VIE DE B. PASCAL, PAR GILBERTE PASCAL (MADAME PKRIER ) Mon frere naquit a Clermont, le 19 juin de l’annee 1623 2. Mon pere s’appelait Etienne Pascal, president L en la cour des aides; et ma mere, Antoinette Begon. Des que mon frere fut en age qu’on lui put parler, il donna des marques d’un esprit extraordinaire par les petites reparties qu’il faisait fort a propos, mais encore plus par les questions qu’il faisait sur la nature des choses, qui surprenaient tout le monde.
Ce commencement, qui donnait de belles esperances, ne se dementit jamais car a mesure qu’il croissait il augmentait toujours en force de raisonnement, en sorte qu’il etait toujours beaucoup au-dessus de son age. Cependant ma mere etant morte des l’annee 1626 que mon frere n’avait que trois ans mon pere se voyant seul s’appliqua plus fortement au soin de sa famille et comme il n’avait point d’autre fils que celuila, cette qualite de fils unique et les grandes marques n° I, l’acte Appendice, de sa famille. genealogie Voir e 1 MSS, la Bibl. roy. Fond. sde l’Oratoire, n° 226. de bapteme de Pascal, et, n« Il, la 2 MADAME PERIER. cet enfant lui donnerent d’esprit qu’il reconnut dans
Mon frere, qui n’avait que huit ans, recut un grand avantage de cette retraite, dans le dessein que mon pere avait de l’elever car il est sans doute qu’il n’aurait pas pu prendre le meme soin dans la province ou l’exercice de sa charge et les compagnies continuelles qui abordaient chez lui mais il etait a Paris l’auraient beaucoup detourne dans une entiere liberte il s’y appliqua tout entier, et il eut tout le succes que purent avoir les soins d’un et aussi affectionne qu’on le pere aussi intelligent puisse etre.
Sa principale maxime dans cette education etait de et tenir toujours cet enfant au-dessus de son ouvrage; ce fut par cette raison qu’il ne voulut point commencer a lui apprendre le latin qu’il n’eut douze ans, afin qu’il le fit avec plus de facilite. Pendant cet intervalle il ne le laissait pas inutile, car cail l’entretenait de toutes les choses dont il le voyait voir en general ce que c’etait que pable. Il lui faisait les langues; il lui montrait comme on les avait reduites en grammaires sous de certaines regles; que ces reavait eu soin gles avaient encore es exceptions qu’on et qu’ainsi l’on avait trouve le moyen de remarquer VIE DE PASCAL. 5 par la de rendre toutes les langues communicables d’un pays en un autre. Cette idee generale lui debrouillait l’esprit, et lui faisait voir la raison des regles de la grammaire; de sorte que, quand il vint a l’apprendre, il savait pourquoi il le faisait, et il s’appliquait precisement aux choses a quoi il fallait le plus d’application. ces connaissances, mon Apres pere lui en donna d’autres; il lui parlait souvent des effets extraordinaires de la nature, comme de la poudre a canon et d’autres choses qui surprennent quand on les considere.
Mon frere prenait grand plaisir a cet entretien, mais il voulait savoir la raison de toutes choses; et comme elles ne sont pas toutes connues lorsque mon pere ne les disait pas, ou qu’il disait celles qu’on allegue d’ordinaire, qui ne sont proprement que des defaites, cela ne le contentait pas car il a toujours eu une nettete d’esprit admirable pour discerner le faux, et on peut dire que toujours et en toutes choses la verite a ete le seul objet de son esprit, puisque jamais rien ne l’a pu satisfaire que sa connaissance.
Ainsi des son enfance il ne pouvait se rendre qu’a ce qui lui paraissait vrai evidemment de sorte que, quand on ne lui disait pas de bonnes raisons, il en cherchait luimeme et quand il s’etait attache a quelque chose, il ne la quittait point qu’il n’en eut trouve quelqu’une qui le put satisfaire. Une fois entre autres quelqu’un ayant frappe a table un plat de faience avec un couteau. il prit garde que cela rendait un grand son, mais qu’aussitot qu’on eut mis la main dessus, cela l’arreta.
