Si l’on considère les principaux événemens dramatiques de l’année 1865, et si l’on s’attache aux œuvres qui, ayant eu le don d’attirer la foule, semblent, indépendamment de leur mérite propre, répondre le mieux à un certain état des esprits, on n’a point lieu d’espérer que nous touchions encore au terme de la fâcheuse réaction qui s’est produite, au théâtre comme dans le roman, au lendemain de la révolution de 1852.
Les poètes, les romanciers et les philosophes de l’époque précédente, s’étaient fait de l’homme, de ses sentimens, de ses passions et de sa destinée en ce monde une idée peut-être un peu trop haute. Nous sommes bien descendus de cet empyrée. La sympathie pour notre espèce, ce que Goethe, ce que Molière lui-même, devançant Goethe d’ « fhumanité, » tend ? croyance à l’idéal et I disparu à peu près c les vices est bien mol 8 ppelaient si bien érature avec la go Elle a, en tout cas, éâtre.
Châtier comiques que flageller la nature humaine, et, lorsqu’ils prétendent corriger les mauvaises mœurs, nous ne savons comment cela se fait, mais le plus sûr résultat qu’ils atteignent, c’est d’offenser les bonnes. Quiconque s’est formé autrement que par la littérature du jour t
Il a été amusé ; il a même été, par momens, ému ; il a trouvé telle scène charmante, telle autre écrite avec feu, telle autre semée de mots spirituels et justes. Cependant il est mécontent, et il sent qu’il a raison de l’être. Nous voudrions essayer ici de rechercher s’il n’y a point à ce vague malaise des causes précises. Ce ne sera point faire étalage d’un igorisme toujours peu séant chez ceux qui, selon le mot du poète, sont « amis de la vertu plutôt que vertueux. ? Ce sera tout uniment faire œuvre de critique. Quand un honnête homme est choqué au fond de sa conscience d’un spectacle auquel il vient d’assister, on peut conjecturer d’avance que son honnêteté eût moins souffert, si son goût avait été plus ménagé. L’art parfait ne sauve point toujours la morale, et ce n’est point son but de la sauver ; il réussit toujours à nous épargner le scandale, C’est donc l’art qui nous préoccupera alors même que nous paraîtrions plus articulièrement exposer des mœurs et les juger.
Il y a en effet un art du théâtre avec ses règles propres, et nous sommes un peu confus d’avoir à énoncer avec autant de solennité une proposition aussi ingénue ; mais les bonnes traditions comme les bonnes études ont été si complètement abandonnées et l’inexpérience est devenue si générale, qu’on a presque Vair de soutenir un paradoxe quand on parle de règles quelconques. Personne ne croit plus aux règles, et la critique y croit moins que personne. La critique a prodigieusement étendu de nos jours son domaine ; elle se confond volon 8 personne.
La critique a prodigieusement étendu de nos jours son domaine ; elle se confond volontiers elle-même avec l’histoire, la philosophie et la morale, et nous ne songerions point à l’en blâmer, si elle n’oubliait trop, sur les sommets nouveaux où elle plane, sa première fonction, bien modeste, mais bien utile, qui a été d’apprécier le mérite littéraire des œuvres de l’esprit, d’en montrer les défauts, d’en signaler les qualités, de chercher ? maintenir les saines méthodes de composition et de style.
Non- seulement la critique dédaigne de remplir son ancien office, mais ncore elle désavoue et renie les préceptes élémentaires sur lesquels il était fondé. Il s’est formé et développé deux écoles de critique, la première trop exclusivement historique, la secondé purement mécanique et dynamique, qui sont venues aboutir toutes deux par des chemins divers à l’indifférence en matière de goût.
La première n’étudie dans un auteur que ses passions et ses instincts ; à ce titre, elle admet pour excellent tout ce qui a du relief et elle fait autant de cas des grossièretés de Shakspeare que de ses beautés. La seconde se contente de dégager dans ne œuvre la quantité de talent et d’esprit qu’elle contient, comme le chimiste dégage la quantité d’alcool répandue dans une liqueur généreuse.
