l’éducation en france

l’éducation en france

wikisource. org L’Educatlon en France depuis le XVIe siècle Revue des Deux Mondes tome 37, 1880 Carrau L’éducation en France depuis le XVIe siècle . Compayré, Histoire France depuis le XVIe de l’Education intelle Paris, 1878. — Ill. Bai 5 p g e l’éducation en — II. H. Spencer, ue, trad. française , ; Londres, 1879. Jamais peut-être les questions d’éducation et d’enseignement ne se sont plus imposées aux préoccupations de la France que depuis quelques années. A plusieurs reprises déjà, d’autres et de plus autorisés que nous ont entretenu les lecteurs de la

Revue des réformes qui s’accomplissent ou qu’il serait désirable de voir s’accomplir à tous les degrés de l’enseignement ; nous ne risquerons pas d’affaiblir, en le répétant, ce qu’ils ont dit excellemment, notre seul but est de rappeler ici, à propos d’un travail récent et remarquable, les phases diverses qu’a parcourues, depuis trois siècles, l’histoire de l’éducation en France, et de dégager, s’il se peut, du conflit des systèmes, les points essentiels de la science pédagogique.

Ce ne sont pas les écoles qui ont manqué au moyen âge ; ce pendant près de cinq cents ans la principale occupation de ‘esprit humain. On a pu, à la suite de

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Leibniz, recueillir quelques parcelles d’or pur dans le fumier de la scolastique : il reste vrai que toute cette longue époque fut à peu près stérile pour le progrès Intellectuel. Elle a produit de grands hommes, mais pas une œuvre qui ait mérité de traverser les siècles. La discipline était dure, comme les temps. Le fouet régnait en maître sur l’écolier ; vainement quelques âmes élevées protestaient.

Un abbé parlait à saint Anselme des enfans dont il faisait l’éducation « Ils sont, disait-il, méchans et incorrigibles ; jour et nuit nous e cessons de les frapper, et ils empirent toujours ; — Eh quoi ! répondit Anselme, vous ne cessez de les frapper ! Et quand ils sont grands, que deviennent-ils ? Idiots et stupides. Voilà une belle éducation qui d’hommes fait des bêtes ! Si tu plantais un arbre dans ton jardin et si tu l’enfermais de toutes parts de façon qu’il ne pût étendre ses rameaux, quand tu le débarrasserais au bout de plusieurs années, que trouverais-tu ?

Un arbre dont les branches seraient courbées et tortues, et ne serait-ce pas ta faute pour l’avoir ainsi resserré immodérément ? » Trois siècles plus tard, les recommandations du pieux Gerson ne ont pas plus écoutées. La seule différence, dit un historien, c’est qu’en cent ans la longueur des fouets a doublé. Montaigne ne parle qu’avec indignation des internats de son époque : « Ce sont de vrayes geaules de jeunesse captive vous n’oyez que cris et d’enfans suppliciez et de maistres enyvrez en leur cholère… ? — On sait que, malgré la douceur générale de leur discipli 2 OF as maistres enwrez en leur cholère… » — On sait que, malgré la douceur générale de leur discipline, les jésuites conservèrent religieusement l’usage du fouet. Seulement ils ne l’administraient as eux-mêmes un correcteur spécial, qui ne faisait pas partie de l’ordre, était chargé de ce soin. Les fils des plus grands seigneurs n’échappaient pas à cette humiliante punition, Saint-Simon raconte que le fils du maréchal de Boufflers, à qui elle fut infligée, en tomba malade de désespoir.

Tous n’étaient pourtant pas absolument égaux devant les verges des bons pères ; on fouettait le petit Boufflers, parce que l’ordre n’avait rien à craindre d’un maréchal ; on ne fouettait pas, pour une faute aussi grave, les fils d’Argenson, parce qu’un lieutenant de police est toujours un omme à ménager. On pourrait presque mesurer le progrès des idées sur l’éducation d’après la place qu’y occupent les punitions corporelles. Quelle opinion de la dignité humaine peut avoir le maître qui se croit le droit de traiter comme un animal l’enfant confié à ses soins ?

