la philosophie des Lumieres Qu’est-ce que les Lumieres ? Pierre Bayle, l’auteur du Dictionnaire historique et critique (1696-1697), la premiere machine de guerre contre l’ignorance et le fanatisme, avait predit que le siecle a venir serait «de jour en jour plus eclaire». La metaphore de la lumiere designe le mouvement intellectuel critique, la floraison d’idees nouvelles, qui caracterise le XVIIIe siecle europeen: illuminismo en italien, ilustracion en espagnol, Aufklarung en allemand designent le passage de l’obscurite au jour, de l’obscurantisme a la connaissance rationnelle.
Les Lumieres en effet sont un processus, une methode, une attitude intellectuelle, plutot qu’une doctrine achevee. Kant, en 1784, ecrit: «Les Lumieres se definissent comme la sortie de l’homme hors de l’etat de minorite, ou il se maintient par sa propre faute. La minorite est l’incapacite de se servir de son entendement sans etre dirige par un autre. Elle est due a notre propre faute quand elle resulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de resolution et de courage pour s’en servir sans etre dirige par un autre. Sapere aude!
Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voila la devise des Lumieres. » Pour les intellectuels du XVIIIe siecle europeen, l’homme se caracterise par
A la suite de John Locke et de Pierre Bayle, ils definissent une methode critique pour refuter les pretendues verites revelees, comme la vie des saints ou les explications par le surnaturel. Ils en viennent du meme coup a critiquer la monarchie de droit divin. Jalons chronologiques d’un mouvement intellectuel Le baron de Montesquieu (1689 – 1755), president au parlement de Bordeaux et auteur des Lettres persanes (1721), satire audacieuse des croyances et des m? rs des Francais a la fin du regne de Louis XIV, a formule, apres un voyage en Europe ; et plus particulierement en Angleterre ;, une nouvelle philosophie de l’histoire: «Il y a des causes generales, soit morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie, l’elevent, la maintiennent, ou la precipitent; tous les accidents sont soumis a ces causes» (Considerations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur decadence, 1734). Autrement dit, on peut expliquer le monde.
L’annee 1748 marque un tournant, avec la parution et le grand succes de l’Esprit des lois, dans lequel Montesquieu analyse tous les regimes politiques et etablit les rapports necessaires qui unissent les lois d’un pays a ses m? urs, a son climat et a son economie. Par la apparait bien la relativite du regime monarchique. L’annee suivante, Diderot publie sa Lettre sur les aveugles, et Buffon le premier volume de son Histoire naturelle; en 1751 paraissent le premier volume de l’Encyclopedie de Diderot et de D’Alembert et le Siecle de Louis XIV de Voltaire.
Entre 1750 et 1775, les idees essentielles des Lumieres se cristallisent et se diffusent. La figure centrale est celle de Voltaire (1694 – 1778); admirateur des institutions et des libertes anglaises, dans ses Lettres philosophiques, ou Lettres anglaises (1734), il attaque durement, par contrecoup, le regime de Louis XV. En 1760, apres une vie agitee, et notamment trois annees passees aupres du roi de Prusse Frederic II, Voltaire s’etablit a Ferney, pres de la frontiere suisse (donc a l’abri des poursuites), d’ou il exerce une veritable souverainete intellectuelle, par ses livres et surtout par son abondante correspondance.
Quoique modere sur le plan social et politique, il s’enflamme pour denoncer les denis de justice, le fanatisme et l’intolerance. A cette epoque, les Lumieres francaises ont conquis l’Europe cultivee: «Il s’est fait une revolution dans les esprits [… ]. La lumiere s’etend certainement de tous cotes», ecrit Voltaire en 1765. Desormais, l’atheisme n’hesite plus a se devoiler, trouvant en Helvetius (De l’esprit, 1758) et en d’Holbach (Systeme de la nature, 1770) ses principaux defenseurs.
Un nouveau venu, Jean-Jacques Rousseau, fils d’un modeste horloger genevois, incarne le versant democrate des Lumieres. Persuade que tous les hommes naissent bons et egaux, il exalte l’etat de nature et la libre expression des sentiments, reclame la protection des droits naturels de l’homme. Si apres 1775 les grands ecrivains disparaissent (Voltaire et Rousseau en 1778, Diderot en 1784), c’est le moment de la diffusion maximale, tant geographique que sociale, des Lumieres; l’opinion se politise, prend au mot leurs idees: la philosophie est sur la place publique.
L’? uvre de l’abbe Raynal (Histoire philosophique et politique des etablissements et du commerce des Europeens dans les deux Indes, 1770), qui condamne le despotisme, le fanatisme et le systeme colonial, connait un grand succes. Le mathematicien Condorcet publie des brochures contre l’esclavage et pour les droits des femmes, et prepare sa synthese de l’histoire de l’humanite (Esquisse d’un tableau historique des progres de l’esprit humain, 1793). Rayonnement europeen Les Lumieres ne connaissent pas de frontieres.
