La nuit d’aout LA MUSE Depuis que le soleil, dans l’horizon immense, A franchi le Cancer sur son axe enflamme, Le bonheur m’a quittee, et j’attends en silence L’heure ou m’appellera mon ami bien-aime. Helas ! depuis longtemps sa demeure est deserte ; Des beaux jours d’autrefois rien n’y semble vivant. Seule, je viens encor, de mon voile couverte, Poser mon front brulant sur sa porte entr’ouverte, Comme une veuve en pleurs au tombeau d’un enfant. LE POETE Salut a ma fidele amie ! Salut, ma gloire et mon amour ! La meilleure et la plus cherie Est celle qu’on trouve au retour. L’opinion et l’avarice Viennent un temps de m’emporter.
Salut, ma mere et ma nourrice ! Salut, salut consolatrice ! Ouvre tes bras, je viens chanter. LA MUSE Pourquoi, coeur altere, coeur lasse d’esperance, T’enfuis-tu si souvent pour revenir si tard ? Que t’en vas-tu chercher, sinon quelque hasard ? Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ? Que fais-tu loin de moi, quand j’attends jusqu’au jour ? Tu suis un pale eclair dans une nuit profonde. Il ne te restera de tes plaisirs du monde Qu’un impuissant mepris pour notre honnete amour. Ton cabinet d’etude est vide quand j’arrive ;
Tu te livres dans l’ombre a ton mauvais destin. Quelque fiere beaute te retient dans sa chaine, Et tu laisses mourir cette pauvre verveine Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux, Devaient etre arroses des larmes de tes yeux. Cette triste verdure est mon vivant symbole ; Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux, Et son parfum leger, comme l’oiseau qui vole, Avec mon souvenir s’enfuira dans les cieux. LE POETE Quand j’ai passe par la prairie, J’ai vu, ce soir, dans le sentier, Une fleur tremblante et fletrie, Une pale fleur d’eglantier. Un bourgeon vert a cote d’elle Se balancait sur l’arbrisseau ;
Je vis poindre une fleur nouvelle ; La plus jeune etait la plus belle : L’homme est ainsi, toujours nouveau. LA MUSE Helas ! toujours un homme, helas ! toujours des larmes ! Toujours les pieds poudreux et la sueur au front ! Toujours d’affreux combats et de sanglantes armes ; Le coeur a beau mentir, la blessure est au fond. Helas ! par tous pays, toujours la meme vie : Convoiter, regretter, prendre et tendre la main ; Toujours memes acteurs et meme comedie, Et, quoi qu’ait invente l’humaine hypocrisie, Rien de vrai la-dessous que le squelette humain. Helas ! mon bien-aime, vous n’etes plus poete.
Rien ne reveille plus votre lyre muette ; Vous vous noyez le coeur dans un reve inconstant ; Et vous ne savez pas que l’amour de la femme Change et dissipe en pleurs les tresors de votre ame, Et que Dieu compte plus les larmes que le sang. LE POETE Quand j’ai traverse la vallee, Un oiseau chantait sur son nid. Ses petits, sa chere couvee, Venaient de mourir dans la nuit. Cependant il chantait l’aurore ; O ma Muse, ne pleurez pas ! A qui perd tout, Dieu reste encore, Dieu la-haut, l’espoir ici-bas. LA MUSE Et que trouveras-tu, le jour ou la misere Te ramenera seul au paternel foyer ? Quand tes tremblantes mains essuieront la poussiere
De ce pauvre reduit que tu crois oublier, De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure, Chercher un peu de calme et d’hospitalite ? Une voix sera la pour crier a toute heure : Qu’as-tu fait de ta vie et de ta liberte ? Crois-tu donc qu’on oublie autant qu’on le souhaite ? Crois-tu qu’en te cherchant tu te retrouveras ? De ton coeur ou de toi lequel est le poete ? C’est ton coeur, et ton coeur ne te repondra pas. L’amour l’aura brise ; les passions funestes L’auront rendu de pierre au contact des mechants ; Tu n’en sentiras plus que d’effroyables restes, Qui remueront encor, comme ceux des serpents. O ciel ! qui t’aidera ? ue ferai-je moi-meme, Quand celui qui peut tout defendra que je t’aime, Et quand mes ailes d’or, fremissant malgre moi, M’emporteront a lui pour me sauver de toi ? Pauvre enfant ! nos amours n’etaient pas menacees, Quand dans les bois d’Auteuil, perdu dans tes pensees, Sous les verts marronniers et les peupliers blancs, Je t’agacais le soir en detours nonchalants. Ah ! j’etais jeune alors et nymphe, et les dryades Entr’ouvraient pour me voir l’ecorce des bouleaux, Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades Tombaient, purs comme l’or, dans le cristal des eaux. Qu’as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ?
