?Les Gueules Cassees de 1914-1918 : l’analyse de la brutalisation de la societe. I/ Une guerre d’un genre nouveau A/ Le P. T * Tout d’abord l’innovation la plus meurtriere est sans compter la mitrailleuse. Auparavant les fusils = simples canons avec une bille projetee par poudre noire, arme peu precise et relativement peu efficace. * Revolution avec l’apparition de la mitrailleuse Gatling au XIXeme siecle aux USA. Une seule de ces mitrailleuses tire aussi vite que 100 hommes alignes. Ces mitrailleuses Gatling sont installees dans les tranchees allemande => hecatombe dans les rangs de l’armee francaise. En reponse la Triple entente fabrique la mitrailleuse Lee Enfield, produite a plus de 6 milliards d’exemplaires et surtout les chars d’assaut. => 1916 Renault + de 4000 chars d’assaut FT-17. * L’artillerie lourde va, entre autres, connaitre elle aussi une veritable revolution avec l’apparition de la « grosse bertha », char allemand de 70 tonnes montes sur rails, capable de projeter des ogives sur plusieurs kilometres. * En France, le canon 75 est largement repandu. Bien que – puissant, + precis ! => 17 500 durant la G. * L’All innove encore et tjs avec l’emploi du mortier.
Cette situation tranche avec la situation dans les tranchees francaise ou
B/ Une caracteristique : les bombardements Sur le front, c’est une geographie etrange et variable, tel un sinueux cauchemar. Entre les deux fronts ennemis, un no man’s land, herisse de fils de fer barbeles, de chevaux de taillis metalliques infranchissables. Il n’y a plus herbe, ni arbre, parfois un tronc dechiquete survit encore. La terre, retournee, est grise de poudre. Au gre des bombardements des morceaux de cadavres sont exhumes, qui se melent aux corps de soldats tombes lors du dernier assaut et aux charognes de chevaux. Les mouches et les rats se les disputent.
C’est cela l’enfer de la Grande Guerre. Les bombardements y sont pour beaucoup, et a ce titre deviennent l’une des principales caracteristiques de ce conflit et de sa brutalite extraordinaire. A Verdun, pilonnage constant. Pour 1 km d’avancee, 44 jours de bombardements En moyenne, on degage un chiffre effrayant d’un obus par metre carre. C’est l’idee que souleve notamment Sophie Delaporte, historienne qui a travaille en collaboration avec l’historial de Peronne. Apres leur passage, les armees laissent derriere elles de nombreuses villes fantomes.
Les blessures de 1914 1918 sont d’une variete et d’une gravite sans equivalent dans le passe. La brutalisation du conflit en est une des principales causes. Les coups directs des obus de gros calibre peuvent pulveriser les corps, et ce au sens strict du terme puisqu’on n’en retrouve parfois aucun reste identifiable. Les plus gros eclats peuvent trancher litteralement les hommes en deux. Ne pas le dire, ne pas le rappeler, ne pas reflechir a ce que cela signifiait, c’est consentir avec les meilleurs raisons du monde a un veritable deni historiographique.
Paul Frussel, pionnier de l’etude litteraire de 1914 1918 : « A la guerre comme dans les crash aeriens, les entrailles sont bien plus visibles qu’il n’est normalement decent de l’imaginer » Ainsi, l’histoire de la Grande Guerre ne peut se separer d’une histoire corporelle : les corps n’avaient en effet jamais souffert autant et a une telle echelle. Le sort de ceux qui furent blesses fut la plupart du temps atroce, c’est en ce sens qu’une histoire de la medecine de guerre est indispensable. « La medecine est au carrefour de tout » a ecrit Jacques Leonard, elle est aussi au carrefour des mutations guerrieres.
