Le probleme de la memoire dans vie de henry brulard (stendhal)

Le probleme de la memoire dans vie de henry brulard (stendhal)

Quand Henri Beyle, plus connu de nous sous le pseudonyme de Stendhal, entreprend la redaction de ses memoires, Vie de Henry Brulard, il est age de cinquante deux ans. Son enfance est loin derriere lui, et sa memoire n’a bien evidemment pas pu garder tous les evenements de sa vie intacts, pourtant il parvient a faire ressurgir de l’oubli une grande partie de son enfance, sa jeunesse, et de sa vie en general. Il semble parvenir assez efficacement a surmonter l’oubli naturel du au temps et remonter dans sa memoire.

Nous pouvons donc, a la lecture de ce texte, nous interroger sur le travail qu’effectue l’auteur pour vaincre l’amnesie. Pour apporter une reponse a cette question, nous etudierons dans un premier temps en quoi il y a effectivement amnesie dans l’? uvre, y compris apres ce travail de memoire. Nous verrons ensuite les raisons pour lesquelles Stendhal entreprend ce travail sur le souvenir, et donc plus precisement ce sur quoi il concentrera son travail contre l’amnesie.

Et enfin, nous nous pencherons sur les methodes utilisees et les techniques de l’ecrivain pour ramener ses souvenirs a la surface. C’est le principe meme de l’ecriture de memoires que de remonter dans le passe. Et bien

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sur, plus les souvenirs se rapportent a une epoque eloignee dans le temps, plus ils sont imprecis. Mais Stendhal assume tout a fait cette part d’imprecision, d’incertitude, et va meme assez souvent jusqu’a avouer son oubli complet de certains evenements. Il ne pretend pas retranscrire les evenements de facon precise et complete.

Ainsi, il nuance a longueur de texte l’exactitude de ses souvenirs par des formules telles que « Il me semble que », extremement nombreuses, dont il serait difficile de relever toutes les occurrences. Il met de cette facon l’eventuel lecteur en garde a propos de la precision de ce qui est evoque, et ne donne pas les faits comme absolument certains. Nous pouvons percevoir, dans ce doute constant, la difficulte a se souvenir qu’eprouve l’auteur, et malgre son travail, la plupart des evenements de sa jeunesse restent couverts d’une brume plus ou moins epaisse.

Il arrive egalement que l’auteur inscrive entre parentheses « a verifier », il exprime a certains moments une hesitation entre deux dates, les presentant toutes deux comme possibles, mais ne choisissant pas entre elles. D’autres fois encore, il anticipe les questions du lecteur pour reconnaitre qu’il ne peut y repondre, notamment a la page 72 : « mais pourquoi ce monde ? a quelle occasion ? C’est ce que l’image ne dit pas. » Ou bien encore Stendhal previent directement le lecteur qu’il n’est pas tout a fait fiable en declarant xplicitement qu’il est tres possible qu’il fasse erreur dans les annees et avance ou recule certains evenements dans le temps. Il va meme, et c’est le cas le plus frequent, jusqu’a affirmer tout net qu’il ne se souvient plus de telle chose, comme, par exemple, la physionomie de ses parents, confessant un oubli qu’il aurait pu passer sous silence en ne traitant pas du sujet. A travers tout cela, l’auteur montre une hesitation constante par rapport a ses souvenirs, et va parfois jusqu’a conseiller au lecteur eventuel la mefiance par rapport a l’authenticite des faits.

Et il explique ces oublis avoues, non seulement par le temps qui passe, et emousse inevitablement la precision de la memoire, mais egalement par l’accumulation de souvenirs posterieurs. Cette accumulation est naturelle et liee au passage du temps, mais, dans la vie d’Henry Brulard, elle parait parfois volontaire, comme moyen d’etouffer les souvenirs douloureux de son enfance malheureuse a Grenoble. Il les a recouvert d’autres choses, qu’elles soient positives comme la ville de Milan efface sa ville natale (p. 12), ou bien negative, comme plus loin dans le livre, la Restauration prend la place de la Tyrannie Raillane. Nous pouvons egalement observer, tout au long du livre, plusieurs passages ou, se preparant a aborder un souvenir difficile, il retarde le moment de le retranscrire en faisant mille digressions, en partant sur une multitude de petites choses sans importance, comme s’il tentait de repousser ce souvenir douloureux dans sa memoire en repoussant le moment de son apparition dans le texte.

