La poesie ruptures et continuites

La poesie ruptures et continuites

La Poesie : specificites et histoire d’un genre. Definition : La poesie repose sur une combinaison de sons, de rythmes et de sens (ce qui l’apparente a la musique). En formes fixes ou libres, et meme en prose, la poesie associe les mots en figures, utilise toutes les formes de discours et tous les registres: cette exploitation des possibilites du langage lui confere un pouvoir d’expression particulier, traducteur ou generateur d’emotions, de sentiments et d’idees. 1. Specificites du langage poetique. A.

Rythme, sons et musique La poesie est identifiable a une disposition particuliere du texte dans la page, qui attire l’attention sur une organisation des mots et des sons generatrice de rythme. Aller regulierement a la ligne et retrouver des sons semblables, rimes finales ou internes, assonances ou alliterations, revele la presence d’unites regulieres, rythmiques et sonores, les vers. Ces rythmes peuvent etre interrompus par les enjambements, qui rallongent un vers ou le « brisent » avant sa fin normale.

Certaines dispositions remplacent la regularite du vers rime par l’irregularite de « morceaux » de vers libres places de maniere inattendue, comme si la realite evoquee etait exprimee avec toutes sortes d’effets de rupture. Dans le poeme en prose, unite de sens et de structure, les rythmes

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viennent de la structure des phrases et du retour de certains mots ou de certaines formulations. B. Figures et associations de mots

Si la musique est faite de notes, la poesie est faite de mots, qui lui donnent un (ou plusieurs) sens: ces mots se regroupent selon les regles grammaticales, mais leur integration a une harmonie et a un rythme entraine des rapprochements inattendus: la poesie est le lieu par excellence des figures creatrices, qui combinent les mots pour en faire une « sorcellerie evocatoire »[1] Les figures d’analogie expriment et revelent le glissements d’un domaine a un autre, temps et espace, sentiments et nature, realite et reve, emotions et idees, images et abstraction, perceptions visuelles et perceptions auditives, lecteur et poete…

Un mot en « attire » un autre et le connote. En poesie, la valeur symbolique des mots compte autant que leur sens denote car des significations cachees et mysterieuses emergent de leur rencontre entre eux.

Attentif a la musique des mots, le lecteur de poesie entre dans les textes en laissant libre cours a sa sensibilite, a ses perceptions, a son imagination, mais il n’en pas moins guide par le poete; et c’est cette force d’evocation de la parole qui permet aux textes poetiques, grace a la diversite des formes de discours et des registres, de repondre a des fonctions diverses d’expression, d’evocation, mais aussi de persuasion et de denonciation. C. Formes de discours et registres Agences de maniere a frapper l’ouie par les sons, les mots de la poesie ont aussi pour ole de raconter, decrire, persuader, informer. La poesie est le «lieu privilegie» de l’evocation des souvenirs, dans le registre lyrique, et sous une forme narrative: on a la une caracteristique de la poesie romantique (Lamartine, Hugo, Nerval), qui est epanchement des sentiments. La poesie rapporte aussi, avec force et dans le registre epique les exploits des heros de l’histoire, des epopees ou des legendes, qu’elle magnifie et celebre. C’est aussi elle qui sait apitoyer le lecteur sur les detresses, les malheurs et les tragedies de la vie, de maniere pathetique.

Propre a l’eloge sous la forme des odes, elle peut prendre la forme de pamphlets aceres et destructeurs lorsqu’elle se fait satirique et polemique (A. D’Aubigne dans Les Tragiques, V. Hugo dans Les Chatiments, Aragon dans Le Creve-c? ur). Dans tous ces registres, l’ecriture poetique met en jeu les ressources specifiques dont ne dispose pas la prose: retour regulier des sons, mise en relief des mots a la rime ou a des points « strategiques » du vers (debut, cesure, fin), martelement obsessionnel des rythmes ou d’un refrain, effets de continuite et de rupture dans la succession des vers. . Fonctions de la poesie et du poete. La poesie au service de la connaissance du monde Tout poete est l’heritier d’Orphee, inspire par les muses et familier du Parnasse (montagne consacree a Apollon et aux muses). Pretre d’Apollon, le dieu de la poesie, il sait, par sa musique et par la force incantatoire de ses melodies, enchanter la nature, calmer les betes sauvages, apaiser les passions des hommes. Dote d’un pouvoir de divination, il dechiffre l’invisible, revele ce que nous ne voyons plus. Ainsi la poesie serait un moyen de connaissance, de dechiffrement du monde.

L’attitude poetique consiste a voir les choses de maniere radicalement differente de celle du prosateur : au monde de la logique, de la raison, la poesie prefere l’irrationnel, qu’elle seule peut explorer, car l’etat poetique est voisin de l’etat mystique. (Pensez aux origines sacrees de la poesie) Dans cette perspective, le poete est un « voyant ». La Pleiade XVI° (Ronsard, du Bellay) voyait dans le poete un devin, et Hugo, Baudelaire et Rimbaud developperont sous diverses formes au XIX° cette idee d’un poete mage, prophete, qui entrevoit plus loin que les simples mortels et penetre les mysteres de l’univers et de la nature humaine.