La medecine de guerre a beneficie des innovations medicales. Les nouveaux projectiles, l’innovation qu’a connu et l’artillerie et les mitrailleuses combinee a l’intensite du feu ont provoque de tels degats physiologiques, jusqu’ici inconnus, a tel point que les taux de survie a l’issue d’une blessure au combat etaient peut-etre plus importants au debut du XIXe siecle qu’au debut du siecle suivant. C/ Banalisation de la mort et deshumanisation du conflit II/ Oublier la guerre… A/ Operation des G. C
C’est au lendemain de la Premiere Guerre mondiale, avec la reparation des « gueules cassees », que s’ebauche une chirurgie reparatrice integrant a ses finalites la dimension de l’esthetique. Pendant l’entre-deux guerres, celle-ci se construit dans plusieurs espaces specialises du champ medical (services de chirurgie constructrice, d’ORL, d’orthopedie), tandis que sont mises au point des techniques (lifting, rhinoplastie, mammoplastie… ) qui vont rendre possible l’emergence d’une chirurgie esthetique « pure », alors meme que se developpe un marche de la lutte contre le vieillissement.
Si, a ses debuts, la chirurgie esthetique doit compter avec la concurrence des therapeutiques de rajeunissement endocriniennes (greffes de testicules et de thyroides de singes sur l’homme), le discredit qui frappe ces traitements a la fin des annees 1920 lui permet de dominer ce marche. Le nombre de chirurgiens s’adonnant a des interventions de chirurgie esthetique « pure » augmente notablement jusqu’a la veille de la Deuxieme Guerre mondiale, mais ceux qui s’y consacrent a titre exclusif restent l’exception.
Parce que leur pratique ne beneficie que d’une tres faible legitimite aux yeux de la majorite des chirurgiens qui critiquent sa « futilite », les promoteurs de la chirurgie esthetique « pure » doivent s’attacher a la justifier en mettant en avant les benefices psychologiques et sociaux que leurs patient(e)s tirent des interventions. C’est ainsi qu’on verra le docteur Raymond Passot legitimer la correction des « disgraces » au nom de la prevention du suicide et surtout du traitement des nevroses.
Tandis que Suzanne Noel, tout en inscrivant la chirurgie esthetique dans le combat feministe, lui assignera un role social comme facteur favorisant l’integration ou le maintien dans certains secteurs d’activite professionnelle. L’operation est delicate, parfois infructueuse : On retrouve plusieurs varietes d’ouvre-bouche dans les differents services specialises, tel que celui presente par les responsables d’un Centre de chirurgie maxillo-faciale. L’appareil est place dans la bouche du blesse et maintenu de maniere a etirer les muscles des machoires et a l’aider a recouvrer l’elasticite musculaire.
Une graduation permet de mesurer la progression de la mecanotherapie. La reeducation par la mecanotherapie mobilise le blesse pour une duree variant de plusieurs jours a plusieurs mois, pour des resultats peu importants. Une etape essentielle de la reconstruction du visage a trait a la mise en place de protheses. La prothese immediate, telle que la gouttiere de contention ou le casque de Darcissac interviennent avant le traitement de reparation plastique proprement dit. La methode de greffe osteo-periostique s’appliquait pour l’essentiel a la reparation des pertes de substances osseuses plus ou moins etendues.
Il ne s’agit pas d’une innovation therapeutique mais de l’adaptation d’un procede » classique « . En effet, particulierement employee dans la chirurgie des membres avant 1914, son indication se trouve etendue pendant la guerre grace a l’initiative du Dr Delageniere, medecin-chef du centre de chirurgie maxillo-faciale du Mans. La methode s’appuie sur la fonction secretante du perioste (membrane fibreuse qui entoure l’os et seule partie de l’os veritablement active). Il s’agissait de prelever un greffon sur la face interne du tibia du blesse et de le poser sur la region receptrice.
Le greffon, tres malleable, s’appliquait sur la perte de substance en prenant la forme voulue, assurant le retablissement complet et solide de la continuite osseuse. En depit de certaines reticences manifestees par une partie du monde medical, les greffes osteo-periostiques permettaient de corriger les difformites faciales et d’obtenir un resultat fonctionnel certain. La methode de greffe dite Dufourmentel constitue une reponse therapeutique innovante mais tardive aux delabrements faciaux.
En effet, ce n’est qu’au cours de l’annee 1918 que le chirurgien Leon Dufourmentel appliqua aux blesses, dont les vastes mutilations etaient jusque la restees sans reponse, cette technique operatoire novatrice. Les chirurgiens specialises dans la reconstruction des visages employerent differentes methodes de greffe afin de tenter de rendre aux mutiles une apparence moins repoussante. C’est pourquoi ils se reapproprierent le procede de la greffe » italienne » decrite a la fin du XVIe siecle par le chirurgien italien Tagliacozzi, en modifiant plus ou moins sa technique et ses indications.
