La satire de la societe dans les faux-monnayeurs d’andre gide

La satire de la societe dans les faux-monnayeurs d’andre gide

Les Faux-Monnayeurs, Andre Gide La Satire de la Societe Introduction : Andre Gide inscrit les Faux-Monnayeurs dans la periode d’avant-guerre en mettant en place une satyre de la societe. Pour ce faire, il utilise divers procedes : onomastique, inspiration de faits reels et de sujets de societe, qui debouchent sur deux themes transversaux : la bourgeoisie et l’enfance. L’auteur dresse une critique de la bourgeoisie au sein de laquelle evoluent le milieu litteraire et la justice, tout comme la famille, l’education et la religion. Enfin l’auteur critique la psychanalyse a travers le personnage de Sofroniska.

La bourgeoisie : Gide expose deux formes de bourgeoisies : la bourgeoisie traditionnelle, representee par les familles Profitendieu et Molinier, tous deux magistrats, et la bourgeoisie decadente, du debut du 20eme siecle. Nous allons pour commencer aborder la bourgeoisie traditionnelle, car en tant que telle, elle n’est que peu critiquee par Gide, par rapport a la bourgeoisie du comte de Passavant, dite intellectuelle. La bourgeoisie traditionnelle sera surtout mise en relation avec les themes de l’education et de la famille que nous aborderons un peu plus tard.

La bourgeoisie traditionnelle se comporte de facon hierarchisee, elle est superieure et le sait, elle tient a sa superiorite sociale. p.

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21 > « Il n’avait pas a laisser paraitre son etonnement devant un subalterne; le sentiment de sa superiorite ne le quittait point ». C’est ici le passage ou Alberic Profitendieu trouve la lettre de depart de Bernard, et qu’il fait alors tout ce qui est en son pouvoir pour paraitre tout a fait normal et superieur devant Antoine, son domestique, bien moins dupe qu’il ne le pense. > p. 20 > « Ce fidele serviteur etait dans la maison depuis quinze ans; il avait vu grandir les enfants.

Il avait pu voir bien des choses; il en soupconnait beaucoup d’autres, et faisait mine de ne remarquer rien de ce qu’on pretendait lui cacher » Il y a une forme de naivete dans la bourgeoisie traditionnelle, due a son decalage avec la societe, elle se croit encore bien superieure, bien au dessus de tout, ainsi, Gide le montre bien, elle parait tres ridicule lorsqu’elle est mise en difficulte et qu’elle se veut garder son calme. Gide decrit cette bourgeoisie comme bienseante, pleine de faux-semblants. Elle tient, d’autre part, a son luxe, car elle en est dependante; ses membres sont extremement attentifs a leur sante : . 24 > « (Monsieur Profitendieu) ressentait un petit pincement cote droit, la, sous les cotes; (…) c’etait la crise de foie. Y avait-il seulement de l’eau de Vichy a la maison ? (…) Ma petite Cecile voudrais-tu t’assurer qu’il y a de l’eau de Vichy a la maison ? » La bourgeoisie decadente, pretendument intellectuelle est dans le livre de Gide melee au milieu litteraire qu’il decrit. Son embleme est le comte Robert de Passavant, dont Gide dresse un triste portrait. La bourgeoisie decadente est noyee dans son argent, si bien qu’elle en perd tout a fait la valeur.

Plusieurs images le demontrent : elle baigne dans le luxe, dans l’« inestimable Porto » et les cigarettes russes. Puis une scene, une discussion entre Lady Griffith et Passavant se charge de montrer cette depreciation de l’argent : p. 52 > « Et… vous lui avez prete de l’argent ? Cinq mille francs, je vous l’ai dit – qu’il va de nouveau perdre chez Pedro. » Passavant offre 5000 francs a Vincent pour le simple plaisir de le voir les perdre au jeu. Le paradoxal est que, si l’argent perd de sa valeur a force d’etre depense a tort, la bourgeoisie decadence a l’orgueil d’en vouloir toujours plus.