Leur cosmopolitisme decoule de l’universalite de la condition humaine. Le mouvement touche donc toutes les elites cultivees d’Europe, mais sa langue est le francais, qui remplace le latin comme langue internationale des intellectuels. A la cour de Vienne ou de Saint-Petersbourg, les Francais sont a l’honneur, et leurs livres a la mode. Cette hegemonie tient au poids particulier de la France en Europe depuis Louis XIV, mais aussi au modele de modernisme qu’elle incarne, a travers ses ecrivains et ses savants, aux yeux des etrangers. Et, de fait, ‘est en France que le mouvement des Lumieres conquiert la plus large audience intellectuelle dans l’opinion. Dans les autres Etats d’Europe continentale, il n’a entraine qu’une partie des elites. Le cas de l’Angleterre est singulier: elle a precede et influence les Lumieres francaises naissantes, mais ses intellectuels n’ont pas pretendu se substituer au gouvernement ou a l’Eglise; sa classe dirigeante est restee impregnee de puritanisme et s’est plus preoccupee de commerce que de philosophie : elle s’est satisfaite des acquis de sa revolution de 1689.
Les droits de la raison «Philosopher, ecrit la marquise de Lambert en 1715, c’est rendre a la raison toute sa dignite et la faire rentrer dans ses droits; c’est secouer le joug de la tradition et de l’autorite. » Le fonds commun des Lumieres reside dans un rejet de la metaphysique, selon laquelle la transcendance (Dieu) precede la realite (le monde). Les termes en sont inverses: la transcendance est ce qui reste, ce qui resiste a toute analyse rationnelle, scientifique, historique.
Par-dela leur diversite, les hommes des Lumieres ont en commun cette attitude d’esprit inspiree de la methode scientifique, de l’experimentalisme de Newton et de Locke: chercher dans l’investigation empirique des choses les rapports, les correlations, les lois qui les regissent, et qui ont ete jusqu’a present masques par les «prejuges». La nature est rationnelle Du coup, la verite est recherchee du cote du monde physique, de l’univers pratique. Avec les Lumieres, le regard intellectuel curieux se detourne du ciel au profit du monde concret des hommes et des choses.
A l’etal du libraire, dans la liste des nouvelles publications, la proportion s’inverse entre les rubriques «arts, sciences et techniques» et «religion», au detriment de cette derniere. Les dogmes et les verites revelees sont rejetes. Les Lumieres refusent la pretention de la religion a tout expliquer, a fournir les raisons ultimes; elles veulent distinguer entre les differentes spheres de la realite: le naturel, le politique, le domestique, le religieux, chacun ayant son domaine de pertinence et ses lois, chacun exigeant des savoirs et des methodes de connaissance differents.
En ce sens, les Lumieres sont laiques. Pourtant, la plupart des intellectuels eclaires restent deistes: pour eux, l’Univers est une mecanique admirablement reglee, dont l’ordre implique une intelligence ordonnatrice. «Je ne puis imaginer, dit Voltaire, que cette horloge marche et n’ait pas d’horloger. » Cette religion dite «naturelle» postule l’existence d’un «Etre supreme»: nous savons qu’il est, mais nous ne pouvons savoir ce qu’il est; il echappe a la connaissance rationnelle. En revanche, la raison peut rendre compte des rouages de sa construction, «l’horloge».
La nature est donc connaissable. On est loin de la croyance chretienne en un Dieu personnel, Christ mort et ressuscite pour le salut du monde, toujours implique avec l’humanite en marche dans la realisation de sa propre histoire. D’autres, peu nombreux (Helvetius, d’Holbach, Diderot), vont plus loin: ils refutent tout deisme, au profit d’un materialisme athee selon lequel n’existe que la matiere en mouvement. Les sources de la connaissance : experience et sensation Si la verite de la nature s’eclaire par les demonstrations impartiales de la raison, elle procede aussi de la sensibilite humaine.
A la suite de Locke, Condillac (1715 – 1780) affirme que toute connaissance provient des sens (Traite des sensations, 1754). L’experience occupe ainsi une place centrale dans la theorie de la connaissance du XVIIIe siecle. Cette methode procede par l’observation, l’analyse, la comparaison. D’ou l’importance du voyage comme moyen de connaissance; d’ou aussi le souci presque obsessionnel de la classification des faits, de la construction de tableaux : connaitre, c’est decrire, inventorier, ordonner.