Et quel respect de soi-même et des autres sera capable de concevoir celui à qui l’on aura fait accepter comme légitime l’humiliante brutalité de pareils châtimens ? Ils ne sauraient subsister sous aucun prétexte dans les écoles d’une société aux yeux de qui l’enfant contient déjà le citoyen et l’homme libre. Aussi n’est-ce pas sans quelque surprise que nous voyons un esprit aussi libéral que M. Bain faire encore figurer ce genre de peines sur la liste des punitions.

Il veut, sans doute, qu’on en use le plus rarement possible ; il propose même de confiner dans des établissemens spéciaux les élèves 3 OF as rarement possible ; il propose même de confiner dans des établissemens spéciaux les élèves qu’aucune autre discipline ne pourrait amender ; mais il recule, et nous le regrettons, devant une interdiction absolue qui, pour nous, s’impose avec l’évidence et la nécessité d’un principe. Au XVIe siècle, de grandes intelligences protestent éloquemment contre le système d’éducation du moyen âge, et posent déjà les fondemens de la pédagogie moderne.

Il suffit de rappeler les noms glorieux de Rabelais et de Montaigne. Comme le large rire et les bouffonneries énormes du premier font bonne justice des subtilités pédantesques de la scolastique, des commentaires fastidieux, interminables, qui avaient pris la place des chefs- d’œuvre originaux, de fabus de l’érudition et des citations, du latin barbare, du français latine de ces escholiers de Lutèce qui « déambulent par les compites et quadrivies de l’urbe pour capter a bénivolence de l’omniiuge, omniforme, et omnigène sexe féminin ! ? Quelles journées bien remplies que celles du jeune Gargantua sous la conduite de son précepteur Ponocrate ! Elles commencent à quatre heures du matin, par une prière au « grand plasmateur de l’univers, » et jusqu’au soir, pas une minute n’est perdue. Les exercices variés du corps s’y mêlent heureusement aux travaux de l’esprit. Le grec, que le moyen âge avait négligé, qu’Abélard n’avait jamais su, et que les théologiens, pour se dispenser de l’étudier, appelaient la langue des hérésies, prend le pas sur le latin.

D’ailleurs, au-dessus de l’enseignement purement formel et littéraire, Rabelais met volontiers celui des sciences. par ses propres observations et les remar 4 5 littéraire, Rabelais met volontiers celui des sciences. Par ses propres observations et les remarques que lui suggère son précepteur, Gargantua s’instruit comme en se jouant des propriétés des objets qui s’offrent à lui, à table, en promenade, en récréation : ce sont déjà les leçons de choses, qui jouent un rôle si considérable dans la pédagogie contemporaine.

Arithmétique, géométrie, astronomie, musique, Gargantua apprend tout de ême, par moyens sensibles, par méthodes amusantes ; pour la botanique, on en fait « en passant par quelques prez ou aultres lieux herbus, visitans les arbres et les plantes, les conférans avec les livres des anciens qui en ont escript… et en emportant les pleines mains au logis. » Pas de leçons directes, nul enseignement positif, didactique. Le maître se contente d’exciter la réflexion personnelle de l’élève, de l’orienter vers le vrai, lui laissant le plaisir et le profit d’y marcher tout seul.

Ne demandez pas à Rabelais une exposition précise des moyens les plus propres à atteindre l’idéal qu’il propose ; il n’a que des ues, des pressentimens de ce que doit être l’éducation moderne. Mais ces vues sont admirables. Malheureusement, tous les enfans ne sont pas de la taille de Gargantua. Il faut être un géant pour engloutir ainsi toutes les sciences par morceaux énormes, et supporter sans plier l’incessant travail qu’exige un tel appétit. uis Gargantua, comme plus tard Emile, est aux mains d’un précepteur qui ne s’occupe que de lui : condition à peu près irréalisable, s’il s’agit de précepteurs tels que Ponocrate ou Rousseau. Une théorie de l’éducation, pour être pratique, doit valoir pour le plus grand nom s 5 Ponocrate ou Rousseau. Une théorie de l’éducation, pour être pratique, doit valoir pour le plus grand nombre ; elle ne doit exiger ni que le disciple soit placé dans des circonstances ou doué de qualités exceptionnelles, ni surtout que le maître soit plus difficile à rencontrer ou à former que l’élève.