Si la bourgeoisie decadente est hypocrite, sans valeur estimable, basee sur de faux rapports et noyee dans son argent, il n’en est pas moins qu’elle l’assume volontiers, avec une attitude faussement philosophique. p. 53 > « Voulez-vous que je vous dise, mon cher. Vous avez toutes les qualites de l’homme de lettres : vous etes vaniteux, hypocrite, ambitieux, versatile, egoiste… Vous me comblez. » Une des illustrations les plus etendues du caractere superficiel de ces bourgeois intellectuels se presente dans le passage du banquet des Argonautes, ou elle est de plus, plongee dans l’ivresse et ‘irresponsabilite, dans l’hypocrisie et le faux-semblant. Elle est le monde des apparences, et la lettre qu’Olivier ecrit a Bernard, alors que l’un et l’autre sont respectivement en Corse et en Suisse, montre bien quelle influence elle peut avoir sur les jeunes et combien elle est superficielle. Comme on le verra, Gide donne souvent aux noms des lieux et des personnages de son roman, des connotations qui correspondent a leur caractere ou leur situation. Ainsi, Robert de Passavant a un nom qui illustre bien son absence de modestie, son auto-mise-en-valeur, et son orgueil.

De plus, on apprend aussi que l’hotel particulier que ce personnage occupe, se situe dans la rue de Babylone. Or, ce nom est plein d’une symbolique equivoque : dans la bible, Babylone est la ville ou se construit la tour de Babel, c’est la cite et le peuple qui avaient par cette tour pretendu atteindre Dieu et s’elever a sa hauteur, lequel les punit d’un horrible chatiment : l’enfer. En somme, l’image de la rue de Babylone parle de soi, elle illustre tout a fait, ce qui aux yeux de Gide est l’orgueil absolu.

On a d’ailleurs dans le livre, une critique directe de Gide, de son point de vue de narrateur et surtout de romancier, donc sans passer par ses personnages ou le journal ou une lettre. « De tels personnages sont tailles dans une etoffe sans epaisseur. (…) ils font le desespoir du romancier qui n’obtient d’eux que des reactions sans valeurs. » Le personnage de Strouvilhou, par son mepris, demontre la faiblesse de cette bourgeoisie. Il met en valeur son incapacite a se defendre sans passer par des schemas et des attitudes pre-construites quand on l’attaque : p. 21 > « A propos, reprit Passavant, je ne vous avais pas, je crois, donne mon livre. Je regrette de n’en avoir plus d’exemplaire de la premiere edition… Comme je n’ai pas l’intention de le revendre, cela n’a aucune importance. Simplement, le tirage est meilleur. Oh ! Comme je n’ai pas non plus l’intention de le lire… Au revoir. Et si le coeur vous en dit : a votre service. J’ai l’honneur de vous saluer. » On remarque aussi ce caractere de la bourgeoisie decadente dans le passage du Banquet des Argonautes, et lorsque Edouard recupere les affaires d’Olivier chez Passavant.

La litterature dans la societe : Le milieu de la bourgeoisie intellectuelle ne peut se detacher de la litterature qu’elle produit et affectionne et que Gide presente comme un mauvais fruit. Selon lui, la societe conditionne l’etat de la litterature, et le probleme est qu’elle a tendance a garder la mauvaise litterature et a chasser la bonne. Gide se sert par exemple d’Edouard pour en parler : p. 79 > « Pour Passavant, dit Edouard dans son journal. l’oeuvre d’art n’est pas tant un but qu’un moyen. Les convictions artistiques dont il fait montre ne s’affirment si vehementes ue parce qu’elle ne sont pas profondes ; nulle secrete exigence de temperament ne les commande ; elles repondent a la dictee de l’epoque ; leur mot d’ordre est : opportunite. » Dans le roman, Passavant est l’image meme de l’ecrivain de mauvaise litterature. On peut d’ailleurs constater que son livre est en vente dans les bibliotheques de gare, ce qu’Edouard envie, paraissant ainsi ridicule devant le lecteur averti. Gide critique la litterature qui repond au plus grand nombre, qui cherche le succes et l’argent, la reconnaissance, qui bien souvent est ephemere.

Il critique la litterature qui n’innove pas, basee sur des idees preconcues, stereotypees, avec des conventions de style, de creation, qu’on a tort de considerer comme ses vraies bases. > p. 319 : « A vrai dire, mon cher comte, je dois vous avouer que, de toutes les nauseabondes emanations humaines, la litterature est une de celle qui me degoute le plus. Je n’y vois que complaisances et flatteries. Et j’en viens a douter qu’elle puisse devenir autre chose, du moins tant qu’elle n’aura pas balaye le passe.