Ainsi procede Buffon dans les trente-six volumes de son Histoire naturelle. La raison experimentale, des lors, ne connait pas de frontieres: les Lumieres operent une formidable expansion de la sphere de la connaissance scientifique. La raison est universelle; a cote des sciences naturelles et des sciences de la vie se developpent les sciences humaines: ethnologie, psychologie, linguistique, demographie. Dans l’Esprit des lois, Montesquieu invente une sociologie politique, en recherchant les rapports qui unissent les «m? rs» de chaque peuple et la forme de son gouvernement. Le bonheur et le progres La philosophie des Lumieres procede d’un humanisme laique : elle place l’homme au centre du monde, et entend ? uvrer a son bonheur. Pour Voltaire, «le vrai philosophe defriche les champs incultes, augmente le nombre des charrues, occupe le pauvre et l’enrichit, encourage les mariages, etablit l’orphelin. Il n’attend rien des hommes, mais leur fait tout le bien dont il est capable».
Un tel humanisme se situe a rebours de l’esperance chretienne: «La vertu consiste a faire du bien a ses semblables et non pas dans de vaines pratiques de mortifications», ecrit encore Voltaire. Foin des prieres et des cierges dans les eglises, il faut des actes. Tout l’effort de connaissance est oriente vers l’utilite commune. Cette conception utilitariste fait du bonheur le bien supreme. Elle tourne le dos a l’idee chretienne de purification par l’epreuve et la souffrance, ainsi qu’aux notions nobiliaires et militaires d’heroisme et de gloire.
Il y a la un optimisme fondamental, aux effets mobilisateurs : les hommes des Lumieres croient au progres possible des connaissances, a la capacite de la raison de saper les conventions, les usages et les institutions qui contredisent la nature et la justice. Pour eux, l’avancee de la science garantit la marche vers le bonheur. Cette foi dans le progres indefini de l’humanite se trouve d’ailleurs confortee par les decouvertes scientifiques et la croissance economique du siecle. Un manifeste des Lumieres: l’«Encyclopedie» Un ouvrage incarne a lui seul cette vaste entreprise humaniste et savante des Lumieres: c’est l’Encyclopedie.
Dix-sept volumes de texte, onze volumes de planches gravees, des dizaines de collaborateurs, 71 818 articles de A a Z, vingt-cinq annees de travail : il s’agit la de la plus fantastique realisation editoriale de son temps. Tout commence en 1745, quand le libraire-editeur Le Breton entreprend de publier une version francaise du dictionnaire de l’Anglais Chambers, paru en 1728. Deux ans plus tard, le philosophe Diderot et le mathematicien d’Alembert (1717-1783) deviennent codirecteurs du projet et lui donnent une plus vaste ampleur. Le role de Diderot
Denis Diderot (1713-1784) a alors trente-quatre ans. Philosophe, auteur dramatique, critique d’art, doue d’une intelligence aigue, ce fils d’un modeste coutelier de Langres va se reveler le penseur le plus hardi de son temps et le principal animateur du mouvement philosophique de la seconde moitie du siecle. En 1749, sa Lettre sur les aveugles lui vaut un emprisonnement au donjon de Vincennes, pour delit d’atheisme. Libere, il fait de l’Encyclopedie, de simple dictionnaire qu’elle etait, une ? uvre gigantesque: ce sera une somme, un bilan des connaissances humaines dans tous les domaines.
Parmi les collaborateurs, on retrouve les figures celebres du siecle: Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Buffon, Helvetius, d’Holbach, Quesnay, de Jaucourt, Grimm, Turgot. Un projet ambitieux Meme si certains articles se contredisent, meme si tous les auteurs ne sont pas egalement temeraires, le caractere novateur et progressiste de l’ensemble tient a sa forme : celle d’un dictionnaire encyclopedique, a vocation totalisante et universelle, qui offre «un tableau general des efforts de l’esprit humain dans tous les genres et dans tous les siecles».
Ce qui est revolutionnaire, ce n’est pas le contenu en soi de tel ou tel article, mais le caractere de la demarche logique postulant l’unite des connaissances, produits d’une activite pratique de la raison. L’Encyclopedie veut vulgariser l’ensemble du savoir humain. Aussi s’attache-t-elle a decrire minutieusement tous les arts et les metiers, tous les savoir-faire concrets. La liberte d’operer autant de rapprochements qu’il le desire est donnee au lecteur par le choix d’un classement alphabetique, qui met tous les savoirs &endash; scientifiques, intellectuels et pratiques &endash; sur un plan d’egale legitimite.