Il est possible de voir la un mouvement inconscient de l’auteur qui a, des annees durant, cherche a occulter, comme c’est le cas pour chacun de nous, certains evenements, et en particulier une bonne partie de son enfance traumatisante. Mais cette tendance est clairement affirme par l’auteur qui ecrit ne pas se souvenir des evenements particulierement forts de sa vie : « je n’ai aucune memoire des epoques ou des moments ou j’ai senti trop vivement. », et il rencherit, page 375 : « le trouble extreme chez moi detruit la memoire. Nous pouvons donc penser que Stendhal aurait en quelque sorte travaille, des annees durant a son amnesie avant d’entreprendre le processus inverse pour l’ecriture de cette Vie d’Henry Brulard. Mais tout n’a pas sombre dans l’obscurite de l’oubli, et si, comme il s’en plaint, de grands pans entiers de memoire sont dans l’ombre au moment de l’ecriture, il reste assez de matiere a l’auteur pour ecrire. Pourtant, meme lorsque ses souvenirs sont presents, il ne sont pas tout a fait fiables, et ce, une fois de plus, de facon plus rononcee pour la periode de l’enfance. En effet, ses souvenirs sont influences, et il confesse ce defaut de sa memoire lors d’un passage a propos des membres de sa famille, expliquant qu’il voit aujourd’hui que telle ou telle personne ne meritait peut etre pas, selon les cas, l’adoration ou la haine qu’il lui portait. Mais ses souvenirs sont fortement influences par ces sentiments, et, par exemple, il ne se souviendra de rien de positif a propos de la tante Seraphie, si ce n’est quelques centimetres de cuisse entrevus durant un voyage.

Lorsqu’il se penche sur ses souvenirs d’enfance, il les voit avec ses yeux d’enfants, et les yeux d’enfant ont tendance a deformer legerement la realite, et Stendhal est nettement influence par ses emotions et sentiments d’alors, rendant le recit d’autant plus subjectif. Il ne tente pas reellement d’objectiver ses souvenirs, il les livre tels qu’il lui viennent. Il ne les retravaille que tres peu grace au recul qui lui permettrait de reconstituer une realite plus objective.

Ce qui l’interesse, c’est de transcrire ses memoires avec toute la subjectivite qu’elles peuvent contenir, non pas un recit de sa vie et de ce qui l’entourait de la facon la plus realiste possible. En cela, il accepte une part d’amnesie, laissant de cote une realite plus objective. Si Stendhal ne se preoccupe pas de perdre cet aspect objectif des choses, s’il se contente de sa subjectivite, c’est que l’objet de sa recherche, de son travail, n’est pas le contenu de sa memoire, mais sa memoire meme. L’auteur ne cherche en aucun cas a temoigner d’une epoque, a en faire un compte rendu precis.

Ce qu’il cherche, c’est lui. Nous pouvons en effet penser que Stendhal essaye de donner une materialite, une certaine stabilite, a sa memoire sans cesse fuyante. Il comble la fragilite de sa memoire, qu’il n’a de cesse de souligner tout au long du recit, par la solidite de l’ecrit. Ainsi, sous sa plume, lorsqu’il tente de se souvenir, le plus precisement possible d’un moment, et part dans des digressions, entraine loin de son sujet de base, celui-ci n’est pas efface par les souvenirs qui surgissent, il est fixe sur le papier, et il suffit de revenir quelques lignes en arriere pour retrouver le souvenir en question.

Son travail contre l’amnesie ne consiste pas a retrouver une epoque, mais son Moi de l’epoque. Ce sont ses souvenirs meme qu’il cherche a retrouver, dans toute leurs subjectivite. Il se rend d’ailleurs tout a fait compte, avec le recul que lui procurent les annees, qu’il se trompait sur certaines personnes par exemple, mais le fait est que c’est de cette facon qu’il percevait les choses. Ce livre n’ayant, au depart, pas ete concu en vue d’une publication, la recherche a laquelle se livre l’auteur est purement personnelle.

C’est lui-meme, et uniquement lui qu’il essaye de fixer dans le papier. En temoignent les dessins qui accompagnent le texte, et qui ont toujours pour but de definir sa propre position, celle des autres etant donnees par rapport a la sienne. Il est le centre de son travail, et tout ce qu’il decrit, de sa vie, des evenements politiques, des gens qu’il frequente, n’est utile que parce que ces choses sont constitutives de ce qu’il etait alors. Si Stendhal cherche a vaincre l’amnesie, c’est pour reconstituer ses Moi passes.

