Louis Aragon, auteur du XXeme siecle, est un poete engage. Il ecrit « Strophes pour se souvenir », poeme extrait du Roman Inacheve, en 1955, en memoire du groupe Manouchian, resistants etrangers fusilles par la Gestapo en 1944. L’annonce de leur condamnation avait ete faite par le biais d’une affiche reproduisant leurs photographies, et qui est restee sous le nom de l’Affiche rouge. Le poete tente de raviver le souvenir des resistants. Nous etudierons d’abord l’aspect historique puis la lettre de Manouchian enchassee dans le poeme.
Le poeme fut ecrit dans un but precis, rememorer, preserver de l’oubli, laisser une trace de certains faits. Le titre est d’ailleurs explicite « Strophes pour se souvenir ». « Onze ans deja que cela passe vite onze ans ». Les annees passent, en rappelant l’Histoire, Aragon tente de raviver le souvenir d’hommes qui ont donne leur vie pour la liberte, des resistants, afin qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. Le poeme « Strophes pour se souvenir » evoque un temps de guerre. Il depeint un paysage bien triste.
Les couleurs presentes sont celles du malheur, le noir « noir de barbe » evoque aussi avec l’image de la nuit « nuits hirsutes », le rouge sanglant
De plus le poeme « Strophes pour se souvenir » est parseme de termes faisant reference a la mort. « agonisants, mort, tache de sang, derniers moments, mourir… ». Ce champ lexical tres present rappelle aussi les massacres de la guerre. Ainsi Aragon nous brosse le tableau d’un temps bien triste, ou le malheur et la desolation regnaient en maitre. Il souligne aussi la peur a laquelle etait soumise la population et les procedes par lesquels l’ennemi l’imposait. L’Affiche Rouge est comparee a une « tache de sang ».
Le poete indique ainsi comment les nazis tentaient d’associer l’action des resistants a des actes criminels et barbares. Cette affiche diabolise ainsi la resistance dont le sombre portrait est renforce par les photos figurant sur l’affiche : » noirs « , » nuit » et » menacants » servent le champ lexical du danger et de la peur qui invite a se mefier de ces resistants. La nuit tend a representer un mouvement clandestin et obscur : l’echo » noir « / »nuit » et » hirsutes « / » menacants » vient amplifier l’idee de mal a laquelle on tentait d’associer ces hommes.
De plus l’auteur souligne qu’ils etaient etrangers avec ce vers « parce qu’a prononcer vos noms sont difficiles ». On comprend aisement l’intention xenophobe de l’affiche qui tente de creer un sentiment de mefiance de la population a l’egard de ces resistants, sentiment reposant sur la peur de l’etranger. Ainsi le poete en associant l’idee de l’inconnu a la metaphore de la tache de sang et a la descriptions de portraits sombres et peu engageant denonce les procedes utilises pour effrayer la population et discrediter le mouvement resistant comme le suggere ce vers : Y cherchait un effet de peur sur les passants » Cependant, Louis Aragon fait un reel eloge de ces resistants. Il les presente comme des hommes courageux, des hommes guides par leurs convictions et qui ne craignent pas de donner leur vie au nom des valeurs qu’ils defendent. « La mort n’eblouit pas les yeux des Partisans ». Ils n’attendent en retour ni gloire, ni honneur. « Vous n’avez reclame ni la gloire ni les larmes » Par le sacrifice de leur vie, ils ont donne un sens a la notre « MORTS POUR LA FRANCE »
Leurs combats, leurs vies donnees ont change l’Histoire « Et les mornes matins en etaient differents » Le poete utilise un registre pathetique, quasi lyrique dans sa derniere strophe. En plus de les admirer pour leurs exploits, leurs emotions sont suscitees, compassion, affection… les lecteurs sont amenes a s’attacher a ses hommes. Les resistants au seuil de la mort ayant donne leur c? ur voient le but de leur lutte face a eux -la quete de liberte-, tres poetiquement exprime par l’antithese » amoureux de vivre a en mourir « .
En accord avec la chronologie des evenements, Aragon effectue une mise en scene : la chute des resistants devient celle du poeme. Mais au-dela des resistants en general, c’est a ces etrangers, « ces francais de preference » qui se sont battus pour la France a qui le poete rend hommage. Leur amour et leur attachement a ce pays est souligne par « francais de preference » qui montre bien que malgre leur nationalite etrangere, ils ont choisi ce pays par amour, pour ses valeurs… Ce fait est accentue encore par leur sacrifice evoque avec « MORTS POUR LA FRANCE » et « Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant ».
