, pour cette histoire moins encore que pour les precedentes, le dessinateur ne s’embarque pas sans biscuit. Sa documentation est solide, autant qu’elle peut l’etre pour un neophyte : L’Astronautique, d’Alexandre Ananoff, Entre ciel et terre, d’Auguste Piccard, L’Humanite HERGE/MOULINSART 2009

Tout ce qu’il s’apprete a raconter n’est peut-etre pas vrai, mais se doit deparaitrevraisemblable : Dieu est dans les details. Aussi Herge prend-il des assurances multiples en consultant les bons experts, tel Louis Brouwet, chef du service incendie a la Regie des voies aeriennes de Bruxelles, et Max Hoyaux, qui luifaitvisiter lecentre derecherchesatomiques qu’il dirige a Charleroi. Seuls des experts peuvent lui dire si des appareils plus puissants utilisant la meme frequence peuventintercepter unefusee radioguidee. livraison des plans secrets de l’engin aux mechants, et la dissimulation d’un passager clandestin.

On s’en doute, il se redimera avant la fin, et de la plus tragique facon : par la mort volontaire. Mais, comme on est tout de meme dans un univers faconne des l’origine tres « scout-catho », le mot meme de « suicide » n’est pas prononce. Puisque l’oxygene manque a bord du vaisseau spatial, profitant de ce que les autres dorment, Wolff se jette dans le vide. Son sacrifice ne manque pas de noblesse, mais, des la parution des planches concernees dans Le Journal Tintin, il fait tiquer les pretres, qui ont l’? ilsurlasantemoraledelajeunesse.

L’editeur Casterman s’en inquiete : il fait pression sur le dessinateur pour qu’il amenage son issue. En decouvrant la lettre d’adieu de l’ingenieur a ses compagnons de voyage, leslecteursduJournalTintin avaient eu la conviction qu’il s’etait donne lamort,mais,en laredecouvrant peu apres dans l’album, ils auront un petit espoir : « Peut-etre un miracle me permettra-t-ild’enrechapperaussi. Pardonnez-moi le mal que je vous ai fait », ecrit-il desormais. En elancant ses personnages vers le Tres-Haut, Herge avait pris lerisquededesorienterseslecteurstraditionnels.

Manquant de reperes dans un univers insolite, ils se trouvaient pour la premiere fois transportes vers un futur inconnu. Sur le moment, l’impact des deux albums s’en ressent ; mais, comme le bon vin, ceux-ci vont gagner en epaisseur au fur et a mesure que l’actualite spatiale donnera raison a l’incroyable intuition d’Herge. Toute histoire un peu serieuse de la conquete de l’espace se devrait de faire une place a ses premonitions et a son sens du merveilleux. Nonqu’ilfutdoted’uneintelligencescientifique. Mieux encore : le createur de Tintin n’avait pas son pareil pour humer l’air du temps, s’en impregner et le transcender par son art.

Les albums ont paru en 1953 et 1954 ; un homme, l’astronaute Neil Armstrong, a marche sur la Lune pour la premiere fois en 1969. Disons qu’il avait eu de bonnes lectures. Mais l’astronaute Jean Meeus et l’observatoire d’Uccle n’attendirent pas cet evenement pour proposer que l’asteroide 1652, Lesdeuxalbumsvont gagneren epaisseur aufur etamesure quel’actualite spatialedonnera raisonal’incroyable intuitiond’Herge decouvert en 1953, soit baptise « Herge ». Plus tard dans le siecle, il se trouvera meme des psychiatres et des neurologues, reunis en congres, pour isoler un « syndrome de Tournesol » apres dissection des deux albums.

Les symptomes ? « Amnesie transitoire traumatique par choc indirect. » Cesdeuxalbumsontmarquelesmemoiresdesjeunes quifurentles contemporains de leur parution, mais Herge ne les a pas aimes. « Piteux resultat. » Son editeur fit les frais de sa deception et de son ressentiment. Mauvais papier, mauvaise impres- sion, mauvaises couleurs, mauvaise humeur…Ledessinateuretaitd’autant plus amer qu’en adaptant son travail aux necessites de l’edition avec son equipe il avait genereusement augmente la dimension de certains dessins et multiplie les allers et retours de la gouache a l’aquarelle.

A quoi bon avoir tant ? uvre sur le bleu nuit si c’est pour ne pas le retrouver in fine ? On sait sa manie du detail et le souci de simplification et de lisibilite prete a la ligne claire. Iln’yapasd’ombresdanscetuniversla. Or, exceptionnellement, on en trouve dans On a marche sur la Lune, comme Herge s’en est explique dans une lettre de 1973 : « La, les ombres demesurement longues sont un element constitutif du decor. Observez cependant que les personnages, s’ils portentuneombre surlesol,restenteux-memes eclairesd’unemaniereuniforme. Contradiction qui est, en realite, un choix.

Lors de l’exploration du glacier, l’emploi des ombres etait unenecessite: onne peutbien rendre la lumiere qu’en l’opposant a l’ombre. » N’empeche que l’element le plus emblematique de ce diptyque sur la Lune, celui qui demeure dans toutes les memoires et trone en majeste sur les bureaux de bien desnostalgiques,lafameusefuseeadamier rouge et blanc, n’est pas sorti du crayon d’Herge mais de celui du premier des dessinateurs de son studio, plus particulierementchargede travaillersurlesdecors,Bob de Moor. La publication dans Le Journal Tintin s’achevaapres plusieursanneesd’interruptions et de faux departs.

Un chaos du non ausyndromedeTournesolmaisaladepression dans laquelle s’enfoncait Herge. Une exploration interieure tout aussi aventureuse mais d’une autre dimension que la conquete de la Lune. p Ecrivain et journaliste, Pierre Assouline est l’auteur d’une biographie d’Herge (Plon, 1998 et « Folio »). HERGE/MOULINSART 2009 devant la navigation interplanetaire, d’Albert Ducroq, Notre amie la Lune, de Pierre Rousseau, La Conquete de l’espace, mais moins pour le texte que pour les excitants dessins de Chesley Bonestell.

Sans oublier, bien sur, L’Homme parmi les etoiles de son ami, fournisseur de gags et collaborateur occasionnel, le scientifique Bernard Heuvelmans, dit Bib, a qui il doit le gros de sa documentation interplanetaire, le titre, On a marche sur la Lune, et certains gags lies a l’etat d’apesanteur, a Haddock en orbite autour de la comete ou au whisky qui se met en boule. Mais de la a le considerer comme le coscenariste de ces deux albums, avec Jacques Van Melkebeke, au motif que la premiere version de l’histoire concue par les deux hommes ressemblerait fort a la version finale… Herge s’y refusera resolument.

