Il etait une fois une veuve qui avait deux filles : l’ainee lui ressemblait si fort d’humeur et de visage, que, qui la voyait, voyait la mere. Elles etaient toutes deux si desagreables et si orgueilleuses, qu’on ne pouvait vivre avec elles. La cadette, qui etait le vrai portrait de son pere pour la douceur et l’honnetete, etait avec cela une des plus belles filles qu’on eut su voir. Comme on aime naturellement son semblable, cette mere etait folle de sa fille ainee, et, en meme temps avait une aversion effroyable pour la cadette.
Elle la faisait manger a la cuisine et travailler sans cesse. Il fallait, entre autres choses, que cette pauvre enfant allat, deux fois le jour, puiser de l’eau a une grande demi lieue du logis, et qu’elle rapportat plein une grande cruche. Un jour qu’elle etait a cette fontaine, il vint a elle une pauvre femme qui lui pria de lui donner a boire. – » Oui, ma bonne mere, » dit cette belle fille. Et, rincant aussitot sa cruche, elle puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine et la lui presenta, soutenant toujours la cruche, afin qu’elle but plus aisement.
La bonne femme, ayant bu, lui
D’abord que sa mere l’apercut, elle lui cria : » Eh bien ! ma fille ! – Eh bien ! ma mere ! lui repondit la brutale, en jetant deux viperes et deux crapauds. – O ciel, s’ecria la mere, que vois-je la ? C’est sa s? ur qui est en cause : elle me le paiera » ; et aussitot elle courut pour la battre. La pauvre enfant s’enfuit et alla se sauver dans la foret prochaine. Le fils du roi, qui revenait de la chasse, al rencontra et, la voyant si belle, lui demanda ce qu’elle faisait la toute seule et ce qu’elle avait a pleurer ! » Helas, Monsieur, c’est ma mere qui m’a chassee du logis. Le fils du roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, lui pria de lui dire d’ou cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du roi en devint amoureux ; et, considerant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage a une autre, l’emmena au palais du roi son pere, ou il l’epousa. Pour sa s? ur, elle se fit tant hair, que sa propre mere la chassa de chez elle ; et la malheureuse, apres avoir bien couru sans trouver personne qui voulut la recevoir, alla mourir au coin d’un bois. Charles Perrault – Contes (1695)