‘HISTOIRE AU FEMININ SELON ASSA DJEBAR À travers une lecture-analyse sémiotique de Loin de Médine Fatima Zohra Chiali Université d’Oran, Algèrie Chercheur au laboratoire LASELDI, Besançon [email protected]. fr [email protected]. com Résumé : Il s’agira dans cet article, de voir comment l’écriture qui se traduit par un feuilleté où Histoire et fiction se mêlent puis s’affrontent finit par proposer une écriture autre, discursif, capable de historicité. Assia Djeb troisième piste un di nierait le discours fé 4 Swip next page rarité et sa propre te idéologie qui
Mots-clés : Réécriture – Histoire au féminin – Intertextualité – Islam des femmes. Abstract : Our main goal is to see how writing, where history and fiction mingle and then compete, eventually proposes another writing, a third route discourse, able to build its own literariness and its own historicity. Assia Djebar develops this third route as a discourse opposing any ideology that would deny the feminine discourse. Keywords : Rewriting – women’s history – intertextuality – women’s Islam. 66 dans Loin de Médine.
Face à l’actualité inquiétante d’une Algérie saignée par le errorisme, la romancière se donne une nouvelle perspective d’écriture qui devra aborder la réalité et particulièrement celle des femmes dans l’ère musulmane. Dépassant l’idée d’une
Le texte donne à lire autrement l’Histoire : l’histoire du prophète Mohamed et celle des femmes légendaires qui l’ont entouré permet à la romancière e réaliser, à travers son projet d’écriture, un dialogue avec les hommes d’hier et d’aujourd’hui. Lorsqu’elle convoque et anime les chroniqueurs et les historiens tels que Tabari, véritables références théologiques des musulmans, l’écrivain aspire ? réecrire l’Histoire en faisant de ses alouettes naïves des femmes à part entière.
Rappelons qu’à travers ses écrits, Tabari raconte I’Histoire de l’Islam, il évoque par endroits le rôle des femmes avant, pendant et après l’Islam, sans pouvoir se détacher, diront ses critiques, d’une vision masculine de l’Histoire de Flslam dans aquelle la femme fut mise à l’écart. En la laissant dans l’ombre, les hommes, comme les historiens, se sont accaparé la parole et se sont donné l’exclusivité de dire et de raconter l’Histoire. En occultant le rôle de la femme, ils auraient ainsi falsifié la mémoire de l’Histoire.
Assia Djebar décrit cette réalité, la dénonce et proiette de la on dessin se précise par/ 20F34 dénonce et projette de la transformer. Son dessin se précise par/ dans la fiction qui permet de redonner vie aux femmes, les faire sortir du silence dans lequel on les a contraintes de rester des siècles durant. Lorsque Assia Djebar attaque sur tous les fronts les historiens qui ont voué les femmes au mutisme, elle croise ainsi les discours féminins à ceux des hommes pour nous faire découvrir un récit dans lequel le rapport entre l’Histoire, la langue et la littérature dépasse le cadre du roman traditionnel.
Une écriture en palimpseste qui fait de l’Histoire la mémoire du récit fictionnel, sa source d’inspiration et son matériau d’écriture. Les événements dramatiques d’octobre 1 988 en Algérie laissent entrevoir des forces politiques nouvelles, remettant en cause l’autorité étatique héritée de la guerre d’Algérie. 7 L’écriture se traduit par un feuilleté où Histoire et fiction se mêlent puis s’affrontent afin de proposer enfin une écriture autre, un troisième tracé discursif, capable de construire sa propre littérarité et sa propre historicité.
Assia Djebar fait de cette troisième piste un discours qui s’oppose à toute idéologie qui nierait le discours féminin. Ce coup de force devient possible par la réécriture et toute son esthétique tente de dire l’Histoire au féminin ; l’auteur donne la parole aux figures féminines que l’Histoire recense mais marginalise, elle réhabilite leur statut en laissant à chacune ‘entre elles la liberté de s 34 elle-même que l’idéologie des hommes détenteurs du pouvoir sera discréditée sinon détruite.
Ces voix donnent de l’Histoire une autre version ; ce qui permet ? Assia Djebar de la questionner et de contredire des historiens tels que Tabari. Contredire est un acte engagé, réfléchi et structuré. C’est dire le poids du faire dans la structuration du dire (Austin, 1991 Si Assia Djebar conteste les chroniqueurs arabes, c’est pour représenter un autre discours, une idéologie aux contours féminins et présenter un roman original où la fiction et fHistoire se ranscendent pour construire au terme de leur aventure une troisième piste qui se donne à lire et à relire.
Cette quête de PHistoire à travers la fiction donne au texte romanesque une dimension historique qui conditionne le lecteur ; mais en même temps qu’Assia Djebar dénonce la falsification de l’Histoire par les historiens, en réinventant une Histoire au féminin, elle va la falsifier à son tour lorsqu’elle propose à lire la version traduite2 par H. Zotemberg du texte de Tabari comme le sien. En effet, il suffit de comparer les deux textes pour s’apercevoir que la version du raducteur est une interprétation parfois très subjective de l’œuvre de l’historien et non sa traduction.