Il 4 MADAME PERIER. 1_ » »m » meme temps en savoir la cause, et cette voulut en d’autres sur les experience le porta a en faire beaucoup un sons. Il y remarqua tant de choses, qu’il en fit traite a l’age de douze ans, qui fut trouve tout a fait bien raisonne. Son genie a la geometrie commenca a paraitre lorsune rencontre qu’il n’avait encore que douze ans, par si extraordinaire, qu’il me semble qu’elle merite bien d’etre deduite en particulier.
Mon pere etait homme savant dans les mathematila avec tous les habiles gens ques, et avait habitude par mais en cette science, qui etaient souvent chez lui les comme il avait dessein d’instruire mon frere dans la mathematique est une langues, et qu’il savait que il science qui remplit et qui satisfait beaucoup l’esprit, ne voulut point que mon frere en eut aucune connaisla sance, de peur que cela ne le rendit negligent pour latine et les autres langues dans lesquelles il voulait le perfectionner.
Par cette raison il avait serre tous les livres qui en traitent, et il s’abstenait d’en parler avec ses amis en sa presence mais cette precaution n’empechait pas que la curiosite de cet enfant ne fut excitee, de sorte qu’il priait souvent mon pere de lui apprendre mais il le lui refusait, lui prometla mathematique tant cela comme une recompense. Il lui promettait et le grec, il la lui apqu’aussitot qu’il saurait le latin d Parmiles mathematiciens ont parle ici M™Perier etaientle e C l P.
Mersenne,e Pailleur,Roberval, arcavi, tc. Ils avaiententreeux des desreunionsqui donnerentnaissancea l’Academie sciences. avecFermat. Pascalle pere etaitaussien correspondance Vlli DE PASCAL.. 5 prendrait. Mon frere, voyant cette resistance, lui demanda un jour ce que c’etait que cette science, et de mon pere lui dit en general que quoi on y traitait c’etait le moyen de faire des figures justes, et de trouver les proportions qu’elles avaient entre elles, et en meme temps lui defendit d’en parler davantage et d’y penser jamais.
Mais cet esprit qui ne pouvait demeurer dans ces bornes, des qu’il eut cette simple ouverture, que la mathematique donnait des moyens de faire des figures infailliblement justes, il se mit lui-meme a rever sur cela a ses heures de recreation; et etant seul dans une salle ou il avait accoutume de se divertir, il prenait du charbon et faisait des figures sur des carreaux, cherchant des moyens de faire, par exemple, un cercle parfaitement rond, un triangle dont les cotes et les angles fussent egaux, et les autres choses semblables. Il trouvait tout cela lui seul; ensuite il cherchait les proportions des figures entre elles.
Mais comme le soin de mon pere avait ete si grand de lui cacher toutes ces choses, il n’en savait pas meme les noms. Il fut contraint de se faire lui-meme des definitions il appelait un cercle un rond, une ligne une barre, et ainsi des autres. Apres ces definitions il se fit des axiomes, et enfin il fit des demonstrations parfaites et comme l’on va de l’un a l’autre dans ces choses, il poussa les recherches si avant qu’il en vint jusqu’a la trentedeuxieme proposition du premier livre d’Euclide est Cette proposition celle-ci La sontmedestrois anglesd’un triangle est egale a deux angles droits. i MADAME PliUlKK. tomme il en etait la-dessus, mon pere entra dans le lieu ou il etait, sans que mon frere l’entendit il le trouva si fort applique, qu’il fut longtemps sans s’apercevoir de sa venue. On ne peut dire lequel fut le plus surpris, ou le fils de voir son pere, a cause de la defense expresse qu’il lui en avait faite, ou le pere de voir son fils au milieu de toutes ces choses. Mais la surprise du pere fut bien plus grande lorsque, lui ayant demande ce qu’il faisait, il lui dit qu’il cherchait telle chose qui etait la trente-deuxieme proposition du premier livre d’Euclide.