Car on ne sache pas qu’il ait ete arme pour explorer le monde des signaux hertziens et des faisceaux capteurs. Alors, humblement,ildemande. Pourautant,ilne seprive pas de quelques licences poetiques, rendant transparents les casques des cosmonautes et identifiable au premier coup d’? il l’asteroide Adonis ! La trame est classique : des espions etrangers vont tout mettre en ? uvre pour mettre la main sur la fusee a propulsion atomique qui doit se rendre sur la Lune.

Le personnage le plus troublant, celui dont on se souvient davantage que des autres, et pour cause, est probablement l’ingenieur Franck Wolff, personnalite ambigue, difficile a cerner tant elle semble dechiree par ses dilemmes et ses cas de conscience. Car l’adjoint du professeur Tournesol se rend coupable d’une double trahison : la Herge (a droite) remet a l’astronaute americain Frank Borman les albums « Objectif Lune » et « On a marche sur la Lune », en 1969, a Bruxelles. UPI 4 Tintin et la Lune 0123 Mardi 21 juillet 2009

Philippe Goddin, biographe du createur de Tintin et ancien president de la Fondation Herge, souligne l’importance du travail documentaire, prealable indispensable a l’ecriture d’« Objectif Lune » et « On a marche sur la Lune » «Herge ne s’est pas trompe» Comme dans « L’Or noir », qu’il vient de finir, est-ce l’actualite qui incite Herge a se lancer, en 1950, dans « Objectif Lune » et « On a marche sur la Lune » ? comme celles du film de George Pal Destination Moon, publiees en Belgique par Le Patriote illustre, interessent au plus haut point Herge.

Est-ce le premier sujet scientifique qu’il traite dans Tintin ? Herge a toujours ete interesse par ce qui se passea son epoque – L’Or noir traite de la lutte pour le petrole –, et donc par l’espace. Les deux tomes de Stratonef H22, aventure de ses heros Jo, Zette et Jocko, attestent de sa curiosite pour l’astronautique. En 1950, nous sommes dans l’immediate apresguerre. L’ancien savant nazi Wernher von Braun et son travail sur les V2 ont ete recuperes par les Etats-Unis. On parle de plus en plus de l’aventure lunaire et on s’eloigne de l’image du V2 nazi, symbole de destruction.

Le lancement de fusees a White Sands, dans le desert du Nouveau-Mexique, ainsi que les images de voyage vers la Lune qui paraissent dans les magazines La science est toujours presente dans les recits d’Herge, par exemple les ballonssondes dans Jo et Zette, mais aussi dans Tintin. Dans Les Sept Boules de cristal, Herge s’est interesse a la radiesthesie, dans Le Temple du soleil au phenomene de l’eclipse, et dans L’Etoile mysterieuse, a l’astronomie. Mais c’est la premiere fois qu’il aborde la science pure. Et d’ailleurs, c’est un savant, le professeur

Tournesol, qui est sur le devant de la scene dans ces deux albums et qui y defend une mission centrale. L’idee d’envoyer Tintin et ses amis dans la Lune lui est-elle propre ? Comment l’enrichit-il ? L’idee d’envoyer Tintin dans la Lune, Herge l’a d’abord eue avec son ami Jacques Van Melkebeke et un autre ami, un scientifique, Bernard Heuvelmans. Mais les premieres ebauches de scenario ne lui convenaient pas. Il en a parle avec un nouveau venu au Studio Herge, Albert Weinberg, quiconcevra ensuite les aventures du pilote canadien Dan Cooper, et qui est charge de lui fournir de nouvelles propositions.

Mais Herge se documente aussi par luimeme, sur les V2, sur les usines atomiques, sur les ordinateurs (c’est ainsi qu’on peut voir un IBM Univac dans le Centre spatial de Sbrodj, ou travaille le professeur Tournesol). Il devore tous les livres publies sur le sujet des fusees lunaires comme l’ouvrage paru aux Etats-Unis La Conquete de l’espace, de Willy Ley, illustre par Chesley Bonnestell. Dans ma biographie Herge, lignes de vie [Ed. Moulinsart, 2007], je donne quelques exemples des demarches qu’entreprend Herge pour trouver des reponses a ses questions et aller plus loin dans les details et les recherches.

Par exemple, il ecrit a Alexandre Ananoff, auteur de L’Astronautique, un livre paru en 1949 dans lequel figure un croquis tres precis du poste de pilotage d’une fusee lunaire. Il demande a Ananoff les noms et l’usage de la cinquantaine d’instruments, cadrans, manettes qui y sont visibles. Tous ces elements documentaires vont aider les dessinateurs du studio, comme Arthur Vannoeyen ou Bob de Moor, a concevoir avec talent la fusee experimentale X-FLR6, directement inspiree du V2, ou encore les rampes et la salle de lancement, l’interieur de l’engin, etc.

Herge rencontre aussi Max Hoyaux, directeur du Centre nucleonique – Ateliers de constructions electriques de Charleroi (ACEC), qui evoque avec lui l’important probleme de l’oxygene. Leurs discussions et les intuitions de Max Hoyaux permettront a Herge d’affirmer qu’il y a de la glace sur la Lune, ce que la NASA ne decouvrira qu’en 1988… Pourquoi ces initiales X-FLR6 ? Je l’ignore. Il y a plusieurs hypotheses, dont celle qui voudrait qu’il s’agissait d’initiales de termes allemands. Un article sur ce sujet doit paraitre dans la revue Les Amis de Herge.

Est-ce la richesse documentaire et la difficulte de la traduire en scenario et en dessins qui explique qu’« Objectif Lune », lance en 1950, ne se termine que trois ans plus tard ? Non, Herge a surtout ete victime d’un enorme surmenage du a ses nombreuses activites – en plus des albums de Tintin, de Quick et Flupke et de Jo et Zette, il concevait des objets publicitaires, des cartes postales, des illustrations pour diverses revues, des produits derives, etc. Il a ete aussi tres atteintparlatrahisondesonagentcommercial,etiladufairefaceauxdifficilesnegociations de 1951 qu’il a eues avec Raymond Leblanc a propos duJournal Tintin.

Pendant un an, Herge n’a pu, physiquement et nerveusement – les lettres que je cite en temoignent –, travailler aux aventures de Tintin, et le reporter a disparu du journal qui portait son nom, au grand dam de nombreux lecteurs, qui se demandent alors si « le projet Lune ne va pas tomber a l’eau… ». Pourquoi a-t-on parfois reproche a Herge et a son equipe du studio d’avoir « copie » le film de George Pal, « Destination Moon » ? Le graphiste de Destination Moon etait Chesley Bonestell, l’auteur des dessins de paysages lunaires et de fusees que l’on pouvait voir dans des revues comme Collier’s, Life ou dans des livres.