Hugo fait explicitement reference a ce modele quand il dit : « Dieu le veut… », la figure du poete se construit par analogie avec celle du prophete. Il dispose du pouvoir de decouvrir ce qui echappe aux hommes sous forme de visions ou de pensees qui le hantent. C’est un visionnaire « Il voit,.. » qui est dote d’un pouvoir surnaturel lui permettant d’acceder a des revelations. Proche de cette conception est celle de « voyant », dans « Correspondances » Charles Baudelaire, lui, onstruit la figure d’un poete clairvoyant, la profondeur de son regard lui permet de dechiffrer dans la nature des correspondances visibles de lui seul et ainsi de traduire, de dechiffrer les symboles que comprend la nature. Il definit ainsi la fonction du poete : « Qu’est-ce qu’un poete […] si ce n’est un traducteur, un dechiffreur ? » En ce sens, ce poete mage et alchimiste est un mediateur qui met en evidence les relations complexes qui unissent l’homme au monde qui l’entoure. La poesie au pouvoir magique La parole poetique se rapproche de la magie en ce sens qu’elle depasse le role utilitaire du langage.

Elle manifeste sa puissance, notamment en usant des formules incantatoires. Les poetes se sont plu a souligner la filiation de la magie et de la poesie. Baudelaire definit son art poetique comme une « sorcellerie evocatoire ». Valery retrouve le sens etymologique du mot « charmes » du latin carmina = chant au pouvoir magique pour donner un titre a son recueil Charmes. Dans cette perspective, le poete est un magicien des mots anime d’un souffle inspirateur. Il est celui qui peut multiplier les significations du langage, les amplifier, les densifier par son travail sur les mots.

Le poete est un artisan, maitre des artifices du langage, il travaille sa matiere premiere que sont les mots. Par l’exploitation de toutes les ressources du langage, le poete peut transfigurer ce qui est ordinaire « Le Pain » de Ponge en un objet vivant, ce qui est laid en une ? uvre d’art « Une charogne » de Baudelaire. Pensez a la citation de Roger Caillois. Ainsi le poete est createur d’image, pensez a l’etymologie poein = creer. La poesie engagee Quand la cite est en danger, lorsque les libertes sont menacees ou qu’un pouvoir usurpe menace le peuple, le poete met sa parole au service de la denonciation, de la revolte. Fonction du poete de V. Hugo). Le poete toujours en jouant sur le pouvoir des mots se met alors au service d’une cause et cherche a eveiller l’enthousiasme, a pousser a l’action : « Il faut reveiller le peuple » dit Hugo. Le poete est non pas « chanteur inutile … [qui s’en va ] par la porte de la cite » mais celui qui en des periodes troubles « Vient preparer des jours meilleurs ». Dans Les Chatiments Recueil de poemes engages Hugo fustige violemment « le tyran » Napoleon III. Son travail sur le langage lui permet de multiplier l’efficacite de sa denonciation de l’oppresseur (Cf. orpus « Choses vues, Histoire d’un crime », « Souvenir de la nuit du quatre » extraits de « Chatiments » d’Hugo. ) C’est egalement le choix qu’ont fait les poetes de la Resistance. (Aragon, Eluard, Desnos. ) Dans la preface du recueil collectif L’Honneur des poetes ils presentent ainsi l’ouvrage : « C’est vers l’action que les poetes a la vue immense sont un jour ou l’autre entraines ». Cette poesie aux accents epiques, lyriques ou pathetiques, depeint alors l’horreur des combats et appelle a la rebellion.

Le poete trouve ici la vocation hugolienne a conduire le peuple vers l’espoir d’une societe ideale : « Il est l’homme des utopies ». Pensez egalement a Aragon qui en outre saura meler le poeme d’amour (Les yeux d’Elsa) a l’engagement dans le monde afin de soulager la souffrance du peuple. A ces trois dimensions de l’action poetique correspond l’idee d’un poete responsable devant ses semblables pour les aider a etre plus lucides, leur montrer la voie « comme une torche qu’il secoue » (Hugo) , les entrainer dans la bonne direction.

En meme temps, la responsabilite de la parole poetique a une contrepartie negative qui apparait chez, Corbiere, Baudelaire et bien d’autres : parce qu’il est different, parce qu’il est porteur d’une parole derangeante ou exigeante, il suscite le rejet ou la haine de ses semblables. Cette parole conduit le poete a etre parfois un exclu, un marginal dans la communaute humaine, ainsi l’expression de « poete maudit » en est l’illustration. « On le raille » Hugo, « Le Poete … prince des nuees …est … exile sur ce sol… » Baudelaire.