Qui m’a cueilli mon fruit sur mon arbre enchante ? Helas ! ta joue en fleur plaisait a la deesse Qui porte dans ses mains la force et la sante. De tes yeux insenses les larmes l’ont palie ; Ainsi que ta beaute, tu perdras ta vertu. Et moi qui t’aimerai comme une unique amie, Quand les dieux irrites m’oteront ton genie, Si je tombe des cieux, que me repondras-tu ? LE POETE Puisque l’oiseau des bois voltige et chante encore Sur la branche ou ses oeufs sont brises dans le nid ; Puisque la fleur des champs entr’ouverte a l’aurore, Voyant sur la pelouse une autre fleur eclore, S’incline sans murmure et tombe avec la nuit,
Puisqu’au fond des forets, sous les toits de verdure, On entend le bois mort craquer dans le sentier, Et puisqu’en traversant l’immortelle nature, L’homme n’a su trouver de science qui dure, Que de marcher toujours et toujours oublier ; Puisque, jusqu’aux rochers tout se change en poussiere ; Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ; Puisque c’est un engrais que le meurtre et la guerre ; Puisque sur une tombe on voit sortir de terre Le brin d’herbe sacre qui nous donne le pain ; O Muse ! que m’importe ou la mort ou la vie ? J’aime, et je veux palir ; j’aime et je veux souffrir ; J’aime, et pour un baiser je donne mon genie ;
J’aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie Ruisseler une source impossible a tarir. J’aime, et je veux chanter la joie et la paresse, Ma folle experience et mes soucis d’un jour, Et je veux raconter et repeter sans cesse Qu’apres avoir jure de vivre sans maitresse, J’ai fait serment de vivre et de mourir d’amour. Depouille devant tous l’orgueil qui te devore, Coeur gonfle d’amertume et qui t’es cru ferme. Aime, et tu renaitras ; fais-toi fleur pour eclore. Apres avoir souffert, il faut souffrir encore ; Il faut aimer sans cesse, apres avoir aime. La nuit d’octobre LE POETE Le mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un reve.
Je n’en puis comparer le lointain souvenir Qu’a ces brouillards legers que l’aurore souleve, Et qu’avec la rosee on voit s’evanouir. LA MUSE Qu’aviez-vous donc, o mon poete ! Et quelle est la peine secrete Qui de moi vous a separe ? Helas ! je m’en ressens encore. Quel est donc ce mal que j’ignore Et dont j’ai si longtemps pleure ? LE POETE C’etait un mal vulgaire et bien connu des hommes ; Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur, Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes, Que personne avant nous n’a senti la douleur. LA MUSE Il n’est de vulgaire chagrin Que celui d’une ame vulgaire. Ami, que ce triste mystere
S’echappe aujourd’hui de ton sein. Crois-moi, parle avec confiance ; Le severe dieu du silence Est un des freres de la Mort ; En se plaignant on se console, Et quelquefois une parole Nous a delivres d’un remord. LE POETE S’il fallait maintenant parler de ma souffrance, Je ne sais trop quel nom elle devrait porter, Si c’est amour, folie, orgueil, experience, Ni si personne au monde en pourrait profiter. Je veux bien toutefois t’en raconter l’histoire, Puisque nous voila seuls, assis pres du foyer. Prends cette lyre, approche, et laisse ma memoire Au son de tes accords doucement s’eveiller. LA MUSE Avant de me dire ta peine,
O poete ! en es-tu gueri ? Songe qu’il t’en faut aujourd’hui Parler sans amour et sans haine. S’il te souvient que j’ai recu Le doux nom de consolatrice, Ne fais pas de moi la complice Des passions qui t’ont perdu, LE POETE Je suis si bien gueri de cette maladie, Que j’en doute parfois lorsque j’y veux songer ; Et quand je pense aux lieux ou j’ai risque ma vie, J’y crois voir a ma place un visage etranger. Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t’inspire Nous pouvons sans peril tous deux nous confier. Il est doux de pleurer, il est doux de sourire Au souvenir des maux qu’on pourrait oublier. LA MUSE
Comme une mere vigilante Au berceau d’un fils bien-aime, Ainsi je me penche tremblante Sur ce coeur qui m’etait ferme. Parle, ami, – ma lyre attentive D’une note faible et plaintive Suit deja l’accent de ta voix, Et dans un rayon de lumiere, Comme une vision legere, Passent les ombres d’autrefois. LE POETE Jours de travail ! seuls jours ou j’ai vecu ! O trois fois chere solitude ! Dieu soit loue, j’y suis donc revenu, A ce vieux cabinet d’etude ! Pauvre reduit, murs tant de fois deserts, Fauteuils poudreux, lampe fidele, O mon palais, mon petit univers, Et toi, Muse, o jeune immortelle, Dieu soit loue, nous allons donc chanter !
