Le theatre est-il selon vous une bonne tribune pour defendre ses idees ? INTRODUCTION : Traditionnellement, et etymologiquement, le theatre- de « drama » qui signifie « action » en grec- est lie a la notion de spectacle divertissant mais aussi « artificiel » par rapport a la vie, compte-tenu du decoupage en actes, en scenes, avec des personnages parfois « boursoufles » comme le dit Rousseau ,si bien qu’on ne l’associe pas spontanement a la reflexion , a la philosophie .
Pourtant, penser le theatre comme un lieu de divertissement strict releve du contresens historique et litteraire : des son origine, chez les Grecs, le theatre peut se faire tribune, aborder des themes polemiques ou proposer une reflexion, implicite ou explicite sur la societe, l’homme et sa condition . Certains dramaturges accordent une importance primordiale a cette notion de « theatre d’idees ». On peut donc legitimement se demander en quoi le theatre est une bonne tribune pour defendre ses idees. Dans un premier temps, nous nous demanderons dans quels cas le theatre a ete ou est le support d’une idee, voire d’un ideal.
Dans un deuxieme temps, nous tacherons de montrer quels sont les procedes qui, dans ce genre, forme vivante de la litterature, permettent une transmission efficace des idees du dramaturge. Enfin, nous tacherons
Souvent solitaire, le heros est abandonne voire rejete, comme Antigone, Ajax, Electre ou encore plus qu’aucun autre ? dipe, dans ? dipe a Colone . Cette solitude se traduit par le caractere du heros, obstine dans ses decisions : parfois, l’obstination releve de l’aveuglement -comme dans les deux pieces consacrees a ? dipe-, mais le plus souvent elle est liee a un enjeu moral, un choix qui rejette le personnage dans la solitude et participe a son statut de heros Le message de ce Sophocle propose donc une reflexion poussee sur la condition humaine au-dela de sa dimension eminemment visuelle et religieuse. Source : WIKIPEDIA) • Rappeler la theorie de la catharsis chere a Aristote. B. le theatre, utilise regulierement comme tribune depuis son epanouissement au XVIIeme siecle jusqu’ a aujourd’hui. • Le theatre au XVIIeme siecle : son epanouissement, Moliere. • Le theatre peut devenir une tribune, assumee, revendiquee par un auteur engage et polemique. Ainsi dans le theatre contemporain, les dramaturges europeens utilisent-ils le theatre comme lieu d’expression politique, comme Bertholt Brecht en Allemagne dont le theatre meme lorsqu’il reecrit des mythes grecs, est a lire comme un coup de poing politique et ideologique.
Lire l’Antigone de Brecht, ou son Irresistible ascension de Arturo Ui, c’est evidemment lire l’appel a la resistance anti-nazie, et prendre avec les mots, les armes. Bertold Brecht est connu pour etre une des consciences de l’Allemagne des annees 50 et pour ses prises de position tranchees. Son moyen d’expression favori est sans conteste, le theatre. De meme, Albert Camus ou Jean-Paul Sartre, ecrivains et philosophes engages, ont consacre une bonne part de leur production au theatre avec des pieces aussi celebres que Caligula , les Justes ou Huis-clos et Les mains sales.
Certains auteurs ont donc fait du theatre un terrain privilegie pour le debat et les combats d’idees. • Bien sur tous les dramaturges ne sont pas aussi explicitement engages que Bertholt Brecht ; certains auteurs sont a lire entre les lignes. Beaumarchais ou encore Marivaux, tous deux auteurs representatifs de l’epoque des Lumieres en France, proposent des scenes de marivaudage, de badinerie ou de fanfaronnade divertissantes ; pour autant, leur discours implicite n’est pas neutre.
Marceline et Figaro dans Le Mariage de Figaro de Beaumarchais sont les porte-paroles d’une volonte de changement dans le peuple par opposition a une noblesse sclerosee, incarnee par le comte Almaviva… cette piece rappelle que la revolution francaise n’est pas loin. Certains auteurs ont donc fait du theatre un terrain privilegie pour le debat et les combats d’idees genre qui a pour lui les moyens ideaux pour convaincre ou persuader : il dit en meme temps qu’il montre sur scene. II . Une tribune subtile et marquante :
Pour l’auteur, le theatre se presente comme un support ideal pour developper et defendre des theses grace a la presence des personnages qui servent de porte-paroles a l’auteur ou de repoussoirs. De plus, le theatre a longtemps ete accessible a tous, et permettait une spectaculaire propagation des idees, par support ecrit et surtout oral. A . La presence du personnage : • La double enonciation : la piece de theatre se diversifie en tragedies, comedies, drames bourgeois ou romantiques, mais dans tous les cas, le dialogue reste le moteur principal de la dynamique de l’intrigue.