Cette derniere s’appliquait surtout aux pertes de substances tegumentaires peu etendues au niveau du nez et du menton La confection de protheses provisoires ou definitives reposait sur les mecaniciens dentistes affectes dans les differentes centres specialises dans la chirurgie reparatrice, a l’interieur du territoire. A leur arrivee dans les centres, les blesses maxillo-faciaux etaient photographies de face et de profil. Si le traitement exigeait un appareil prothetique, les mecaniciens realisaient les appareils a partir du moulage des visages mutiles B/ L’anonymat progressif des G.
C ou la volonte d’oublier la Grande Guerre. La forme, tout d’abord : en s’interessant autant aux defigures de la guerre moderne qu’a leur devenir, leur posterite, leur investissement dans la vie associative, Sophie Delaporte dilate le champ d’etude traditionnel de la Grande Guerre en insistant sur son legs, sur le douloureux sillon de douleur qu’elle a imprime dans la societe francaise. Le sujet, ensuite : sur les 2 800 000 blesses de 1914-1918, qui n’ont guere retenu l’attention des historiens, les milliers de « gueules cassees » forment une categorie a part, oublies parmi les oublies.
En effet, hormis l’hommage reserve par Roubaud et Brehamet au colonel Picot, le fondateur de l’association des « gueules cassees » ces hommes definitivement marques par la guerre sont restes inapercus, « invisibles », dans l’histoire sociale si ce n’est pour leurs contemporains au point que l’on ne peut manquer de s’interroger sur cette etonnante invisibilite, sur le silence du temoignage – des « gueules cassees » et de leur famille y compris – et sur les failles de la memoire collective.
Pourtant, les blesses de la face ont eu l’honneur d’encadrer la ceremonie des signatures du traite de Versailles, rappelant physiquement, par leur seule presence, l’horreur de la guerre. De meme, autre manifestation de consideration, le dixieme des benefices de la Loterie nationale fut alloue a leur association, qui est toujours proprietaire aujourd’hui de 9 % des actions de la Francaise des jeux. C / III/ …pour affronter la societe A/ Difficile reinsertion : s’accepter et se faire accepter
A l’issu du conflit, si certains hommes ne rentrent pas morts ou disparus sur le champ de bataille, d’autres ont la chance, le privilege de pouvoir retrouver les leurs apres de longs mois d’absences. Mais peut-on parler reellement de privilege pour celui qui a perdu tout repere dans une societe qui evolue sans lui depuis de longues annees ? Et qu’en est-il de celui qui a perdu son identite sociale ? Quelles sont leurs chances de survie ? Le retour a la vie civile est une vraie epreuve pour tous les blesses, en particulier ceux qui le sont a la face.
Parfois, quand les proches accueillent avec affection le blesse, le cadre intime de la famille offre un soulagement au blesse, une protection necessaire a sa propre acceptation. Cependant, lorsque le degout et la leur prennent le pas sur l’affection, il se plonge dans l’isolement. Le regard des autres devient rapidement un supplice. Certains avouent avoir peur de se montrer, peur d’avoir a subir l’humiliation. Se montrer est vecue comme une grande honte, il convient de considerer les effets a la fois proches de la brutalisation de la G, les blessures, et les effets seconds comme la difficile reinsertion sociale.
Ils sont pousses progressivement au retour vers les gens comme eux. A l’issue de la Grande Guerre, les gueules cassees subissent un traumatisme profond, symptome post-guerre : dans la difference ils s’isolent. Cependant ils se regroupent en associations comme « les freres de souffrance ». Parmi ces institutions, la pionniere est l’Union des Blessees de la Face en 1921. Le combat des gueules cassees en 1918 est encore plus insidieux : combat pour la reconnaissance. B/ De la lumiere a l’ombre : l’isolement des Gueules Cassees
Aussi de s’attacher a l’etude d’une limite historique : celle de la souffrance. A cote de l’aspect technique de la prise en charge des blesses sur le champ de bataille, de la formation des centres maxillo-faciaux et des efforts d’inventivite d’un corps medical confronte a des blessures inhabituelles, la description des tentatives – plus ou moins reussies – de reconstruction des visages s’accompagne d’une analyse de la reconstruction des identites. Cette partie consacree aux angoisses, aux solidarites et a la detresse des « gueules cassees » ou des « baveux » est tout simplement remarquable.