Une mission Diderot s’explique precisement, dans l’article «Encyclopedie», sur ce qu’il concoit comme une veritable mission: «Le but d’une Encyclopedie est de rassembler les connaissances eparses sur la surface de la terre; d’en exposer le systeme general aux hommes avec qui nous vivons, et de les transmettre aux hommes qui viendront apres nous; afin que les travaux des siecles passes n’aient pas ete des travaux inutiles pour les siecles qui succederont; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en meme temps plus vertueux et plus heureux, t que nous ne mourions pas sans avoir bien merite du genre humain. » Une arme Le livre devient alors un formidable instrument de combat contre les forces de la tradition et de l’immobilisme. «Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et menagement», ecrit d’Alembert. Certes, l’editeur Le Breton tente de menager la censure, car les enjeux financiers sont enormes pour lui. On ne trouve donc rien de bien subversif dans les articles «Eglise» ou «Christianisme». Mais si le lecteur veut se preter au jeu de cache-cache, il peut voir le pape ridiculise dans l’article «Siako».
Dans «Ypaini», l’eucharistie et la messe sont montrees comme des rites paiens. L’absolutisme monarchique est denonce dans l’article «Representant». «Impot» prone l’egalite fiscale et l’abolition des privileges. Soutiens et detracteurs Les institutions visees ne s’y sont pas trompees. Tour a tour, tous les adversaires des Lumieres ont tente de briser l’entreprise. L’edition est interdite a deux reprises, en 1752 parce qu’elle enseigne «la revolte envers Dieu et l’autorite royale», puis en 1759, apres la parution du livre d’Helvetius, De l’esprit.
Le parlement de Paris, conservateur, condamne l’Encyclopedie; le roi en revoque l’autorisation de publication qu’il avait accordee. L’Eglise la met a l’Index; le pape ordonne a tous les catholiques qui la possedent de la bruler, sous peine d’excommunication. Pourtant, a force de tenacite et d’habiles compromis, la publication reprend. En fait, deux personnages influents protegent les encyclopedistes: Mme de Pompadour, la favorite de Louis XV, et Malesherbes, le directeur de la Librairie, c’est-a-dire le responsable de la censure, gagne aux idees des Lumieres. En 1772, la premiere edition arrive a son terme: 4 300 exemplaires ont ete vendus.
Si l’on ajoute les multiples reeditions, la diffusion atteint 25 000 exemplaires avant 1789: plus qu’un succes, c’est la formidable reussite d’un best-seller, qui aura cependant enrichi ses editeurs bien plus que ses auteurs. Il n’empeche: en rassemblant toutes les idees nouvelles, toutes les critiques contre le regime etabli, l’Encyclopedie a ete le plus puissant vehicule de la propagande philosophique. Le combats des Lumieres pour la liberte C’est sur le terrain des libertes, de la lutte contre l’arbitraire (insupportable dans les faits, revoltant dans les principes) et l’intolerance que les Lumieres ont mene leurs principaux combats.
Contre l’arbitraire La critique des Lumieres s’attaque aux manifestations jugees les plus insupportables de l’absolutisme monarchique, et en premier lieu a l’arbitraire et a la toute-puissance de l’appareil policier. Il n’existe d’habeas corpus qu’en Angleterre : depuis 1679, personne ne peut y etre arrete et inculpe sans avoir ete defere dans les vingt-quatre heures devant un juge qui doit notifier le motif precis de l’arrestation et laisser l’inculpe choisir un avocat. Police et administration n’y ont aucun pouvoir juridictionnel : la ustice est independante, ce qui garantit la liberte. Rien de tel dans les monarchies absolues. En France, la pratique des «lettres de cachet», en particulier celles laissees «en blanc», qui permettent a tout agent royal qui en dispose de priver n’importe qui de liberte, symbolise l’arbitraire du pouvoir. Contre la torture Les scandales qui eclatent sensibilisent l’opinion aux problemes de la justice et de son organisation, lente, couteuse, influencable jusqu’a commettre les pires erreurs sous la pression des prejuges.
De meme, on s’indigne du caractere atroce de la procedure penale. Avec le juriste italien Beccaria (Des delits et des peines, 1764) s’impose l’idee d’une justice qui n’utiliserait plus la «question», c’est-a-dire la torture, pour extorquer des aveux aux accuses; une justice devenue impartiale, qui proportionnerait les chatiments aux fautes demontrees, sans cruaute; une justice qui ne donnerait plus l’horrible spectacle de l’ecartelement ou de la lente agonie, sur la roue, de supplicies a qui le bourreau a brise les membres a coups de barre de fer. Contre l’intolerance
Dans l’Europe du XVIIIe siecle, la question religieuse reste l’enjeu le plus brulant. Les differentes confessions affirment toutes en effet la meme pretention a l’universalite et a l’exclusivite (a l’exception du judaisme, qui ne pretend pas convertir les non-juifs). De plus, partout prevaut le modele de la religion d’Etat (catholique ou protestante) imposee a tous les habitants et tolerant difficilement (tres difficilement en France, en Espagne, dans les Etats italiens, ou plus facilement en Prusse ou dans les Provinces-Unies) la presence d’etrangers de confessions differentes.