Oui, je veux vous ouvrir mon ame, Vous saurez tout, et je vais vous conter Le mal que peut faire une femme ; Car c’en est une, o mes pauvres amis (Helas ! vous le saviez peut-etre), C’est une femme a qui je fus soumis, Comme le serf l’est a son maitre. Joug deteste ! c’est par la que mon coeur Perdit sa force et sa jeunesse ; – Et cependant, aupres de ma maitresse, J’avais entrevu le bonheur. Pres du ruisseau, quand nous marchions ensemble, Le soir, sur le sable argentin, Quand devant nous le blanc spectre du tremble De loin nous montrait le chemin ; Je vois encore, aux rayons de la lune, Ce beau corps plier dans mes bras…
N’en parlons plus… – je ne prevoyais pas Ou me conduirait la Fortune. Sans doute alors la colere des dieux Avait besoin d’une victime ; Car elle m’a puni comme d’un crime D’avoir essaye d’etre heureux. LA MUSE L’image d’un doux souvenir Vient de s’offrir a ta pensee. Sur la trace qu’il a laissee Pourquoi crains-tu de revenir ? Est-ce faire un recit fidele Que de renier ses beaux jours ? Si ta fortune fut cruelle, Jeune homme, fais du moins comme elle, Souris a tes premiers amours. LE POETE Non, – c’est a mes malheurs que je pretends sourire. Muse, je te l’ai dit : je veux, sans passion, Te conter mes ennuis, mes reves, mon delire,
Et t’en dire le temps, l’heure et l’occasion. C’etait, il m’en souvient, par une nuit d’automne, Triste et froide, a peu pres semblable a celle-ci ; Le murmure du vent, de son bruit monotone, Dans mon cerveau lasse bercait mon noir souci. J’etais a la fenetre, attendant ma maitresse ; Et, tout en ecoutant dans cette obscurite, Je me sentais dans l’ame une telle detresse Qu’il me vint le soupcon d’une infidelite. La rue ou je logeais etait sombre et deserte ; Quelques ombres passaient, un falot a la main ; Quand la bise sifflait dans la porte entr’ouverte, On entendait de loin comme un soupir humain.
Je ne sais, a vrai dire, a quel facheux presage Mon esprit inquiet alors s’abandonna. Je rappelais en vain un reste de courage, Et me sentis fremir lorsque l’heure sonna. Elle ne venait pas. Seul, la tete baissee, Je regardai longtemps les murs et le chemin, – Et je ne t’ai pas dit quelle ardeur insensee Cette inconstante femme allumait en mon sein ; Je n’aimais qu’elle au monde, et vivre un jour sans elle Me semblait un destin plus affreux que la mort. Je me souviens pourtant qu’en cette nuit cruelle Pour briser mon lien je fis un long effort. Je la nommai cent fois perfide et deloyale, Je comptai tous les maux qu’elle m’avait causes.
Helas ! au souvenir de sa beaute fatale, Quels maux et quels chagrins n’etaient pas apaises ! Le jour parut enfin. – Las d’une vaine attente, Sur le bord du balcon je m’etais assoupi ; Je rouvris la paupiere a l’aurore naissante, Et je laissai flotter mon regard ebloui. Tout a coup, au detour de l’etroite ruelle, J’entends sur le gravier marcher a petit bruit… Grand Dieu ! preservez-moi ! je l’apercois, c’est elle ; Elle entre. – D’ou viens-tu ? Qu’as-tu fait cette nuit ? Reponds, que me veux-tu ? qui t’amene a cette heure ? Ce beau corps, jusqu’au jour, ou s’est-il etendu ? Tandis qu’a ce balcon, seul, je veille et je pleure,
En quel lieu, dans quel lit, a qui souriais-tu ? Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible Que tu viennes offrir ta bouche a mes baisers ? Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible Oses-tu m’attirer dans tes bras epuises ? Va-t’en, retire-toi, spectre de ma maitresse ! Rentre dans ton tombeau, si tu t’en es leve ; Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse, Et, quand je pense a toi, croire que j’ai reve ! LA MUSE Apaise-toi, je t’en conjure ; Tes paroles m’ont fait fremir. O mon bien-aime ! ta blessure Est encor prete a se rouvrir. Helas ! elle est donc bien profonde ? Et les miseres de ce monde Sont si lentes a s’effacer !
