Tonalite litteraire Le registre litteraire d’un texte (on parle aussi de tonalite) est defini par l’effet produit par ce texte sur le lecteur et qu’a le plus souvent recherche l’auteur. Le registre litteraire est lie a certains types de procedes stylistiques mais aussi a des themes privilegies qui determinent la reception du texte par le lecteur. Ses reactions, intellectuelles et emotionnelles, peuvent relever de la curiosite melee d’admiration artistique, de l’adhesion au propos du texte, de l’interrogation, mais aussi d’une association complexe d’attirance et de rejet.
On identifie parfois un registre neutre, qualifie de didactique ou d’informatif dans certaines ‘ uvres pas toujours vraiment litteraires comme les Memoires – ainsi les propos sur l’art de la guerre chez Montluc -, et dans les pages explicatives de certains romans comme le fonctionnement technique expose dans Jules Verne ou les digressions sur l’agronomie dans Les illusions perdues de Balzac), mais la curiosite et l’admiration pour le savoir-faire de l’auteur correspondent de facon plus generale au registre realiste caracterise par un souci de precision, d’authenticite et de credibilite avec la recherche d’un effet artistique.
Present a toutes les epoques sous des aspects divers comme dans les fabliaux (ex. la vie quotidienne dans Le vilain mire), les
Le registre realiste s’est impose dans les romans qui cherchent a produire un effet de reel (on parle aussi de verisme) plus qu’une transcription absolument fidele de la realite, d’ailleurs impossible. Ce souci de verite s’applique aussi bien aux personnages (caracteres, motivations, registre de langue, relations, mais egalement corps et fonctions intimes), qu’au cadre spatio-temporel (description des lieux, contexte historique et sociologique avec un vocabulaire technique) qu’aux peripeties individuelles et collectives. Un seul exemple emblematique : la description de la pension Vauquer au debut du Pere Goriot de Balzac.
Evidemment, le registre realiste peut s’associer a d’autres registres selon l’orientation complementaire recherchee par l’auteur, par exemple la mort pathetique de Gervaise dans L’Assommoir de Zola ou le recit dramatique du naufrage du Saint-Veran dans Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} L’adhesion [modifier] Au dela de la curiosite ou de l’admiration pour un art d’ecrire, le lecteur peut etre conduit a adherer au propos de l’auteur, c’est en particulier le cas avec le registre comique, le registre epique, le registre merveilleux et le registre lyrique.
L’adhesion jouera de la complicite dans le cas du registre comique qui sort le lecteur de lui-meme en le divertissant. La tonalite comique consiste a provoquer le rire a l’aide de divers procedes : jeux de mots, quiproquos, repetitions, associations burlesques, etc. , avec des tonalites particulieres comme l’humour. La tonalite comique deforme la realite a travers des situations qui provoquent le rire et l’ordre habituel des choses, la logique du langage, des gestes et des comportements sont mis en cause par une rupture inattendue.
La tonalite comique est une tonalite vivante qui traverse tous les genres litteraires et pas seulement le genre theatral de la comedie. Ils sont tres nombreux : on peut retenir par exemple le burlesque qui consiste a traiter un sujet noble et heroique dans un style vulgaire utilisant un registre de langue familier, des caricatures et de comparaisons peu flatteuses. (ex. Incipit du Roman comique de Scarron). la tonalite heroicomique qui se fonde sur l’utilisation du style noble et de la tonalite epique rapportee a un sujet trivial ou familier afin d’aboutir a un effet comique. ex traditionnel : Le Lutrin de Boileau). le registre satirique fait de denonciation souvent associee a l’humour qui est une prise de distance amusee ou a la parodie qui reprend les procedes d’ecriture pour se moquer, ou encore a l’ironie qui consiste a vouloir faire comprendre le contraire de ce que l’on dit et repose donc sur l’implicite en jouant de figures de rhetorique comme l’antithese, l’oxymore et l’antiphrase. (ex. : les contes philosophiques de Voltaire).