Et s’il tente de retrouver son passe de la sorte, c’est pour etre a meme de definir son present. Il cherche a savoir qui il est. C’est en effet ce qu’il affirme des le premier chapitre de son ouvrage : « Qui ai-je donc ete ? Je ne le saurais », et plus loin encore, il reaffirme ce but qu’il n’abandonne pas au cour de l’ecriture, page 378 : « Si jamais je revois cette femme d’esprit, il faut que je la presse de questions pour qu’elle me dise ce que j’etais alors. En verite je l’ignore. ». Pour qu’il devienne ce qu’il est, au moment de l’ecriture, a 52 ans, son passe a eu une importance.

Il s’est construit sur ce passe. Et pour dire qui il est, il faut demonter le mecanisme et commencer par trouve qui il a ete. Le but de l’auteur n’est pas simplement de consigner dans un volume l’histoire de sa vie a la recherche d’une derisoire survie dans la mort, mais de se construire lui-meme, ou plus exactement d’etudier comment il s’est construit, comment le petit Henri Beyle est devenu le grand Stendhal. Son combat contre l’amnesie n’est pas tant une recherche du passe qu’une recherche du present.

Ce livre est pour l’auteur une sorte de psychanalyse avant Freud, il remonte dans son passe, jusqu’a son premier souvenir, fouille consciencieusement dans ses souvenirs, ramenant les evenements traumatisants de sa vie a la surface, pour enfin decouvrir une sorte de verite sur lui, reussir a ne plus etre un mystere a lui-meme, bref, se connaitre et se comprendre, et il y parvient manifestement puisqu’il ecrit : « je fais de grandes decouvertes sur mon compte en ecrivant ces memoires. » (p. 309).

Il s’adresse dans son texte, a un hypothetique lecteur de 1880, ou encore, au debut, a un ami qui serait juge et dirait qui il est, mais c’est en realite a lui-meme qu’il s’adresse, il se decrit dans ses pages, et, en meme temps, s’observe avec un ? il exterieur. Ainsi tout le travail de Stendhal sur le passe vise a comprendre le present. Il cherche a reconstituer sa memoire pour comprendre de quoi il est constitue. Mais penchons nous a present sur les methodes qu’il emploie pour vaincre l’amnesie. Nous remarquons tout d’abord la grande importance des images dans le travail de memoire de l’auteur.

En effet, ce qui frappe des l’ouverture du livre, ce sont ces dessins dissemines dans le texte. Ces dessins sont quasiment des schemas scientifiques, annotes de lettres designant les personnes ou lieux et comportant, pour certains, une legende, exactement de la meme facon que les schemas mathematiques, l’auteur confiant d’ailleurs son amour pour cette matiere. Le texte s’y refere, ils servent a l’auteur d’explication, pour representer dans l’espace ce dont il parle, ecrivant, pour prendre un exemple parmi tant d’autres : « A table, place au point H, je ne mangeais pas un morceau qui me plut » (p. 72). Le lecteur peut reporter cette legende sur le dessin et se faire une idee aussi precise et plus rapide qu’avec une longue description de la piece. L’image est presentee au lecteur pour aider la comprehension, pour qu’il ait un element visuel plus efficace que le texte. En tout cas plus efficace pour Stendhal, car il est possible qu’il destine ces dessins a lui-meme plus qu’a l’eventuel lecteur de 1880. En effet, ces dessins sont des croquis tres epures, sur lesquels figurent juste le necessaire, et realises d’une facon relativement peu lisible.

Ce sont en quelque sorte des aides memoires visuels, de la meme facon que nous notons un mot sur un post-it, mot unique, mais qui genere en nous le souvenir de quelque chose de precis et complet, ces dessins sont un support qui aident Stendhal a se souvenir ce dont il souhaite parler. En cartographiant les lieux, meme vaguement, le reste se deploie, dans son esprit, autour de ces quelques traits, et il reconstitue la scene mentalement. Le dessin est un appat jete sur le papier blanc de la page pour y attirer ses souvenirs. Et si l’auteur emploie le dessin, c’est que l’image est, pour lui, une arme redoutable dans son combat contre l’amnesie.