Le talent une fois mesuré et l’esprit une fois décomposé en ses divers élémens, l’une et rautre école jugent futile de se demander jusqu’à quel point est légitime l’emploi qui a été fait de ce talent et de cet esprit. Cest qu’il n’existe point pour ces observ l’emploi qui a été fait de ce talent et de cet esprit. Cest qu’il n’existe point pour ces observateurs empiriques un type de perfection, relatif à chaque art, qui a été quelquefois atteint et ont il faut faire effort pour se rapprocher le plus possible.
N’est- il pas évident, néanmoins, pour en revenir au sujet particulier qui nous occupe, que le théâtre a des lois ? N’est-ce pas là un fait confirmé par l’expérience elle-même ? Pourrait-on soutenir, par exemple, que Phèdre n’est pas une pièce mieux composée que Hamlet ? Si Pon transporte Hamlet sur la scène, devant un public anglais, sans rien changer à la pièce telle que l’auteur l’a écrite, si le lendemain on donne Phèdre au même public, si d’ailleurs les deux ouvrages sont interprétés avec un art égal, y a-t-il un
Anglais au monde, malgré toutes les raisons tirées de la race et du climat, malgré la supériorité du génie de Shakspeare sur celui de Racine, qui refusera de convenir qu’il a commencé par assister à un spectacle où les sensations sublimes étaient mêlées d’une insurmontable fatigue causée par le choc de contrastes trop brusques, et qu’il a ressenti le lendemain le plaisir aisé et sans mélange d’un spectacle constamment pathétique ?
CYoù, vient cela, si ce n’est que l’une des deux pièces a été accommodée aux nécessités de la scène, et que l’autre est restée à l’état rut ? Qu’est-ce qu’observer les nécessités de la scène, si ce n’est pratiquer des règles et reconnaître un art ?
Comment expliquerions-nous ces inévitables définitions de la langue commune de tous les peupl 4 28 Comment expliquerions-nous ces inévitables définitions de la langue commune de tous les peuples, « œuvre bien composée, œuvre mal composée, œuvre mieux composée, » s’il n’existait des préceptes universels de composition applicables à toutes les œuvres de l’esprit, à quelque langue et à quelque genre qu’elles appartiennent, quelque différentes qu’elles soient par eur objet, par les sensations qu’elles expriment, par le moment de la civilisation qui les a produites.
Puisqu’on aime aujourd’hui à expliquer la littérature par des similitudes tirées de l’histoire naturelle, c’est ici le cas d’user une fois de plus de la fameuse comparaison de la plante. Un poème, un roman, à plus forte raison une pièce de théâtre, ne sont point des corps qui puissent se former par juxtaposition ; comme la plante, ils doivent présenter aux yeux un organisme complet, et là où l’organisme est défectueux, tout le talent, tout l’esprit, tout le génie possible e saurait faire que l’œuvre accomplie soit bonne et qu’elle soit douée de vie.
Le talent, l’esprit et même l’imagination ne manquent point aux auteurs en vogue ; mais hormis cette matière première, qui ne vaut son prix que par la mise en œuvre, on est tenté de dire que tout le reste fait défaut à la plupart d’entre eux. Ily a une remarque qu’il faut faire d’abord, c’est qu’on ne met presque plus des hommes au théâtre. L’ancienne scène française connaissait des amoureux, des avares, des jeunes gens, des vieillards, des sots, des méchans, des coquins et des imbéciles. Tous ces gens- là, même ceux qui c s 8 ieillards, des sots, des méchans, des coquins et des imbéciles.