Nous vivons sur des sentiments admis et que le lecteur s’imagine eprouver parce qu’il croit tout ce qu’on imprime ; l’auteur specule la-dessus comme sur des conventions qu’il croit les bases de son art. Ces sentiments sonnent faux comme des jetons, mais ils ont cours. Et, comme l’on sait «la mauvaise monnaie chasse la bonne », celui qui offrirait au public de vraies pieces semblerait nous payer de mots. Dans un monde ou chacun triche, c’est l’homme vrai qui fait figure de charlatan. »

Il y a d’ailleurs chez Gide, une remise en cause du realisme et c’est sans doute ce qui le rapproche du Nouveau-Roman, dont on dit qu’il est le precurseur. Selon lui, le roman parce qu’il ne s’ecarte volontairement pas assez de la vie ne peut toucher aux idees transcendantes qui ont besoin d’un cadre superieur pour s’exprimer. p. 183 : « Est ce peut etre pour cela, se demande Edouard, par peur de cette liberte meme (car les artistes qui soupirent le plus apres la liberte, sont les plus affoles souvent, des qu’ils l’obtiennent) que le roman, toujours, s’est si craintivement cramponne a la realite ? »

C’est dans le journal d’Edouard, qu’on peut alors voir comme une mise en abime du Journal des Faux-Monnayeurs, que Gide expose ses bonnes idees sur le roman, qui sont celles qu’il mettra en application dans ce livre et qu’un prochain expose nous decrira surement. La justice : La justice est liee dans le livre, a la bourgeoisie, a travers les personnages de Alberic Profitendieu, magistrat, et Oscar Molinier, procureur, car ce sont eux, qui a des fins prives, vont etouffer les affaires qui les touchent, afin d’eviter tout scandale. Ainsi Gide nous montre une justice corrompue par la bourgeoisie en decadence. p325 > « En tant que uge d’instruction, reprit-il, j’ai a m’occuper d’une affaire qui m’embarrasse extremement. Votre jeune neveu s’etait deja commis precedemment dans une aventure… – que ceci reste entre nous, n’est-ce pas – une aventure assez scandaleuse, ou je veux croire, etant donne son tres jeune age, que sa bonne foi, son innocence, aient ete surprises; mais qu’il m’a fallu deja, je l’avoue, quelque habilete pour… circonscrire, sans nuire aux interets de la justice. (…) Je doute meme s’il est dans l’interet de l’enfant de chercher a l’en tirer, malgre tout le desir amical que j’aurais d’epargner ce scandale a votre beau-frere.

J’essaierai pourtant; mais j’ai des agents (…) que je ne peux pas toujours retenir. (…)En l’espece, je pretends parvenir a decouvrir les vrais coupables sans recourir aux temoignages de ces mineurs. J’ai donc donne ordre qu’on ne les inquietat point. » Dans ce passage, Gide fait le recit d’une justice partiale, arbitraire, qui prend en compte les elements relationnels avant la loi. Les enfants, qui la sont a peine ages de treize a quatorze ans, sont impliques en tant que clients dans une affaire de prostitution, que suit de pres le procureur Profitendieu, sans qu’ils ne s’en doutent.

Profitendieu, comme nous l’avons vu, choisit de ne pas faire arreter les enfants, pour leur eviter ainsi qu’a son ami Molinier un scandale retentissant. Cependant, les enfants ont par consequent eut l’impression d’agir en toute impunite, et ont continue a deriver du droit chemin, en se lancant dans l’entreprise des fausses pieces. p. 20 > « Monsieur Molinier qui n’avait pour tout bien que son traitement de president de chambre, traitement derisoire et hors de proportion avec la haute situation qu’il occupait avec une dignite d’autant plus grande qu’elle palliait sa mediocrite. …) Faites surveiller la maison, disait Molinier (…) Mais faites attention que, pour peu que vous poussiez un peu trop avant cette enquete, l’affaire vous echappera… Je veux dire qu’elle risque de vous entrainer beaucoup plus loin que vous ne pensiez tout d’abord. (…) Voyons ! Voyons, mon ami; nous savons vous et moi ce que devrait etre la justice, et ce qu’elle est. Nous faisons pour le mieux, c’est entendu; mais, si bien que nous fassions, nous ne parvenons a rien que d’approximatif. (…) Sur le cas qui vous occupe aujourd’hui, (… ) il y a neuf mineurs.