Mon pere lui demanda ce qui l’avait fait penser a chercher cela il dit que c’etait qu’il avait trouve telle autre chose; et sur cela lui ayant fait encore la meme question, il lui dit encore quelques demonstrations qu’il avait faites; et enfin, en retrogradant et s’expliquant toujours par les noms de rond et de barre, il en vint a ses definitions et a ses axiomes. Mon pere fut si epouvante de la grandeur et de la puissance de ce genie, que sans lui dire mot il le quitta, et alla chez M. e Pailleur, qui etait son ami intime, et qui etait aussi fort savant. Lorsqu’il y fut arrive, il y demeura immobile comme un homme transporte. M. le Pailleur voyant cela, et voyant meme qu’il versait quelques larmes, fut epouvante et le pria de ne lui pas celer plus longtemps la cause de son deplaisir. Mon pere lui repondit « Je ne pleure pas d’affliction, mais de joie. Vous savez les soins que j’ai pris pour oter a mon fils la connaissance de la geometrie, de peur de le detourner de ses autres etudes cependant voici ce VIE DE
PASCAL. 7 qu’il a fait. » Sur cela il lui montra tout ce qu’il avait trouve, par ou l’on pouvait dire en quelque facori qu’il avait invente les mathematiques. M. le Pailleur ne fut pas moins surpris que mon pere l’avait ete, et lui dit qu’il ne trouvait pas juste de captiver plus longtemps cet esprit et de lui cacher encore cette connaissance; qu’il fallait lui laisser voir les livres, sans le retenir davantage. Mon pere ayant trouve cela a propos, lui donna les Elements d’Euclide pour les lire a ses heures de recreation.
Il les vit et les entendit tout seul, sans avoir jamais et pendant qu’il les eu besoin d’aucune explication voyait, il composait et allait si avant qu’il se trouvait regulierement aux conferences qui se faisaient toutes les semaines, ou tous les habiles gens de Paris s’assemblaient pour porter leurs ouvrages ou pour examiner ceux des autres. Mon frere y tenait fort bien son rang, tant pour l’examen que pour la production car il etait de ceux qui y portaient le plus souvent des choses nouvelles.
On voyait souvent aussi dans ces assemblees-la des propositions qui etaient envoyees d’Italie, d’Allemagne et d’autres pays etrangers, et l’on prenait son avis sur tout avec autant de soin que de pas un des autres car il avait des lumieres si vives, qu’il est arrive quelquefois qu’il a decouvert des fautes dont les autres ne s’etaient point apercus. Cependant il n’employait a cette etude de geometrie que ses heures de recreation car il apprenait le latin sur des regles que mon pere lui avait faites expres.
Mais comme il trouvait dans cette science la verile qu’il avait si ardemment recherchee, il S MADAMK l’KRIKlt. en etait si satisfait, qu’il y mettait son esprit lout entier de sorte que, pour peu qu’il s’y appliquat, il y avancait tellement, qu’a l’age de seize ans il fit un Traite des Coniques qui passa pour un si grand effort d’esprit, qu’on disait que depuis Archiiuede on n’avait rien vu de cette force’.
Les habiles gens etaient d’avis qu’on les imprimat des lors, parce qu’ils disaient qu’encore que ce fut un ouvrage qui serait toujours admirable, neanmoins si on l’imprimait dans le temps que celui qui l’avait invente n’avait encore que seize ans, cette mais circonstance ajouterait beaucoup a sa beaute comme mon frere n’a jamais eu de passion pour la reputation, il ne fit pas de cas de cela et ainsi cet ouvrage n’a jamais ete imprime.
Durant tous ces temps-la, il continuait toujours d’apprendre le latin et le grec et, outre cela, pendant et apres le repas, mon pere l’entretenait tantot de la logique, tantot de la physique et des autres parties de la philosophie et c’est tout ce qu’il en a appris, n’ayant jamais ete au college, ni eu d’autres maitres pour cela non plus que pour le reste.