Cette forme est tres vivante, et l’auteur peut employer a travers les paroles des personnages un registre polemique et defendre ses theses. Ce procede est accentue par la double enonciation constamment presente au theatre : le personnage interprete par un acteur, s’adresse non seulement aux autres personnages presents sur scene mais aussi aux spectateurs. Exemple: Tirade de Don Juan sur l’hypocrisie ds l’acte V derriere lequel on devine sans ambiguite Moliere s’attaquant aux faux devots de la Compagnie du saint-Sacrement (« L’hypocrisie est un vice a la mode et les vices a la mode passent pour des vertus. ) . • Les tirades et monologues notamment permettent une reflexion plus profonde sur la societe, puisque le personnage s’exprime longuement et de facon tres structuree, en particulier, dans le theatre classique et est face a lui-meme et au spectateur, dans le cas des monologues. EX : C’est le cas dans Hernani, drame romantique de Victor Hugo. Don Carlos , roi d’Espagne, seul devant le tombeau de Charlemagne, dans la scene 2 de l’acte IV reflechit et exprime son ambition de devenir empereur. A travers ce monologue, il peut critiquer les differents regimes politiques, les comparer.
Hugo inclut ses opinions politiques dans le texte de Don Carlos. B. Un spectacle visuel ouvert a tous : • Par ailleurs, un autre avantage du theatre semble etre sa facilite d’acces a la majorite de la population aux XVIIeme et XVIIIeme siecles : une piece de theatre consistait principalement a etre representee et le lieu theatral s’ouvrait a un public plus large. Les idees de l’auteur pouvaient ainsi etre mieux repandues. Moliere a cree un grand nombre de « comedies-critiques » et « comedies de m? rs et de caracteres » dans lesquelles il montre les defauts de la societe. Ces comedies sont rendues accessibles par la presence du registre comique, voire farcesque. Ce registre lui a toujours permis de seduire toutes les categories sociales . Ses pieces, en meme temps qu’elles scandalisaient les uns, rejouissaient les autres. Personne n’etait indifferent. • DJ, est une comedie classique qui reste cependant tres moderne ainsi qu’en temoignent les tres nombreuses mises en scene au XXeme et XXIeme siecle.
Sa modernite est visible dans la souplesse avec laquelle elle s’adapte aux visions respectives de chacun des metteurs en scene sur la piece consideree ds son integralite, mais aussi sur le personnage du libertin (exemple a developper en fonction des analyses faites en cours) . Les spectateurs contemporains ont ainsi acces aux idees de Moliere, a ses critiques a travers le regard souvent novateur et regenerant des mises en scene les plus contemporaines, d’autant qu’aujourd’hui, comme on le voit ds la mise en scene de Bluwal, le theatre peut utiliser les ressources du cinema pour tenter de seduire un public plus jeune. Autre exemples a developper : Cyrano de Bergerac de Edmond Rostand et Rappeneau) Le public adhere donc d’autant mieux au discours qu’il est activement defendu, en actes et gestes, par un personnage auquel il peut parfois s’identifier et seduit par la dimension visuelle du genre. Cependant, la diffusion d’idees par la tribune que constitue le theatre est parfois limitee. III . Les limites de l’efficaciteLe premier obstacle a la diffusion des idees est la censure du moins jusqu’au XIXeme siecle en Europe. Au XXeme et XXIeme siecle, la censure vient du public meme qui peut ne plus adherer a ce genre juge alors obsolete.
Enfin, le theatre ne peut etre reduit a sa dimension argumentative. Il demeure avant tout un art de la scene, visuel et spectaculaire A. La censure : • Les auteurs, en critiquant trop ouvertement les defauts, en s’attaquant a des groupes de la societe, peuvent etre censures : leurs pieces ne peuvent etre representees avant qu’ils n’en aient modifie des extraits voire le livre entier. La premiere version du Tartuffe, en 1664, a ete censuree grace a la pression, en particulier, de la Compagnie du Saint-Sacrement qui se sentait la cible des attaques de Moliere dans cette piece.
En effet, tout le monde ne rit pas des pieces du celebre dramaturge, et les personnes concernees-les precieuses, les beaux esprits, l’abbe Cotin dans Les Femmes savantes- s’opposent et reussissent a interdire la piece. De meme, la deuxieme version, en 1667 sera aussi censuree. Il faudra attendre 1669 pour que la piece soit jouee. Un siecle plus tard, en 1784, la censure est toujours presente en France. Le Mariage de Figaro, de Beaumarchais est interdit a la representation. Le texte remet en cause l’ordre social, puisqu’il denonce la condition injuste des femmes et attaque meme la justice !
