Le juge judiciaire, juge de l’administration

Le juge judiciaire, juge de l’administration

Selon le principe de dualite de juridiction, deux ordres distinct doivent exister en France, l’ordre judiciaire d’une part, charge de trancher les litiges entre les particuliers, et l’ordre administratif d’autre part, charge de trancher les litiges entre les particuliers et l’administration, voire entre une administration et une autre. Ce principe emerge d’une volonte revolutionnaire d’empecher les magistrats de s’immiscer dans l’action de l’administration.

Ce principe logique a l’air simple d’application. Pourtant, au quotidien, on ne peut s’empecher de constater que le juge judiciaire est parfois le juge de l’administration. Mais en a-t-il toujours ete autant? Quelle evolution a connu la capacite du juge judiciaire a juger de l’action administrative? Ce que l’on peut affirmer, c’est que dans un premier temps, le juge judiciaire n’a pas ete en mesure de juger l’administration, du fait de l’application du principe de dualite de juridictions (I).

Puis, elargissant au fur et a mesure son champs de competence, le juge judiciaire semble etre devenu un juge occasionnel de l’administration, aux depends du dualisme de juridictions (II). I – Le juge judiciaire, un juge absent du contentieux de l’administration: le regne i ini originel du principe de dualite de juridictions A – Un principe ancien Le principe de dualite

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de juridictions est apparu il y a bien longtemps avec l’edit de Saint-Germain de fevrier 1641. Il est par la suite reaffirme a l’occasion de la revolution par a loi des 16-24 aout 1790, qui dispose en son article 1 que  » Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours separees des fonctions administratives; les juges ne pourront a peine de forfaiture troubler de quelque maniere que ce soit les operations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs en raison de leurs fonctions.  »; puis en 1795 par un decret du 16 fructidor an III. Mais la consecration majeure est celle qui est la plus recente, puisque le Conseil Constitutionnel lui-meme reconnait le principe de dualite de juridictions, dans une decision CC, 23 janvier 1987,  » Conseil de la concurrence  ».

Depuis la nuit des temps donc, le droit francais semble avoir strictement encadre le juge judiciaire a plusieurs reprises pour que celui-ci ne puisse avoir aucun moyen de juger l’administration. Mais puisque le juge judiciaire ne devait pas, a la base, intervenir dans le contentieux administratif, il a ete necessaire d’orchestrer des adaptations organiques et de creer veritablement une juridiction administrative chargee de juger l’administration. B – Un principe reellement applique La consequence du regne preliminaire du principe de dualite de juridictions est l’existence d’une juridiction administrative autonome.

Affirmee par l’arret TC, 8 fevrier 1873,  » Blanco  », la necessite d’une juridiction administrative permettant notamment d’assurer la reparation des victimes de l’administration a ete rapidement effective. Des 1799, une veritable justice administrative emerge: le Conseil d’Etat est instaure par la Constitution de cet meme annee, puis les conseils de prefecture (statuant en premiere instance) sont crees par une loi du 17 fevrier 1800. Ils seront remplaces en 1953 par des tribunaux administratifs. Enfin, la loi du 31 decembre 1897 cree les cours administratives d’appel, juridictions d’appel comme leur nom l’indique.

L’ordre administratif semble donc complet et pret a juger l’action administrative dans tout les cas de figure de maniere a ce que la juridiction judiciaire ne soit pas juge de l’administration. De plus, le Conseil Constitutionnel, dans une decision CC, 22 juillet 1980,  » Loi de validation  », reconnait l’independance de la juridiction administrative et l’erige en principe fondamental reconnu par les lois de la Republique. La justice judiciaire est donc bien distincte de la justice administrative, le juge judiciaire ne semble pas pouvoir pretendre etre a un quelconque moment le juge de l’administration.

Pourtant, des exceptions a ce constat vont petit a petit survenir. II – Le juge judiciaire, un juge occasionnel de l’administration: le recul subsequent du principe de dualite de juridictions Petit a petit, le juge judiciaire va s’immiscer de maniere surprenante dans les affaires de l’administration (A). Mais en tant que garant des libertes individuelles, il le fait dans l’interet general et ses interventions vont meme paraitre necessaires (B). A – Des interventions etonnantes

Le juge judiciaire va a certaines occasions devenir le juge de l’administration, puisque la loi (1) mais surtout la jurisprudence (2) vont lui attribuer des competences lui permettant de juger l’action administrative dans quelques domaines bien precis. 1 – Les causes legales de competence du juge judiciaire dans les litiges impliquant l’administration La loi a definit un certains nombre de domaines dans lesquels le juge judiciaire est competent a la place du juge administratif, alors meme que la competence de ce dernier pourrait etre tout a fait plausible voire meme peut-etre plus logique.