Non moins énergiquement que Rabelais, Montaigne proteste contre le pédantisme, la dialectique du moyen âge et l’érudition livresque. « Qui a pris, s’écrie-t-il, l’entendement en la logique ? Où sont ses belles promesses ? Veoit-on plus de barbouillage au caquet des harengières qu’aux disputes publiques des ialecticiens ? Que fera l’escholier si on le presse de la subtilité sophistique de quelque syllogisme ? — Le iambon fait boire, le boire désaltère ; parquoy le iambon désaltère. — Qu’il s’en Il maudit la scolastique pour avoir encombré mocque ! ? la philosophie de ronces et d’épines, et veut qu’on arrive à la sagesse par des routes ombreuses et gazonnées. » Ce que Montaigne réclame avant tout, c’est une éducation générale, qui développe harmonieusement toutes les facultés qui font l’homme : les qualités particulières qui font le spécialiste ne seront cultivées qu’après. Cessentiel, c’est que les intelligences soient rendues capables de tout comprendre, les cœurs d’aimer tout ce qui est beau et bon. « Que doivent apprendre les enfans ? Ce qu’ils doivent faire étant hommes. ? Ce mot, emprunté à Plutarque, résume, comme le dit M. Compayré, toute la pédagogie de Montaigne. Son idéal, ce n’est ni le grammairien, ni le logicien, mais le gentilhomme ; le XVIIe siècle dira : l’honnête homme. Et dans cette éducation vraiment 6 5 gentilhomme ; le XVIIe siècle dira : l’honnête homme. Et dans cette éducation vraiment humaine, l’objet principal, c’est la morale. ? On nous meuble la tête de science ; de jugement et de vertu, peu de nouvelles. » — La belle affaire qu’un enfant soit devenu bon latineur de collège ! ? Si son âme n’en va un meilleur bransle, s’il n’a pas le jugement plus sain, i’aymerois autant qu’il eust passé le temps à iouer à la paulme ; au moins son corps en serait plus alaigre. » Bref, pour Montaigne, les lettres et les sciences sont un moyen, non un but. Vérité difficilement contestable, si ron s’en tient à la première éducation du jeune homme ; mais la haute culture intellectuelle exige des études plus approfondies, plus ésintéressées que celles dont se contente l’auteur des Essais.

Passé le temps du collège, Montaigne devient un modèle et un guide dangereux. Il n’a goûté des sciences « que la crouste légère, un peu de chasque chose, à la françoise. » Il demande en général les livres « qui usent des sciences, non ceulx qui les dressent. » Il trouve à ces mêmes sciences beaucoup ci d’étendues et d’enfoncemens fort inutiles. » Il devance même Rousseau dans son fâcheux paradoxe sur l’influence corruptrice du savoir. « L’estude des sciences amollit et effémine les courages plus qu’elle ne les fermit et aguerrit. ?? Esprit superficiel, délié, promenant sa curiosité sur toutes choses sans en approfondir aucune ; âme modérée et douce, indulgente et surtout tolérante, estimant que c’est mettre ses conjectures à bien haut prix que d’en faire cuire un homme tout vif ; » également incapable de rien entreprendre contre l’honneur et de se laisser e 5 vif ; » également incapable de rien entreprendre contre l’honneur et de se laisser entraîner au souffle des passions ou de l’enthousiasme ; d’un égoïsme aimable et raffiné ; peu sensible, à l’amour de la famille et de la patrie : voilà l’élève de Montaigne.

Certes, un tel homme saura conserver dans la VIe l’équilibre qui sauve des grandes infortunes ; je ne doute pas qu’il ne rencontre cette sorte de bonheur que donne Pindifférence sereine du scepticisme ; il aura même sa dignité à lui, celle qui vient du méprisses choses basses, frivoles et vulgaires, de l’harmonie des facultés, de la paix avec soi-même. J’ai peur seulement que sa vertu ne soit singulièrement immobile et négative, et que les parties hautes du devoir, soit dans la famille, soit dans la société, ne paraissent d’un accès bien rude à sa débile énergie.