Et certains de ces enfants, vous le savez, sont fils de tres honorables familles. C’est pourquoi je considere en l’occurrence le moindre mandat d’arret comme une insigne maladresse. » On note un contraste entre la « mediocrite », la peur (« risque de vous entrainer… ») et les propos de Molinier : « ce que devrait etre la justice », « nous ne parvenons a rien d’approximatif ». Le discours est contradictoire, on a l’image du juge peureux, incapable et inefficace, mais avec la croyance persistante de sa propre dignite. La famille et de l’education :

La famille tient une place primordiale dans les Faux-Monnayeurs, en effet, de nombreuses questions d’education sont posees, ainsi que la question de la legitimite des parents dans le futur de leurs enfants; tant de points qui remettent en cause l’univers familial. p. 116 > « L’egoisme familial… a peine un peu moins hideux que l’egoisme individuel » dans le journal d’Edouard. Gide critique, a plusieurs reprises dans le livre, les rapports familiaux, bases sur un noyau, par exemple entre la mere et la fille, face au pere. L’egoisme a la majorite contre la minorite.

On le voit par exemple avec le recit de La Perouse a propos de l’education de son fils, ou dans la scene racontee par Edouard, de son retour d’Auteuil en train, ou une mere dit a sa petite fille, sous les yeux du pere : « Toi et moi; moi et toi; les autres, on s’en fout. » L’auteur remet aussi en cause le rapport direct entre le pere et la mere, le manque de cohesion. Selon lui, les parents passent plus de temps a s’opposer, qu’a s’occuper reellement de leurs enfants; ils ne font pas la difference entre leur propre relation et celle qu’ils doivent avoir avec leurs enfants pour leur donner un equilibre. . 223 > « Neuf fois sur dix, le mari qui cede a sa femme, c’est qu’il a quelque chose a se faire pardonner. Une femme vertueuse, mon cher, prend avantage a tout. Que l’homme courbe un instant le dos, elle lui saute sur les epaules. Ah ! mon ami, les pauvres maris sont parfois bien a plaindre. Quand nous sommes jeunes, nous souhaitons de chastes epouses, sans savoir tout ce que nous coutera leur vertu. (…) j’en ai connu qui ne se pretaient a leur mari qu’a contrecoeur, qu’a contre-sens… et qui pourtant s’indignent lorsque le malheureux rebute va chercher ailleurs sa provende. »

Ici, on voit une certaine lucidite de Molinier, pourtant juge comme un imbecile par Edouard. Le magistrat assume ici les ecarts d’un homme comme une normalite, et sans le vouloir, les rapports de force entre homme et femme, desequilibres par la chastete presque illegitime de la femme. Gide critique les hommes qui considerent leur femme comme devouee a eux-memes, et qui leur sont d’ailleurs infideles. En contradiction avec ce temoignage d’Oscar, on trouve celui de Pauline : « Ce que je vois que je ne puis pas empecher, je prefere l’accorder de bonne grace. Oscar, lui, cede toujours; il me cede, a moi aussi.

Mais lorsque je crois devoir m’opposer a quelque projet des enfants, leur resister, leur tenir tete, je ne trouve pres de lui nul appui. » p. 269 Gide denonce la faiblesse de la femme, face aux enfants, a cause du dilettantisme du mari. Peu avant, p. 307, Pauline parle de la tristesse que lui cause Georges, dans lequel elle ne voit qu’insouciance, cynisme et presomption. Pourtant, lorsqu’elle raconte l’histoire du vol des 100 francs, elle explique qu’elle fut incapable de le punir. Gide critique la faiblesse des parents pour eduquer leurs enfants et les maintenir dans le droit chemin.

