L’humour de notre bien-aime frere, second surveillant, Gerard, dans le choix des premiers sujets de reflexion qu’il nous a soumis, ne peut passer inapercu. Je ne peux m’empecher de croire que ce choix n’est pas que facetie. Derriere l’image purement professionnelle de chacun d’entre nous, se cache un amalgame issu de notre heredite et de notre education, une image du Soi qu’il nous faut analyser. Les speculums, miroirs grands ou petits, outils d’exploration medicales, plus ou moins complexes, plus ou moins invasifs … Je pense les avoir, professionnellement, manipules sous bien des formes.
Ce besoin d’exploration, cette volonte d’analyse, ce souci de savoir avant d’agir, ne refletent-ils pas finalement un profond sentiment de doute et une certaine fragilite. De nos jours les franc- macons se definissent comme « speculatifs »,ce qualificatif ,de par sa racine, laisse entrevoir toute l’importance symbolique dont est revetu cet outil merveilleux qu’est le miroir, la speculation etant litteralement l’action de se mettre en miroir. Dans le cadre de son integration , le profane se voit confronte une premiere fois au miroir, dans le cabinet de reflexion, qui en l’occurrence se trouve particulierement bien nomme.
De toute evidence, au vue de l’ambiance creee dans ce cabinet, ce miroir n’est pas place
Christian JACQ dans son voyage initiatique, interpretant les sculptures de la cathedrale de Metz ,presente l’epreuve du miroir comme un obstacle pour le profane qui tomberait dans une contemplation de lui-meme et se condamnerait a un egocentrisme sterile. L’homme courageux doit, selon lui, rechercher sa parcelle de lumiere et ne doit pas se complaire ,ou se morfondre dans la contemplation des ombres masquant cette lumiere ,afin de se delivrer des liens du narcissisme, pouvant etre considere comme une forme de suicide mental.
Alors le miroir revele son pouvoir, je cite « QUAND UN HOMME S’Y REGARDE ET S’Y VOIT TEL QU’IL EST ,Il NE CRAINT NI DIEUX NI DEMON IL N’EST ESCLAVE D’AUCUN VICE ET D’AUCUNE VERTU ». Le miroir reapparait en fin de rituel d’integration. Apres etre sorti des tenebres et avoir decouvert les visages des freres de l’atelier, apres s’etre engage par serment a pardonner a un eventuel ennemi present, le neophyte se voit confronte a un miroir, fermement tenu par les mains d’un frere qui par ce geste lui devoile un de ses plus grands ennemis.
A cet ennemi aussi il faudra pardonner, la culpabilite, tout comme la rancune constituent des obstacles considerables dans la recherche de la connaissance de soi et d’autrui. La presentation du miroir par un frere donne , par ailleurs, une nouvelle dimension a ce symbole, l’outil est devenu vivant. Chaque homme est le miroir de son prochain. Le comportement de l’homme qui nous fait face constitue une image du soi , que ce comportement nous flatte ou nous choque, il est, du moins en partie , la resultante d’une energie emanant de nous meme.
LACAN definit le stade du miroir chez l’enfant comme etant la prise de conscience de sa propre image dans un miroir, beaucoup d’adultes agissent comme s’il n’avait pas conscience de cet effet » miroir humain ». Dans la vie profane, ce miroir peut ,bien sur, etre plus ou moins fiable, plus ou moins deformant, il delivre toutefois une information qui, par respect pour autrui et pour soi-meme, ne doit jamais etre negligee.
Le miroir fraternel est quant a lui honnete , il ne flatte pas , son but n’est pas d’eblouir ou de tromper, c’est un miroir constitue de l’union de nombreuses facettes travaillant a leur polissement, il tire sa qualite de chaque pierre constitutive de l’edifice du temple… souhaiter l’utiliser dans son entreprise de recherche sur soi ,c’est aussi s’engager a y participer. Le miroir, n’est plus cet objet renvoyant passivement une image virtuelle de notre realite, ce symbole de recherche de connaissance s’integre a cette realite et nous integre a son mecanisme de reflexion.