Nous remarquons en effet que les souvenirs qui se presentent a lui sont des images, et il dit de ses souvenirs « A cote des images plus claires je trouve des manques dans ce souvenir, c’est comme une fresque dont de grands morceaux seraient tombes. ». Ce sont toujours des scenes, il se souvient d’abord d’un lieu ou d’un portrait, ensuite seulement il y rattache des evenements. Ainsi, il ecrit, page 73 : « L’image est on ne peut pas plus nette chez moi », ou encore, plus tard, (p. 310), il parle d’avoir un talent de peintre pour bien peindre ce qu’il veut presenter au lecteur. La memoire visuelle est tres forte chez

Stendhal, c’est l’un des moyens qu’il emploie pour surmonter l’oubli. Et l’auteur n’hesite pas a accumuler force de petits details, le plus precis possible, dans ses souvenirs. Chaque detail en appelle un autre, qui lui-meme en appelle un nouveau a son tour, et ainsi de suite, menant souvent a une digression que l’auteur finit le plus souvent par interrompre par un « mais je m’egare » avant de revenir a son sujet initial. Ce qui, au passage, cree un certain nombre de repetitions dans le roman, car un petit detail de son enfance a Grenoble lui en rappelle un de sa vie recente a Rome, et l’episode qu’il evoque au debut de l’? vre ressurgit de facon plus developpee plus tard dans le recit, par exemple l’anecdote a propos de sa laideur et ce qu’en dit sa maitresse ( Mon amant est laid, mais personne ne lui reprochera sa laideur, il a tant d’esprit) est mentionnee au debut, puis reprise a sa place normale dans la vie de Brulard (p. 358). Ces details ne sont donc pas accumules par gout, ils ont une reelle efficacite mnemotechnique pour Stendhal. Certains semblent, pour le lecteur, n’avoir qu’une infime importance, pourtant c’est en partie grace a eux que le recit se cree, ils engendrent la memoire et permettent a l’ecrivain d’avancer dans ses souvenirs.

Ce qui peut conforter dans cette idee que Stendhal note cette foule de details plus dans le but de se souvenir que dans celui de les amasser pour etoffer son recit, c’est que nous constatons qu’il utilise frequemment les marges et bas de pages pour y consigner un mot ou une phrase que tel detail lui a rappele et qu’il doit penser a reprendre plus tard. Il les consigne donc tous, jusqu’aux plus petit, pour, au final, dresser un tableau, le plus complet possible, mais egalement evoquer dans sa memoire le tableau suivant, lui permettant ainsi, par association, de gagner du terrain sur l’amnesie.

Cette attention aux details comporte egalement un souci d’exactitude, et parfois, l’auteur note en marge, ou entre parentheses, de verifier une date dans les registres de la ville pour pouvoir situer exactement l’evenement rattache dans le temps, et ainsi, situer d’autres evenements par rapport a celui-ci, et peu a peu, les minuscules details, rattaches a un point d’ancrage dans le temps, tissent un reseau de souvenirs a peu pres dates et mis en lien. Il rassemble ainsi les pieces de l’immense puzzle de sa memoire, et rattachant les souvenirs les uns aux autres, petit a petit.

Mais le moyen principal employe par Stendhal pour vaincre l’amnesie est l’ecriture elle-meme. Premierement, c’est elle qui lui permet de ne pas se noyer dans ses souvenirs dont il perdrait trop facilement la chronologie au fil des digressions qui bondissent dans son esprit. En fixant par ecrit ses souvenirs, il leur donne une materialite, plus concrete, ils ne sont plus de simples images evanescentes. En l’ecrivant, il ancre chacun de ses souvenir dans le present, et a partir de ce bout de passe actualise, d’autres se presentent a sa memoire et viennent etoffer le souvenir, et dont l’ecrit.

Son livre est une image de lui-meme. De meme que les enfants modelent un petit personnage dans la pate a modeler, Stendhal fait, grace a l’ecriture, une pate de souvenirs qu’il travaille de facon a faconner un double de lui-meme, a travers le passe. Une sorte de clone de papier qui, comme lui, est construit sur le passe, l’experience et les souvenirs, a cette difference pres que ce double litteraire ne subit pas les assauts destructeurs de l’amnesie. Ce qui est inscrit en lui l’est a jamais.