Tous ces gens-là, même ceux qui comme Turcaret tenaient le plus parfaitement de la brute, ne laissaient pas que d’être des créatures douées d’un certain discernement intellectuel et moral. Ils avaient, de quelque manière qu’on veuille définir l’âme, ce qui s’appelle une âme. C’étaient en un mot des personnes. On les a remplacés trop souvent par de purs pantins. Il n’y a pas ? l’heure qu’il est, dans les deux hémisphères, un montreur de marionnettes plus étourdissant et plus étincelant que M.
Sardou ; mais enfin ce m’est qu’un montreur de marionnettes, et comme os défauts, quand nous ne luttons pas vigoureusement contre eux, croissent avec l’âge, plus M. Sardou écrit de comédies, plus il acquiert l’expérience de la scène, plus il développe les qualités de son dialogue, qui sont réelles, plus il devient habile à créer dans le drame le mouvement et la vie, plus le succès croissant l’anime, l’excite et le soutient, et plus de ses doigts de prestidigitateur jaillit, un bataillon serré et divers de polichinelles accomplis. Il n’en a laissé tomber que deux ou trois dans les Vieux Garçons.
La Famille Benoiton ne possède pas autre chose, si l’on xcepte Didier et sa femme, avec les deux impresarii, Clotilde et Champrosé, chargés de faire au public l’explication du spectacle qui lui est offert. Descendons d’un ou deux degrés au-dessous de la Famille Benoiton, au lieu des gais et honnêtes vaudevilles de la génération précédente, nous n’aurons plus que d’écœurantes parodies 6 8 vaudevilles de la génération précédente, nous n’aurons plus que d’écœurantes parodies où nous verrons défiler, un cortège d’idiots et de brutes.
On dirait la danse macabre de l’imbécillité humaine, s’il restait à de tels personnages quelque chose d’humain. Il est si vrai qu’une forte part des créations du théâtre actuel sont des automates et rien de plus, que les personnages chargés de les passer en revue pour le compte du spectateur et de débiter la légende ne sauraient éviter les métaphores qui expriment le mieux l’idée d’un acte mécanique : « pendule, coucou de la Forêt-Noire, machine, marmotte, » telles sont les définitions peu engageantes qui reviennent le plus souvent sur leurs lèvres.
Ils ne sauraient éviter surtout les tirades longues et fastueuses. Un homme, un homme en chair et en os, agissant bien ou mal dans une situation donnée, s’explique par ses ropres actes et par ses propres paroles. Essayez donc de comprendre les gestes, les mouvemens et même les paroles d’un pantin doué de Porgane de la voix, s’il n’y a pas à côté de lui un être intelligent qui s’épuise en éloquence et qui s’évertue ? vous dire : Voilà ce qui se passe, voilà ce que vous allez voir, et voilà ce que tout cela signifie.
Aussi dans ces pièces la tirade est de rigueur, toujours élégante et spirituelle ; mais on en goûte moins l’esprit lorsqu’on a fini par s’apercevoir qu’on n’y peut pas plus échapper qu’à la faconde et à la verve démonstrative d’un icerone chargé d’interpréter une collection de figures de cire. une conception si abaissée de l’ho d’interpréter une collection de figures de cire.
Une conception si abaissée de l’homme, quand on la transporte au théâtre, rend le théâtre en somme assez mélancolique. On comprend que, malgré le mouvement de la scène et la gaité du dialogue, un spectateur qui s’en est pénétré emporte chez lui une impression latente, mais profonde de malaise. Reconnaissons cependant que les auteurs dramatiques ne sont pas tout ? fait responsables du système d’après lequel ils façonnent les personnages de leur invention.
Ils ont pris, peut-être à leur insu, le spectre primitif et le type uniforme de leur homme-machine dans les diverses philosophies aujourd’hui en possession des intelligences, et il se peut que cette réduction des mouvemens de l’âme à des mouvemens automatiques, dont nous sommes choqués dans les pièces de M. Sardou et de quelques-uns de ses contemporains, atteste moins la décadence de l’art dramatique que l’altération de nos plus vieilles et de nos plus saines croyances.
