Dissertation : Gilles Aillaud affirme qu’il est des pi? ces qui ne sont pas ? repr? senter mais ? lire alors m? me qu’il travaille ? la sc? nographie de B? r? nice la Com? die Fran? aise. Qu’en pensez-vous ? Autrefois dans la Gr? ce antique, le th?? tre ? tait un art destin? ? ? tre regard? par un public. Le th?? tre, notamment en France, est reconnu aujourd’hui aussi bien comme un domaine litt? raire qu’un art du spectacle, et les valeurs litt? raires des pi? ces de th?? tre ne cessent de s’intensifier dans les yeux des amateurs. Nous poss? dons deux voies majeures pour aborder une pi? ce de th?? re, soit en tant que spectateur, soit en tant que lecteur. La repr? sentation consiste ? pr? senter une pi? ce de th?? tre une nouvelle fois, avec entre autre, des transformations ? ventuelles entre plusieurs repr? sentations, ce qui la rend unique. En introduisant la pi? ce aux yeux des spectateurs, elle la rend vivante et actuelle. Chaque repr? sentation est alors une recr? ation de la pi? ce par le metteur en sc? ne, cr? ant un lien entre les spectateurs et les acteurs
La compr? hension ne peut tout de m? me pas s’effectuer totalement suite ? une seule rencontre avec l’? uvre. Il s’agit d’un travail de construction continuel et pr? cis d’o? l’importance de pouvoir revenir sur certains passages que l’on n’a pas vraiment compris. Dans un second temps, les promenades du lecteur dans l’? uvre lui permettent de contempler la beaut? de l’? criture utilis? e. L’aspect po? tique dans B? r? nice de Racine m? rite d’? tre ? tudi? e en profondeur par le biais de multiples figures de styles comme m? taphore, comparaison, antith? se, ou chiasme, ou par la richesse des rimes dans les alexandrins.
Le travail sur l’? tymologie des mots utilis? s comme ? enfant ? , ? cruaut? ?, ? limbes ? peut s’av? rer passionnant. Il aide parfois fortement ? comprendre le c? t? implicite de l’? uvre. Absolument passionant les moments d’exaltation dans un monde absolument absurde et pleins de fadaises. Finalement, suite ? un certain temps consacr? ? l’? uvre, le lecteur est libre dans la ? concr? tisation ? de l’image des acteurs, leur voix, leur taille, leur jeu, mais aussi pour tout ce qui concerne les cadres spatio-temporels comme les d? cors, les costumes, et les objets th?? traux. Il peut imaginer sa propre ? repr? entation ? car il n’y a pas d’images qui lui sont impos? es comme dans le cas d’un spectateur au th?? tre. Il est important de souligner que les metteurs en sc? ne doivent ? tre tout d’abord des lecteurs de th?? tre pour pouvoir arriver ? repr? senter une pi? ce. Ainsi, chaque lecteur a sa propre interpr? tation des ? l? ments dans la pi? ce. Il est tr? s souvent le seul ? ?prouver certains sentiments ? l’? gard de passages qu’il a appr? ci? s particuli? rement, alors que d’autres n’y font pas attention. Le lien entre Antiochus et Titus dans B? r? nice de Racine peut alors ? tre per? u comme un lien de rivalit? ou comme un lien d’affection excessif qui va jusqu’? l’homosexualit? d’apr? s l’opinion de certains metteurs en sc? ne. Dans la lecture, les sensations du lecteur sont moins influenc? es par d’autres que le spectateur au th?? tre. Il s’agit d’une vraie jouissance de voir se tisser une liaison entre son ? me et celui de l’auteur car on est parfois facilement convaincu d’? tre le seul ? avoir compris les allusions derri? res certaines images. Il nous est possible de voir que la lecture para? t capable ? elle seule de nous transmettre toute la beaut? de l’? uvre th?? trale. Cependant si nous regardons du c? t? de la repr? entation, les chemins propos? s pour l’entr? e dans l’? uvre sont ? galement tr? s abondants. La repr? sentation peut permettre la transmission de certaines choses non ressenties dans la lecture. Malgr? les avantages que peuvent pr? senter la lecture d’une pi? ce de th?? tre, sa repr? sentation semble ? tre difficilement n? gligeable car le th?? tre est cr?? tout d’abord pour ? tre jou?. Le jeu sur sc? ne permet de concr? tiser les ? l? ments dans la pi? ce, et facilite donc l’acc? s ? la compr? hension de l’? uvre. Il offre en m? me temps une vision et une audition aux spectateurs. La vocation primaire d’une pi? ce de th?? tre est d’? re vue. Dans la Gr? ce antique, le berceau du th?? tre occidental, le mot ? theatron ? qui donnera plus tard ? th?? tre ? en fran? ais voulait dire ? contempler ?. Le th?? tre est d’abord cr?? dans le but de faire participer tous les citoyens ? une manifestation religieuse et de leur apprendre ? respecter les dieux et le destin intransigeant. Les mythes sont souvent repris dans les trag? dies grecques tels que le mythe d’Electre dans Les Eum? nides d’Eschyle, Electre d’Euripide et Electre de Sophocle. D’ailleurs, il nous est possible de remarquer que les ? pi? ces ? lire ? n’apparaissent que r? cemment, au cours du XIX? me si? le avec des auteurs romantiques comme Musset avec son Lorenzaccio ou encore Hugo avec Cromwell. Dans chaque pi? ce de th?? tre, en parall? le avec les r? pliques se pr? sentent les didascalies qui sont des indications soit pour l’espace sc? nique soit pour le jeu de l’acteur. Cette pr? sence traduit la volont? des auteurs que leurs ? uvres soient mises en sc? ne. Pour le cas des pi? ces qui ont peu de didascalies comme chez Moli? re ou Racine, on apprend que ce n’est pas du ? une volont? d’? crire une pi? ce ? lire mais parce qu’ils sont eux-m? mes des metteurs en sc? ne pour leurs pi? ces. Le spectateur est d’ailleurs consid? ? comme un des acteurs indispensables au th?? tre, sans lequel il n’y aura pas de th?? tralit?. La mise en sc? ne permet de voir en concret l’espace sc? nique. Elle offre au spectateur une des visions possibles de l’? uvre. Les objets th?? traux ont tous des significations importantes qui permettrent de mieux comprendre l’? uvre. Dans la mise en sc? ne de La visite de la vieille dame de Durrenmatt par Rudolph Straub, les changements entre sc? nes sont visibles pour les spectateurs. Au milieu de la pi? ce, il y a trois changements de sc? nes cons? cutives qui utilise les m? mes espaces pour repr? senter trois lieux diff? ents. La reconnaissance des lieux se fait tout simplement par des objets th?? traux comme la croix qui repr? sente la maison du cur? , le plan de la mairie qui fait allusion au maire, ou encore un r? volver qui fait directement penser au gendarme. Ainsi, non seulement on distingue trois lieux diff? rents gr? ce ? l’intervention d’un seul objet caract? ristique, mais cette fa? on de construire l’espace de jeu fait comprendre aussi que ces trois hommes sont finalement des ? tres de m? me nature : ils sont pr? occup? s par les int? r? ts personnels de fa? on semblable et seule leur fonction dans la soci? t? les distingue. La fa? n de mettre en sc? ne le d? cor et les objets th?? traux peut r? v? ler ce que le metteur en sc? ne a compris dans le sens de l’? uvre, dans le message que l’auteur a voulu transmettre dans sa pi? ce. La question de la voix au th?? tre est un ? l? ment tr? s important ? galement. La musicalit? des vers, des mots, et le rythme des r? plique sont mis en valeur au th?? tre, ce qui ne peut ? tre obtenu dans une lecture individuelle (1). La ponctuation dans les textes peut ? tre respect? e au gr? d’un service de l’auteur ou bien modifi? e pour que le texte puisse ? tre mis au service du travail du metteur en sc? ne et de son ? quipe.
Le metteur en sc? ne peut d? sirer respecter la ponctuation mise en place par l’auteur, comme c’est le cas de Lambert Wilson qui a mis en sc? ne B? r? nice de Racine. Influenc? d? s son adolescence par ? la sensualit? , la volupt? de la voix ? due ? ? la prononciation des vers de Racine ? , il veut que la diction des vers raciniens par les acteurs soit aussi pr? cise que s’ils ? taient des musiciens face ? une partition. Le second cas est rep? rable dans la mise en sc? ne de Ph? dre de Racine par Patrice Ch? reau, o? les vers sont prononc? s naturellement, sans respect des c? sures entre h? mistiches et des arr? ts en fin de vers.