La confusion entre l’image et la realite, entre la source de lumiere et l’eclat virtuel n’est pas facile a eviter. Il convient , comme toujours d’eviter les positions extremes, que LORENZ definit ,dans « L’ENVERS DU MIROIR »comme suit « LE REALISTE NE FAIT QUE REGARDER LE MONDE EXTERIEUR SANS AVOIR CONSCIENCE D’EN ETRE LE MIROIR,TANDIS QUE L’IDEALISTE NE FAIT QUE REGARDER DANS LE MIROIR ET TOURNE LE DOS AU MONDE EXTERIEUR ». Oublier la dualite de cet outil cognitif par excellence, c’est se priver de sa capacite de revelateur de vie.
Nous qui ouvrons nos travaux par la lecture de l’evangile de SAINT JEAN ne pouvons ignorer les liens unissant la lumiere, la parole , la connaissance et donc la vie, et l’importance de participer a leur transmission. Je cite « IL N’ETAIT PAS LA LUMIERE MAIS IL PARUT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE,CETTE LUMIERE ETAIT LA VERITABLE LUMIERE,QUI EN VENANT DANS LE MONDE ECLAIRE TOUT HOMME » il peut paraitre surprenant de devoir temoigner d’une lumiere ,qui par ailleurs luit dans les tenebres sans que celles-ci ne la recoivent .
Et pourtant cette necessite de reflexion, de revelation de l’energie vitale se retrouve dans de nombreuses mythologies et religions. Notamment dans le shintoisme japonais , AMATERASU,consideree comme la deesse du soleil, se sert d’un miroir pour reveler sa lumiere aux hommes. De meme la lune , presentee dans de nombreuses civilisations comme le miroir du soleil ,reflechissant une energie pouvant etre aveuglante voire devastatrice, est reconnue comme ayant une influence benefique sur la vie, tres loin de la symbolique qui l’associe traditionnellement aux tenebres .
Elle regit de nombreux phenomenes naturels et son pouvoir se trouve souvent evoque pour tenter d’expliquer des comportements allant du simplement saugrenu ,au completement inexplicable, voire meme revetant un caractere qualifie de surnaturel . La lune n’est pas soumise au soleil, sa receptivite est source de vie . Son domaine ne se limite pas au reve , a l’inconscient, au virtuel, elle est aussi symbole de fecondite. L’energie brute du soleil, source initiale de lumiere et de vie, semble avoir besoin de cet artifice pour eviter les tenebres de la nuit et generer ainsi des cycles harmonieux propices a la vie.
La presence a l’orient de notre temple de ces deux astres nous rappelle que l’harmonie nait de leur association , elle constitue aussi une nouvelle invitation a la speculation. Il est remarquable que ces considerations symboliques ,mythologiques et astrologiques, nous amenant a donner aux phenomenes de reflexion une importance incontournable dans le mecanisme de la vie et donc de la connaissance , trouvent leur echo dans des realites scientifiques palpables et indeniables . Le miroir est revelateur ,de par la construction geometrique des images virtuelles qu’il produit, de toute asymetrie.
Hors le monde du vivant se caracterise notamment par cette asymetrie. PASTEUR, en analysant l’acide tartrique, fut l’un des premiers a mettre en evidence l’asymetrie des composes produits par des organismes vivants ,compare au meme compose issu d’une reaction chimique banale . La notion de « chiralite », introduite par KELVIN , concernant les molecules biologiques, dont l’action sur la lumiere different de celle des melanges racemiques d’origine chimique fait bien reference au fait que nos deux mains ne soit pas superposables mais image l’une de l’autre dans un miroir.
Martin GARTNER dans « L’UNIVERS AMBIDEXTRE » souligne bien, avec humour, que concernant l’homme, l’apparente symetrie du corps, se trouve deja en defaut des le cordon ombilical, source de vie avec son helice vasculaire et ne resiste pas a la moindre analyse anatomique, ni meme aux jeux de miroir consistant a inverser une photographie prise de face ou a creer des image virtuelles constituees de deux parties gauches ou de deux parties droites, toutes ces actions modifiant la physionomie du personnage de facon parfois surprenante..
