?Le bonheur dans un fruit La gourmandise, un des sept peches capitaux et pourtant si attirant, si desirable. Pourquoi peche ? Il est pourtant si insignifiant face a la luxure, l’avarice et autres. La gourmandise ne nuit qu’a soit meme si elle n’est pas maitrisee. Ce dimanche matin, ma mere vint me tirer du lit a neuf heures. Mes reves se resumaient encore a l’amour et mes yeux certifiaient mon manque evident de sommeil. Lorsque j’ouvris ma fenetre, les rayons du soleil transpercerent la chambre et me brulerent les yeux. Le temps etait magnifique et il me donna une energie nouvelle.
C’etait un des premiers jours d’ete. Je sortis de ma chambre, passai rapidement dans la salle de bain, dis un vague « Bonjour » a ma s? ur et sortis de ma maison. Il faisait deja chaud et on se serait cru au mois d’aout. Je liberai alors mon chien de sa laisse et il me remercia en aboyant et en remuant la queue joyeusement. C’est un chien intelligent et il sentit ma bonne humeur. Je pris alors le chemin derriere ma maison et partis, accompagne de mon chien, vers les bois. Mon seul but dans la vie est de trouver le bonheur. Ce
Le chemin pour y arriver est seme d’embuches et nombre de personnes feront le necessaire pour vous empecher de l’atteindre. Cependant depuis trois annees maintenant, je me suis approche du but plus que jamais. Pour trouver ce bonheur, que chacun recherche sciemment ou inconsciemment, certains prendront de la drogue. Cocaine, Heroine, LSD et autres seront leurs sources d’evasions et de gaite. D’autres se plongeront dans l’alcool, de plus en plus fort, ils commenceront leur parcours par la biere et finiront par l’eau de vie normande en passant bien sur par le Gin, la Vodka et la Tequila.
Et puis il y a moi, adepte du CARPE DIEM, me satisfaisant d’une cigarette de temps en temps et d’une biere avant un bon repas. Je ne connais que deux personnes dans mon entourage adoptant le meme point de vue et surtout le mettant en fonction. Mais un des plus grand moment de joie, pour moi, est lorsque je peux m’allonger dans un pres, regarder le ciel et manger une framboise. Un seul de ces fruits me remplis de bonheur. Son gout sucre vous enivre et le craquement de ses petits grains vous donnent des frissons dans tout votre corps.
La gourmandise, ne serait-ce que par la prononciation, attire les sens. L’ouie, pour l’insecte devorant ce qui va etre notre gouter. La vue, pour la beaute du fruit. Le toucher, pour ses formes rondes et parfaites. L’odorat, pour les aromes qui vous traversent et vous excite les papilles. Et enfin le gout, l’aboutissement de l’attente, le bonheur a l’etat pur, l’eveil de l’homme. D’ailleurs si l’on accorde un peu d’attention a la maniere dont notre bouche s’active pour prononcer ce mot, il est indeniable que la gourmandise est un des plaisirs secrets que la vie nous offre.
Notre bouche s’arrondit pour le « gour », s’ovalise pour le « man » et finit en sourire pour le « dise ». Des signes qui, avant meme la degustation, predisent la satisfaction. Revenons cependant a ma journee. Lorsque je me suis arrete, je partais, accompagne de mon fidele chien, dans un petit chemin. Celui-ci est inaccessible a tous les vehicules quels qu’ils soient et je devais etre la seule personne a passer encore par ici. Ce chemin est un de mes lieux de predilection. Il debute, legerement en pente, parfume de part et d’autres de fougeres diverses et de ronciers particulierement epineux.
J’allumai une cigarette, une roulee bien sur, pas de ces dechets de blondes trafiquees a l’opium et agents de saveurs. Je savourais celle-ci avec delectation et m’arretais sur un tronc d’arbre. Tout en caressant mon chien, j’observais le paysage. Je pris alors conscience que maintes vies nous entouraient. Des dizaines d’animaux gambadaient dans la foret. Des centaines de poissons « sans cervelles » devaient se trouver dans les profondeurs de l’etang en contrebas. Et des milliers d’insectes se tremoussaient a mes cotes.
