La lecture numerique fait, pour Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, dans l’introduction de leur Histoire de la lecture dans le monde occidental, reference a une des trois revolutions de la lecture : • la premiere concerne la passage, au XIIe siecle, de la lecture oralisee de l’ecrit a la lecture silencieuse du livre. • la seconde fait reference au passage, dans la seconde moitie du XVIIIe siecle, de la lecture intensive (fortement empreinte de sacralite et d’autorite) a la lecture extensive (libre, desinvolte, qui manifeste d’une « rage de lire ») enfin, la troisieme evoque la lecture sur ecran, qui « modifie tout le systeme d’identification et de maniements des textes ». Avec l’instauration de la societe dite de l’information, l’individu est de plus en plus amene a utiliser les technologies numeriques et, notamment a pratiquer la lecture numerique. Caracteristiques de la lecture numerique Necessite de definir le terme lecture Lecture numerique : groupe nominal compose d’un nom et d’un adjectif qualificatif.
Dans le dictionnaire Robert encyclopedique sous la direction d’Alain Rey le terme lecture revet diverses acceptions. Celles qui concernent le sujet sont differentes et complementaires a la fois puisque la premiere a trait a l’activite c’est a dire l’action materielle de lire, de dechiffrer ce qui est ecrit.
Quant a l’adjectif numerique selon la definition issue du Vocabulaire de la documentation d’Arlette Boulogne « Cela qualifie un dispositif, un systeme ou un procede delivrant un signal qui decrit les phenomenes etudies de facon discontinue par rapport au temps au moyen de codes binaires ». En fait cela qualifie le mode. En effet un texte numerique n’est pas un texte numerise. La numerisation est un processus de conversion d’un signal analogique en un signal numerique. Cette technique permet de stocker des documents, quels qu’en soient la nature ou le support, sous une forme electronique.
Ainsi il n’y a pas une mais des lectures numeriques qui recouvrent plusieurs types de lecture : lecture d’ecran, lecture hypertexte, lecture d’une page web, lecture de livre electronique. la definition de Jean-Pierre Accart et Marie-Pierre Rety tiree de leur ouvrage Le metier de documentaliste le livre electronique designe un equipement nomade compose d’un ecran tactile, d’une memoire, d’une source d’energie autonome et d’un moyen de connexion avec Internet. C’est un support qui permet la lecture d’oeuvres numerisees (livres, presse, documents de travail).
Fonctionnalites de ce mode de lecture Selon Marie-France Blanquet « le document numerique rompt avec le codex ( ancetre du livre a l’origine de la notion de pages , espace limite a trois dimensions ) et renoue avec le volumen ». Pour Claude Morizio la lecture numerique est a mi-chemin entre ces formes comme l’indiquent ses caracteristiques qui sont la tabularite, la multimodalite, l’hypertextualite, la non-linearite. Dans Le livre en revolutions, Roger Chartier evoque a propos de ces aspects : « Le deroulement sequentiel du texte sur l’ecran (… la possibilite pour le lecteur de meler, d’entrecroiser, d’assembler des textes qui sont inscrits dans la meme memoire electronique (… ) ». Pour lui la revolution du texte electronique c’est la revolution des structures du support materiel de l’ecrit et des manieres de lire. De nouveaux contrats de lecture Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier affirment quant a eux qu’avec la lecture numerique « les conditions de manipulation du texte ont change. Face a la machine, le lecteur est place dans une situation paradoxale de distanciation et d’engagement.
La distance de l’homme a la machine est plus grande que celle de l’homme au livre, car le texte semble avoir disparu « derriere » l’ecran, laissant prise a l’espace du secret et du sacre. En revanche l’engagement physique s’accroit, car le lecteur devient manipulateur et doit « agir » la machine a des fins purement fonctionnelles. » Ainsi le lecteur peut agir et ou interagir tout au long de son parcours de lecture. Dans l’outre-lecture les auteurs evoquent la dimension iconique du processus de lecture, caracteristique majeure du processus de lecture sur support numerique. Celle-ci neanmoins etait deja presente sur support imprime vec les outils graphiques et la typographie. Une autre particularite de la lecture numerique reside dans la nature activable de certains signes. Les auteurs parlent de « dimension manipulatoire » de la lecture qui sert de guide de parcours au lecteur. Cela lui permet de s’orienter dans l’espace dynamique en construisant son propre espace documentaire precis mais toujours ouvert a de nouveaux parcours. L’appropriation du texte passe par la manipulation du texte davantage que sur support imprime ou le parcours de lecture est balise par la presence d’index, de glossaires ou de notes.