Le registre epique (ou heroique), egalement appele « tonalite epique », repose sur la reaction d’admiration du lecteur devant les exploits de heros surhumains. Utilisant le sublime et les procedes d’amplification (accumulations, images, hyperboles, superlatifs … ) les textes epiques exaltent des figures depassant l’humanite et les realites ordinaires comme dans une partie de la poesie hugolienne (La conscience dans La Legende des siecles) mais aussi dans des textes en prose comme certaines pages de Zola evoquant le peuple des mineurs revoltes parcourant la campagne dans Germinal.
Le procede du registre epique : Le Lexique : des termes empruntes a l’Antiquite ou aux grandes epopees des adverbes de temps qui soulignent et valorisent l’enchainement des actions. – un effet d’emphase et d’amplification qui correspond a la solennite du chant epique. La Syntaxe : des phrases longues et complexes qui amplifient l’action representee. – la modalite exclamative qui souligne les sentiments du narrateur. – des effets symetriques et de parallelisme qui manifestent l’opposition et l’affrontement.
Les figures de styles : des comparaisons et des metaphores, qui s’ajoutent a l’impression de puissance et de violence. – des hyperboles, ou des chiffres qui contribuent a l’amplification. des accumulations et des enumerations, qui marquent la profusion. Le merveilleux seduit le lecteur en le faisant entrer dans le domaine de l’imaginaire et du reve. Tres reperable dans le conte traditionnel, le merveilleux met en scene des personnages aux grandes qualites (bravoure, ruse … ) confrontes a des etres malefiques, imaginaires ou non (une sorciere, un dragon, un vilain comte … et reussissant a ecarter le danger apres de multiples peripeties. La narration est marquee par des indices qui degagent de tout reel comme « Il etait une fois… » ou encore « Ils se marierent et vecurent heureux » en laissant libre cours a l’imagination. Le conte depassant de tres loin le lectorat enfantin, l’imaginaire est malgre tout souvent associe a une volonte de morale rejoignant le genre de la fable (ex. Le petit chaperon rouge de Charles Perrault) ; le genre du conte philosophique revendique d’ailleurs une reflexion ethique ou politique qu’illustre de maniere exemplaire Candide de Voltaire.
Il en va de meme dans beaucoup d » uvres de science-fiction qui inventent des mondes et des etres en conduisant a la reflexion sur l’humanite par des transpositions dans l’utopie ou l’uchronie, comme dans L’homme invisible de H. G. Wells (reflexion sur l’identite et le regard des autres) ou dans Dune de Frank Herbert (reflexion sur le pouvoir et la violence). L’adhesion du lecteur fonctionne aussi par l’identification avec l’auteur a travers les confidences de celui-ci qui definissent le registre lyrique.
Le locuteur (souvent l’auteur mais pas toujours comme dans Cyrano de Bergerac) devoile ses emotions intimes et personnelles sur des themes generaux de l’humaine condition comme l’amour, la nostalgie, la solitude, la fuite du temps, le rapport a la nature ou la mort. Tirant son nom de la lyre d’Orphee, heros et poete de la mythologie grecque, le registre lyrique correspond a l’expression des sentiments qu’ils soient heureux (joie, bonheur d’aimer, enthousiasme, exaltation de la beaute … ) ou elegiaques, exprimant la plainte et la melancolie.
Ce «Chant de l’ame» est particulierement associe a un aspect de la poesie avec des procedes comme l’emploi de la premiere personne du singulier, un lexique du sentiment et des mises en relief que representent l’utilisation des apostrophes et des invocations (_O saisons ! O chateaux ! _ – Rimbaud), une ponctuation expressive, l’emploi de nombreuses figures de rhetorique (images, accumulations … ) ou la recherche d’effets musicaux jouant sur les rythmes et les sonorites (alliterations, anaphores … ). Deux exemples emblematiques : « Demain, des l’aube… de Victor Hugo (_Les contemplations_) et Ne me quitte pas de Jacques Brel. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} L’interrogation [modifier] Parfois le lecteur se trouve face a un questionnement vis a vis du texte, ce questionnement pouvant mettre en jeu la reflexion comme l’emotion. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} Le registre argumentatif [modifier] L’interrogation correspond au registre argumentatif (ou deliberatif) qui cherche a faire adherer le lecteur a une these en appelant a la raison (convaincre) comme au sentiment (persuader) (exemple : Supplement au voyage de Bougainville de Diderot) [1].