Les Theoriciens de la symetrie de l’univers insistent , pour la plupart sur le fait que cette asymetrie, peut etre liee au pur hasard , n’est pas strictement systematique et que des images inversee existent belle et bien dans la natures… Les biologistes, eux, constatent cette asymetrie, remarquent que de nombreux phenomenes vitaux procedent de la complementarite (genes antigenes, ADN ARN …) que la torsion des hemispheres cerebraux et l’inversion de gestion de l’influx nerveux, de l’information a recevoir et a dispenser, semble constituer un pas important dans l’ evolution des especes…Certaines medecines utilisent l’effet « empreinte » avec une efficacite indeniable… Ne pourrait on pas y voir la marque de l’utilisation de l’outil « miroir » par le grand architecte dans sa conception d’un edifice harmonieux : « la vie ».
Le miroir, outil intimement lie a la lumiere et a la vie se trouve, naturellement et symboliquement, egalement lie a la parole et a la communication. SOCRATE et PYTHAGORE l’auraient utiliser a des fin de divination (ou peut etre plus simplement d’observation et de meditation) en etudiant la reflexion des rayons lunaires. Ce pouvoir de divination, ou de lien avec d’autre monde ,est attribue au miroir par de nombreuses legendes et etait notamment utilise par les sorciers ou chamans de differentes civilisations . Cette capacite de transmission, supposee, de message divins, devient realite quand il s’agit de communiquer entre les hommes, l’envoi de message lumineux et l’utilisation de miroirs a constitue un des premiers moyens fiables de transmission d’informations .
Les chemins de transmission de la lumiere et de la connaissance, l’echange entre l’information et la reponse, ne sont pas sans rappeler les chemins de la parole dans notre atelier qui nous imposent, tout comme le ferait une suite de miroirs, le temps de la reflexion… En permettant de faire varie aussi bien physiquement que symboliquement les angles de vue, le miroir , outil de connaissance et de communication devient egalement un outil de tolerance . La speculation , pour nous qui avons laisse nos metaux a la porte du temple, constitue donc bien un travail de recherche sur soi, sur la vie qui nous entoure et sur les relations que nous entretenons avec les autres. Le travail de reflexion que nous avons decide de mener ne doit pas etre sterile, il doit aboutir a un certain rayonnement. A la question « etes vous franc macon? « , nous repondons « mes freres me reconnaissent comme tel ».
Les rituels des differents grades, les mot sacres et les catechismes symbolisent notre avancee dans notre demarche, ils constituent autant de miroirs de reconnaissance, comparables aux miroirs des oiseaux, plumes brillantes et colores, qui, reflechissant de maniere specifique la lumiere, leur permettent de s’identifier. L’eclat de cet outil merveilleux , d’exploration, de connaissance, de vie , de communication, ne doit pas nous egarer sous peine de nous aveugler et de nous detruire , tels les miroirs d’ARCHIMEDE mettant en deroute, pour un temps, les galeres romaines au porte de SYRACUSE. Le miroir , comme tout outil, doit etre utilise avec precaution. Il est fragile .
Il peut s’alterer avec le temps, peut se voiler, et perdre sa fiabilite. Il peut aussi se briser, risquant, alors de blesser gravement celui qui s’y mire ou celui qui le tient. Je souhaite avoir toujours la volonte d’ utiliser le miroir fraternel avec courage et d’y participer sans trembler . Dans notre recherche de l’Harmonie il est l’outil qui relie le reel au virtuel, l’objet a l’image, le conscient a l’inconscient, la lune au soleil, grace a lui au travers de ces dualites l’ Homme peut esperer apprehender la connaissance d’un troisieme element plus proche du divin , je ne sais encore s’il faut le nommer Dieu, Grand Architecte de l’Univers ,Verite ou simplement Humanite.