Oublie, enfant, et de ton ame Chasse le nom de cette femme, Que je ne veux pas prononcer. LE POETE Honte a toi qui la premiere M’as appris la trahison, Et d’horreur et de colere M’as fait perdre la raison ! Honte a toi, femme a l’oeil sombre, Dont les funestes amours Ont enseveli dans l’ombre Mon printemps et mes beaux jours ! C’est ta voix, c’est ton sourire, C’est ton regard corrupteur, Qui m’ont appris a maudire Jusqu’au semblant du bonheur ; C’est ta jeunesse et tes charmes Qui m’ont fait desesperer, Et si je doute des larmes, C’est que je t’ai vu pleurer. Honte a toi, j’etais encore Aussi simple qu’un enfant ;
Comme une fleur a l’aurore, Mon coeur s’ouvrait en t’aimant. Certes, ce coeur sans defense Put sans peine etre abuse ; Mais lui laisser l’innocence Etait encor plus aise. Honte a toi ! tu fus la mere De mes premieres douleurs, Et tu fis de ma paupiere Jaillir la source des pleurs ! Elle coule, sois-en sure, Et rien ne la tarira ; Elle sort d’une blessure Qui jamais ne guerira ; Mais dans cette source amere Du moins je me laverai, Et j’y laisserai, j’espere, Ton souvenir abhorre ! LA MUSE Poete, c’est assez. Aupres d’une infidele, Quand ton illusion n’aurait dure qu’un jour, N’outrage pas ce jour lorsque tu parles d’elle ;
Si tu veux etre aime, respecte ton amour. Si l’effort est trop grand pour la faiblesse humaine De pardonner les maux qui nous viennent d’autrui, Epargne-toi du moins le tourment de la haine ; A defaut du pardon, laisse venir l’oubli. Les morts dorment en paix dans le sein de la terre : Ainsi doivent dormir nos sentiments eteints. Ces reliques du coeur ont aussi leur poussiere ; Sur leurs restes sacres ne portons pas les mains. Pourquoi, dans ce recit d’une vive souffrance, Ne veux-tu voir qu’un reve et qu’un amour trompe ? Est-ce donc sans motif qu’agit la Providence Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t’a frappe ?
Le coup dont tu te plains t’a preserve peut-etre, Enfant ; car c’est par la que ton coeur s’est ouvert. L’homme est un apprenti, la douleur est son maitre, Et nul ne se connait tant qu’il n’a pas souffert. C’est une dure loi, mais une loi supreme, Vieille comme le monde et la fatalite, Qu’il nous faut du malheur recevoir le bapteme, Et qu’a ce triste prix tout doit etre achete. Les moissons pour murir ont besoin de rosee ; Pour vivre et pour sentir l’homme a besoin des pleurs ; La joie a pour symbole une plante brisee, Humide encor de pluie et couverte de fleurs. Ne te disais-tu pas gueri de ta folie ?
N’es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu ? Et ces plaisirs legers qui font aimer la vie, Si tu n’avais pleure, quel cas en ferais-tu ? Lorsqu’au declin du jour, assis sur la bruyere, Avec un vieil ami tu bois en liberte, Dis-moi, d’aussi bon coeur leverais-tu ton verre, Si tu n’avais senti le prix de la gaite ? Aimerais-tu les fleurs, les pres et la verdure, Les sonnets de Petrarque et le chant des oiseaux, Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature, Si tu n’y retrouvais quelques anciens sanglots ? Comprendrais-tu des cieux l’ineffable harmonie, Le silence des nuits, le murmure des flots,
Si quelque part la-bas la fievre et l’insomnie Ne t’avaient fait songer a l’eternel repos ? N’as-tu pas maintenant une belle maitresse ? Et, lorsqu’en t’endormant tu lui serres la main, Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse Ne rend-il pas plus doux son sourire divin ? N’allez-vous pas aussi vous promener ensemble Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin ? Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin ? Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune, Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras, Et si dans le sentier tu trouvais la Fortune,
Derriere elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ? De quoi te plains-tu donc ? L’immortelle esperance S’est retrempee en toi sous la main du malheur. Pourquoi veux-tu hair ta jeune experience, Et detester un mal qui t’a rendu meilleur ? O mon enfant ! plains-la, cette belle infidele, Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux ; Plains-la ! c’est une femme, et Dieu t’a fait, pres d’elle, Deviner, en souffrant, le secret des heureux. Sa tache fut penible ; elle t’aimait peut-etre ; Mais le destin voulait qu’elle brisat ton coeur. Elle savait la vie, et te l’a fait connaitre ; Une autre a recueilli le fruit de ta douleur.