La Terre creer et protege comme elle le peut ces etres vivants chaque jour et nous, les Hommes ne faisons que les detruire. C’est fou comme une simple balade matinale peut devenir un moment de questionnement sur le pourquoi de l’existence humaine. De savoureux parfums de fleurs exciterent alors mon odorat. Je finis ma cigarette, me levai, et repris mon chemin. Ces effluves m’avaient mis en appetit et je n’avais qu’une idee en tete : arriver aux framboisiers. Au bout du chemin se trouvait un petit bosquet, c’est la que celles-ci se trouvaient, c’est lui qui refermait d’enormes framboises aux senteurs miraculeuses.
Je me mis alors a courir. Une fievre, une sorte de transe s’emparait de mon etre et mon chien, sentant mon sentiment d’excitation, se mit lui aussi en course. J’entrais dans le bosquet et me jetais a terre. Je vis alors les framboises roses, juteuses et pleine de saveurs. J’en detachais deux de leur branche, en donnait une a mon chien et gardai l’autre pour moi. Celui-ci, sous l’effet apaisant du fruit se coucha pres de moi emettant de temps en temps de petits jappements de bonheur. Je mis alors la framboises delicatement dans ma bouche et j’eus l’impression que les pores de ma peau s’ouvraient pour me dire merci.
C’etait ma drogue, la premiere de l’annee avait un pouvoir anesthesique, tout comme un sedatif. Je m’allongeai alors dans les framboisiers, m’impregnant de leurs parfums, me laissant aller a savourer ce moment d’extase. Mon chien, se lassant plus vite que moi du bonheur, s’etait releve et courrait desormais apres un papillon. Moi, mon esprit vagabondait, les framboises etaient aussi grosses que des ballons de football, j’etais en plein reve. C’est alors qu’un bruit einsupportable vint a me reveiller en sursaut. Un tracteur venait de penetrer dans le champ ou etait le bosquet.
Etait-ce toujours un reve ? Je me pincais, je ne revais pas. Celui-ci trainait derriere lui une ersetrille -machine agricole servant a niveler un terrain. L’engin se dirigeait droit sur le bosquet. Bien sur il n’allait pas raser les arbres mais il pouvait aisement -du fait de sa petite taille- passer au travers des arbres et detruire mes « framboisiers cheris ». Je me ruais alors devant le tracteur, agitant mes bras tant bien que mal pour qu’il s’arrete. -He ! Qu’equ’ tu fais la l’tit bonhomme ? Ty es sur une priete prive la ! Je reconnus le pere Jean.
C’etait un paysan du coin qui avait garde l’accent patois que parlais ma grand-mere dans ses radotages solitaires. Il n’etait pas mechant mais il me donnait, avec sa verrue au bout du menton et ses dents jaunies, la chair de poule. -Je m’etais allonge pour deguster des framboises dans le bosquet j’espere que cela ne vous derange pas ? -Pas le moins du monde tit gars, me repondit-il. Mais c’est que j’vais t’les raser tes framboises la. Mes yeux s’exorbiterent, ma bouche se mit a trembler et mon visage devait etre aussi blanc que la neige car le pere Jean me regarda curieusement. -M. Jean, m’exclamais-je, vous ne pouvez pas faire ca !
Je viens manger ces framboises et passer mes etes dans ce bosquet depuis au moins trois ans. -C’est qu’c’est pas mon probleme mon tit gars, moi j’dois t’raser ca pour pas qu’les bestiaux aillent se fourrer-la d’dans et qu’j’les r’trouve plus. Durant ces trois annees de bonheur, jamais je n’avais songe qu’un jour mon petit coin de paradis pouvait etre detruit. Je devais coute que coute le proteger. -M. Jean, ne serait-il pas possible de mettre un grillage autour du bosquet afin que les betes n’y aillent plus et que je puisse continuer a savourer mes framboises, lui demandais-je avec un grand sourire. Eh ben mon tit gars, t’as du culot toi ! Mais qui c’est donc qui va l’poser ton grillage ? s’t’a va etre encore Jean qui va s’faire le boulot. -Non M. Jean je peux le faire si vous le desirez, je m’y mets demain matin et quand vous reviendrez demain soir, ce sera fait. -Ben tiens j’demande a voir la ! C’est ti qu’tu crois pouvoir faire sa tout seul ? Si demain, ca n’est pas fait, je rase ces framboisiers quoi qu’il arrive. Qu’a cela ne tienne, je rentrais chez moi en courant, mon chien a mes cotes et allais directement voir ma mere. Maman, j’ai besoin de grillages et de poteaux, lui dis-je. Le pere Jean veut raser le bosquet aux framboises, il faut que je garde cet endroit. -Mais ce n’est pas a nous ce terrain. Tu lui as demande s’il etait d’accord pour mettre du barbele? -Oui maman mais il ne pense pas que j’y arriverai seul, lui repondis-je. -Bon je veux bien t’acheter ton grillage et tes poteaux mais ce sera retenu sur ton argent de poche et je ne pense pas que tu y arriveras seul… Le lendemain matin je me reveillais tot car un long travail m’attendait.