Mon pere prenait un plaisir tel qu’on le peut croire de ces grands progres que mon frere faisait dans toutes les sciences, mais il ne s’apercut pas que les grandes et continuelles applications dans un age si tendre pouvaient beaucoup interesser sa sante et, en effet, elle commenca d’etre alteree des qu’il eut atteint l’age de dix-huit ans. Mais comme les incommodites qu’il ressentait alors n’etaient pas encore dans en Descartes,a qui le P. Mersenne avait envoyeune copie, f liouva cet ouvragetellement ort, qu’il n’admitpas,quoiqu’on put « lui dire, que le jeune Pascal u fut l’auteur. ne grande force, elles ne l’empecherent pas de continuer toujours dans ses occupations ordinaires de sorte que ce fut en ce temps-la et a l’age de dix-huit ans qu’il inventa cette machine d’arithmetique par laquelle on fait non-seulement toutes sortes de supputations sans plume et sans jetons, mais on les fait meme sans savoir aucune regle d’arithmetique, et avec une surete infaillible Cet ouvrage a ete considere comme une chose nouvelle dans la nature, d’avoir reduit en machine une science qui reside tout entiere dans l’esprit, et d’avoir trouve le moyen ‘en faire toutes les operations avec une entiere certitude, sans avoir besoin de raisonnement. Ce travail le fatigua beaucoup, non pas pour la pensee ou pour le mouvement qu’il trouva sans peine. mais pour faire comprendre aux ouvriers toutes ces choses. De sorte qu’il fut deux ans a le mettre dans cette perfection ou il est a present. Mais cette fatigue et la delicatesse ou se trouvait sa sante depuis quelques annees, le jeterent dans des incommodites qui ne l’ont plus quitte; de sorte qu’il nous disait quelquefois que . epuis l’age de dix-huit ans il n’avait pas passe un jour sans douleur. Ces incommodites neanmoins, n’etant pas toujours dans une egale violence, des qu’il avait un peu de repos et de relache, son esprit se portait incontinent a chercher quelque chose de nouveau. vu trois de ces machines, a Clermont l’une et les deux autres chez madame veuve Durant bibliotheque, mari etait parent de la famille Pascal. 1 Nous avons dans la dont le 101 ( MADAME PER1ER.
Ce fut dans ce temps-la et a l’age de vingt-trois ans ensuite qu’ayant vu l’experience de Toricelli, il inventa et executa les autres experiences qu’on nomme ses experiences celle du vide, qui prouvait si clairement que tous les effets qu’on avait attribues jusque-la a l’horreur du vide sont causes par la pesanteur de l’air. Cette occupation fut la derniere ou il appliqua son esprit pour les sciences humaines et quoiqu’il ait invente la roulette apres, cela ne contredit point a ce que je dis car il la trouva sans y penser, et d’une maniere qui fait bien voir qu’il n’y avait pas d’application, comme je dirai dans son lieu.
Immediatement apres cette experience, et lorsqu’il n’avait pas encore vingt-quatre ans, la Providence ayant fait naitre une occasion qui l’obligea a lire des ecrits de piete, Dieu l’eclaira de telle sorte par cette lecture, qu’il nous comprit parfaitement que la religion chretienne d’auoblige a ne vivre que pour Dieu et a n’avoir point tre objet que lui et cette verite lui parut si evidente, si necessaire et si utile, qu’il termina toutes ses recherches de sorte que des ce temps-la il renonca a toutes les autres connaissances pour s’appliquer uniquement a l’unique chose que Jesus Christ appelle necessaire.
Il avait ete jusqu’alors preserve, par une protection de Dieu particuliere, de tous les vices de la jeunesse et ce qui est encore plus etrange a un esprit de cette au trempe et de ce caractere, il ne s’etait jamais porte libertinage pour ce qui regarde la religion, ayant touIl m’a jours borne sa curiosite aux choses naturelles. VIE
DE PASCAL. dit plusieurs fois qu’il joignait cette obligation a toutes les autres qu’il avait a mon pere, qui, ayant lui-meme un tres-grand respect pour la religion, le lui avait inspire des l’enfance, lui donnant pour maxime que tout ce qui est l’objet de la foi ne le saurait etre de la raison, et beaucoup moins y etre soumis.