Certes, en Angleterre, la loi de tolerance de 1694 reconnait la liberte de culte pour les dissidents de l’Eglise anglicane, mais nullement pour les catholiques; de plus, les fonctions d’Etat y restent reservees aux seuls anglicans. Partout, enfin, les juifs se voient confines aux marges de la societe. Face a l’intolerance et aux persecutions religieuses, les Lumieres vont mener un combat passionne : prison, exil, excommunication guettent l’auteur imprudent ou sans protection. Le plus incendiaire de tous est Voltaire. Des l’age de vingt-trois ans, il a tate de la Bastille.
Mais ni la prison ni les autodafes n’ont eu raison de sa verve insolente. Il deteste l’obeissance, de facon viscerale. Il ne cesse de fustiger, de sa plume aceree, l’injustice, l’arbitraire et l’obscurantisme. Au bas de ses pamphlets rageurs, il signe Ecrelinf: «ecrasons l’infame», c’est-a-dire le pretre fanatique, l’Inquisition et tous les dogmes religieux qui prechent la crainte et la soumission. Contre les juges de Calas et du chevalier de La Barre S’il le faut, Voltaire n’hesite pas a s’engager. Entre 1761 et 1765, l’affaire Calas secoue la France.
Jean Calas a retrouve un soir son fils pendu, chez lui, a Toulouse. Or il est protestant: des qu’on apprend que son fils etait sur le point de se convertir au catholicisme, Calas est accuse de l’avoir assassine. Malgre l’absence de preuve, il est condamne a mort: il meurt par le supplice de la roue. Contacte par les amis de Calas, Voltaire n’a de cesse d’obtenir reparation. Inlassablement, il ecrit a tous les grands de France et d’Europe. Il obtient finalement la rehabilitation de Calas et le desaveu des juges aveugles par le fanatisme.
Et il repart aussitot en campagne. Cette fois, la victime etant noble et catholique, son supplice est abrege : le jeune chevalier de La Barre, condamne par le parlement de Paris, a le poignet tranche, la langue arrachee, la tete coupee; son corps est brule avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire. Son crime ? Officiellement, la profanation d’un crucifix; en realite, c’est son anticlericalisme qui est pourchasse. Voltaire plaide a nouveau, mais cette fois en vain. Le combat cependant a porte ses fruits.
A la fin du siecle, la liberte religieuse des individus a fait de grands progres (edit de tolerance en 1781 en Autriche, reconnaissance de l’etat civil des protestants en 1787 en France, plus grande liberte en Angleterre et en Prusse). Il faut toutefois se garder de tout anachronisme: ces luttes ont ete menees moins au nom des droits de l’Homme (dont la theorisation est posterieure) qu’a celui de la religion naturelle. Pour les hommes des Lumieres, toutes les religions relevent de la meme croyance en un Dieu legislateur moral, d’une religiosite naturelle commune a tous. C’est ‘exclusivisme religieux qui eleve des barrieres, ce sont les dogmes, les rites, les interets clericaux, tout ce qui fige les differences entre les religions, qu’il faut eliminer. Contre les discriminations L’appel a la tolerance n’est pas une apologie de la difference. Il ne s’agit pas de faire reconnaitre juridiquement des particularismes, mais bien plutot de faire disparaitre les differences legales : les philosophes des Lumieres sont universalistes. Leur lutte contre les discriminations repose sur la conviction d’une egalite naturelle du genre humain. Pour eux, les prejuges historiques ont perverti l’etre original de l’homme.
D’ou leur fascination pour les cas d’ensauvagement d’enfants, reintegres par l’education dans la societe. D’ou le souci d’abolir les situations d’exclusion des marginaux, des malades, des pauvres ou des fous, dans lesquels le christianisme voyait au contraire le signe du peche originel et l’occasion pour les fideles de manifester la vertu de charite. Contre l’esclavage Egalite de l’homme primitif, universalisme de l’humanite, ces deux principes conduisent a denoncer l’esclavage des Noirs. Dans Candide, de Voltaire, le heros rencontre un negre mutile : cet esclave des champs de canne a sucre a perdu une main et une jambe. On nous donne un calecon de toile pour tout vetement deux fois l’annee, explique-t-il. Quand nous travaillons aux sucreries et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe. » Et il ajoute: «C’est a ce prix que vous mangez du sucre en Europe. » L’Histoire des deux Indes de l’abbe Raynal, a laquelle Diderot a collabore, est le plus eclatant manifeste abolitionniste: «Brisons les chaines de tant de victimes de notre cupidite, dussions-nous renoncer a un commerce qui n’a que l’injustice pour base et le luxe pour objet. »
Cette meme conviction de l’egalite naturelle du genre humain conduit a condamner la societe d’ordres de l’Ancien Regime. Ecoutons Figaro, le serviteur qui s’adresse a son maitre: «Parce que vous etes un grand seigneur, vous vous croyez un grand genie!… Noblesse, fortune, un rang, des places; tout cela rend si fier! Qu’avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous etes donne la peine de naitre, et rien de plus» (Beaumarchais, le Mariage de Figaro, 1784). Les m? urs, la societe sont condamnees parce qu’elles fonctionnent a rebours de la nature. Pour la liberte d’entreprise et de commerce
Toute la pensee des Lumieres repose, au fond, sur une conception de l’homme qui place au premier plan l’utilite : par nature, l’homme recherche son interet, moteur de sa perfectibilite et de sa sociabilite; mais des groupes d’interets particuliers, les tyrans, les pretres, les armateurs qui vivent de la traite negriere, les charlatans qui profitent de la credulite, ont detourne la masse des hommes de leur interet bien compris, celui ou l’interet individuel n’est pas contradictoire avec l’interet collectif. De cette conviction d’une plus grande efficacite sociale de la liberte decoule le liberalisme economique.