Herge s’en est inspire, comme Hollywood. Mais Herge n’a pas copie Destination Moon. Les points communs (la boule de whisky, les bonds sur la Lune, l’apesanteur…) montrent que le realisateur et le pere de Tintin ont partage les memes sources et qu’ils avaient tous deux le meme souci du detail et de la veracite, dont plusieurs elementsseverifierontd’ailleurs. Cer- 0123 Mardi 21 juillet 2009 Tintin et la Lune 5 « Objectif Lune » HERGE/MOULINSART 2009 tains croquis de Bonestell ont aussi servi a Stanley Kubrick pour sa scenographie de 2001 : l’Odyssee de l’espace… Pourquoi Herge represente-t-il la Terre en bleu ?

Jean-Claude Denis : «Il nous faisait voir les choses en grand» Jean-Claude Denis, 58 ans, publie ses premieres histoires dans Pilote en 1977, avant de donner naissance au personnage de Luc Leroi. Il cree des BD tant pour un public adulte que pour la jeunesse. Dernier album paru : Nouvelles du monde invisible (Futuropolis ed. , 2008) Quand avez-vous decouvert « Objectif Lune » et « On a marche sur la Lune » ? Quelles scenes vous ont le plus marque ? A l’epoque, dans les annees 1950, quand on feuillette Life ou d’autres titres, on ne voit souvent que la courbure de la Terre, maispasdephotodenotreplanetedansson integralite.

Je crois ne pas me tromper en disant que grace a Tintin, c’est la premiere image de la Terre ronde et bleue que l’on voit. Herge ne s’est pas trompe, il s’est bien documente. Quand j’ai lu Objectif Lune, a 9 ans, j’avais ete fascine par cette mise en perspectivedu voyage, parcescenario etces dessins qui le credibilisent et y preparent le lecteur. On a l’impression que ces albums ont ete concus en quelques semaines, alors qu’ilsvontde1950 a1954. Onamarchesurla Lune, c’est l’accomplissement. Mais aucun des deux tomes ne parait dilue ni compact.

C’est la preuve du talent d’Herge, qui reste un ciseleur de scenarios. p Propos recueillis par Yves-Marie Labe Ancien president de la Fondation Herge, Philippe Goddin est l’auteur d’« Herge, chronologie d’une ? uvre », dont le tome 6 vient de paraitre (Ed. Moulinsart, 420 p. , 105 ¤). Il a egalement ecrit une biographie, « Herge, lignes de vie » (Ed. Moulinsart, 2007). Je les ai lus en 1960, a l’age de 9 ans. J’avais ete impressionne par les prouesses graphiques de ces deux albums, comme le dessin en pleine page de la fusee sur son aire de lancement ou les vues geantes de l’espace.

Herge nous faisait voir les choses en grand et nous n’etions pas habitues a ce genre d’images. Mais j’etais beaucoup moins sensible aux aspects scientifiques et techniques du recit. Je les trouvais parfois un peu lourds, plus proches des aventures de Blake et Mortimer dessinees par Jacobs que des histoires d’Herge. Il me semblait que ces episodes s’adressaient plutot a des adultes et qu’ils ne m’etaient pas vraiment destines. Celles qui representent le vide de l’espace sideral m’avaient beaucoup frappe. Le passage ou le capitaine Haddock est attire par un asteroide m’a vraiment fait peur !

Cette situation me semblait irreelle, tout comme son whisky qui forme une boule en sortant de la bouteille… Je trouvais mon compte avec des personnages comme Haddock et les Dupondt dont les cheveux se mettaient a pousser brutalement. Les passages que je ne comprenais pas avaient ma preference, comme celui ou Haddock allume par erreur le cornet acoustique du professeur Tournesol… J’y voyais une forme de fantastique et de poesie decalee. J’avais aussi beaucoup aime le capitaine Haddock en alcoolique positif et sympathique ! A ce moment-la, nous etions tres reserves et on ne se « lachait » pas facilement.

Voir Haddock en plein delire etait assez rejouissant. Aujourd’hui, nous sommes conscients des dommages provoques par l’alcool mais, a l’epoque, c’etait plutot comique, car nous etions habitues a croiser des gens qui buvaient trop. Avez-vous repense a « On a marche sur la Lune » en regardant la television, le 21 juillet 1969 ? Quand les Americains ont pose le pied sur la Lune, ils se sont mis a nous faire du Herge ! On ne pouvait pas s’empecher de penser a tous ceux qui etaient passes avant eux, de Melies a Tintin, et de se dire qu’ils refaisaient ce que le heros d’Herge avait deja fait quelques annees plus tot…

Les albums d’Herge ont-ils influence votre travail d’auteur de bandes dessinees ? aux Arts decos. Nous voulions le remettre en perspective pour montrer qu’il etait d’une modernite totale, alors que la nouvelle vague de la BD meprisait les auteurs classiques. Herge ne cede jamais aux effets gratuits ni au manierisme. Ses intrigues sont d’une grande clarte et son trait, d’apparence tres simple, est toujours d’une grande justesse. Il suffit d’agrandir une de ses cases pour constater que son dessin « tient le coup ». Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur son ? uvre ?

Il m’est deja arrive de resservir presque a l’identique, dans l’un de mes albums, une situation que j’avais lue chez Herge et de ne m’en apercevoir qu’a la relecture de mon propre livre… J’ai lu Tintin quand j’etais enfant et il fait vraiment partie de mon experience de la vie. En 1974, avec Martin Veyron, nous avions choisi Herge comme sujet de memoire Ma vision d’Herge a evolue, car le spectre de la bande dessinee s’est beaucoup elargi depuis quelques annees. Je l’ai relu recemment avec plaisir, meme s’il s’adresse parfois plus au lecteur de 7 ans qu’a celui de 77 ans… La lecture de Tintin procure une vraie fraicheur.

Il est tellement lie a mes souvenirs d’enfance qu’il est tres difficile de porter un regard lucide sur son travail. Mais la magie est toujours la, et je suis content d’en profiter… p Propos recueillis par Christophe Quillien Lucie Durbiano : «On ne s’ennuie pas une seconde» Lucie Durbiano, 39 ans, est l’auteur, notamment, d’Orage et Desespoir, du Rouge vous va si bien et de Tresor, recemment selectionne au Festival d’Angouleme 2009 (ed. Gallimard, coll. « Bayou »). Prochain album a paraitre, en 2010 : Lo (Gallimard, coll. « Bayou »). Etiez-vous une lectrice de Tintin ? Herge vous a-t-il influencee ? leine de rebondissements, ce qui fait qu’on ne s’ennuie pas une seconde. J’essaie de parvenir a creer ce rythme dans mes BD. J’aime egalement beaucoup les annees 1950-1960, celles de la meilleure epoque de « Tintin ». Quel album privilegieriez-vous ? Oh oui ! J’ai lu chacun d’eux plusieurs fois. Les aventures de Tintin me faisaient rever, et cela me semblait le comble du bonheur que de raconter des histoires en dessinant. C’est ce que je voulais faire… Et finalement, je fais de la BD ! « Tintin », pour moi, est lie a l’enfance et je n’ai pas relu les albums depuis longtemps.