La mere est souvent trop protectrice, a trop peur de perdre leur confiance, et par ce fait, les enfants mentent; le pere reste beaucoup trop en retrait et delaisse les enfants d’une autorite paternelle ferme dont ils ont besoin. Et c’est d’ailleurs selon Gide, la cause de la decadence de la jeunesse, que l’on decrira plus loin. Gide denonce les faux-rapports et l’hypocrisie au sein meme de la famille… p. 25 > « « Tu serais gentille d’arreter un peu ton piano. » (…) Et, par gentillesse, car la souffrance le rend doux : « C’est bien joli ce que tu jouais la. Qu’est-ce que c’est ? . Mais il sort sans avoir entendu la reponse. » … le manque de solidarite… « Gontran de Passavant (…) a compris depuis longtemps qu’il n’avait a attendre de son frere, nulle sympathie, nul appui » … l’ignorance, la cecite face a la realite : p. 21 > « Dieu merci, ces enfants n’avaient pas de mauvais instincts, non plus que les enfants de Molinier sans doute ; aussi se garaient-ils d’eux-memes des mauvaises frequentations et des mauvaises lectures. » Si on lisait le livre a l’envers, on pourrait presque croire a de l’ironie, quand on sait que Bernard va fuguer t que le petit Georges Molinier, du haut de ses treize ans, est un habitue du delit. La religion : Il y a dans les Faux-Monnayeurs une forte critique de la religion et de l’education qu’elle pretend donner aux jeunes, par un Andre Gide, qui lui meme fut exclu de son ecole par un certain pasteur Vedel, en raison d’onanisme. p. 104 > « On trouve plus souvent parmi les catholiques une appreciation, parmi les juifs une depreciation de soi meme, dont les protestants, ne me semblent capables que bien rarement. Si les juifs ont le nez trop long, les protestants, eux, ont le nez bouche ; c’est un fait. Pour Gide, les protestants n’ont aucune influence, ni aucun interet. Ils pretendent donner, a l’image des Vedel, une education saine et pieuse, menant dans le droit chemin, a defaut de celle que devrait appliquer les parents, mais sont en fait bien loin de la realite, comme on le voit en observant Sarah ou Armand, ainsi que les autres pensionnaires de la pension Vedel, a l’image de Georges Molinier. p. 109 > « Nous entrons dans une ere nouvelle de franchise et de sincerite. (Il emploie volontiers plusieurs mots pour dire la meme chose – vieille habitude qui lui reste de son temps de pastorat. On ne gardera pas d’arriere-pensees, de ces vilaines pensees de derriere la tete. On va pouvoir se regarder bien en face, et les yeux dans les yeux. N’est ce pas. C’est convenu. » Gide tourne en ridicule le pasteur Vedel, il souligne son decalage avec la societe. Le personnage de Strouvilhou sert aussi de denonciation. Le pasteur ne parvenait pas en effet a s’opposer fermement a ce personnage qui ne cessait de le persifler et qui pourtant l’influencait bien un peu : p. 106 > « Il a demande a Papa, si quand il prechait, il gardait son veston sous sa robe ? …) Lorsque votre pere faisait de grands gestes, les manches du vestons reapparaissaient sous la robe et que cela etait d’un facheux effet sur certains fideles. A la suite de quoi ce pauvre papa a prononce tout un sermon les bras colles au corps et rate tous ses effets d’eloquence. (…) Et le dimanche suivant il est rentre avec un gros rhume, pour avoir depouille le veston. » La psychanalyse : Pour Gide, la psychanalyse n’a que la pretention de sauver quiconque serait en pleine detresse et se placerait sur son chemin, comme pour concurrencer l’education, la famille et la religion.