Ch? reau entend par cette forme de diction rendre le sens des r? pliques plus compr? hensible aux lecteurs. Le r? le de l’acteur est de rendre vivant l’? me des personnages ? travers des r? pliques et les gestes. Repr? senter une pi? ce, est en m? me temps la rendre actuelle aux yeux du spectateur par le biais de l’image et du son. Il s’agit d’une recr? ation de l’? uvre, une r? apparition apr? s certaines transformations par le metteur en sc? ne et son ? quipe. La repr? sentation s’av? re ? tre aussi importante que la lecture pour aborder une pi? ce de th?? tre. Ne serait-il pas plus int? ressant de les voir en tant qu’? l? ents compl? mentaires que de les consid? rer comme deux antagonistes ? La combinaison entre lecture et repr? sentation promet la meilleure r? ception d’une ? uvre th?? trale. Lecture et repr? sentation ne sont pas du tout incompatibles et de plus chacune apporte de son c? t? des ? l? ments pour mieux appr? hender une pi? ce de th?? tre, et de plus, le texte et la repr? sentation sont tous deux des cr? ations extr? mement riches. Tout d’abord, les ? pi? ces ? lire ? ne sont pas forc? ment difficilement repr? sentables. B? r? nice est une pi? ce que Gilles Aillaud pense ? tre destin? e ? ?tre lue plut? t qu’? ?tre repr? sent? , et pourtant les repr? sentations de B? r? nice ont connu beaucoup de succ? s, avec des metteurs en sc? nes qui travaillent de fa? on totalement diff? rente. Pour certaines pi? ces ? crites pour ? tre lues comme l’a indiqu? leurs auteurs, tels que Lorenzaccio de Musset, il y a eu quand m? me des tentatives de mises en sc? nes comme celle de Jean-Pierre Vincent en 2000, qui n’ont pas du tout connu d’? chec. Cela montre que m? me si certaines pi? ces paraissent plus conformes ? la lecture qu’? une repr? sentation, il est toujours possible d’aborder une pi? ce par les deux voies. Des relectures en compagnies de plusieurs repr? entations permettent de ressentir ? chaque fois un nouvel ? claircissement sur un point pr? cis. Il est impossible de faire attention ? tout ? la fois, vu que dans l’? uvre, les champs lexicaux, les figures de styles et des allusions pr? sent? s sont extr? mement riches et que sur sc? ne, la lumi? re, le d? cors, les objets puis le jeu des acteurs et leur diction forment ? galement un ensemble tr? s abondant. La lecture et la repr? sentation sont compl? mentaires et forment sans doute l’outil le plus puissant et efficace pour guider le spectateur-lecteur dans l’? uvre. Il serait dommage que la d? couverte d’une oeuvre th?? rale soit r? duite seulement ? la lecture ou bien seulement ? la repr? sentation. Avoir la possibilit? d’? tre en contact avec les deux, surtout de fa? on continuelle, est une chance pour les spectateurs de contempler une ? double cr? ation ?. La premi? re est celle de l’auteur au niveau de la beaut? de l’? criture. Quant ? la seconde, elle r? sulte du travail du metteur en sc? ne et de toute son ? quipe au niveau de la mise en sc? ne. Ces deux travaux se diff? rencient de plus en plus notamment avec les metteurs en sc? ne contemporains qui cherchent ? se distinguer v? ritablement de l’auteur. Ils sont plus nombreux ? e servir du texte dans leur travail (2) comme dans la mise en sc? ne de B? r? nice par Fisbach et Montet qui utilise le texte comme un fond pour l’expression du corps des danseurs, ainsi qu’une traduction de texte en h? breux qui correspondraient au c? t? ?tranger de B? r? nice ? Rome. A c? t? du travail de l’auteur qui est reconnu comme v? ritable cr? ation, nous pouvons aujourd’hui appeler ? galement des mises en sc? ne par ? recr? ation ?. Les repr? sentations d’une pi? ce varient ? norm? ment selon le travail des metteurs en sc? ne car chacun y apporte m? me inconsciemment quelques choses de soi. Dans sa mise en sc? ne de B? ? nice, Lambert Wilson dispose dans le d? cor un portrait ? crasant de Vespasien pour renforcer le mythe du p? re dont Titus essaie d? sesp? r? ment de se d? barrasser. Lambert Wilson lui-m? me cherche ? sortir de l’ombre de son p? re Georges Wilson, c? l? bre metteur en sc? ne du th?? tre fran? ais. Suite ? la lecture de B? r? nice, le fait d’aller voir des repr? sentations diff? rentes peut nous offrir plus de chances d’avoir diff? rentes visions sur la pi? ce. Finalement, si la lecture offre plusieurs avantages tels que l’absence des contraintes temporelles, la possibilit? d’entamer une ? tude profonde sur la beaut? de l’? riture ou encore la libert? d’imaginer des dispositions et des personnages dans une pi? ce de th?? tre, la repr? sentation permet ? galement de son c? t? plusieurs approches int? ressantes. La lecture cr? e une certaine intimit? entre le lecteur et l’auteur. Quant ? la repr? sentation, elle a ? t? le but primaire ? la naissance du th?? tre. Elle am? ne non seulement la possibilit? de visualiser des espaces sc? niques et des jeux concr? tement mais aussi celle d’entendre la musicalit? des r? pliques avec toutes les assonances et allit? rations. Repr? senter permet donc une cr? ation de rapport sc? ne-salle. Pour pouvoir transmettre enti? ement la beaut? d’une ? uvre au destinataire, il serait plus int? ressant de concevoir ces deux voies comme compl? mentaires, afin de cr? er une voie plus grande, plus accessible et plus abondante menant ? la d? couverte d’une ? uvre th?? trale. Ainsi, le destinataire de l’? uvre est invit? ? savourer une double cr? ation artistique, tout en approchant plus facilement le sens d’une oeuvre. Mais on ne peut pas nier le fait que la participation ? une lecture et ? une repr? sentation est radicalement diff? rente, tant par les sens qu’elles mobilisent que par la stabilit? de la cr? ation. Nous voulons parler du fait qu’un texte th?? ral produit sur support papier reste fixe et peut ? tre reproduite. Il est donc possible de le reprendre, de retravailler dessus quand le lecteur le d? sire. Cela n’est pas possible quant ? une repr? sentation car chaque repr? sentation est unique et m? me avec la nouvelle technologie, on n’arrive pas ? fixer une repr? sentation de fa? on qu’elle puisse se reproduire car la captation en vid? o supprime en effet toutes les v? ritables sensations dues au rapport sc? ne-salle (3). Notes : (Correction de Mme Ottenwelter) (1) Discutable car si un lecteur comp? tent s’int? resse ? un texte de th?? tre, plut? t qu’? du roman ou ? ne nouvelle, sait pertinemment que le texte se pr? te ? une oralisation, une diction – en particulier, mais pas exclusivement, quand il s’agit de vers, et cela m? me s’il lit en lecture silencieuse. Il sera capable d’en joui comme un musicien ? ut entendre la musique en ? lisant ? la partition ! (2) M? me les metteurs en sc? ne qui ? se servent du texte ? ont en g? n? ral un grand respect pour ce dernier, sinon ils ne l’auraient pas choisi ! Souvent ils en ont fait une lecture approfondie, par exemple le travail de Fisbach et Montet sur la diction des vers, l’utilisation du texte dit comme musique sur laquelle ? oluer, m? me si ensuite ils vont l’utiliser comme mat? riau de leur propre travail de cr? ation en ? tant que metteur en sc? ne. On peut ? galement penser que beaucoup de metteurs en sc? ne contemporains plus que de chercher ? donner l’illusion r? aliste de la fable par le d? cor et le jeu de l’acteur, cherchent ? faire entendre le style de l’? crivain, sa fa? on d’? crire en trouvant une diction appuy? e. Nous avons pour preuve la pratique de l’offrande du visage de l’acteur au public au d? triment du jeu naturaliste du ? profil ?. Si l’acteur est face au public, c’est pour que l’on voie mieux le texte !
Il faut voir le texte pour faire l’entendre. (3) Or c’est dans ce caract? re vivant, imm? diat que r? side la sp? cificit? de l’art th?? trale, le partage ici et maintenant d’une pr? sence et en ce sens nous sommes loin de l’id? e que le th?? tre offrirait seulement une repr? sentation du monde au sens d’une imitation, d’une reproduction, ce qu’il permet c’est la pr? sentation de la pr? sence, l’? piphanie d’une vie toujours renouvel? e, celle du texte, comme du personnage, comme finalement de l’acteur et en cela, il est le seul art ? pouvoir le proposer, d’o? la fascination qu’il suscite encore malgr? son archa? sme.