Ces maximes, qui lui etaient souvent reiterees par un pere pour qui il avait une tres-grande estime, et en qui il voyait une grande science accompagnee d’un raisonnement fort net et fort puissant, faisaient une si grande impression sur son esprit, que quelques discours qu’il entendit faire aux libertins, il n’en etait nullement emu et quoiqu’il fut fort jeune, il les regardait comme des gens qui etaient dans ce faux principe, que la raison humaine est au-dessus de toutes choses, et qui ne connaissaient pas la nature de la foi et ainsi cet esprit si grand, si vaste et si rempli de curiosites, qui cherchait avec tant de soin la cause et la raison de tout, etait en meme temps soumis a toutes les choses de la religion comme un enfant; et cette simplicite a regne en lui toute sa vie de sorte que, depuis meme qu’il se resolut de ne plus faire d’autre etude que celle de la religion, il ne s’est jamais applique aux questions curieuses de la theologie, et il a mis toute la force de son esprit a connaitre et a pratiquer la perfection de la morale chretienne, a laquelle il a consacre tous les talents que Dieu lui avait donnes, n’ayant fait autre chose dans tout le reste de sa vie que mediter la loi de Dieu jour et nuit. Mais quoiqu’il n’eut pas fait une etude particuliere de la scolastiquc, il n’ignorait pourtant pas les decisions -12 MADAME PERIER. de l’Eglise contre les heresies qui ont ete inventees par la subtilite de l’esprit et c’est contre ces sortes de recherches qu’il etait le plus anime, et Dieu lui donna des ce temps-la une occasion de faire paraitre le zele qu’il avait pour la religion.
Il etait alors a Rouen, ou mon pere etait employe pour le service du roi, et il y avait aussi en ce meme temps un homme qui enseignait une nouvelle philosophie qui attirait tous les curieux. Mon frere ayant ete presse d’y aller par deux jeunes hommes de ses amis, l’eny fut avec eux mais ils furent bien surpris, dans tretien qu’ils eurent avec cet homme, qu’en leur debitant les principes de sa philosophie, il en tirait des consequences sur des points de foi contraires aux decisions de l’Eglise. Il prouvait par ses raisonnements que le corps de Jesus-Christ n’etait pas forme du sang de la sainte Vierge, mais d’une autre matiere creee expres, et plusieurs autres choses semblables.
Ils voulurent le contredire mais il demeura ferme dans ce sentiment. De sorte qu’ayant considere entre eux le danger qu’il y avait de laisser la liberte d’instruire la jeunesse a un homme qui avait des sentiments errones, ils resolurent de l’avertir premierement, et puis de le denoncer s’il resistait a l’avis qu’on lui donnait. La chose arriva ainsi, car il meprisa cet avis de sorte qu’ils crurent qu’il etait d 1 C’etaitun ex-capucin unomde JacquesForton,dit frere St- Ange, p auteur d’un livre intituleMeditationstheologiques, ublieen 16i5. unefouledelettreset de docud Les MSS. u P. Guerriercontiennent ments concernantcette affaire,et on trouve dans le MS. Supplforteleudu d franc. a » 176, a lu bibliotheque u Roi,unproces-verbal de contenant depositions Pascalet de ses deux amis. les 13 VIE1)E PASCAL. • • 1 11I « »« » T 11 1 • {• de leur devoir de le denoncer a M. du Bellay qui faisait pour lors les fonctions episcopales dans le diocese de Rouen, par commission de M. l’archeveque. M. du Bellay envoya querir cet homme, et l’ayant interroge, il fui, trompe par une confession de foi equivoque qu’il lui ecrivit et signa de sa main, faisant d’ailleurs peu de cas d’un avis de cette importance, qui lui etait donne par trois jeunes hommes. Cependant, aussitot qu’ils virent cette confession de foi, ils connurent ce defaut ce qui les obligea d’aller trouver a Gaillon M. ‘archeveque de Rouen, qui ayant examine toutes ces choses, les trouva si importantes, qu’il ecrivit une patente a son conseil, et donna un ordre expres a M. du Bellay de faire retracter cet homme sur tous les points dont il etait accuse, et de ne recevoir rien de lui que par la communication de ceux qui l’avaient denonce. La chose fut executee ainsi, et il comparut dans le conseil de M. l’archeveque, et renonca a tous ses sentiments et on peut dire que ce fut sincerement car il n’a jamais temoigne de fiel contre ceux qui lui avaient cause cette affaire ce qui fait croire qu’il etait lui-meme trompe par les fausses conclusions qu’il tirait de ses faux principes.