Des 1758, autour de Francois Quesnay (1694-1774), les physiocrates reclament la liberte du commerce des grains, convaincus qu’elle seule incitera les agriculteurs a ameliorer leur production. Avec Vincent de Gournay (1712-1759) et Turgot (1727-1781), les liberaux proclament la vertu de leur these dans la maxime: «Laissez faire [produire], laissez passer [circuler]. » En 1776, l’Ecossais Adam Smith (1723-1790) expose les regles du liberalisme capitaliste dans un ouvrage destine a un exceptionnel retentissement, la Richesse des nations.
Pour lui, la spirale vertueuse de l’enrichissement obeit a un mecanisme simple : la poursuite par chacun de son interet egoiste. La libre concurrence conduit spontanement a l’harmonie; la composition des interets prives debouche sur le bien general: «Les interets prives et les passions des individus les portent a diriger leurs capitaux vers les emplois qui sont le plus avantageux a la societe. » Il ne faut donc pas chercher a faire le bien, mais le laisser naitre spontanement de nos passions. Ainsi agit la «main invisible» du libre marche. La liberte du commerce est donc, selon Smith, le plus efficace agent du developpement economique.
La cite ideale des philosophes Au-dela de ces convictions liberales plus ou moins partagees, plus ou moins coherentes selon les auteurs, les hommes des Lumieres apparaissent divises quant a la conception du meilleur regime politique. Le modele anglais Voltaire dans les Lettres anglaises, Montesquieu dans l’Esprit des lois ne sont a proprement parler ni republicains ni democrates. Voltaire a vu l’Angleterre, rapidement; il a surtout lu John Locke, le theoricien de la revolution de 1688, qui fait l’eloge de la monarchie constitutionnelle, ou le roi partage le pouvoir avec la nation.
Montesquieu est plus systematique, il propose une histoire et une sociologie des regimes politiques : le gouvernement republicain, « ou le peuple en corps [democratie] ou seulement une partie du peuple [aristocratie] a la souveraine puissance », repose sur la vertu; le gouvernement despotique, «ou un seul, sans lois et sans regles, entraine tout par sa volonte et par ses caprices», se fonde sur la crainte; le gouvernement monarchique, «ou un seul gouverne, mais par des lois fixes et etablies», repose sur l’honneur.
C’est a cette monarchie moderee, de type anglais, ou la liberte est assuree par la separation des trois pouvoirs, executif, legislatif et judiciaire, que vont les preferences de Montesquieu. L’Angleterre est donc le modele: le royaume le mieux gouverne de l’Europe, parce que le citoyen y est protege par la loi contre tout arbitraire, parce que le roi respecte la loi qu’il n’a pas elaboree lui-meme, prerogative qui appartient aux representants elus de la nation. Pour autant, le role preeminent de la noblesse dans la nation et au Parlement n’est pas remis en cause. Montesquieu propose qu’en France es «pouvoirs intermediaires» (clerge, noblesse, parlements judiciaires) exercent une forme de controle, comme representants naturels de la nation, sur la monarchie: son liberalisme politique est donc limite aux elites. Voltaire, quant a lui, finit par s’eloigner du modele anglais, car il ne veut pas donner trop de pouvoir a des elites aristocratiques et religieuses resolument hostiles aux Lumieres et au progres. Il prefere donc pour la France un monarque et un gouvernement forts, mais eclaires, qui respectent les libertes civiles, excluent tout arbitraire, et suivent les conseils des philosophes pour moderniser le pays, d’en haut.