Ce qui me plaisait, ce n’etait pas les problemes politiques ou societaux, mais plutot le voyage, ces pays que l’on decouvrait et surtout les personnages. Haddock, les Dupondt, Tournesol. Ils ont tous un cote burlesque que j’adorais, alors que Tintin n’est guere passionnant. Tous ces personnages vivaient dans une ambiance J’ai beaucoup aime Les Bijoux de la Castafiore a cause du huis clos entre le capitaine Haddock et la cantatrice ; on est devant une scene de theatre ! Tous les deux vont tres bien ensemble, ils sont droles, egocentriques, excessifs mais sensibles.

Meme si, dans « Tintin », c’est l’aventure qui m’a d’abord interessee, je me rends compte que j’ai beaucoup d’affection pour le capitaine Haddock. Il est toujours drole et, dans Les Bijoux, c’est lui qui tient le role principal, Tintin est plus en retrait. Quel souvenir gardez-vous d’« Objectif Lune » et « On a marche sur la Lune » ? Ils m’avaient beaucoup plu l’un et l’autre, notamment Objectif Lune. La mission se prepare, on en vit toutes les peripeties… Deux elements m’ont frappee : d’abord, la beaute des couleurs, la force des images, le travail sur les details, et l’aspect impressionnant des deux couvertures de ces albums.

Le second souvenir, c’est Tintin et ses amis allonges sur leurs couchettes. Cette scene m’a marquee, mais je suis incapable de dire pourquoi…. p Propos recueillis par Y. -M. L. « On a marche sur la Lune » HERGE/MOULINSART 2009 6 De la Terre a la Lune 0123 Mardi 21 juillet 2009 De Lucien de Samosate a Jules Verne, les ecrivains ont rivalise d’inventivite pour ecrire d’improbables voyages lunaires. Puis, peu a peu, avec le progres technique, ils se sont assagis… Tour d’horizon Aller sur la Lune, c’est tout un art Les voyages extraordinaires de Sir Francis Godwin

THE MAN IN THE MOONE est tout sauf une fable innocente. C’est meme une sorte de brulot que cette ? uvre posthume de l’eveque anglican Francis Godwin (1562-1633), publiee en 1638 et traduite en francais dix ans plus tard. S’il avait une ascendance au-dela de tout soupcon (son pere, Thomas, fut eveque de Bath et de Wells, et sa femme etait elle-meme fille de John Wolton, eveque d’Exeter), Godwin se montra un ecclesiastique assez atypique : consacre en 1601, il se soucia assez peu de son apostolat, delaissant de plus en plus les servitudes de sa charge pour se consacrer a son ? vre litteraire. Auteur, entre autres, d’un imposant Catalogue of the Bishops of England since the First Planting of Christian Religion in the Island, le prelat etait aussi feru de sciences. Il ecrivit donc, sans publier cependant ce texte de son vivant, The Man in the Moone, un roman fantastique dans lequel il fait siennes les theses heliocentristes de Copernic, tournant en ridicule les positions officielles de l’Eglise.

N’oublions pas que Galilee vient d’inventer la lunette astronomique et qu’il subit alors les foudres de Rome… Le personnage central est un Espagnol, Dominique Gonzales, qui abandonne soudainement ses etudes pour se consacrer aux voyages. L’homme se rend d’abord sur l’ile de Sainte-Helene, puis aux Indes, et enfin sur la Lune, grace a des oies sauvages patiemment preparees pour les longues traversees. Les oiseaux sont entraines a transporter des poids, puis un agneau, avant que le Castillan ne se juge assez rassure pour tenter l’aventure.

Apres douze journees d’un voyage sans embuches durant lequel notre homme ne connaitra ni la faim ni la soif, Gonzales alunit et entre en relation avec une societe extraterrestre ideale, debarrassee de toute violence. Le secret de cette harmonie ? « [Les hommes qui seraient] naturellement enclins au vice, ils les envoient a la Terre. »p Lucien de Samosate ou la science-fiction a l’antique DANS L’ETAT ACTUEL de nos connaissances, il semble bien que les premiers hommes a avoir mis le pied sur la Lune etaient des marins grecs.

L’auteur du recit de cette expedition hors norme est Lucien de Samosate (env. 120-180), un satiriste et rheteur d’Asie mineure celebre pour ses sarcasmes contre les philosophes et les chretiens, mais aussi pour ses Histoires extraordinaires, rien moins que vraisemblables. La plus celebre d’entre elles est assez justement appelee Histoire veritable. Pousses par une tempete terrible tres loin au-dela des colonnes d’Hercule, notre detroit de Gibraltar, Lucien et ses compagnons accostent apres quatre-vingts jours de tempete sur une ile merveilleuse ou le vin coule a flots.

Apres avoir perdu certains de ses compagnons, metamorphoses en sarments pour avoir cede aux avances de ceps de vigne feminins – variation dionysiaque sur le mythe des sirenes de L’Odyssee –, les marins reembarquent et subissent une nouvelle tempete qui les propulse cette fois dans les airs, pendant huit jours. C’est la qu’ils arrivent sur la Lune, en pleine guerre entre Heliotes (habitants du Soleil) et Selenites (habitants de la Lune). Ils y decouvrent un monde masculin, ou l’on se nourrit en respirant le parfum de mets tres raffines.

Un monde ou les hommes se marient entre eux et portent les enfants dans leurs mollets, peuple de creatures etranges comme les dendrites, qui, eux, se reproduisent en enfouissant leur testicule droit, attendant qu’il devienne un grand arbre charnu : « Ses fruits sont des glands d’une coudee de longueur. Quand ils sont murs, on recolte ces fruits, et on ecosse des hommes »… Cette etape n’est que la premiere d’un periple vers le Soleil et les etoiles, ponctue de rencontres toutes plus fantaisistes les unes que les autres. Avec Lucien de Samosate, un genre – la science-fiction – est ne. Les fables de l’etrange monsieur de Bergerac POETE, LIBRE-PENSEUR et libertin, Hercule Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655) est l’une des figures les plus atypiques du pantheon litteraire francais. D’autant plus que sa posterite est due a un autre : en faisant de lui le role-titre de sa plus celebre piece (Cyrano de Bergerac), Edmond Rostand le sortit d’un oubli relatif, au prix d’un complet travestissement. Dramaturge, auteur notamment d’une des premieres comedies en prose (Le Pedant joue), Cyrano ecrivit surtout L’Autre Monde, ? vre en deux parties, Histoire comique des Etats et empires de la Lune et Histoire comique des Etats et empires du Soleil. Feru de science et d’alchimie, Cyrano connait les decouvertes de Galilee, qui croit avoir apercu sur le sol de la Lune des vallees, des crateres et des mers. Meme s’il est curieux de decouvertes scientifiques, les moyens qu’il envisage pour se rendre sur la Lune restent hautement fantaisistes : apres s’etre eleve dans les airs par la seule force de flacons de rosee solidement « arrimes » a ses aisselles, notre explorateur atterrit par megarde en Nouvelle-France, c’est-a-dire au Canada francais.