Mais où la décadence de l’art et le dédain absolu des règles élémentaires sans lesquelles il n’existe plus réellement ‘art véritable nous paraissent incontestables, c’est dans le dessein général des pièces et dans la conduite des caractères. Sur ces deux points, le sans-façon est sans bornes. Chacun noue et dénoue son action comme il lui plaît. Chacun compose ses personnages selon sa fantaisie et sa commodité.
On accumule dans une même esquisse les traits les plus contradictoires. Veut- on retracer le type parisien de la femme qui est « toujours sortie, on s’en va choi contradictoires. Veut-on retracer le type parisien de la femme qu est « toujours sortie, on s’en va choisir une féconde bourgeoise ui a élevé cinq enfans. Cinq enfans, et toujours sortie ! Cela est faux, de toute fausseté. La femme qui sort sans cesse a soin de n’être pas aussi chargée de famille.
Ou bien on prend un habitant du faubourg Saint-Denis qui a eu la patience de s’enrichlr « dans les sommiers élastiques » et on le représente donnant à son neveu le conseil d’être « sans scrupules en affaires, » de brusquer la fortune par un coup hardi, de chercher le scandale, qui n’est qu’une réclame gratuite, et de ne s’inquiéter jamais, lorsqu’il s’agit de réussir, des « trente-six morales, » qui peuvent s’opposer au uccès. Cela non plus ne saurait être vrai.
On n’est ni un honnête homme ni un héros de vertu pour s’être fait cent mille francs de rente avec les sommiers élastiques ; mais quand on a derrière soi quinze ou vingt années passées dans une industrie sans caractère aléatoire, on parle plus volontiers pour la morale que contre la morale ; on a un pressant besoin de devenir chevalier de la légion d’honneur ou juge au tribunal de commerce, et l’on conforme ses discours à ses ambitions. Ne confondons pas les vices de Mercadet avec les infirmités de M. Perrichon. Le laisser-aller chez os auteurs est peut-être pire encore quand il s’agit de construire une pièce.
Ils ne se donnent plus la peine de lier le dernier acte au premier et de choisir entre cinq ou six péripéties possibles la seule qui naisse naturellement et nécessai cinq ou six péripéties possibles la seule qui naisse naturellement et nécessairement du drame tel qu’ils l’ont exposé, et du choc des caractères tels qu’ils paraissent les avoir conçus. Tous les personnages viennent, s’en vont, reviennent, entrent ou sortent, comme passe et repasse la foule des désœuvrés sur nos boulevards. Tous les dénoûmens tombent des nues.
Tous les incidens destinés à préparer de près ou de loin le dénoûment ressemblent à la chute fortuite d’une cheminée sur la tête d’un passant. Un débauché plus que mûr est provoqué par un jeune homme ; il se trouve qu’il est le père du provocateur ; il ne se doutait pas seulement qu’il eût jamais été père, il ne s’en fût douté de la vie, s’il n’avait été amené à brûler de vieilles lettres d’amour et à jeter par hasard un regard distrait sur le cachet de l’une de ces lettres. Voilà comment nous parvenons à sortir des complications de la vie de garçon dans les Vieux Garçons.
Sans e bienheureux accident du cachet, la pièce durerait encore ? l’heure qu’il est, il n’y aurait pas eu moyen de la finir. Elle a cinq actes : elle en aurait dix, elle en aurait cent. Vraiment est-ce l? une comédie ? C’est une simple succession de scènes. On peut mêler ensemble la Famille Benoiton et les Vieux Garçons ; avec quelques raccords aux jointures, les deux pièces n’en paraîtraient faire qu’une, et l’action ne marcherait ni plus ni moins mal dans les deux pièces réunies que dans chacune d’elles prise à part. On peut d’un autre côté détacher tel ou tel de ces dix actes ; il fera ? lui seul une comédie 0 8