Zotemberg propose au lecteur une synthèse personnelle des écrits de Tabari. Il glisse discrètement ses opinions et ses préférences. Assia Djebar va citer Tabari en se référant à Zotemberg ; les citations qu’elle octroie à l’historien sont celles qui se trouvent dans le texte traduit et qu’on ne retrou 4 34 dans le texte source de source de Tabari. Cette (p)référence (du) au texte traduit ne contribue-t-elle pas ? théâtraliser l’Histoire et de la poser définitivement comme un module de la fiction ? s textes de Tabari vont être traduits par M. J. de Geoje dans trois séries se composant de treize volumes. Une autre traduction est suggérée en français par H. Zotenberg. 68 C’est la fiction qui prend l’ascendant sur l’Histoire, tout en l’intégrant elle la désarçonne ; tout en lui refusant de se poser comme la vérité, elle s’attribue un caractère « vériconditionnel Il s’agira dès lors de voir par quels moyens scripturaux, ce renversement devient possible et quelle est son incidence sur le lecteur. 1. L’usage de l’intertextualité 1. . Le document historique Le travail de documentation historique qui a précédé l’écriture de Loin de Médine constitue le cadre référentiel qui permet ainsi au lecteur de se projeter aisément dans cette époque créatrice de l’Islam, les premiers siècles de sa fondation et d’imaginer sans difficulté l’existence des personnages représentés dans le roman. En évoquant les historiens arabes tels que Tabari, l’auteur Assia Djebar introduit dix-huit portraits de femmes authentiques, évoquées sommairement par les écrits de ces historiens.
Commence alors un travail de description et de création cte de réécriture de 4 parfois, qu’a nourri en moi la lecture de quelques historiens des deux ou trois premiers siècles de l’Islam (Ibn Hicham, Ibn Saad, Tabari). Au cours de la période évoquée ici, qui commence avec la mort de Mohammed, de multiples destinées de femmes se sont imposées à moi ; j’ai cherché à les ressusciter… Femmes en mouvement ‘loin de Médine’, c’est-à-dire en dehors, géographiquement ou symboliquement, d’un lieu de pouvoir temporel qui s’écarte irréversiblement de sa lumière. Djebar, 1991: 5). Dans cette reconstitution du passé, immédiatement après la mort du Prophète Mohammed, es mises en scènes du pouvoir, les querelles entre hommes de pouvoir aboutissent à la guerre civile entre Musulmans « la grande fitna. » Cette guerre fratricide fait écho à celle qui a lieu, de manière dramatique, en Algérie des années 90. Ce parallélisme exhibe des analogies entre le passé et le présent, et porte à voir le destin des femmes comme une tragique illustration. 9 1. 2. La réécriture de l’Histoire Définir la réécriture3 nécessite de l’envisager au cœUr même de l’intertextualité. Paul Ricœur disait déjà qu’« écrire c’est réécrire » ; ainsi conçue, la éécriture suppose de la part de l’auteur un travail de lecture pour réécrire le texte dans ses blancs et ses silences. Assia Djebar remet en question la représentation des femmes arabo- musulmanes délibérément omises selon elle, dans les écrits istoriens.
Elle rétablit 6 34 dans cette première partie » Filles d’Ismaël « -, elles trouent, par brefs instants, mais dans des circonstances ineffaçables, le texte des chroniqueurs qui écrivent un siècle et demi, deux siècles après les faits. Transmetteurs certes scrupuleux. mais naturellement portés, par habitude déjà, ? cculter toute présence féminine… (idem: 7). pour cela, la réécriture intègre, tout en transformant, des éléments de l’Histoire ; cette conception de la réécriture semble être partagée par un certain nombre de chercheurs (Cf.
Maquerlot, 2000: 15), tels qu’Anne Logeay, J – M Winkler, Nathalie Vienne-Guerrin, Danielle Wargny et bien d’autres. Tous déclarent que la dimension sociale de la réécriture s’inscrit dans un processus de transformation du discours : un discours va à la rencontre d’un autre discours qui lui serait antérieur, soit pour le redire, soit pour le contredire. Dans les deux as, la rencontre des deux discours génère des tensions d’ordre scriptural et idéologique. La réécriture va en effet permettre à l’auteur Assia Djebar de combler les béances de la mémoire collective en opposant d’emblée son discours à celui des historiens.
Texte de la contestation, le roman met en scène des événements qui entourent les derniers jours du Prophète, comme celui de la jeune reine yéménite de Sann’a dont le nom n’est pas mentionné et qui se déroule au cours de la onzième année de l’hégire, en l’an 632 de Père chrétienne. A cette date, en effet, un chef de tribu se dresse contre l’Islam et se rétend lui-même un prophète. bataille et occupe avec sa troupe la VIIIe de Sana’a, il décide d’épouser la reine yéménite après avoir tué son époux. Tandis que l’historien 3 De manière générale, l’étude de la réécriture permet l’exploration des pratiques scripturales.