Les contradictions du despotisme eclaire Faute de trouver suffisamment de credit au sein des elites, par mefiance envers une noblesse et des parlementaires juges obscurantistes, et considerant le peuple trop peu eclaire, les Lumieres francaises reportent leurs espoirs sur des souverains qu’ils esperent convertir a leurs idees: c’est le «despotisme eclaire». Il s’agit de subordonner les interets privilegies et les coutumes au systeme rationnel d’un Etat cense representer le bien public, de favoriser le progres economique et la diffusion de l’enseignement, de combattre tous les prejuges pour faire triompher la raison.
Ce despotisme eclaire inspira Frederic II en Prusse, Catherine II en Russie, Joseph II en Autriche. Mais les philosophes qui croyaient jouer un role positif en conseillant les princes, comme Voltaire aupres de Frederic II et Diderot aupres de Catherine II, perdirent vite leurs illusions. Ce qu’ils avaient pris pour l’avenement de la raison et de l’Etat rationnel etait en realite celui de la raison d’Etat, cynique et autoritaire. L’impasse decoule d’une insurmontable contradiction: vouloir imposer le progres d’en haut, c’est s’exposer a l’autoritarisme.
Il faut convaincre la societe entiere et pas seulement le prince. Le despotisme eclaire est antinomique de la liberte politique. Le contrat social de Rousseau Jean-Jacques Rousseau defend des conceptions politiques bien differentes, radicalement democratiques. Du contrat social (1762) constitue un tournant dans la pensee politique. Pour Rousseau, toute societe humaine repose sur un contrat entre les participants, contrat tacite ou bien accepte a un moment donne. Toute souverainete reside donc dans le peuple qui accepte ce contrat.
Celui-ci suppose l’egalite civile et politique de tous les citoyens qui forment la nation, l’ensemble des contractants. La cite ideale de Rousseau, composee de petits proprietaires egaux et libres, garantit ainsi les droits naturels de l’individu; elle bannit l’injustice et l’oppression; elle fonde l’idee democratique qui inspirera la Revolution francaise. La diffusion des Lumieres Le mouvement des Lumieres se distingue des mouvements intellectuels qui l’ont precede par son destinataire : l’opinion publique. Voltaire, Diderot et leurs amis sont des agitateurs d’idees; ils veulent discuter, convaincre.
Les progres de l’alphabetisation et de la lecture dans l’Europe du XVIIIe siecle permettent le developpement de ce qu’on a appele un «espace public» : les debats intellectuels et politiques depassent le cercle restreint de l’administration et des elites, impliquant progressivement des secteurs plus larges de la societe. La philosophie est a double titre « l’usage public de la raison », comme le dit Kant : a la fois le debat public, ouvert, contradictoire, qui s’enrichit de la libre discussion, et l’agitation, la propagande pour convaincre et repandre les idees nouvelles. Les salons
Le siecle des Lumieres invente, ou renouvelle profondement, des lieux propices au travail de l’opinion publique. Ce sont d’abord les cafes, ou on lit et on debat, comme le Procope, a Paris, ou se reunissent Voltaire, Diderot, Marmontel, Fontenelle, et qui sont le rendez-vous nocturne des jeunes poetes ou des critiques qui discutent passionnement des derniers succes de theatre ou de librairie. Ce sont surtout les salons mondains, ouverts par tous ceux qui ont quelque ambition, ne serait-ce que celle de paraitre. Mais il faut y etre introduit. Les grandes dames recoivent artistes, savants et philosophes.
Chaque hotesse a son jour, sa specialite et ses invites de marque. Le modele est l’hotel de la marquise de Lambert, au debut du siecle. Plus tard, Mme de Tencin, rue Saint-Honore, accueille Marivaux et de nombreux autres ecrivains. Mme Geoffrin, Mme du Deffand, Julie de Lespinasse, puis Mme Necker recoivent les encyclopedistes. Les gens de talent s’y retrouvent regulierement pour confronter leurs idees ou tester sur un public privilegie leurs derniers vers. Mondaines et cultivees, les creatrices de ces salons animent les soirees, encouragent les timides et coupent court aux disputes.
Ce sont de fortes personnalites, tres libres par rapport a leurs cons? urs, et souvent elles-memes ecrivains et epistolieres. Les academies, les bibliotheques et les loges Les academies sont des societes savantes qui se reunissent pour s’occuper de belles-lettres et de sciences, pour contribuer a la diffusion du savoir. En France, apres les fondations monarchiques du XVIIe siecle (Academie francaise, 1634; Academie des inscriptions et belles-lettres, 1663; Academie royale des sciences, 1666; Academie royale d’architecture, 1671), naissent encore a Paris l’Academie royale de chirurgie (1731) et la Societe royale de medecine (1776).