Ainsi leur combat prend une tournure plus heroique encore, ils se sont battus pour un pays qui n’etait pas le leur, avec plus d’acharnement et de conviction qu’un bien grand nombre de Francais. Ils ont tout donne jusqu’a leur propre vie. Aragon, a la fin du poeme fait de ces hommes nos freres. « Vingt et trois etrangers et nos freres pourtant ». D’etrangers, il leur confere le statut de frere. Ainsi le poete nous rappelle l’Histoire, la deuxieme guerre mondiale, ses temps sombres, ses heros mais il nous rappelle aussi qu’avant meme d’etre des heros, ces resistants sont des hommes, des hommes pleins d’espoir et de reves.
L’auteur donne la parole a Manouchian. Le passage est une sorte de poeme dans le poeme: c’est une adaptation de la derniere lettre de du resistant sous forme d’un discours direct introduit par « Et c’est alors que l’un de vous dit calmement ». Manouchian devoile ses reves et ses regrets. « Ma Melinee o mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant » Il n’a pu avoir d’enfant, il dit a sa femme d’en avoir un, d’etre heureuse. « Marie-toi sois heureuse et pense a moi souvent ». Il joue sur le registre pathetique pour susciter l’emotion du lecteur.
Ce passage a pour role premier d’humaniser ces hommes. Aragon nous fait rentrer dans leur intimite pour nous faire comprendre qu’ils sont plus que de simples portraits sur une affiche, que des resistants au courage exemplaire, ce sont des hommes avec une vie propre et des reves… Malgre cela, ils ont donne leur vie au nom des valeurs qu’ils defendaient. Ils nous apparaissent alors comme de reels heros. L’auteur recourt au registre lyrique. Un lyrisme qui s’etablit tout d’abord entre le resistant et l’ensemble des hommes, comme le suggerent » a tous » et » a ceux » qui ne s’adressent a toute l’humanite.
Puis il adresse un adieu a la vie, a la nature, empreint de melancolie : le mot » adieu « , repete trois fois semble montrer comment le resistant prolonge la separation en s’adressant a chaque element qu’il a pu cherir. On y retrouve aussi la tristesse et la douleur a l’idee de quitter la vie » que le c? ur me fend « . Dans cet adieu apparait certes la tristesse de Manouchian mais aussi sa serenite face a la mort « Bonheur a tous Bonheur a ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand ». Aucune peur ne transparait. Aucun doute.
Jusqu’au dernier moment il a la foi. A l’aube de sa mort, son combat semble prendre tout son sens. Il a lutte pour le bonheur a venir et il s’en va, convaincu que « La justice viendra », que sa vie est la prix a payer pour le retour de la paix, bu bonheur et de la liberte. Le lyrisme amoureux s’exprime notamment par le » o » et par les noms donnes par Manouchian a son epouse, dont » mon amour » et » mon orpheline « . Les sentiments sont mis en avant de telle facon que la tristesse de la situation se mele au romantisme de cette declaration d’amour.
Malgre cet adieu dechirant, Aragon veut preserver l’espoir. Manouchian meurt sans rancune te sans haine envers ceux qui l’assassinent: » Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand « . Au contraire il garde confiance en l’avenir de l’humanite. » La justice viendra sur nos pas triomphants « . Il apporte l’espoir d’un bonheur prochain « Bonheur a tous Bonheur a ceux qui vont survivre ». Pour ce faire, le poete utilise l’image » Un grand soleil d’hiver eclaire la colline « , qui laisse prevoir qu’apres l’hiver symbolisant la mort et la guerre, viendra la chaleur et la clarte redonnant vie.
L’idee de victoire et de bonheur futur est egalement servie par l’enfant, auquel il fait allusion » Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant » qui symbolise la vie et la renaissance. De plus, on constate un reel contraste entre ce passage et le reste du poeme. « Un grand soleil » symbole d’espoir et de vie contraste avec « les mornes matins », l’evocation de la lumiere et de la beaute s’oppose a la tristesse des temps de guerre decrits dans le poeme.
Ainsi ce passage, par l’espoir et l’amour qui s’en degagent, nous apporte un certain reconfort et nous montre toute la determination, le courage de Manouchian et sa serenite face a la mort. Ainsi dans son poeme « Strophes pour se souvenir », Aragon tente de nous rememorer cette guerre et de nous rappeler ses heros. Il se fait gardien de la memoire. Ce poeme est un veritable eloge de la vie et l’auteur nous invite a profiter de notre liberte acquise au prix de sacrifices nombreux.