Aussi etait-il bien certain qu’on n’avait eu en cela aucun dessein de lui nuire, ni d’autre vue que de le detromper par lui-meme, et l’empecher de seduire les jeunes gens qui n’eussent pas ete capables de discerner le vrai d’avec le faux dans des P de Madame erier veut parlerde l’eveque Bellay, I ‘; MADAME l’KKIKR. – questions si subtiles. Ainsi cette affaire se termina doucement et mon frere continuant de chercher de plus en plus le moyen de plaire a Dieu, cet amour de la perfection chretienne s’enflamma de telle sorte des l’age de vingt-quatre ans, qu’il se repandait sur toute la maison. Mon pere meme, n’ayant pas de honte de se rendre aux enseignements de son fils, embrassa pour lors une maniere de vie plus exacte par la pratique continuelle des vertus jusqu’a sa mort, qui a ete tout a fait chretienne et ma s? r, qui avait des talents d’esprit tout exlraordinaires et qui etait des son enfance dans une reputation ou peu de filles parviennent, fut tellement touchee des discours de mon frere, qu’elle se resolut de renoncer a tous les avantages qu’elle avait tant aimes jusqu’alors, se consacrer a Dieu tout entiere, comme elle a fait pour depuis, s’etant fait religieuse dans une maison tres-sainte et tres-austere ou elle a fait un si bon usage des perfections dont Dieu l’avait ornee, qu’on l’a trouvee digne des emplois les plus difficiles, dont elle s’est toujours acquittee avec toute la fidelite imaginable, et ou elle est morte saintement, le 4 octobre 1661, agee de trentesix ans. Cependant mon frere, de qui Dieu se servait pour operer tous ces biens, etait travaille par des maladies continuelles et qui allaient toujours en augmentant. Mais comme alors il ne connaissait pas d’autre science que la perfection, il trouvait une grande difference entre celle-la et celle qui avait occupe son esprit jusqu’a i; car, au lieu que ses indispositions retardaient le progres des autres, celle-ci au contraire le perfectionnait dans ces memes indispositions par la patience admirable avec laquelle il les souffrait. Je me contenterai, pour le faire voir, d’en rapporter un exemple.
Il avait, entre autres incommodites, celle de ne pouvoir rien avaler de liquide qu’il ne fut chaud encore ne le pouvait-il faire quegoutte a goutte mais comme il avait outre cela une douleur de tete insupportable, une chaleur d’entrailles excessive et beaucoup d’autres maux, les medecins lui ordonnerent de se purger de deux jours l’un durant trois mois de sorte qu’il fallut prendre toutes ces medecines, et pour cela les faire chauffer et les avaler goutte a goutte, ce qui etait un veritable supplice qui faisait mal au c? ur a tous ceux qui etaient aupres de lui, sans qu’il s’en soit jamais lors plaint. La continuation de ces remedes, avec d’autres qu’on lui fit pratiquer, lui apporterent quelque soulagement, mais non pas une sante parfaite de sorte que les medecins crurent que pour se retablir entierement il fallait qu’il quittat toute sorte d’application d’esprit, et qu’il cherchat autant qu’il pourrait les occasions de se divertir.
Mon frere eut de la peine a se rendre a ce conseil, parce qu’il y voyait du danger mais enfin il le suivit, croyant etre oblige de faire tout ce qui lui serait possible pour remettre sa sante, et il s’imagina que les divertissements honnetes ne pourraient pas lui nuire et ainsi il se mit dans le monde. Mais quoique par la misericorde de Dieu il se soit toujours exempte •10 CI M. VDAMK HK1UKK (les vices, neanmoins, comme Dieu l’appelait a une plus grande perfection, il ne voulut pas l’y laisser, et il se servit de ma soeur pour ce dessein comme il s’etait autrefois servi de mon frere lorsqu’il avait voulu retirer ma s? ur des engagements ou elle etait dans le monde.
Elle etait alors religieuse, et elle menait une vie si sainte qu’elle edifiait toute la maison etant en cet etat, elle eut de la peine de voir que celui a qui elle etait redevable apres Dieu des graces dont elle jouissait, ne fut pas dans la possession de ces graces et comme mon frere la voyait souvent, elle lui en parlait souvent aussi et enfin elle le fit avec tant de force et de douceur, qu’elle lui persuada ce qu’il lui avait persuade le premier, de quitter absolument le monde en sorte qu’il se resolut de quitter tout a fait les conversations du monde, et de retrancher toutes les inutilites de la vie au peril meme de sa sante, parce qu’il crut que le salut etait preferable a toutes choses Il avait pour lors trente ans, et il etait toujours infirme et c’est depuis ce temps-la qu’il a embrasse la maniere de vivre ou il a ete jusqu’a la mort.