On trouvera les sous-registres de l’epidictique (blame et eloge : hymnes, oraisons funebres, par exemple les textes de Bossuet) et du polemique, parfois appele pamphletaire (exemple Les Chatiments de Victor Hugo). On peut lui associer le registre didactique employe dans les textes delivrant un enseignement : il est fonde sur une argumentation destinee a informer et a convaincre un interlocuteur. L’interrogation est de mise aussi dans le cas du registre fantastique qui introduit une faille dans le reel, jouant sur le doute d’une realite possible. (ex.
Le Horla ‘ Maupassant) Il debouche souvent sur le registre dramatique quand l’interrogation se transforme en inquietude. Le registre tragique presente des personnages hors du commun aux destins marques par la fatalite. Il depasse ainsi le registre dramatique en montrant une situation sans issue qui repose sur l’intervention d’une force superieure ou d’une divinite, sur une obligation morale ou sur l’emprise d’une passion. Le heros tragique se caracterise en general par sa grandeur : noble, hors du commun, il possede grandeur d’ame, courage et lucidite qui lui permettent d’affronter le destin tout en prenant conscience de son impuissance.
Il exprime sa douleur devant l’etendue du malheur qui le frappe en particulier a travers l’imprecation qui souhaite la ruine, le malheur ou la malediction (ex. Camille dans Horace de Pierre Corneille vers 1301-1318 ) mais qui peut aussi exprimer une revolte contre la cruaute des dieux, le destin cruel ou une situation injuste (ex. Phedre dans la piece de Racine), a travers la supplication, sous forme d’une priere (ex. Andromaque de Racine acte III, sc 4) ou a travers la lamentation qui exprime une tristesse intense, des regrets tres vifs (ex. ans Electre d’Euripide, le threne de l’heroine eponyme pour son pere). Le registre tragique introduit ainsi la terreur a la pitie devant la force du destin qui frappe les protagonistes et le caractere ineluctable de l’echec, ayant ainsi une fonction de catharsis. Pour clarifier les differences entre ces registres voisins, on retiendra que la mort d’Antigone est tragique parce que ineluctable, que la mort de Gavroche dans Les Miserables est dramatique parce qu’elle est triste ais qu’il aurait pu en etre autrement et que la mort de l’enfant dans « La Peste » d’Albert Camus (Partie IV, chapitre 3) est pathetique parce qu’elle cherche d’abord a creer une forte emotion sur le lecteur qui se projette dans la situation. {text:bookmark-start} {text:bookmark-end} Problematique [modifier] Les approches de la notion de registre litteraire sont assez flottantes et parfois discordantes, avec des listes de taille variable, souvent sans organisation synthetique.
On trouve cependant des classements interessants mais aux frontieres psychologiquement artificielles comme celui qui separe les reactions touchant l’esprit (renseigner/convaincre), le c’ ur (sympathie/inquietude/rejet) et enfin le divertissement (reve/comique). Les textes ne sont pas toujours homogenes, on peut determiner plusieurs registres dominants pour une meme page : le monologue de Figaro dans la piece de Beaumarchais sera a la fois comique et argumentatif.
C’est encore plus vrai quand on traite d’une ‘ uvre entiere. Le registre litteraire ne doit pas etre confondu avec le registre de langue (soutenu, familier … ) qui definit un choix esthetique sans prejuger de l’effet obtenu (comique, realiste … ). Ainsi la notion de registre litteraire est clairement fondee et peut aider a l’analyse litteraire. Elle ne doit cependant pas etre trop normative ni dispenser d’une justification.