Ainsi, le juge judiciaire, en tant que juge de l’etat des personnes, est competent dans les litiges relatif l’etat civil, a la filiation… En matiere de responsabilite de l’administration egalement, le juge judiciaire est parfois competent. Tel est le cas par exemple pour la responsabilite du fait des instituteurs, competence attribuee par une loi du 5 avril 1937. Le juge judiciaire est enfin competent dans des domaines tres divers, sans, a priori, qu’il y ai un quelconque lien logique. On peut notamment evoquer la loi du 6 juillet 1987, qui confie au juge judiciaire le contentieux des decisions prises par le Conseil de la concurrence.

C’est neanmoins surtout les juges eux-meme qui vont autoriser le juge judiciaire a connaitre de certains litiges impliquant l’administration. 2 – Les causes jurisprudentielles de competence du juge judiciaire dans les litige impliquant l’administration Le juge judiciaire est depuis quelques temps competent pour trancher les litiges relatifs aux activites de gestion privee de l’administration. D’une maniere generale, la jurisprudence considere que les actes pris par une autorite administrative dans le cadre d’une situation juridique de droit prive, comme les contrats de droit prive conclus par l’administration, relevent du juge judiciaire.

Ensuite, les services publics a caractere industriel et commercial doivent depuis l’arret TC, 1921,  » Societe commerciale de l’Ouest africain  » relever du juge judiciaire, tout comme les etablissements publics a caractere industriel et commercial. Concernant le service public de la justice, les litiges ayant lieu a l’occasion d’un disfonctionnement des juridictions judiciaires relevent exclusivement du juge judiciaire, alors meme qu’il s’agit d’un litige ayant lieu dans le cadre d’un service public.

Les juridictions judiciaires sont egalement competentes pour interpreter certains actes administratifs et apprecier leur legalite. Concernant les juridictions penales, meme si l’article 111-5 du code penal de 1994 modifie la situation, le tribunal des conflits avait precede le legislateur en admettant deja en 1951 dans un arret  » Avranches et Desmarets  » que les juridictions judiciaires repressives etaient competentes pour interpreter les actes reglementaires et controler leur legalite.

L’arret TC, 1923,  » Septfonds  », autorise lui les juridictions judiciaires non repressives uniquement a interpreter les actes administratifs reglementaires. Enfin, le juge judiciaire, en tant que garant de la liberte individuelle et de la propriete privee, est comp etent pour sanctionner l’administration lorsqu’elle porte une atteinte grave a une liberte fondamentale ou au droit de propriete (c’est la voie de fait), ou lorsqu’elle depossede de maniere irreguliere un particulier de sa propriete privee immobiliere (c’est l’emprise irreguliere).

Mais aussi nombreuses et surprenantes qu’elles puissent sembler, les interventions du juge judiciaire dans la sphere administrative ont parfois toutes leur raison d’etre. B – Des interventions necessaires Le juge judiciaire est occasionnellement juge de l’administration sans logique particuliere. Mais bien souvent, il y a tout un raisonnement derriere ces attributions de competences.

En effet, l’administration est parfois plus proche d’une personne morale de droit privee dont le juge judiciaire a l’habitude de juger que d’une personne morale de droit public. Il est donc normal, pour une raison pratique, que de telles personnes publiques soit juger par le juge judiciaire. Ensuite, concernant la voie de fait et l’emprise irreguliere, puisque le juge judiciaire est le garant des libertes individuelles et de la propriete privee, il est normal que le contentieux de telles fraudes soit confie au juge judiciaire.

Concernant les actes administratifs, le controle et l’interpretation de tels actes par les juridictions judiciaires permet d’accelerer la justice et d’eviter les risques d’engorgement puisque les juridictions ne sont pas obligees de surseoir a statuer pour demander une clarification au juge administratif. Les interventions du juge judiciaire dans le contentieux de l’action administrative paraissent donc bien souvent necessaires. Desormais, le juge judiciaire est donc bien un juge occasionnel de l’administration. Le probleme, c’est que les deux ordres de juridictions se contredisent parfois.

Par exemple, concernant la legalite des actes administratifs , le juge judiciaire et le juge administratif peuvent etre amene a apprecier tous les deux la legalite d’un meme acte et a opter pour des solutions differentes. Certains auteurs de doctrine condamnent donc le principe de dualite de juridiction. Mais la plupart d’entre eux sont plutot favorables a une clarification, une simplification de l’organisation juridictionnelle et des competences respectives de chaque juge. En effet,  » la determination des competences est le prealable de tout proces  ».