L’ignorance est elle un mal

L’ignorance est elle un mal

Qu’est-ce que l’ignorance ? On l’associe tres frequemment a une absence de savoir; suivant cette logique, on peut alors aisement affirmer que le savoir est une absence d’ignorance. C’est la, vouloir definir bien hativement ces termes qui sont, tout comme le Bien et le Mal, intrinsequement lies et absolument indissociables. Tout d’abord, considerons le savoir. Par ce terme, savoir, on peut entendre science. Mais la science elle-meme ne cree-t-elle pas indefiniment de nouveaux questionnements, au fur et a mesure qu’elle avance des reponses ?

Ainsi, quand la science met fin a une ignorance, aussitot d’autres ignorances apparaissent. Dans ce cas, la science, loin d’etre une absence d’ignorance, en est plutot un generateur, comme la quete infinie d’un savoir dont les lacunes iront grandissantes tandis que l’homme tentera avec peine de les combler. Si, par le terme savoir, l’on entend sagesse, demandons-nous ce qu’est la sagesse ? Baltasar Gracian Y Morales disait : « La reflexion personnelle est l’ecole de la sagesse. « . Ainsi donc, la sagesse decoule d’une reflexion, et donc, de l’acquisition d’une science. Bien que la nature de la science detenue par le savant t celle de la science detenue par le sage different en plusieurs points, elles n’en restent pas

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moins des sciences, celles-la memes qui ne sont qu’un pont entre ignorance et ignorance. L’ignorance n’est donc pas une absence de savoir, mais justement son oppose symbiotique. Le savant et le sage sont tous deux ignorants, ainsi que l’ignorant est lui-meme sage. L’ignorance est la nature meme de l’homme L’ignorance est la nature meme de l’homme. Dans la definition qu’on lui donne, l’homme ne peut qu’etre ignorant; s’il ne l’etait pas, son savoir serait absolu et serait equivalent, donc, au savoir divin.

Ainsi, ce qui fait qu’un homme est un homme est, par definition, son ignorance. Cependant, on peut etablir deux sortes d’ignorance : l’ignorance consciente, celle du sage et du savant, et l’ignorance ignoree, celle de l’ignorant. Dans ses Essais, Montaigne distinguait deja ces deux ignorances : « L’ignorance qui se sait, qui se juge et qui se condamne, ce n’est pas une entiere ignorance : pour l’etre, il faut qu’elle s’ignore soi-meme.  » ; a l’instar de Montaigne, Victor Hugo disait du savant qu’il « sait qu’il ignore ». Le sage et le savant, par eurs reflexions, tentent de trouver une reponse a leurs questionnements; de combler leur ignorance. C’est donc qu’ils desirent y mettre fin. Or, ce desir ne peut etre assouvi; de cela, nous pouvons en deduire que le sage et le savant sont des etres qui n’aboutiront jamais a une complete realisation d’eux-memes. L’ignorant, lui, ignore qu’il ignore; le savoir ne sera donc jamais l’objet de son desir, du moins tant qu’il ne prend pas conscience de son ignorance, ce qui n’aura pas lieu sans intervention exterieure. L’ignorance est le moteur de l’humanite

L’ignorance est le moteur de l’humanite dans le sens ou l’homme ne vit que parce qu’il meconnait le futur. S’il connaissait a l’avance le deroulement de sa vie, l’homme ne serait alors plus curieux de la vivre, car ce qui pousse l’homme a vivre est bien la meconnaissance de cette vie. C’est en ce sens que Bossuet dit : « Nous nous plaignons de notre ignorance, mais c’est elle qui fait presque tout le bien du monde : ne prevoir pas, fait que nous nous engageons ». L’homme batit son existence sur un hasard absolu, et c’est exactement cela qui le rend maitre de ses mouvements et libre de son avenir.

Dire que l’ignorance est le moteur de l’humanite, c’est rejoindre la pensee Sartrienne dans son refus d’un destin tout trace pour chaque existence. « Tout ce qui m’arrive est mien » (L’Etre et le Neant) ; chacun de mes actes etant a ma hauteur, c’est-a-dire a la hauteur d’un homme, il ne peut etre qu’humain. L’idee de l’existence d’un destin implique une intervention exterieure que l’homme nomme intervention divine; or le divin ne saurait, pour donner a l’homme des actes a sa hauteur, penser comme lui; ce serait lui oter sa divinite.

A l’instar de l’innocence, « L’ignorance ne s’apprend pas », disait Gerard de Nerval; le divin, possesseur du savoir absolu, ne peut ignorer une part de ce savoir afin de penser comme un homme et de donner a sa creature des actes a sa hauteur. De par son ignorance, l’homme se rend donc maitre de ses actes et libre d’etre. L’ignorance est la stupidite Il existe une ignorance particuliere, que l’on nomme trop hativement « stupidite ». A sa naissance, l’homme meconnait totalement la societe; or, au fil de sa croissance, il s’y integre rapidement.

Cette integration ne peut resulter que de deux facteurs : l’education tout d’abord, qui structure chaque pensee et chaque agissement d’un etre humain, en lui apprenant par exemple, que « La liberte des uns s’arrete la ou commence celle des autres »; mais l’education n’est que la partie theorique de l’apprentissage de la vie en societe. « Lachez » un etre humain dans la societe alors qu’il ne possede du savoir-etre que des mots et des conseils, aussitot il aura un reflexe : celui d’imiter. Rene Girard nommait ce reflexe la mimesis, et en faisait le propre de l’etre humain : l’homme n’est qu’imitation.

L’homme ne vit pas sans modele a suivre ou sans concurrence a defier. L’homme ignorant la mimesis n’etant pas soumis a la force d’emprisonnement de celle-ci, il est donc par definition, un homme plus libre qu’un sage ou un savant. Et pourtant, l’ignorant de la mimesis ne possedant pas d’interet personnel, on lui prete assurement une inclination a la soumission : puisque l’ignorant ne construit aucune concurrence avec autrui, il obeit a ce qu’on lui demande, tant que cela ne va pas a l’encontre de ce qu’il projetait de faire dans l’interet d’autrui.

L’ignorant de la mimesis est donc, paradoxalement, libre dans sa soumission; car la soumission est un rapport de force entre plusieurs etres; or, l’ignorant de la mimesis ne connait pas le sentiment de concurrence, et par la, meconnait egalement le sentiment de rapport de force. L’ignorance possede la chance d’ignorer qu’il est ignorant L’ignorant possede la chance d’ignorer qu’il est ignorant. Ainsi le disait Edgar Allan Poe dans Un Chapitre d’idees : « L’ignorance est une benediction, mais pour que la benediction soit complete l’ignorance doit etre si profonde, qu’elle ne se soupconne pas soi-meme ».

Tout homme est ignorant, mais la conscience de son ignorance en fait un etre a jamais incomplet; force est de constater que l’homme possede le desir de savoir tout en sachant parfaitement qu’il ne l’assouvira jamais. L’ignorant, lui, ignore qu’un desir n’est pas accessible; quelque objet qu’il desire, il le poursuivra; ainsi, l’ignorant n’aboutira jamais a une complete realisation de lui-meme, mais l’ignorera. A l’instar d’un enfant, l’ignorant ne connait pas de limites au desir et a sa realisation. Mark Twain avait su le resumer avec un amusement perceptible : « Ils ne savaient pas que c’etait impossible, alors, ils l’ont fait ».