Parmi celles-ci, figurent celles qui génèrent des textes à vocation prioritairement esthétique : le roman, la nouvelle, le théâtre. La réécriture se manifeste aussi dans d’autres pratiques productrices de textes dont l’objectif primordial est celui d’élaborer un discours à finalité sociale, politique ou économique ans omettre le discours critique. Continuellement appelée à relire et réévaluer la critique, la réécriture reformule la norme, ce qui au travers de méditations complexes, renvoie aux conflits qui se jouent sur la scène sociale.
La citation, Fallusion, le plagiat, la présence effective d’un autre texte dans le texte sont ressentis comme des intrusions. L’intertextualité s’entend donc comme un parasitage visant à suggérer une interprétation autre que celle développée dans le texte d’origine. 70 Tabari déclare que la reine yéménite s’est soumise à cet homme craignant pour sa vie, l’auteur Assia Djebar contrecarre cette lecture pour suggérer que la reine du Yémen a accepté son union avec Aswad, en raison de l’admiration qu’elle lui portait : « Pourquoi Aswad l’épouse ?
Mais il pouvait la ‘prendre’, sans l’épouser. Peut-être ne manifesta-t-elle pas un excès de résistance : par calcul, par curiosité, ou, comme le suppose Tabari si hâtif à l’excuser, ‘par crainte’. Crainte qui la quittera vite » En dialoguant avec l’histori r l’interroge sur ses avec l’historien, Assia Djebar finterroge sur ses lectures et ses différentes interprétations des événements historiques : « La fiction serait ‘imaginer cette femme rouée, puisque les rames de la féminité demeurent, en ces circonstances, les seules inentamées » (Djebar, 1991: 20).
La romancière oppose à cette image de la femme craintive un personnage féminin inventif capable d’organiser un complot visant à éliminer ce faux prophète car elle découvre qu’il se comporte comme un païen. C’est parce qu’elle est déçue et dupée que la reine yéménite décide de se venger en tentant d’assassiner Aswad : « Au terme de cette illusion, sa haine. Elle s’est trompée. L’homme n’est même pas un simple croyant ; il vit en paien. Ce n’est qu’un imposteur. Bien loin d’être réduite au rôle de simple intrigante, la voici l’âme de la machination » (idem: 22).
Aussi et à travers l’épisode qui oppose Fatima au calife, la réecriture de l’histoire pose un regard critique sur l’autorité abusive des hommes. Assia Djebar met en scène la révolte de Fatima, la fille du Prophète, dépossédée de son héritage paternel par les successeurs de prophète. La fille du Prophète mène alors une lutte obstinée pour être reconnue, par les califes, comme une héritière légitime. Par le don de la parole, Fatima s’oppose farouchement ? cette injustice et si elle meurt, elle n’en demeure pas moins repentante : « Ainsi elle a dit ‘non’, la fille almée. Non’ au premier calife pour son interprétation littérale du ‘dit’ du prophète. Peut-être que, dorénavant au lieu de la surnommer ‘la fille aimée’, il faudrait faudrait l’évoquer sous le vocable : ‘la déshéritée’ ? » (idem: 86-87). Dans cet et épisode intitulé « celle qui dit ‘non’ à Médine » (idem: 66), ASSia Djebar rappelle qu’honorer les femmes implique déférence et respect de la mémoire du Prophète puisque lui-même déclare devant les fidèles : « Car ma fille est ne partie de moi-même. Ce qui lui fait mal me fait mal ! Ce qui la bouleverse me bouleverse ! ? (idem: 73). Ces deux exemples illustrent l’esprit de la réécriture chez Assia Djebar ; derrière chacun des récits féminins, VOIX, l’auteur donne à lire son intention : elle s’approprie l’Histoire, décentre avec subversion ses perspectives, produisant ainsi des changements de focalisation ou ce que Gérard Genette nomme « des transfocalisatlons narratives » (Genette, 1982: 285). 71 En effet, Assia Djebar réécrit la présence des femmes en transformant les documents des hroniqueurs, les utilisant comme un palimpseste sur lequel elle introduit sa propre inscription.
Comme le souligne Genette « cette duplicité d’objet, dans rordre des relations textuelles, peut se figurer par la vieille image du palimpseste où l’on voit sur le même parchemin, un texte se superposer à un autre qu’il ne dissimule pas tout à fait mais qu’il laisse voir par transparence » (idem: 451). 1,3. Les procédés de la réécriture pour réussir cette intertextualité, l’auteur utilise plusieurs procédés de la réécriture tels que : la traduction, la refo ridation, la polyphonie, le 0 4