Pour parvenir a ce dessein et rompre toutes ses habitudes, il changea de quartier et fut demeurer quelque temps a la campagne d’ou etant de retour, il temoigna si bien qu’il voulait quitter le monde, qu’enfin le monde le quitta et il etablit le reglement de sa vie dans cette retraite sur deux maximes principales qui furent de renoncer a tout plaisir et a toutes superfluites; d la de Voy. anslasuitede ce volume correspondance Jacqueline. VIE DE PASCAL. -| 7 I et c’est dans cette pratique qu’il a passe le reste de sa vie. Pour y reussir, il commenca des lors, comme il fit toujours depuis, a se passer du service de ses domestiques autant qu’il pouvait.
Il faisait son lit lui-meme, il allait prendre son diner a la cuisine et le portait a sa et enfin il ne se servait de chambre, il le rapportait son monde que pour faire sa cuisine, pour aller en ville et pour les autres choses qu’il ne pouvait absolument faire. Tout son temps etait employe a la priere et a la lecture de l’Ecriture sainte, et il y prenait un plaisir Il disait que l’Ecriture sainte n’etait pas une incroyable. science de l’esprit, mais une science du c? ur, qui n’etait intelligible que pour ceux qui ont le c? ur droit, et que tous les autres n’y trouvent que de l’obscurite. C’est dans cette disposition qu’il la lisait, renoncant a toutes les lumieres de son esprit et il s’y etait si fortement applique, qu’il la savait toute par c? r de sorte qu’on ne pouvait la lui citer a faux car lorsqu’on lui disait une parole sur cela, il disait positivement Cela n’est pas de l’Ecriture sainte, ou Cela en est; et alors il marquait precisement l’endroit. Il lisait aussi les commentaires avec grand soin car le respect pour la religion ou il avait ete eleve des sa jeunesse etait alors change en un amour ardent et sensible pour toutes les verites de la foi; soit pour celles qui regardent la soumission de l’esprit, soit pour celles qui regardent la pratique dans le monde, a quoi toute la religion se termine et cet amour le portait a travailler sans cesse a detruire tout ce qui se pouvait opposer a ces verites. Il avait une eloquence naturelle qui lui donnait une 2 ,|88 MADAME PERHIR acilite merveilleuse a dire ce qu’il voulait; mais il avait ne s’etait pas encore ajoute a cela des regles dont on avise’ et dont il se servait si avantageusement qu’il etait maitre de son style en sorte que non-seulement il disait tout ce qu’il voulait, mais il le disait en la maniere qu’il voulait, et son discours faisait l’effet qu’il s’etait propose. Et cette maniere d’ecrire naturelle, et si naive, et forte en meme temps, lui etait si propre vit paraitre les Lettres particuliere, qu’aussitot qu’on au Provincial, on vit bien qu’elles etaient de lui, quelde le cacher, meme a que soin qu’il ait toujours pris ses proches. Ce fut dans ce temps-la qu’il plut a Dieu de avait fait un guerir ma fille d’une fistule lacrymale qui si grand progres dans trois ans et demi, que le pus sortait non-seulement par l’? il, mais aussi par le nez et cette fistule etait d’une si mauvaise par la bouche.
Et de Paris la juqualite, que les plus habiles chirurgiens elle fut guerie en un geaient incurable. Cependant et moment par l’attouchement de la sainte epine ce miracle fut si authentique, qu’il a ete avoue de tout le monde, ayant ete atteste par de tres-grands medecins et par les plus habiles chirurgiens de France, et un jugement solennel de l’Eglise. ayant ete autorise par Mon frere fut sensiblement touche de cette grace, faite a lui-meme, puisque c’equ’il regardait comme tait sur une personne qui, outre sa proximite, etait encore sa fille spirituelle dans le bapteme et sa consola< Cette sainte epine est au Port-Royal de faubourg Saint-Jacques, P a Paris. (Note de J»f™«erier. ) VIE DE PASCAL.