Je pris une brouette et mis les grillages ainsi que quelques poteaux pour commencer. Bien sur je n’oubliais pas marteau, clous et masse pour planter les poteaux. Je me mis alors en marche, mon chien, comme a son habitude, vint avec moi. Arrive la-bas, il ne restait plus rien des framboisiers, le pere Jean avait du les raser apres mon depart. J’avais ete assez naif pour croire qu’une fois dans sa vie un homme penserait aux autres avant de penser a lui mais… encore une fois j’etais dans l’erreur. Mon degout de l’Homme -je precise avec un grand H- avait atteint la des sommets.
Je repris ma brouette, rentrais chez moi raconta l’histoire a ma mere et m’excusai de lui avoir fait acheter des grillages et poteaux pour rien. -Ce n’est pas bien grave je devrais pouvoir m’en servir pour autre chose, me dit-elle. Pendant trois jours, je ne sortis pas de ma maison, j’etais aneanti. Comment pouvais-on faire toujours passer son propre bonheur avant celui des autres ? Je reflechis et une reponse me vint : C’est de cette facon que commencent les guerres. Chaque pays pense a son bonheur, son « fric » et ne se preocuppe pas du voisin tant que celui-ci est plus faible.
Le bonheur reside-t-il dans celui des autres? Peut-on etre heureux en voyant le bonheur de son entourage? Je n’en etais pas totalement certain. Ne dit-on pas que chacun devrait etre libre et egal? Nous sommes pourtant prisonniers d’une societe consommatrice et nous creons de l’inegalite partout dans le monde… Est-il possible de trouver son bonheur dans un fruit comme certaines personnes le trouve dans l’argent? La parole libre, la liberte d’ecriture et d’expression ne sont qu’un sentiment, cela n’existe pas reellement sinon pourquoi certaines chansons sont encore censurees?
Le quatrieme jour je m’habillai en hate j’avais enfin une idee en tete. Je sortis et me dirigeai droit vers la ferme du pere Jean. Il fallait que je sache pourquoi il ne m’avait pas donne ma chance. La ferme semblait vide il etait pourtant l’heure de la traite du matin. Je me dirigeai vers l’etable lorsque un homme m’interpella. -Que fais-tu la gamin? C’est une propriete privee. -Je cherche le pere Jean, monsieur -Jean? Mais il nous a vendu sa ferme et ses vaches sont parties a l’abattoir. Tu le trouveras dans la maison neuve au bout du chemin qui va au bosquet. -Merci monsieur.
Le remerciais-je gentiment avant de retourner a la hate chez moi. Je pris directement le chemin cette fois ci, mon chien ne m’accompagnerait pas, je devais parler seul a seul avec le pere Jean. Je repassai devant le bosquet des framboises et une tristesse s’empara de moi. Je restai la quelques instants puis continua mon chemin. Je vis enfin, au bout du chemin, au bords de la foret, une maison neuve -ce genre de pavillon qui n’a pas sa place dans nos campagnes. La cheminee fumait, le pere Jean etait la. Il etait sur le seuil de la porte. -Vas-t’en ptit gars, me dit-il, ty as rien a faire chez moi! Pere Jean je vous en prie laissez moi entrer, le supliais-je. Je dois vous parler. -Tu dois m’parler? Tiens donc et pourquoi devrais-tu m’parler? -C’est par rapport aux framboisiers, laissez moi entrer, je ne serais pas long. -Eh bien entre si tu y tiens tant qu’sa mais t’attend pas a c’ke j’te serve du « coca » ou des sal’tes du genre! J’entrais, ne voulant surement pas de sodas infames, j’etais ravi. La maison etait plutot grande mais elle sentait le neuf, odeur que je ne peux supporter. Cependant elle sentait aussi le fromages de vache « perime » comme dans les vieilles fermes et ceci me mit en confiance. Pere Jean pourquoi avez-vous coupe mes framboisiers? J’ai achete des barbeles et des poteaux pour empecher vos betes d’aller dedans mais lorsque je suis revenu, mes framboisiers etaient reduits en charpie. J’avais dit cela tres rapidemment et avec une note de reproche dans ma voix. Cela aurait pu vexer le pere Jean mais pas du tout, il me repondit tout aussi sec : -J’ fais c’qu’il m’plait d’mes terres mon tit gars. D’ailleurs elles ne sont plus a moi alors si t’as une reclamation a faire c’est au nouveau proprietaire qu’il faut la faire! -Mais je veux simplement avoir une explication.