Mais la psychanalyse est dangereuse selon l’auteur des Faux-Monnayeurs. Le nom du docteur Sophroniska est une reference directe a Eugenie Sokolniska qui a fonde la societe psychanalitique de Paris et qui est pionniere de la psychanalyse des enfants. « Ainsi l’analyste des Faux-Monnayeurs croit avoir gueri le petit Boris de ses pratiques masturbatoires; elle n’a fait que changer le contenu de son ceremonial sexuel, et le nouveau rituel qui le remplacera dans l’imaginaire conduira finalement l’enfant que l’on avait cru sauver et qui se serait probablement sauve s’il avait continue ses plaisirs solitaires, a la plus impitoyable des morts ». Roger Bastide, in Anatomie d’Andre Gide Gide est un grand opposant a la psychanalyse, on peut lire dans le journal : « Ah que Freud est genant ! (…) Que de choses absurdes chez cet imbecile de genie ! » p. 174 > « Je racontai a Sophroniska la conversation que j’avais surpris la veille et d’apres laquelle il me paraissait que Boris etait loin d’etre gueri. C’est aussi que je suis loin de connaitre du passe de Boris tout ce que j’aurais besoin de connaitre. Il n’y a pas longtemps que j’ai commence le traitement. » Sophroniska cherche toujours une excuse pour elle, exactement comme la psychanalyse en cherche a ses patients.

Ce n’est jamais sa faute. La psychanalyse est dangereuse pour l’enfant selon Gide, d’ailleurs, les defauts, l’onanisme qu’on accuse chez Boris, rappelons que l’auteur en a ete victime etant enfant : « Sophroniska m’a reparle de Boris, qu’elle est parvenue, croit-elle, a confesser entierement. Le pauvre enfant n’a plus en lui le moindre taillis, la moindre touffe ou s’abriter des regards de la doctoresse. Il est tout debusque. Sophroniska etale au grand jour, demontes, les rouages les plus intimes de son organisme mental, comme un horloger les pieces de la pendule qu’il ettoie. » Gide accuse la psychanalyse et ses medecins de ne pas (vouloir) voir ce que tout le monde a l’exterieur peut constater. De plus, selon lui, elle ne fait que « guerir » un probleme qu’il est simple d’oublier, par des solutions qui elles-memes aboutiront a des problemes beaucoup plus graves. Le resultat : une jeunesse en proie a la decadence : La jeunesse decadente, dans les Faux-Monnayeurs, c’est sans doute le resultat de ce que critique Gide dans la societe. Pour chaque mauvais aspect de la societe correspond un des personnages mineurs :

Bernard Profitendieu : il est l’image de la destruction de la structure familiale, a cause d’un seul non-dit, et de la revolte adolescente. Gide laisse entendre que la dissimulation est une des principales causes de l’eclatement familial. Olivier Molinier : il se laisse entrainer par la bourgeoisie decadente de Passavant et l’image interessante de l’intellectualisme qu’elle se donne, influence par l’argent, la puissance, le luxe, tant d’images superficielles et dangereuses, au risque de perdre son ami Bernard et son oncle Edouard. Sarah et Armand Vedel : ils sont l’antithese de l’education protestante qu’ils ont recu.

Sarah est sans arret a la recherche du contact sexuel, tant avec Olivier que Bernard, ou meme Passavant lors du banquet des Argonautes, et finira par quitter la France pour l’Angleterre lorsque sa famille decidera de brider son apprentissage de la vie. Armand quant a lui, fait sans cesse preuve d’un cynisme, d’une ironie et d’une mechancete qui sont sans aucun doute le fruit d’une grande souffrance, d’une incredulite par rapport a la religion, a cause de l’exces de protestantisme, et qui s’est transmises aux choses de la vie, notamment a l’amour, dans une incapacite a franchir le stade de l’enfance reellement.

Georges Molinier : il illustre le laisser-aller des parents dans leur education et les limites qu’ils imposent a leurs enfants; mais aussi la preoccupation tout simplement qu’ils ont de cette education, en effet, le petit Georges doit passer par la pension Vedel et c’est notamment la qu’il sera sous la mauvaise influence de ses camarades. Il est aussi le fruit de la partialite de la justice. Boris : il est pour sa part la manifestation du danger de la psychanalyse. Conclusion :

Dans les Faux-Monnayeurs, le diable circule et s’insinue dans tous les personnages, il est le signe d’une decadence peremptoire. Le theme du diable, dans le roman, c’est la societe, qui agit sur tous les protagonistes de l’histoire, en veritable maitre a penser, elle conduit jeunes et adultes, a un desoeuvrement profond, ou seules surgissent les veritables valeurs telles que l’amour d’Edouard et Olivier, et la prise de conscience de Bernard de son amour et son attachement pour son pere adoptif, qu’il va finir par rejoindre.