De la, il confectionne une fusee a etages. Nouvel echec : la machine retombe lourdement. Des habitants veulent se debarrasser de cette creation diabolique : ils attachent a celle-ci des « fusees volantes » et comptent y mettre le feu. L’aventurier essaie de s’interposer, monte dans son appareil quand les soldats allument la meche : a ce moment precis, propulsee par la force de l’explosion, la machine quitte la Terre… Et part directement vers la Lune, emportee par la force d’explosions en chaine. Etonnante intuition.

Sur place, notre homme multiplie les rencontres extraordinaires. Il fait la connaissance du prophete Elie, monte dans les cieux sur un char en fer, propulse par un aimant qu’il jetait lui-meme devant lui et qui ensuite l’attirait. Il y rencontre meme le heros espagnol du roman de Francis Godwin, auquel les Selenites decident de l’unir. Cyrano accepte et y trouve meme un certain plaisir (« On me prenait pour sa femelle »). Mais c’est une autre histoire…p 0123 Mardi 21 juillet 2009 De la Terre a la Lune 7 Un voyage en dirigeable pour Edgar Poe

C’EST EN 1783 que tout a bascule. Les freres Montgolfier font la premiere demonstration de leur ballon gonfle d’hydrogene le 4 juin. Leur decouverte est presentee a Versailles le 19 septembre, avec pour passagers un mouton, un canard et un coq. Et le 21 novembre, de la Muette a la Butte-aux-Cailles, les Parisiens peuvent admirer le premier vol habite en dirigeable. Depuis cette date, on sait qu’il est possible a un objet plus lourd que l’air de s’extraire de l’attraction terrestre. Les romanciers s’emparent bientot de cette invention prodigieuse.

Citons par exemple le delirant Voyage dans la Lune, de Louis Desnoyers (1836), ou les Aventures d’un aeronaute parisien dans les mondes inconnus, d’Alfred Driou (1856). Mais le plus significatif des recits de ce type est sans doute Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfaall, d’Edgar Allan Poe (1835). Cette nouvelle a beau se presenter comme un canular, elle emprunte beaucoup aux decouvertes de son temps. C’est donc dans un enorme dirigeable qu’Hans Pfaall a quitte la bonne ville de Rotterdam, ou il vivait paisiblement. Aussitot quittee ’atmosphere, le voyageur s’enferme dans un habitacle hermetiquement clos, qui le mene vers la Lune a un train de senateur, apres dix-neuf jours de traversee : pour la premiere fois, les effets de l’altitude et le probleme du vide sont evoques. Remarquons que, desormais, les romanciers insistent beaucoup plus sur le voyage que sur la destination finale : la science est a la mode. Sur la Lune, Pfaall rencontrera des etres etranges, mais il n’en dira pas plus. Car notre bourgeois n’est pas revenu sur la Terre, il a prefere envoyer un Selenite, un petit homme rond et monstrueux, porter le recit de ses exploits.

En effet, si Hans Pfaall est parti sur la Lune, ce n’est pas par amour de la science, mais pour echapper a ses creanciers. Ou l’on voit que les grandes epopees ne naissent pas forcement des aspirations les plus nobles. p Et aussi… JUSQU’AU XVIIIe SIECLE, les voyages sur la Lune valent surtout pour les descriptions dont ils sont le pretexte : mondes inverses, creatures fantastiques, societes plus ou moins utopiques… Du coup, le moyen de transport importe peu, et le souci de la vraisemblance est totalement etranger aux preoccupations des ecrivains.

Ainsi l’Arioste (1474-1533) emmene son Roland furieux sur la Lune au moyen d’un char tire par quatre chevaux. Un siecle plus tard, Kepler (1571-1630) envoie son heros chez les Selenites par l’entremise d’un genie. David Russen, dans son Voyage lunaire (1703), remporte la palme du moyen le plus economique : un simple ressort bande. Plus tard, on note un souci accru de vraisemblance. Mais il reste cependant quelques curiosites : ainsi Un voyage a la Lune, d’Alexandre Dumas, ou le heros envoyait son garde-chasse Mocquet monte sur aigle.

H. G. Wells lui-meme aura recours a une facilite romanesque : l’invention de la cavorite, substance annulant la gravitation, pour envoyer Les Premiers Hommes dans la Lune. L’initiative sera jugee severement par un Jules Verne arc-boute sur l’idee de vraisemblance. Comme si le canon qu’il avait invente etait un moyen de transport plus plausible… p Jules Verne : la conquete spatiale a coups de canon JULES VERNE EST ENCORE un jeune ecrivain en 1865, quand il se lance dans De la Terre a la Lune.

Il est entre en litterature en 1863 avec Cinq semaines en ballon, le premier de ses Voyages extraordinaires. Suivirent Voyage au centre de la Terre et une excursion au pole Nord, Voyage et aventures du capitaine Hatteras. L’ecrivain en avait concu le projet assez tot : dans une lettre a son pere, en 1862, il ecrivait : « Je ne compte pas embarquer sur mon ballon a moi (…) Cet aerostat devra etre pourvu d’un mecanisme irreprochable. » La science progresse : l’heure n’est pas aux reveries poetiques ou aux contes metaphysiques, il est ici question de science.

Plus precisement, de balistique. Au sortir de la guerre de Secession, qui avait vu un effroyable developpement de l’artillerie, les membres du Gun Club de Baltimore decident de la construction du plus gros canon jamais imagine, le Colombiad, capable d’envoyer un homme sur la Lune. Un aventurier francais, Michel Ardan (anagramme transparent du nom de Nadar, ami de Jules Verne), propose de construire un obus creux et de monter a bord. L’expedition part de Floride, non loin de cap Canaveral, d’ou partent toute les missions spatiales americaines.

