Les sources et la reception de Dom Juan de Moliere au fil des siecles Dom Juan est un mythe occidental moderne qui n’en finit pas de trouver des resonances ideologiques dans les epoques successives que la prosperite lui fait traverser. Moliere s’est inspire du personnage principal El Burlador de Sevilla y Convidado de piedra de Tirso de Molina sauf que ce Dom Juan espagnol, qui passe son temps a renier Dieu et seduire les femmes, demande a se confesser avant sa mort lors du denouement.
Apres la piece de Tirso de Molina, l’Abuseur de Seville (1630), celle de Moliere (1665) a largement favorise et fonde la fortune de cette table, en donnant a son personnage eponyme la carrure d’un heros redoutable et fascinant, seduisant et amoral.
Au debut d’aout 1664, Moliere vient d’adresser, sans beaucoup d’illusions, son premier placet au Roi a propos du Tartuffe,et, comme il ne s’attend pas a ce que l’interdiction soit levee a breve echeance, il lui faut combler au mieux le vide cree a l’affiche par l’interdiction d’une piece dont le succes etait assure. Sans doute est-il contraint d’achever plus rapidement que prevu la piece qu’il a mise en chantier quelques mois plus tot, et qui reprend le
Sans doute atteint par la virulence des attaques qu’on lui adresse, (certains libelles sont de veritables appels au meurtre tel ce sonnet anonyme qui circule dans Paris et qui fut compose apres la representation de Dom Juan), aguerri par les precedents qui ont conduit a l’interdiction du Tartuffe (1663-1664), et surtout soucieux de ne pas compromettre la protection du roi dont la troupe devient l’heureuse beneficiaire dans le courant de l’annee 1665, Moliere se garde bien de riposter. Il renonce meme au privilege royal qui l’autorise a faire publier son texte.
La piece semble tout bonnement reduite au silence, en partie avec la complicite de son auteur. Batarde et repudiee, la piece Dom Juan n’en connaitra pas moins une florissante posterite. Comme s’il etait doue d’une volonte propre et d’un farouche esprit d’independance, a l’instar de son insolent heros, le texte echappe aux controles qu’on entend lui imposer. Cette piece de Moliere suscita a sa creation une levee de boucliers des devots . On demandera a moliere de supprimer certaines scenes (dont la scene du pauvre) et certaines repliques (« mes gages ») qui semblaient tourner la religion en derision.
Elle ne sera edites qu’en 1682 dans des versions souvent mutilees et ce n’estqu’en 1884 qu’elle sera rejouee pour la 1er fois ds sa version originale. C’est en Hollande, dans la patrie de la liberte d’expression, qu’il conquiert une nouvelle existence : en 1683, une version integrale de la piece est editee a Amsterdam. Mais il faudra attendre 1819 pour une publication en France, et 1841 pour une representation sur scene conforme au texte d’origine. Six ans plus tard, en 1847, la piece entre enfin au repertoire de la Comedie-Francaise.
Ecrit en prose en un temps tres bref, derogeant a toutes les regles dramatiques et aux bienseances du theatre classique, cet objet litteraire non identifie qu’est Dom Juan a donc traverse l’horizon du Grand Siecle a la vitesse d’une etoile filante. Mais si la censure en a fait une veritable meteorite dans la constellation des comedies de Moliere, la piece n’en a pas moins fascine des generations succesives et chemine durablement dans les consciences de l’epoque moderne. Au XVIIeme siecle reprenant les arguments de la cabale a globalement critique l’? vre de Moliere jugee sur des criteres religieux et non pas esthetiques. Au XVIIIeme siecle, et en particulier sous la Regence, l’influence croissante du libertinage de m? urs, dont Dom Juan s’est fait l’apotre, gagne certains cercles d’aristocrates desoeuvres. Le XIXeme siecle est un interet croissant, il s’interesse davantage a l’? uvre. Les romantiques reprochent cependant au personnage d’etre trop modere et trop leger mais les generations suivantes sauront rendre hommage a Moliere. Le XXeme siecle a enfin permis de rehabiliter completement l’? vre de Moliere, mais au-dela des lectures classiques, les interpretations se multiplient aussi nombreuses au moins que les mises en scene. De Louis Jouvert (1947) a Patrice Chereau (1969), en passant par Jean Vilar (1953) et Marcel Bluwal (1965). Les differents langages de ce siecle, de plus en plus complexes, s’essaient sur le Dom Juan de Moliere, la linguistique, l’anthropologie, la sociologie et la psychanalyse. Plutot mal recue en son temps, cette comedie de Moliere a fini par s’imposer progressivement, et apparaitre comme l’une des meilleures pieces du repertoire francais.