Il pourra ivre heureux au milieu d’une époque troublée, à l’écart des luttes intestines dont la clameur vient expirer au seuil de son château : il n’est pas l’homme de nos démocraties contemporaines, où l’activité sans trêve est la loi, et la fraternité, l’idéal. Deux institutions résument au XVIIe siècle l’histoire de l’éducation publique en France : les collèges des jésuites et les petites écoles de Port-Royal. Nous dirons peu de chose des premiers. Leur esprit, leurs méthodes, leur but, sont suffisamment connus.

Ils furent dès l’origine à peu près tels qu’ils sont aujourd’hui ; leur immobilité st leur puissance et leur condamnation. On sait que les jésuites n’ont cultivé avec succès que l’enseignement secondaire ; l’instruction élémentaire du peuple, ils s’en défient ; tout pour eux se subordonne à la foi, et q 8 5 l’instruction élémentaire du peuple, ils s’en défient ; tout pour eux se subordonne à la foi, et quelle meilleure sauvegarde pour la foi du plus grand nombre que son ignorance ?

Aussi lit-on dans leurs Constitutions ce passage caractéristique : « Nul d’entre ceux qui sont employés à des services domestiques pour le compte de la société ne devra savoir lire et écrire, ou, s’il le sait, n apprendre davantage ; on ne l’instruira pas sans l’assentiment du général, car il lui suffit de servir en toute simplicité et humilité Jésus-Christ, notre maitre. ? Quant à l’enseignement supérieur, il y faut un amour désintéressé du savoir, une indépendance d’esprit que la corporation ne pouvait ni connaître, ni encourager. Leur vrai terrain, c’est l’éducation moyenne, celle qui convient aux classes privilégiées de la nation.

Discipline à la fois ferme et douce, usage fréquent des récompenses et des distractions, représentations dramatiques qui sont en même temps pour les ?lèves des leçons de tenue et de bonnes manières ; académies dans toutes les classes, où se développent d’une façon fâcheuse la vanité littéraire et le goût de la discussion ; large part faite aux exercices du corps, natation, équitation, escrime, et même aux arts d’agrément, rares sorties dans la famille et courtes vacances pour les internes ; surveillance sévère des externes même, à qui l’on interdit d’assister aux spectacles, aux grandes réunions, aux exécutions, sauf aux exécutions d’hérétiques, maisons spacieuses, bonne nourriture, salles propres et presque élégantes : els furent dès le début les moyens, quelques-uns dignes d’éloges, un plus grand nombre puérils ou dangereux, 35 dès le début les moyens, quelques-uns dignes d’éloges, un plus grand nombre puérils ou dangereux, tous efficaces à divers titres, par lesquels l’envahissante société sut attirer les fils de famille qui, plus tard, devenus riches et puissans, pourraient la combler de faveurs et de bienfaits.

Quant à leur enseignement proprement dit, il se préoccupe exclusivement de la forme ; le but suprême, c’est d’écrire élégamment en latin. « La langue maternelle, la langue ulgaire, comme on disait alors, est interdite Jusque dans les conversations. C’est seulement les jours de fête et en guise de récompense que les écoliers sont autorisés à converser entre eux comme s’ils étaient encore à la maison. » L’explication des auteurs qui, dans les premiers temps, se faisait elle-même en latin, se borne à peu près à signaler les règles de grammaire, les élégances et les figures de style. L’histoire n’est introduite qu’accidentellement dans les classes, à l’occasion d’un texte latin ou grec.

L’histoire de France et l’histoire moderne sont entièrement bannies. L’histoire est tellement suspecte aux jésuites, qu’un de leurs pères soutient « qu’elle est la perte de celui qui l’étudie ; » et dans leurs facultés de théologie, ils n’enseignaient même pas celle de l’église. De sciences, sauf, un peu de géométrie, il n’en est pas question. La philosophie est celle d’Aristote, mais d’Aristote énervé, délayé, défiguré par les commentaires des pères Tolet et Fonseca. Ce sera l’étude de trois années, et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle il ne sera rien changé à ce gothique programme. Les classiques eux-mêmes ne sont pas présentés aux élèves dans toute l’intégrité de leur 0 5