Les sources, provenant des archives du Service de sante, conservees au Val-de-Grace, quasi ignorees jusqu’ici, et de temoignages individuels et inedits d’une grande humanite pour ne pas dire bouleversants, tel celui de l’infirmiere Henriette Remi, sont ici brillamment utilisees. Cependant, malgre le cadre protege des services medicaux specialises qui ont joue, en quelque sorte, un role de tampon avec le monde exterieur, le long travail de readaptation et d’acceptation de soi n’a, semble-t-il, pas ete totalement acheve.
La difficulte d’affronter la societe, d’exhiber un visage defigure, a conduit les gueules cassees a se refugier au sein de leur association, a vivre entre camarades ayant en partage le meme traumatisme, a se retrancher du monde et de l’insupportable regard des autres, en se repliant sur les domaines de Moussy-le-Vieux (Seine-et-Marne) et du Coudon (Var) acquis respectivement par l’association en 1927 et 1934. C’est sans doute dans ce repli qu’il faut chercher les raisons de l’effacement des « gueules cassees » dans la memoire nationale de la guerre.
Depuis 1940, l’association s’est ouverte aux blesses faciaux des autres guerres et, si les effectifs ont fondu, passant de 10 000 a l’issue de la guerre a 3 000 aujourd’hui, son existence, sa vitalite et ses references, alors meme que les anciens combattants de 1914 ont disparu, temoignent de la perennite de l’effroyable legs du premier conflit mondial. Des le debut de la Premiere Guerre mondiale, Adrien, jeune lieutenant du genie, est frappe au visage par un eclat d’obus. Devenu une gueule cassee il passe le reste de la guerre avec d’autres poilus dans la chambre des officiers au Val-de-Grace, un hopital de Paris.
Il devient tres vite le « doyen » de l’hopital (etant le premier arrive)mais, ne voulant pas effrayer sa famille, il refuse toutes visites et envoie des lettres pour dire qu’il n’a presque rien. C/ Les gueules-cassees, la vision de la societe exprimee par la peripherie artistique. Souligne les difficultes de reparation, les souffrances physiques et morales des blesses de la face pendant la Grande Guerre, surnommes « gueules cassees ». En dehors de dessins techniques medicaux a visee didactique, les representations de visages abimes, mutiles ou delabres, de « gueules cassees » par des artistes peintres restent peu connues.
En France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, il s’agit majoritairement d’artistes qui ont participe a cette guerre. Parmi ces peintres se detachent le Francais Raphael Freida et des expressionnistes allemands tels Otto Dix, Max Beckmann ou George Grosz. Leurs oeuvres concernant ce sujet sont souvent confidentielles, dans des reserves de musees, presentees dans de rares expositions sur la Grande Guerre. Beaucoup d’autres peintres restent a decouvrir en particulier en Grande-Bretagne ou aux Etats-unis.
La vision d’un visage delabre inspirait une horreur si vive, que les artistes n’ont pas represente celle-ci autrement que de facon exceptionnelle ou discrete avant 1914. Sans doute est-ce lie a la peur de toucher a l’intimite du visage, lieu de l’identite. Il n’y a pas de gueules cassees parmi les innombrables tableaux religieux de supplices, ni dans les Desastres de la guerre de peintres ou graveurs fameux comme Goya ou Jacques Callot. Transfiguration appartient a un cycle de gravures intitule « La Guerre », realise par le peintre allemand de la Nouvelle objectivite, Otto Dix, en 1924. Il s’agit de cinq albums comprenant chacun dix gravures.
Ces derniers s’inscrivent dans la continuite de dessins realises sur le front de 1915 a 1918 -par le peintre, engage volontaire des l’entree en guerre de l’Allemagne en aout 1914. L’essentiel de ce cycle a trait a la representation des morts, atrocement mutiles, en phase de decomposition. Max Beckmann, parle au sujet des tableaux d’avant-guerre de peinture subversive qui lui a permis de « murir ses tableaux futurs ». Ses premieres oeuvres ont une teinte plutot naturaliste. Apres la guerre, son style devient plus personnel et offre ses caracteristiques si connues : visages emacies, contours marques.