Comment se fait-il que vous ayez pris la peine de couper ces framboisiers juste avant de vendre votre ferme? Et pourquoi m’avoir dit que vous ne les couperiez pas? -Je n’ais aucun compte a t’rendre tit gars. Si j’les ais coupe c’est qu’j’avais une bonne raison! -Mais vous m’aviez promis! Sans le vouloir je m’etais leve et avais renverse la chaise. -Tient toi un peu tit gars, ce n’sont que des framboises. Mais j’vais tout de meme te dire pourquoi j’les ais fauchees… Apres ta tite intervention l’aut’ jour, des gens sont v’nus a ma ferme. Il l’ont visitee et elle leur a plu.
Ils ont ach’te toutes mes terres et les batiments qui vont avec. Seul’ment, ils ont desire que je rase les framboisiers, pour eux ils n’sont pas dignes d’interet, ils veulent mett’e toutes les parcelles comme constructibles et y faire des pavillons. Ils seront a peu pres tous sur l’modele d’ma maison. -C’est horrible pourquoi avez-vous vendu votre ferme? A present, je n’eprouvais plus de colere mais une pitie et une compassion pour le pere Jean qui avait ete, du moins je le pensais, abuse par des gens plus haut places dans la societe. -On a pas forcement l’choix dans la vie tit gars.
Quand on a besoin d’argent on f’rait n’importe quoi. Avec la somme que j’ai r’cu petit j’pourrais vivre jusqu’a la fin d’ma vie sans manquer de rien. -Alors vous etes heureux d’avoir vendue votre ferme pour que, a la place, des pavillons y soient construits? -Oui tit gars, il faut vivre avec son temps. Et le temps d’arreter pour moi etait v’nu. Mais j’ai quand meme que’que chose pour toi… Il se leva ouvrit un placard et en sortit un enorme panier recouvert de film plastique transparent. A l’interieur, on pouvait voir des centaines de framboises, toutes plus belles et plus juteuses les unes que les autres. Ceci est pour toi, me dit le pere Jean, j’savais qu’tu viendrais m’voir et comme ca t’en auras jusqu’a c’que j’trouve un endroit de paradis comme tu avais. Ma parole c’est du beton mon tit gars, avant que tu n’finisses ce panier je t’aurais trouve un autre bosquet plein de framboises. -Oh merci beaucoup monsieur. Je ne savais plus quoi dire, cet homme faisait preuve d’une telle generosite et d’une telle comprehension que j’en restais de marbre. -Allons, dit-il comme s’il avait lu dans mes pensees, c’n’est rien maint’nant j’ai tout l’temps d’vant moi et j’te trouve fort sympatique pour un jeune!
Nous bumes un the -biologique- puis je le quittais. -Merci encore une fois. Merci du fond du coeur. Je repasserai vous voir dans quelques jours. -De rien tit gars, c’etait un plaisir. J’avais passe un bon apres-midi et je rentrais chez moi avec un grand sourire. Le soir, dans mon lit, ma cigarette avait un autre gout, une gout d’amour, un parfum de bonheur, une senteur de gaite, un fumet de framboises. J’avais trouve un nouvel etre qui pouvait m’aider et m’accompagner a la recherche du bonheur et qui sait, avec le temps, j’en rencontrerais surement d’autres.