Plains-la ! son triste amour a passe comme un songe ; Elle a vu ta blessure et n’a pu la fermer. Dans ses larmes, crois-moi, tout n’etait pas mensonge. Quand tout l’aurait ete, plains-la ! tu sais aimer. LE POETE Tu dis vrai : la haine est impie, Et c’est un frisson plein d’horreur Quand cette vipere assoupie Se deroule dans notre coeur. Ecoute-moi donc, o deesse ! Et sois temoin de mon serment : Par les yeux bleus de ma maitresse, Et par l’azur du firmament ; Par cette etincelle brillante Qui de Venus porte le nom, Et, comme une perle tremblante, Scintille au loin sur l’horizon ; Par la grandeur de la nature,
Par la bonte du Createur, Par la clarte tranquille et pure De l’astre cher au voyageur. Par les herbes de la prairie, Par les forets, par les pres verts, Par la puissance de la vie, Par la seve de l’univers, Je te bannis de ma memoire, Reste d’un amour insense, Mysterieuse et sombre histoire Qui dormiras dans le passe ! Et toi qui, jadis, d’une amie Portas la forme et le doux nom, L’instant supreme ou je t’oublie Doit etre celui du pardon. Pardonnons-nous ; – je romps le charme Qui nous unissait devant Dieu. Avec une derniere larme Recois un eternel adieu. – Et maintenant, blonde reveuse, Maintenant, Muse, a nos amours !
Dis-moi quelque chanson joyeuse, Comme au premier temps des beaux jours. Deja la pelouse embaumee Sent les approches du matin ; Viens eveiller ma bien-aimee, Et cueillir les fleurs du jardin. Viens voir la nature immortelle Sortir des voiles du sommeil ; Nous allons renaitre avec elle Au premier rayon du soleil ! La nuit de decembre LE POETE Du temps que j’etais ecolier, Je restais un soir a veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s’asseoir Un pauvre enfant vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. Son visage etait triste et beau : A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main, Et resta jusqu’au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j’allais avoir quinze ans Je marchais un jour, a pas lents, Dans un bois, sur une bruyere. Au pied d’un arbre vint s’asseoir Un jeune homme vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. Je lui demandai mon chemin ; Il tenait un luth d’une main, De l’autre un bouquet d’eglantine. Il me fit un salut d’ami, Et, se detournant a demi, Me montra du doigt la colline. A l’age ou l’on croit a l’amour, J’etais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma premiere misere. Au coin de mon feu vint s’asseoir Un etranger vetu de noir,
Qui me ressemblait comme un frere. Il etait morne et soucieux ; D’une main il montrait les cieux, Et de l’autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu’un soupir, Et s’evanouit comme un reve. A l’age ou l’on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevais mon verre. En face de moi vint s’asseoir Un convive vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tete un myrte sterile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main debile. Un an apres, il etait nuit ;
J’etais a genoux pres du lit Ou venait de mourir mon pere. Au chevet du lit vint s’asseoir Un orphelin vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. Ses yeux etaient noyes de pleurs ; Comme les anges de douleurs, Il etait couronne d’epine ; Son luth a terre etait gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine. Je m’en suis si bien souvenu, Que je l’ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C’est une etrange vision, Et cependant, ange ou demon, J’ai vu partout cette ombre amie. Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaitre ou pour en finir, J’ai voulu m’exiler de France ;
Lorsqu’impatient de marcher, J’ai voulu partir, et chercher Les vestiges d’une esperance ; A Pise, au pied de l’Apennin ; A Cologne, en face du Rhin ; A Nice, au penchant des vallees ; A Florence, au fond des palais ; A Brigues, dans les vieux chalets ; Au sein des Alpes desolees ; A Genes, sous les citronniers ; A Vevey, sous les verts pommiers ; Au Havre, devant l’Atlantique ; A Venise, a l’affreux Lido, Ou vient sur l’herbe d’un tombeau Mourir la pale Adriatique ; Partout ou, sous ces vastes cieux, J’ai lasse mon coeur et mes yeux, Saignant d’une eternelle plaie ; Partout ou le boiteux Ennui, Trainant ma fatigue apres lui,
M’a promene sur une claie ; Partout ou, sans cesse altere De la soif d’un monde ignore, J’ai suivi l’ombre de mes songes ; Partout ou, sans avoir vecu, J’ai revu ce que j’avais vu, La face humaine et ses mensonges ; Partout ou, le long des chemins, J’ai pose mon front dans mes mains, Et sanglote comme une femme ; Partout ou j’ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se denuder mon ame ; Partout ou j’ai voulu dormir, Partout ou j’ai voulu mourir, Partout ou j’ai touche la terre, Sur ma route est venu s’asseoir Un malheureux vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ? Je ne puis croire, a ta melancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitie. En te voyant, j’aime la Providence. Ta douleur meme est soeur de ma souffrance ; Elle ressemble a l’Amitie. Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange, Jamais tu ne viens m’avertir. Tu vois mes maux (c’est une chose etrange ! ) Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t’appeler. Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler !
Ce soir encor je t’ai vu m’apparaitre. C’etait par une triste nuit. L’aile des vents battait a ma fenetre ; J’etais seul, courbe sur mon lit. J’y regardais une place cherie, Tiede encor d’un baiser brulant ; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie Qui se dechirait lentement. Je rassemblais des lettres de la veille, Des cheveux, des debris d’amour. Tout ce passe me criait a l’oreille Ses eternels serments d’un jour. Je contemplais ces reliques sacrees, Qui me faisaient trembler la main : Larmes du coeur par le coeur devorees, Et que les yeux qui les avaient pleurees Ne reconnaitront plus demain !
J’enveloppais dans un morceau de bure Ces ruines des jours heureux. Je me disais qu’ici-bas ce qui dure, C’est une meche de cheveux. Comme un plongeur dans une mer profonde, Je me perdais dans tant d’oubli. De tous cotes j’y retournais la sonde, Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde, Mon pauvre amour enseveli. J’allais poser le sceau de cire noire Sur ce fragile et cher tresor. J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire, En pleurant j’en doutais encor. Ah ! faible femme, orgueilleuse insensee, Malgre toi, tu t’en souviendras ! Pourquoi, grand Dieu ! mentir a sa pensee ? Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressee,
Ces sanglots, si tu n’aimais pas ? Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ; Mais ta chimere est entre nous. Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures Qui me separeront de vous. Partez, partez, et dans ce coeur de glace Emportez l’orgueil satisfait. Je sens encor le mien jeune et vivace, Et bien des maux pourront y trouver place Sur le mal que vous m’avez fait. Partez, partez ! la Nature immortelle N’a pas tout voulu vous donner. Ah ! pauvre enfant, qui voulez etre belle, Et ne savez pas pardonner ! Allez, allez, suivez la destinee ; Qui vous perd n’a pas tout perdu. Jetez au vent notre amour consumee ; –
Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimee, Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ? Mais tout a coup j’ai vu dans la nuit sombre Une forme glisser sans bruit. Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ; Elle vient s’asseoir sur mon lit. Qui donc es-tu, morne et pale visage, Sombre portrait vetu de noir ? Que me veux-tu, triste oiseau de passage ? Est-ce un vain reve ? est-ce ma propre image Que j’apercois dans ce miroir ? Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse, Pelerin que rien n’a lasse ? Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse Assis dans l’ombre ou j’ai passe. Qui donc es-tu, visiteur solitaire, Hote assidu de mes douleurs ?
Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ? Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frere, Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ? LA VISION – Ami, notre pere est le tien. Je ne suis ni l’ange gardien, Ni le mauvais destin des hommes. Ceux que j’aime, je ne sais pas De quel cote s’en vont leurs pas Sur ce peu de fange ou nous sommes. Je ne suis ni dieu ni demon, Et tu m’as nomme par mon nom Quand tu m’as appele ton frere ; Ou tu vas, j’y serai toujours, Jusques au dernier de tes jours, Ou j’irai m’asseoir sur ta pierre. Le ciel m’a confie ton coeur. Quand tu seras dans la douleur, Viens a moi sans inquietude.
Je te suivrai sur le chemin ; Mais je ne puis toucher ta main, Ami, je suis la Solitude. La nuit de mai LA MUSE Poete, prends ton luth et me donne un baiser ; La fleur de l’eglantier sent ses bourgeons eclore, Le printemps nait ce soir ; les vents vont s’embraser ; Et la bergeronnette, en attendant l’aurore, Aux premiers buissons verts commence a se poser. Poete, prends ton luth, et me donne un baiser. LE POETE Comme il fait noir dans la vallee ! J’ai cru qu’une forme voilee Flottait la-bas sur la foret. Elle sortait de la prairie ; Son pied rasait l’herbe fleurie ; C’est une etrange reverie ; Elle s’efface et disparait.