Une fois de plus, l’ambiance du voyage est exclusivement masculine : les trois hommes montant a bord sont Michel Ardan, Impey Barbcane, president du Gun Club, et un savant initialement hostile au projet, le capitaine Nicholi. Leur aventure connaitra un succes planetaire. Jules Verne publia cinq ans apres, en 1870, une suite moins reussie, Autour de la Lune. Et le roman fut plusieurs fois adapte au cinema, des les debuts du XXe siecle. Notamment par Melies, des 1902. Pourtant, les heros de Jules Verne n’ont meme pas marche sur la Lune… p Bibliographie

Les editions Omnibus publient un passionnant volume consacre aux voyages lunaires, Le Roman de la Lune, regroupant notamment les ? uvres de Cyrano de Bergerac, Louis Desnoyers, Edgar Poe, Jules Verne et H. G. Wells (textes choisis, presentes et commentes par Claude Aziza, 848 p. , 26 ¤). Signalons aussi une recente edition bilingue des Voyages extraordinaires de Lucien de Samosate (introduction et notes d’Anne-Marie Ozanam, texte bilingue, etabli et traduit par Jacques Bompaire et Anne-Marie Ozanam, Les Belles Lettres, « Classiques en poche », respectivement 76 p. , 13 ¤). Textes : Jerome Gautheret Illustrations : Killoffer 8 L’aventure spatiale 0123 Mardi 21 juillet 2009 3 octobre Premier vol de la fusee allemande A4, le futur V2 4 octobre L’URSS lance le premier satellite artificiel, Spoutnik 1 3 novembre Les Sovietiques envoient dans l’espace un etre vivant : la chienne Laika 1er fevrier Les Etats-Unis lancent leur premier satellite, Explorer 1 1er octobre Creation de l’agence spatiale des EtatsUnis, la NASA 17 decembre Les Americains envoient deux singes, Able et Baker, dans l’espace janvier La sonde sovietique Luna 1 effectue le 1er survol de la Lune 18 octobre Luna 3 transmet les premieres images de la face cachee de la Lune 1942 1957 1958 1959 1960 Comment les Etats-Unis ont remporte la course a la Lune En moins d’une decennie, les Americains reussirent a rattraper leur retard technologique sur l’URSS et ses missions Luna S ept ans de retard. Lorsque le president JohnKennedyannonce,le 25 mai1961, l’ambition americaine de poser un homme sur la Lune avant la fin de la decennieetde l’enfairerevenirsainetsauf,Objectif Lune est publie depuis plus de sept ans.

Pour autant, aucun acte politique n’aurait puetre plusambitieuxquelelancement du programme Apollo. Car, lorsque Kennedy prononce son allocution devant le Congres, aucune capsule americaine habitee n’a encore ete, stricto sensu, mise sur orbite. Seul Alan Shepard a effectue, trois semaines auparavant, un vol suborbital de quinze minutes. Autant promettre de battre le recorddumondedu100metresalorsqu’on sait a peine marcher… et que l’adversaire, lui, trottine deja. Pour les Etats-Unis, le debut de l’annee 1961 n’est pas bon.

Mi-avril, c’est la debacle de la tentative de debarquement de la baie des Cochons, a Cuba. Une semaine plus tot, un Russe de 27 ans, Iouri Gagarine, etait devenu le premier homme sur orbite. C’est sans doute cette accumulation de revers qui pousse le president americain a l’audace. S’agissant de la course a l’espace, ce n’est pas la premiere deconvenue : depuis la mise sur orbite du Spoutnik sovietique en octobre 1957, d’autres jalons ont ete poses par l’URSS. En janvier 1959, la premiere sonde a survoler la Lune, Luna 1, est sovietique.

En septembre, le premier objet fabrique de main d’homme a toucher le sol lunaire, la sonde Luna 2, est sovietique. Un mois plus tard, c’est encore un appareil du programme Luna qui prend les premiers cliches de la face cachee de la Lune… De leur cote, les Americains patissent de fusees peu fiables. Entre decembre 1956 et septembre 1959, quatorze lancements de la fusee Vanguard sont tentes, generalement pour la mise sur orbite terrestre de petits satellites scientifiques : neuf sont des echecs.

Echecs au lancement Les premiers pas des Etats-Unis vers la Lunene sontpas moinscompliques. Leprogramme Ranger, destine a envoyer des sondes sur une trajectoire de collision avec l’astre de nuit, montre a nouveau la faiblesse des lanceurs americains. Entre aout 1961 et octobre 1962, les cinq tentatives se soldent par des echecs au lancement ou par des trajectoires fautives… Il faudra attendre 1964 pour que trois Ranger s’ecrasent comme prevu sur la surface lunaire, non sans avoir envoye auparavant de nombreux cliches.

La suprematie de la technologie sovietique, qui prevaut jusqu’au debut des annees 1960, masque de profondes divergences au sommet de l’Union sovietique sur la necessite des vols habites. En octobre 1963, Nikita Khrouchtchev dit meme au New York Times que « pour le moment, [ils n’ont] pas l’intention d’envoyer des cosmonautes vers Une epopee en images « BONSOIR, chers compatriotes, dit l’homme au regard consterne. Ce soir, je veux vous parler d’un sujet qui preoccupe tous les Americains et beaucoup de gens dans le monde entier.

Le sort a decide que les hommes partis sur la Lune pour explorer en paix resteront sur la Lune pour y reposer en paix. Ces hommes courageux, Neil Armstrong et Edwin Aldrin, savent qu’il n’y a aucun espoir qu’ils soient sauves, mais ils savent aussi que leur sacrifice donne espoir a l’humanite. » L’homme qui enregistre ce message televise n’est autre que le president americain Richard Nixon. En enregistrant ce message, il anticipe une defaillance technique de l’unique moteur du module lunaire de la mission Apollo 11. Qui, si elle s’etait produite, aurait irremediablement condamne les deux premiers stronautes ayant foule le sol lunaire… Pour son documentaire In the Shadow of the Moon, qui vient de sortir en France, David Sington a exhume ce discours, jamais diffuse. Une allocution qui montre le souci de communication de l’administration americaine et de la NASA… Le film, produit par Ron Howard, prend le parti de ne jamais recourir a la voix off. La narration repose entierement sur les souvenirs des derniers astronautes vivants ayant participe aux missions lunaires – a l’exception bien sur de Neil Armstrong qui, depuis quarante ans, refuse categoriquement de s’exprimer sur la question.

Les autres evoquent l’histoire de leur recrutement, l’entrainement, la mort de trois de leurs compagnons, en 1960, lors d’un entrainement, puis la peur et la joie de l’alunissage, la « beaute apre et etrange » des paysages selenites, l’angoissant sentiment de solitude qu’ils eprouvent a y deambuler et, surtout, l’emotion de voir la Terre de si loin, si petite « qu’on pouvait [la] masquer derriere son pouce ». Une question demeure toutefois en suspens : d’ou diable vient la phrase, si parfaitement concoctee, que l’astronaute prononce avant de faire le pas decisif vers le sol lunaire ?

A-t-elle ete prevue de longue date par des responsables de la NASA – qui ne pouvaient ignorer qu’elle serait susceptible de devenir l’une des citations les plus celebres de l’histoire ? Neil Armstrong l’a-t-il pensee seul ? Si oui, dans quelles circonstances ? Il faudrait sans doute que le premier homme sur la Lune sorte de son mutisme pour avoir la reponse. p S. Fo. In the Shadow of the Moon, de David Sington, 95 min. Disponible en DVD. Diffusion sur Arte lundi 20 juillet a 20 h 45. En salles le 21 juillet. a Lune ». Sans qu’on sache, encore aujourd’hui, si cette declaration – sur laquelle il revient du bout des levres quelques jours plus tard – relevait de l’intoxication, du lapsus ou de l’aveu. Les dirigeants americains sont en tout cas sur les dents. A la NASA, on s’inquiete de l’annee 1967, qui marque le demi-siecle de la revolution d’Octobre. La dateseraitidealepourunalunissagesovietique. On s’inquiete d’autant plus de 1967 que 1966 a ete particulierement feconde pour les Sovietiques.