Le clerge et, dans une moindre mesure, la noblesse y predominent. En province, il y a neuf academies en 1710, 35 en 1789. Ces societes provinciales regroupent les representants de l’elite intellectuelle des villes francaises. Leur composition sociale revele que les privilegies y occupent une place moindre qu’a Paris: 37 % de nobles, 20 % de gens d’Eglise. Les roturiers constituent 43 % des effectifs: c’est l’elite des possedants tranquilles qui siege la. Marchands et manufacturiers sont peu presents (4 %). Voisines des academies, souvent peuplees des memes ommes avides de savoir, les bibliotheques publiques et chambres de lecture se sont multipliees, fondees par de riches particuliers ou a partir de souscriptions publiques. Elles collectionnent les travaux scientifiques, les gros dictionnaires, offrent une salle de lecture et, a cote, une salle de conversation. Toutes ces societes de pensee fonctionnent comme des salons ouverts et forment entre elles des reseaux provinciaux, nationaux, europeens, echangeant livres et correspondance, accueillant les etrangers eclaires, lancant des programmes de reflexion, des concours de recherche.
On y parle physique, chimie, mineralogie, agronomie, demographie. Parmi les reseaux eclaires, le plus developpe est celui de la franc-maconnerie, quoique reserve aux couches superieures. Nee en Angleterre et en Ecosse, la franc-maconnerie, groupement a vocation philanthropique et initiatique, concentre tous les caracteres des Lumieres: elle est theiste, tolerante, liberale, humaniste, sentimentale. Elle connait un succes foudroyant dans toute l’Europe, ou l’on compte des milliers de loges en 1789. Les milieux civils, militaires et meme religieux, lies aux appareils d’Etat, y sont tout particulierement gagnes.
Ni anticlericales (elles le seront au XIXe siecle) ni revolutionnaires, les loges ont contribue a repandre les idees philosophiques et l’esprit de reforme dans les lieux politiquement strategiques. La discussion intellectuelle l’emporte sur le caractere esoterique ou sectaire. Surtout, les elites y font, plus encore que dans les academies, l’apprentissage du primat de l’egalite des talents sur les privileges de la naissance. La presse enfin contribue a la constitution d’un espace public savant, malgre la censure, toujours active.
Le Journal des savants, le Mercure de France, les periodiques economiques sont en fait plutot ce que nous appellerions des revues. Par les recensions d’ouvrages et par les abonnements collectifs des societes de pensee, un public eloigne des centres de creation peut prendre connaissance des idees et des debats, des decouvertes du mois, sinon du jour. L’echo des Lumieres Mouvement intellectuel caracteristique du siecle, les Lumieres ont evidemment influence l’art de leur temps. Pour autant, elles n’ont pas dicte une esthetique specifique.
Elles ont en revanche cree un urbanisme particulier. La ville des Lumieres est le fruit des efforts conjoints des pouvoirs publics et des architectes soucieux du bien public: elle doit etre claire, aeree, hygienique et fonctionnelle. L’architecte Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) est celui qui va le plus loin dans l’utopie d’un habitat totalement fonctionnel et utilitaire. Il construit a partir de 1775 la fameuse ville ideale de la saline de Chaux, dans le Jura, veritable cite usiniere ne laissant aucune place a la fantaisie ou a l’improvisation.
D’une facon generale, la sensibilite des Lumieres porte a une sentimentalite morale : le temps de l’ironie voltairienne passe, on veut s’apitoyer, avec Rousseau (la Nouvelle Heloise, 1761) et les tableaux de Greuze, chercher le beau et le bon eternels. Plus le siecle s’avance, plus la litterature et l’art repudient la gratuite des formes, la legerete, regardees comme aristocratiques et mondaines, pour aller vers le serieux, l’authentique et le naturel, bien sur; bref, vers ce qui est conforme a la morale utilitaire du public bourgeois.
D’ou le gout croissant pour le neoclassicisme, qui met en avant l’antique, non pas l’antique allegorique de l’epoque classique mais un antique historique plus sobre, a la facon du peintre David. Malgre leur volonte militante, les Lumieres n’ont touche que les elites, meme elargies aux fractions montantes des bourgeoisies. L’echo, dans ces milieux dominants, est certes considerable en Angleterre et en France, mais plus restreint en Allemagne et en Italie; le public eclaire est tres peu nombreux en Espagne ou en Russie, ou seuls quelques intellectuels, hauts fonctionnaires et grandes familles participent au mouvement.
Le peuple, lui, n’est pas touche: l’immense majorite des paysans, meme francais, n’a jamais entendu parler de Voltaire ou de Rousseau. Malgre tout, les Lumieres ont ebranle les certitudes anciennes. Et l’ebranlement ne s’est pas arrete aux portes du social et du politique: les Lumieres ont inspire la generation revolutionnaire. Ce qui ne signifie nullement qu’elles aient consciemment appele de leurs v? ux la Revolution de 1789. © Encyclopedie Hachette Muiltimedia 1998