La lecture numerique necessite des savoirs et des savoir-faire, ensemble de competences utiles pour manipuler ces objets de lecture. Par ailleurs il est souhaitable d’etre a l’aise au prealable avec la lecture papier pour pouvoir investir ces nouveaux modes de lecture. Christian Vandendorpe precise que ce mode de lecture est davantage pratique par des experts( etudiants, chercheurs) que par des novices. La lecture numerique peut etre envisagee a la fois comme une liberte et une contrainte. Par certains de ses aspects elle se prete bien a ce que Michel de Certeau nomme « l’activite de braconnage » au sujet de la lecture.
Selon lui « Les lecteurs sont des voyageurs ; ils circulent sur les terres d’autrui, nomades braconnant a travers les champs qu’ils n’ont pas ecrits, ravissant les biens d’Egypte pour en jouir. » Les consequences de la lecture numerique Lire a l’ecran Lire sur un ecran induit des attitudes et des postures nouvelles, qui peuvent se reveler etre des inconvenients pour le lecteur. Claire Belisle note dans « La lecture numerique : pratiques et enjeux » que lire a l’ecran met le lecteur dans une posture physique nouvelle et donne lieu a une experience sensori-motrice specifique.
En effet, alors que la lecture d’un support papier permet de lire dans differentes positions, la lecture a l’ecran suppose une certaine immobilite et donc une sensation d’inconfort. De plus, l’experience perceptive change : le lecteur est plus facilement sujet a une fatigue oculaire. Alors que le livre papier offre un confort visuel maximum (du fait de sa taille, de l’appareillage typographique, du contraste encre-papier), l’ecran peine a presenter une resolution suffisante et une qualite d’affichage pour l’? il.
Meme si actuellement, les technologies tentent de remedier a ces insuffisances (avec par exemple le retro-eclairage), Claire Belisle indique que l’ecran offre une moindre lisibilite et une vitesse de lecture inferieure d’au moins 25% par rapport a la lecture sur papier. Christian Vandendorpe explique d’ailleurs que meme pour les personnes qui passent plusieurs par jour devant leur ecran d’ordinateur, ce medium n’est pas leur support de lecture favori. Quand il s’agit de se livrer a la lecture attentive d’un texte, que ce soit pour le travail ou la detente, la plupart de ces personnes choisissent encore de passer par l’imprimante.
Mais, l’ecran et tout l’appareillage informatique peuvent permettre de nouveaux modes d’acces a la lecture. Les utilisateurs peuvent personnaliser l’affichage du texte a l’ecran, en grossissant les caracteres, mais aussi en amenageant les couleurs, les contrastes ou les polices. De plus, ceci peut etre positif pour les personnes handicapees qui peuvent par les fonctionnalites du support ameliorer la clarte et la presentation des documents. Si l’on prend le cas de la lecture sur livre electronique, l’inconfort est reduit.
La manipulation de cet objet nomade est plus facile, le lecteur peut lire dans differentes positions du fait du format et du poids (leger) du livre electronique (meme si il doit obligatoirement se trouver a proximite d’une source electrique). Enfin, afin d’avoir une meilleure lisibilite, le lecteur peut s’appuyer sur des reperes. Il peut retrouver certaines formes traditionnelles du livre avec la presence de titre, de paragraphe, de menu. A cela s’ajoute de nouveaux elements para-textuels lies a l’aspect numerique, comme les icones et une organisation specifique de la page.
La lecture hypertextuelle La lecture numerique revient aussi a circuler ou a naviguer en mode hypertexte ou hypermedia. Christian Vandendorpe explique qu’« on ne lit pas un hypertexte comme on lit un roman, et (que) la navigation sur le Web procure une sensation differente de la lecture d’un livre ou du journal ». L’hypertexte induit, en effet, une possibilite de lecture non lineaire. Est offerte au lecteur la possibilite de choisir et de construire son propre parcours de lecture. Pierre Levy va plus loin en affirmant que le lecteur devient auteur.