Le 3 fevrier, une sonde Luna se pose sur le sol lunaire, tandis que, deux mois plus tard, un autre engin, lance depuis Baikonour, devient le premier satellite de l’astre de nuit. L’URSS ne realisera finalementpas de coupd’eclat lunaire pour le cinquantieme anniversaire de la revolution. MaislesEtats-Unisdeploreront,enjanvier, la mort de trois astronautes du programme Apollo dans l’incendie d’une capsule, lors d’un exercice au sol. Pourles Etats-Unis, 1968 s’annonce aussi deplorable que 1961.

L’offensive du Tet, en fevrier, sonne le glas de l’engagement americain au Vietnam. Et, fin mars, un universitaire sovietique, Leonid Sedov, declare simplement a Space Business Daily que l’URSS « pourrait envoyer un homme sur la Lune demain ». Tous les elements d’une belle frayeursontenplace. Enseptembre,desresponsables du programme Apollo sont prevenus par des radioastronomes britanniques qui, le 19 septembre au petit matin, ont capte une conversation tenue, en russe, a bord du vaisseau Zond 5 – lance vers la Lune quelques heures plus tot… !

La NASA se rend bien vite compte qu’il ne s’agit que d’un test de la chaine de transmission et que Zond 5 est inhabite. Inhabite ? Pas completement. A bord, une tortue, des plantes, quelques insectes et des cultures de bacteries. L’appareil est envoye vers la Lune, il en fait le tour et revient sur Terre ou il est recupere dans l’ocean Indien. L’« equipage » est vivant. James Webb, l’administrateur de la NASA, declarera qu’il s’agit la de « la plus importante demonstration spatiale faite parunenation acejour ».

AWashington, on est sur que la prochaine fois sera la bonne : les Russes iront les premiers sur la Lune. La mission Apollo 8 est programmee en catastrophe pour la fin de l’annee. Un equipage partira faire le tour de la Lune, sans s’y poser,et reviendrasur Terre. Avant le lancement, on ergote sur l’emport d’une camera, qui va alourdir la capsule. Finalement, l’appareil est accepte a bord : il sera l’instrument de la victoire americaine. Les images tournees par les astronautes font, en ce Noel 1968, le tour du monde.

Il reste bien sur a tenir la promesse de Kennedy, mais les Etats-Unis ont d’ores et deja gagne, fin 1968, la bataille de la Lune. Et, en depit des apparences et d’un suspense savamment entretenu pendant pres de dix ans, leurs adversaires n’ont sans doute jamais ete en mesure de leur ravir cette victoire. p Stephane Foucart Des membres de la NASA assistent au decollage de la mission Apollo 11, a Cap Canaveral, en Floride. KSC/NASA 0123 Mardi 21 juillet 2009 L’aventure spatiale 9 U N I T E D 12 avril Le Sovietique Youri Gagarine devient le premier humain envoye dans l’espace mai Premier Americain dans l’espace, Alan Shepard 25 mai Le president John F. Kennedy annonce qu’un Americain posera le pied sur la Lune avant la fin de la decennie 12 septembre Discours « We choose to go to the Moon » de John F. Kennedy 3 fevrier La sonde sovietique Luna 9 se pose sur la Lune 21 et 27 decembre La mission Apollo 8 envoie des hommes en orbite autour de la Lune. Ils transmettent la photo d’un « lever de Terre » 21 juillet Neil Armstrong et Buzz Aldrin posent le pied sur la Lune 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969

Constellation, mission impossible pour la NASA ? La perspective d’un nouveau voyage sur la Lune se heurte a de nombreuses difficultes, techniques autant que financieres E ntre le premier vol spatial d’Alan Shepard et l’alunissage de Neil Armstrong,apeineplusdehuitanss’ecoulent. La logique voudrait donc qu’entre le discours de George W. Bush du 15 janvier 2004 – consacrantla volonte americaine de retournersurla Lune–etleretourdela banniere etoilee sur l’astre de nuit, bien moins de temps ne se passe. Or, en depit des progres techniques, c’est tout l’inverse.

Un alunissagen’estpasprevuavant 2019 ou 2020, et certains experts assurent meme que 2025 est un horizon plus plausible… Il faudra aux Americains au moins deux fois plus de temps pour retourner sur la Lune qu’il ne leur en aura fallu pour y aller. Lacomplexite duprogrammeConstellation(successeurd’Apollo)n’estpasseule en cause. Certes,il faudracettefoisdevelopper deux fusees – Ares-1 mettra sur orbite terrestre la capsuleOrion etson equipage, tandis que l’immense Ares-5 amenera sur la meme orbite le fret et le module lunaire Altair. UnefoisAltair etOrienarrimes l’una l’autre, l’ensemble partira vers la Lune.

Les charges utiles transportees sont plus importantes que lors des missions Apollo : la construction d’une base lunaire permanente, envisagee, necessiterait d’apporter sur place les elements du meccano. Ce n’est pas tout. Reflet de la nouvelle multipolarite du monde, les Etats-Unis ne sont plus seuls maitres de leur destin spatial. Au cote de l’Europe, du Japon, de la Russie, ils sont engages dans le couteux projet destationspatialeinternationale(ISS),dont la construction, sur orbite basse, est prevue pour etre achevee aux environs de 2015. Quitter le programme ISS ?

L’administration Bush a bien manifeste son desir d’ecourter sa participation a l’ISS, quitte a devoir detruire la station au moment meme ou elle deviendrait pleinement operationnelle. « Mais lorsque les Etats-Unis ont signifie qu’ils prevoyaient la fin de l’ISS en 2015, leurs partenaires ont proteste et ils ont recule pour fixer cette echeancea2015-2020, expliqueFrancisRocard,responsabledel’explorationdusystemesolaire au Centre national d’etudes spatiales (CNES). Or, il n’y a aujourd’hui que 100 milliards de dollars alloues au programme Constellation,quandl’OMB[OfficeofMana- ement and Budget, ou Bureau de la gestion et du budget] estime a 200 milliards de dollarsenvironlebudgetnecessaireaunalunissage en 2020. » Ou trouver les fonds necessaires ? La question a tout du casse-tete. L’interruption de la participation dans l’ISS souleverait les protestations des pays partenaires et pourrait compromettre de futures collaborations. Interrompre des projets de la NASA ? « Par le passe, l’arret de programmes en cours a deja ouvert de graves crises a l’agence spatiale americaine », previent M. Rocard.