LA MUSE Poete, prends ton luth ; la nuit, sur la pelouse, Balance le zephyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacre qu’elle enivre en mourant. Ecoute ! tout se tait ; songe a ta bien-aimee. Ce soir, sous les tilleuls, a la sombre ramee Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l’immortelle nature Se remplit de parfums, d’amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes epoux. LE POETE Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? Qu’ai-je donc en moi qui s’agite Dont je me sens epouvante ? Ne frappe-t-on pas a ma porte ? Pourquoi ma lampe a demi morte
M’eblouit-elle de clarte ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. Qui vient ? qui m’appelle ? – Personne. Je suis seul ; c’est l’heure qui sonne ; O solitude ! o pauvrete ! LA MUSE Poete, prends ton luth ; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet ; la volupte l’oppresse, Et les vents alteres m’ont mis la levre en feu. O paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t’en souviens-tu pas, Quand je te vis si pale au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t’ai console d’une amere souffrance ! Helas ! ien jeune encor, tu te mourais d’amour. Console-moi ce soir, je me meurs d’esperance ; J’ai besoin de prier pour vivre jusqu’au jour. LE POETE Est-ce toi dont la voix m’appelle, O ma pauvre Muse ! est-ce toi ? O ma fleur ! o mon immortelle ! Seul etre pudique et fidele Ou vive encor l’amour de moi ! Oui, te voila, c’est toi, ma blonde, C’est toi, ma maitresse et ma soeur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d’or qui m’inonde Les rayons glisser dans mon coeur. LA MUSE Poete, prends ton luth ; c’est moi, ton immortelle, Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvee appelle,
Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gemi dans ton coeur ; Quelque amour t’est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu ; chantons dans tes pensees, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passees ; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu, Eveillons au hasard les echos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un reve, et le premier venu. Inventons quelque part des lieux ou l’on oublie ; Partons, nous sommes seuls, l’univers est a nous.
Voici la verte Ecosse et la brune Italie, Et la Grece, ma mere, ou le miel est si doux, Argos, et Pteleon, ville des hecatombes, Et Messa la divine, agreable aux colombes, Et le front chevelu du Pelion changeant ; Et le bleu Titarese, et le golfe d’argent Qui montre dans ses eaux, ou le cygne se mire, La blanche Oloossone a la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d’or nos chants vont-ils bercer ? D’ou vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappe ta paupiere, Quel seraphin pensif, courbe sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe legere, Et te contait tout bas les amours qu’il revait ?
Chanterons-nous l’espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d’acier ? Suspendrons-nous l’amant sur l’echelle de soie ? Jetterons-nous au vent l’ecume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison celeste, allume nuit et jour L’huile sainte de vie et d’eternel amour ? Crierons-nous a Tarquin : » Il est temps, voici l’ombre ! » Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Menerons-nous la chevre aux ebeniers amers ? Montrerons-nous le ciel a la Melancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpes ? La biche le regarde ; elle pleure et supplie ;
Sa bruyere l’attend ; ses faons sont nouveau-nes ; Il se baisse, il l’egorge, il jette a la curee Sur les chiens en sueur son coeur encor vivant. Peindrons-nous une vierge a la joue empourpree, S’en allant a la messe, un page la suivant, Et d’un regard distrait, a cote de sa mere, Sur sa levre entr’ouverte oubliant sa priere ? Elle ecoute en tremblant, dans l’echo du pilier, Resonner l’eperon d’un hardi cavalier. Dirons-nous aux heros des vieux temps de la France De monter tout armes aux creneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naive romance Que leur gloire oubliee apprit aux troubadours ? Vetirons-nous de blanc une molle elegie ?
L’homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu’il a fauche du troupeau des humains Avant que l’envoye de la nuit eternelle Vint sur son tertre vert l’abattre d’un coup d’aile, Et sur son coeur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d’une satire altiere Le nom sept fois vendu d’un pale pamphletaire, Qui, pousse par la faim, du fond de son oubli, S’en vient, tout grelottant d’envie et d’impuissance, Sur le front du genie insulter l’esperance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire ; Mon aile me souleve au souffle du printemps.