B L’incomprehension du spectateurs : • le spectateur peut ne pas prendre au serieux les idees de l’auteur voire ne pas les comprendre. Les pieces de Moliere, souvent comiques, seduisent encore aujourd’hui. Les rires fusent durant la representation, les pieces aux intrigues « faciles » sont tres comprehensibles. Mais qu’en est-il des idees transmises ? Celles-ci peuvent ne pas etre prises au serieux, et l’histoire peut supplanter la satire. L’avare est ainsi une piece ambigue pour la transmission des idees. Retiendra-t-on plus le ridicule du personnage d’Harpagon, ou la morale transmise par l’histoire sur l’avarice ?… De meme, qui est le porte-parole d’Anouilh, dans Antigone ? Creon defend l’ordre etabli, et se soumet aux exigences du peuple, meme si cela lui semble contraire a sa morale, tandis qu’Antigone revendique la liberte, et demande a n’etre astreinte a aucune loi. On ne peut alors dire de quel cote se place l’auteur, sans risquer une erreur d’interpretation… • Le theatre est un spectacle devenu elitiste qui ne seduit plus qu’une mince elite alors que le grand public se tourne vers le cinema, plus « moderne » et donc plus « attrayant »( Voir Le soulier de satin au festival d’Avignon 2009 : mise en scene nocturne de 9 heures …)
C . Un spectacle visuel : • Le theatre cependant ne peut etre reduit a sa dimension argumentative. Il demeure avant tout un art de la scene, visuel et spectaculaire et ce sont ses caracteristiques memes qui l’empechent de se mettre au seul service de la politique ou de la polemique. Une ? uvre d’art reste une ? uvre d’art. Le theatre n’a pas qu’une dimension politique. Il est un divertissement, visant au plaisir du spectacteur .
On pourra toujours voir dans la Cantatrice chauve d’Ionesco un constat glacant de l’etat des relations humaines, au point mort, mais ce serait alors passer a cote de la fantaisie, de l’absurde de la piece, et se priver du rire comique que veut susciter cette bande de personnages improbables. • De meme, la technique attachee a l’art dramatique vient limiter et contrebalancer le discours polemique ou politique contenu dans certaines pieces. Une piece, toute politique soit-elle, est « adoucie » dans ses pretentions, par la dramaturgie, les costumes, la gestuelle des acteurs, les jeux de scene.
Par consequent, meme les pieces « provocatrices » comportent une dimension purement esthetique que peuvent apprecier les spectateurs eclaires, les intellectuels ou les amoureux du genre. Ainsi dans l’Antigone d’Anouilh ou dans la Guerre de Troie n’aura pas lieu, de Giraudoux, les spectateurs ne sont pas dupes et savent qu’ils sont engages avec ces pieces dans une reflexion sur le devenir de la France en liaison avec les evenements contemporains : la seconde guerre mondiale. Cela n’enleve pas a ces ? uvres la beaute, la puissance dramatique, qui fait qu’une piece de theatre, toute tribune qu’elle soit, sera toujours un double discours.
Il y a le discours politique, certes, mais derriere, au-dela, le propos litteraire, la beaute esthetique, dans une tirade reussie, par un acteur incarnant un personnage qui parvient a nous emouvoir a travers un morceau de bravoure, une replique imagee. Alors le theatre ne sera jamais tout a fait l’equivalent d’un discours argumentatif pur, tel qu’un editorial de journal, ou une plaidoirie d’avocat ou la conviction dans le discours prime sur sa forme et ou sans ambiguite il s’agit pour le locuteur d’entrainer l’adhesion, sans se soucier de la valeur litteraire du texte.
Ce qui fait la richesse du theatre en fait aussi sa limite. La qualite litteraire du theatre est a la fois un atout et un handicap : le theatre ne peut jamais completement se consacrer au propos argumentatif, car il est pris dans d’autres logiques liees a la dimension visuelle de ce genre. CONCLUSION : • Bilan de la demonstration, • Ouverture : On pourrait se demander si toute ? uvre, quel que soit son genre, n’est pas argumentative. Un roman meme apparemment aux antipodes de l’argumentation, comme le roman de science-fiction, permet des questionnements profonds.
En effet, il y a consensus sur le fait que 1984 d’Orwell releve de l’apologue. De meme que le theatre a pour lui la vivacite entrainante, le roman possede la longueur qui laisse au lecteur le temps de s’installer dans l’histoire et de s’attacher aux personnages, lui menageant le delai necessaire pour qu’il acheve d’adherer a la these ou a la vision de la societe proposee par le romancier. Chaque genre litteraire a en fait ses armes propres pour insinuer, manipuler, suggerer, convaincre et persuader.