Cependant Christian Vandendorpe rappelle que c’est le concepteur du site et l’auteur du document qui creent les liens et qui ainsi guident le lecteur dans un parcours de lecture plus ou moins predetermine. Mais ce nouveau mode de lecture n’est pas sans consequence pour le lecteur. Les psychologues cognitivistes Jean-Francois Rouet et Andre Tricot en evoquent quelques dangers : • le probleme de la desorientation : le lecteur perd le fil de sa lecture. • le probleme de la surcharge cognitive : le lecteur se trouve submerge par l’abondance d’informations et par l’exces de traitement a realiser.
En effet, la lecture de documents hypertextuels mobilise fortement la memoire de travail de l’individu. On entend par memoire de travail, « l’espace actif de la memoire ou sont realises les ensembles de traitements qui permettent la comprehension » (Jean-Francois Rouet). Le lecteur doit faire plusieurs choses en meme temps : il doit lire l’information, verifier la pertinence de celle-ci et choisir son parcours de lecture en activant les liens hypertextes, ce qui peut lui poser des difficultes. • le zapping ou « la navigation a la surface des documents » (Andre Tricot) : le lecteur fait une lecture rapide sans prelevements d’informations.
Il ne s’attarde pas sur le contenu et passe directement a un autre document. Mais, comme le souligne le chercheur Jean-Louis Lebrave, il y aurait une manipulation d’informations plutot qu’une veritable acquisition de connaissances. De nouvelles competences et le role du professionnel de l’information et de la documentation En definitive la lecture numerique implique de nouvelles competences de la part du lecteur parce qu’il doit mettre en ? uvre des capacites d’orientation et des capacites memorielles.
Afin d’eviter cette consultation aleatoire, la lecture numerique oblige le lecteur a garder la trace de son itineraire de lecture. Il faut donc qu’il developpe une methode intellectuelle de lecture, des strategies de reperage et qu’il apprenne a developper sa memoire immediate. Le lecteur doit aussi prendre conscience la profondeur de ce qu’il lit, afin d’avoir une vision globale du document. la lecture numerique entraine une absence de contexte pour le lecteur. Or ce contexte a pour fonction d’orienter les schemes de reception et de creer des reseaux en fonction desquels aura du sens tout ce qui sera lu a la suite.
Le lecteur doit donc s’efforcer a recontextualiser le document qu’il lit a travers l’ecran. D’un point de vue materiel, le lecteur doit manipuler des outils informatiques. Ces nouvelles competences que suggerent la lecture numerique ne sont pas forcement evidentes pour l’utilisateur. Le professionnel doit donc le former a ces nouvelles competences : • il doit former a des competences techniques et instrumentales en apprenant a l’utilisateur a manipuler les outils informatiques. • il doit developper le « savoir lire » en formant a des competences strategiques et metacognitives.
Ainsi, il doit developper chez le lecteur la mise en projet et le questionnement, ce qui lui permettra d’elaborer son projet de lecture et donc d’eviter de se perdre dans le flot informationnel. De plus, le lecteur devra etre capable d’elaborer un bilan de son parcours de lecture, pour pouvoir le readapter ou non. • il doit developper le « savoir ecrire ». La lecture et l’ecrit etant lies, savoir restituer une information et savoir la communiquer sous forme electronique apparaissent essentiels. La lecture numerique est liee au developpement de la societe de l’information et a l’accroissement du web depuis une dizaine d’annees.
Cependant ces nouvelles pratiques ne semblent pas menacer l’avenir de la lecture papier comme cet avenement pouvait au depart le laisser supposer. On assiste davantage a une coexistence des supports. L’exemple de l’e-book est eclairant a ce sujet. En effet, cette innovation est restee en suspens parce qu’elle n’a pas fait l’objet d’un usage suffisant etayant ainsi la these selon laquelle la technique n’entraine pas necessairement l’usage ou la pratique. La lecture numerique par ses caracteristiques et ses fonctionnalites elargit l’offre de lecture et peut donc contenter un public plus large aux demandes diversifiees.