Par l’ecriture, l’auteur cherche a se regarder lui-meme dans son entier, a pouvoir lire en lui-meme et retrouver, de la facon la plus complete et la plus fidele possible, tout son passe, et il connait un certain succes puisqu’il ecrit « Je me rappelle, en ecrivant, pour la premiere fois depuis trente-six ans… ». Malheureusement, l’ecriture n’est pas toute puissante, et si elle est une arme redoutable contre l’amnesie, elle a egalement des limites, limites que Stendhal atteint assez rapidement.

En effet, des la page 144, alors qu’il n’en est encore qu’au recit de son enfance, apparait la formule «  le sujet depasse trop le disant », qui reviendra, comme un signe de decouragement et une preuve d’impuissance a la toute fin du volume, page 434. A ce stade de l’ecriture de ses memoires, l’auteur se rend compte qu’il lui est impossible de se recreer tout a fait, meme s’il remporte d’importantes victoires sur l’amnesie par l’ecriture, il rencontre les limites de mots, et finit par demander « Comment peindre le bonheur fou ? , c’est-a-dire, comment rendre compte fidelement des subtilites des sentiments eprouves, meme si il parvient a retrouver lesdits sentiments a travers le temps. Il lui est possible de rassembler ses souvenirs a travers l’ecrit, mais pas a les rendre fidelement, le langage ne peut traduire exactement les emotions, et en les ecrivant, l’auteur les affadit inevitablement. Et si, grace a l’ecriture, Stendhal parvient en grande partie a vaincre l’amnesie, la victoire n’est pas totale, et ses souvenirs, meme consignes sur papier, restent fragiles.

En conclusion, nous pouvons constater que Stendhal a en effet un combat important a livrer contre l’amnesie, nous voyons que l’auteur bute sur bon nombre de souvenirs, hesite a maintes reprises, relativise constamment l’exactitude de sa memoire, et si ce phenomene est plus evident au moment de sa jeunesse puisque bien sur, cette epoque est plus eloignee dans le temps, il est present dans le livre en son entier.

De plus, nous pouvons voir que Stendhal a, au fil des annees, en plus de l’oubli normal du au temps qui passe, occulte certaines choses, certains evenements particulierement marquants de sa vie, et le travail de memoire est d’autant plus difficile sur ces elements. Et sa memoire est egalement deformee par sa vision d’alors, influencee par son experience ou plutot son manque d’experience, rendant ses souvenirs tres subjectifs. Mais le travail de Stendhal contre l’amnesie va justement consister a retrouver sa subjectivite d’alors pour reconstruire son passe disparu, et recreer ses Moi successifs.

Et ceci, non pas dans le but vain de laisser une trace de ce qu’il fut, dans une risible pretention a l’immortalite, mais bien pour tenter de se connaitre et se comprendre lui-meme. Le travail de memoire de l’auteur consiste en une anachronique psychanalyse visant a se decouvrir dans sa complexite, comprendre comment il est devenu celui qu’il est. Et pour ce faire, l’auteur emploie des armes efficaces contre l’amnesie. Il a tout d’abord un recours frequent aux images, soit mentales, soit tracees par lui-meme sur les pages, en complement et support du texte.

Il accumule les details qui generent, dans sa memoire d’autres details, et ainsi de suite jusqu’a rassembler un reseau de souvenirs assez complet, et bien sur, l’ecriture est elle-meme l’arme la plus efficace contre l’oubli, c’est en ecrivant, en consignant ces bribes qu’il parvient a confectionner un tout. Et l’ecriture va meme plus loin dans la lutte contre l’oubli puisque aujourd’hui encore, nous sommes en train d’en parler. Pourtant, elle ne satisfait pas pleinement l’auteur qui se heurte a ses limites, aux limites des mots qui ne peuvent rendre fidelement ce qu’est un homme dans sa complexite.

En mettant de cote une exigence perfectionniste, nous pouvons toutefois considerer que le but est atteint car la partie la plus lointaine de la vie de l’auteur a pu etre retranscrite de facon relativement complete, or, etant la periode la plus enfouie sous le voile poussiereux de l’oubli, c’etait pour Stendhal la victoire la plus importante a remporter sur l’amnesie, et nous pouvons aller plus loin encore en considerant que dans sa Vie de Henry Brulard, Stendhal a bel et bien mis l’amnesie a genoux, et si son entreprise n’a pas tout a fait aboutit a ses yeux, ca n’est pas l’oubli qui l’a vaincu, mais l’ecriture meme.