Le vent va m’emporter ; je vais quitter la terre. Une larme de toi ! Dieu m’ecoute ; il est temps. LE POETE S’il ne te faut, ma soeur cherie, Qu’un baiser d’une levre amie Et qu’une larme de mes yeux, Je te les donnerai sans peine ; De nos amours qu’il te souvienne, Si tu remontes dans les cieux. Je ne chante ni l’esperance, Ni la gloire, ni le bonheur, Helas ! pas meme la souffrance. La bouche garde le silence Pour ecouter parler le coeur. LA MUSE Crois-tu donc que je sois comme le vent d’automne, Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau, Et pour qui la douleur n’est qu’une goutte d’eau ? O poete ! n baiser, c’est moi qui te le donne. L’herbe que je voulais arracher de ce lieu, C’est ton oisivete ; ta douleur est a Dieu. Quel que soit le souci que ta jeunesse endure, Laisse-la s’elargir, cette sainte blessure Que les noirs seraphins t’ont faite au fond du coeur : Rien ne nous rend si grands qu’une grande douleur. Mais, pour en etre atteint, ne crois pas, o poete, Que ta voix ici-bas doive rester muette. Les plus desesperes sont les chants les plus beaux, Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. Lorsque le pelican, lasse d’un long voyage, Dans les brouillards du soir retourne a ses roseaux,
Ses petits affames courent sur le rivage En le voyant au loin s’abattre sur les eaux. Deja, croyant saisir et partager leur proie, Ils courent a leur pere avec des cris de joie En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux. Lui, gagnant a pas lents une roche elevee, De son aile pendante abritant sa couvee, Pecheur melancolique, il regarde les cieux. Le sang coule a longs flots de sa poitrine ouverte ; En vain il a des mers fouille la profondeur ; L’Ocean etait vide et la plage deserte ; Pour toute nourriture il apporte son coeur. Sombre et silencieux, etendu sur la pierre Partageant a ses fils ses entrailles de pere,
Dans son amour sublime il berce sa douleur, Et, regardant couler sa sanglante mamelle, Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle, Ivre de volupte, de tendresse et d’horreur. Mais parfois, au milieu du divin sacrifice, Fatigue de mourir dans un trop long supplice, Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ; Alors il se souleve, ouvre son aile au vent, Et, se frappant le coeur avec un cri sauvage, Il pousse dans la nuit un si funebre adieu, Que les oiseaux des mers desertent le rivage, Et que le voyageur attarde sur la plage, Sentant passer la mort, se recommande a Dieu. Poete, c’est ainsi que font les grands poetes.
Ils laissent s’egayer ceux qui vivent un temps ; Mais les festins humains qu’ils servent a leurs fetes Ressemblent la plupart a ceux des pelicans. Quand ils parlent ainsi d’esperances trompees, De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur, Ce n’est pas un concert a dilater le coeur. Leurs declamations sont comme des epees : Elles tracent dans l’air un cercle eblouissant, Mais il y pend toujours quelque goutte de sang. LE POETE O Muse ! spectre insatiable, Ne m’en demande pas si long. L’homme n’ecrit rien sur le sable A l’heure ou passe l’aquilon. J’ai vu le temps ou ma jeunesse Sur mes levres etait sans cesse
Prete a chanter comme un oiseau ; Mais j’ai souffert un dur martyre, Et le moins que j’en pourrais dire, Si je l’essayais sur ma lyre, La briserait comme un roseau. Theme De la nuit de mai a la nuit d’octobre Musset evoque le probleme du role de la souffrance dans la creation poetique et dans la vie. De la ce dialogue si nouveau entre la MUSE tendrement maternelle et Le POETE tourmente par la souffrance. Resume La nuit de mai ou les vaines seductions de la poesie. La muse exhorte le poete a chanter et lui propose d’oublier son mal en laissant errer son inspiration ; mais il persiste a se taire et demeure abime dans sa douleur.
Ne peut-il alors, suggere-t-elle, servir au public en festin poetique les souffrances de son c ur ? Il juge la tache au dessus de ses forces et se derobe definitivement. La nuit de decembre ou l’obsession de la solitude Un personnage qui ressemble au poete comme un frere lui est toujours apparu aux heures sombres de sa vie. Il interroge ce double mysterieux, qu’il vient de retrouver au moment ou il enfermait dans un coffret les reliques d’un amour brise. L’etrange vision revele son secret : elle s’appelle la solitude. La nuit d’aout ou les illusions du plaisir.
Le poete accueille avec joie sa muse ; mais elle s’inquiete de le voir plonge dans une ivresse factice : pense-t-il etre gueri de sa blessure, et ne regrettera-t-il pas ? Le poete refuse de partager ses alarmes ; il veut renaitre au bonheur dans l’exaltation de nouvelles amours. La nuit d’octobre ou les bienfaits de la douleur. Le poete se croit gueri de son mal ; mais, en evoquant ses souvenirs, il s’indigne bientot et maudit celle qui l’a fait souffrir. La muse alors le console. Ne doit-il pas a cette experience de savoir mieux gouter desormais les joies terrestres ? Le poete, dans un sursaut, se dispose a renaitre avec le jour qui se leve.