De plus, une part des programmes en cours sont lies a l’observation de la Terreetbeneficientdusoutiendelanouvelle administration – Barack Obama etant repute sensible a la question climatique. Reste peut-etre une solution : interrompre le programme lunaire lui-meme. « Pour le moment, le point de non-retour n’est pas encore franchi, dit Francis Rocard. C’est-a-dire que les elements qui sont en traind’etredeveloppenesontpasspecifiquement lunaires et pourraient etre utilises a d’autres fins. L’administration Obama peut encore tout rreter sans reelles pertes financieres. » Le 7 mai 2009, Barack Obama a installe une commission presidee par Norman Augustine, ancien patron de l’avionneurLockheed Martin, pour reviser les projets americains en matiere de vols habites. Elle devrait rendre bientot le resultat de ses travaux. Quitte a gacher le quarantieme anniversaire d’Apollo 11 ? p S. Fo. Edwin « Buzz » Aldrin laisse l’empreinte de sa botte sur le sol lunaire, le 21 juillet 1969. MARSHALL SPACE FLIGHT CENTER/KENNEDY SPACE CENTER Ils n’ont jamais marche sur la Lune

Depuis les annees 1970, les theses niant la realite des expeditions lunaires prosperent. Internet leur donne une nouvelle visibilite N ee dans les annees 1970, la theorie du « canular lunaire » (moon hoax, en anglais) a ete reactivee en 2001 apres la diffusion par la chaine Fox TV d’undocumentaire d’inspiration conspirationniste. Depuis, de nombreux sites Web entretiennent, avec un certain succes, l’idee que le programme Apollo n’a ete qu’une fiction montee de toutes pieces par les Etats-Unis, pour « gagner » la course a l’espace contre l’Union sovietique.

Les images de l’homme sur la Lune auraient ete realisees dans une base militaire secrete, installee dans le desert du Nevada, avec des effets speciaux d’Hollywood, comme ceux du film 2001 : l’Odyssee de l’espace, de Stanley Kubrick – d’ailleurs soupconne d’avoir collabore avec la NASA. Une these qui figure parmi les nombreuses theories contestant les versions officielles d’evenements majeurs, comme les attentats du 11 septembre. Le moon hoax surgit en plein age d’or des theories du complot ; dans les annees 1970, avec le scandale du Watergate, on se defie volontiers du gouvernement americain.

En 1974, deux ans apres la fin du programme lunaire americain, Bill Kaysing publie Nous ne sommes jamais alles sur la Lune : l’escroquerie americaine a trente milliards de dollars. Il y releve de nombreuses « incoherences » sur les images de la NASA : l’absence d’etoiles dans le ciel, le drapeau americain qui flotte dans le vent, alors que la Lune n’a pas d’atmosphere, des engins spatiauxquiseposentsansformerdecrateres sur le sol… Une somme d’observations simples qui le conduisent a pretendre que ces images ont ete tournees sur Terre.

Cette theorie a eu un certain retentissement. En 1999, une enquete de l’institut de sondages Gallup indiquait que 6 % des Americains pensaient que les missions Apollo avaient ete truquees ; et que 5 % des personnes interrogees avouaient ne pas avoir de certitudes sur la question… Ce « scepticisme » a ete remis en selle avec la diffusion d’un documentaire choc sur Fox TV, Conspiracy Theory : Did We Land on the Moon ? (« Theorie du complot : avons-nous marche sur la Lune ? »), de Craig Tipley. Celui-ci reprenait et mettait en images les arguments de M.

Kaysing. Diffuse a deux reprises devant 15 millions de tele-spectateurs, il a accru la proportion de « sceptiques », passee de 6 % a 20 %, selon un sondage de la Fox. La NASA en appelle au bon sens Certains, comme William Karel, allumentdescontre-feux. En2002,ledocumentariste francais monte un « vrai-faux documentaire », Operation Lune, qui prend a contre-pied les spectateurs en feignant dans un premier temps d’epouser la these du complot avant de montrer a quel point la manipulation des faits par l’image est aisee… La meme annee, la NASA a replique ncommandantunlivrerefutantpointpar point les arguments des theoriciens du complot, avant d’y renoncer pour ne pas donner trop de credit aux attaques, preferant se concentrer sur quelques points. Si lesetoilesn’apparaissentpassurlesimages du ciel lunaire, c’est qu’il est difficile de capter sur le meme cliche des elements tres brillants et d’autres tres faiblement lumineux ; quant au drapeau, il « flotte » tout simplement parce qu’il etait pourvu d’une tige horizontale rigide… La NASA en appelle au simple bon sens. Ce sont les echantillons de sol lunaire qui fournissent l’argument le plus fort.

David McKay, directeur de recherches au Johnson Space Center de la NASA, rappelle que ces roches ont ete analysees par des scientifiques du monde entier, et pas seulement de la NASA. « Les echantillons lunaires sont absolument uniques, tres differents des roches terrestres, explique-t-il. En effet, ils sont cribles de petits crateres causes par des impacts de meteorites. Cela ne peut arriver qu’a des pierres provenant d’une planete avec peu ou pas d’atmosphere, comme la Lune. » Voila qui complique un peu les choses pour les tenants de la theorie du complot.

Pourquecelle-citienne, ilfaudrait aussi que des milliers de geomorphologues et de geochimistes aient ete integres a la conspiration,auxcotesdesmilliersdescientifiques et d’ingenieurs du programme Apollo… L’hypothesede lamise en scene est en realite si invraisemblable que meme l’Union sovietique ne l’a jamais avancee. Dernier avatar du conspirationnisme : les « legendes urbaines ». Il circule que Neil Armstrong aurait marmonne ces mots en retournant dans le module lunaire : « Bonne chance, M. Gorsky ! » Qui etait ce mysterieux M. Gorsky ?

Plusieurs explications sont proposees sur la Toile, quand bien memeNeilArmstrongn’ajamaisprononce ces mots…p Stephane Foucart et Diane Robin Infographie : David Lory pour Le Monde 10 Temoignages 0123 Mardi 21 juillet 2009 « Le Monde » a demande a six personnalites d’horizons tres divers comment elles ont vecu cette nuit du 21 juillet 1969. Quarante ans apres, tout le monde s’en souvient encore Cette nuit-la… « … J’avais remporte mon premier Tour de France la veille » Eddy Merckx Comme tous les gens de ma generation, je m’en souviens parfaitement.

D’autant que la veille, le 20 juillet 1969, je gagnais le premier de mes cinq Tours de France. Tout au long de la Grande Boucle, je n’y ai pas trop pense, j’etais trop concentre sur la course. Je suivais un peu l’actualite, je savais que l’homme allait bientot marcher sur la Lune, mais pour moi, le Tour de France restait primordial. Et ce meme si, au fur et a mesure des etapes, ma victoire etait de plus en plus probable. Et puis, le soir de ma victoire a Paris, apres avoir dine, je suis rentre en Belgique dans un