Pour les Romantiques, le poete est voue a la solitude (Le Crapaud de Corbiere), a l’incomprehension, au sarcasme (L’Albatros). A ces aspects evoques de la parole poetique s’opposent differentes conceptions de la poesie. ? Celle qui considere qu’elle doit etre vouee a la quete constante de la beaute, c’est L’Art pou l’Art, le Parnasse. Pour ces poetes tel Gautier, dedicataire des Fleurs du mal de Baudelaire, le domaine de la poesie n’est ni la politique, ni l’expression des sentiments intimes, mais la recherche esthetique. Mais le poete est aussi l’interprete des hommes, celui qui sait exprimer des experiences universelles comme la joie ou le malheur. Hugo dans Les Contemplations exprime de maniere particulierement emouvante la douleur du deuil occasionne par la perte de sa fille Leopoldine. ? Par ailleurs la poesie peut mettre ses ressources au service d’une reflexion morale ou philosophique, pensez aux fables de La Fontaine. ? D’autres formes poetiques developpent une conception differente telle la poesie amoureuse, le madrigal de Ronsard qui est davantage au service d’une philosophie de la vie : l’epicurisme, le Carpe diem.

Le poete veut persuader la femme aimee de profiter de l’instant present, « cueille le jour »(en latin = carpe diem) par l’exemple de la rose qui ne dure qu’un jour = le temps fuit, il faut vivre l’instant present. ? Au XX° avec L’Oulipo (Ouvroir de Litterature Potentielle) Queneau ou George Perec entre autres mettent en evidence la dimension ludique de l’ecriture poetique. En usant du pastiche, de la parodie ils sollicitent la connivence amusee du lecteur mais ils exhibent egalement la virtuosite langagiere du poete (Le lipogramme en est un exemple). 3. Histoire d’un genre

Les origines de la poesie : d’abord un langage « sacre ». Le mot poesie vient du verbe grec « poiein » qui signifiait « creer ». Dans la culture antique grecque, on considere que le poete est inspire par les dieux ou les Muses. Ainsi Homere, l’auteur de l’Odyssee, grand poeme narratif divise en chants, fait-il souvent reference ou appel a sa Muse comme une divinite qui lui donne l’inspiration. La poesie est donc au depart fondamentalement consideree comme une inspiration de nature divine. Les grecs imaginent leurs poetes inspires par Apollon, Orphee ou Dionysos.

Ainsi le poete, inspire par les dieux, est capable de parler une langue differente de la langue ordinaire, une langue plus belle pace que « divine » ou destinee a communiquer avec les dieux. Meme si les poetes de culture francaise ne se considerent pas tous comme inspires par les dieux, loin de la, il ne faut jamais perdre de vue, quand on lit et analyse de la poesie, que celle-ci est ecrite dans un langage code, contraint, particulier qui se veut plus beau, formellement plus travaille que le langage ordinaire. Ainsi la poesie est d’abord et avant tout une forme.

Le rythme des vers, les rimes, les alliterations, les assonances, les metaphores … sont autant d’effets qui visent a faire du poeme un langage superieur, « magique », le plus eloigne possible du langage « ordinaire » destine lui a communiquer. A. La diversite des genres medievaux Heritee des epopees antiques, la chanson de geste illustre la poesie epique du Moyen Age: elle magnifie les exploits des croises, tout en exaltant un ideal d’honneur present dans les romans en vers de la « matiere de Bretagne» (le roi Arthur et la Table ronde).

La litterature courtoise met la poesie au service de l’expression de sentiments raffines et d’amours contrariees, a travers les poemes lyriques appeles « lais », comme ceux de Marie de France. La poesie medievale connait aussi les formes fixes de la ballade et du rondeau, qui exigent des qualites de virtuosite poetique. B. De la Renaissance aux Lumieres La Renaissance voit se developper une forme fixe nee en Italie, le sonnet, poeme adopte et «travaille» par les poetes savants de La Pleiade, parmi eux Du Bellay et Ronsard.

Ces poetes utilisent aussi des formes non fixees, pour composer de longues odes versifiees a la gloire de personnages ou de notions, ou des textes violemment denonciateurs, relatifs aux guerres civiles,comme les Discours sur les miseres de ce temps, de Ronsard ou Les Tragiques, d’Agrippa d’Aubigne. Ces deux formes de poesie, sonnet d’un cote, longs poemes en alexandrins de l’autre, restent les formes dominantes jusqu’a la fin du XVIIIe siecle. Le gout de l’Antiquite, qui marque tout le XVIIe siecle, explique les fables, les epitres et les satires: c’est en poesie que Boileau ecrit l’Art poetique (1674), qui ixe les regles de composition des differents genres litteraires. Mais le siecle classique et celui des Lumieres, tout empreints de raison, ne sont pas des siecles d’epanchement lyrique et la poesie se met d’avantage au service de la reflexion et de la polemique politique ou litteraire. C. L’explosion du lyrisme Le XIX siecle est celui de l’expression lyrique, de la celebration du moi, et la poesie se prete a tous les mouvements du c? ur et de la passion. Les formes anciennes reviennent: odes, ballades, epopees, par gout pour le passe.

Les poetes sont les interpretes des problemes de leur temps: eloge du progres et des revolutions (Lamartine), denonciation de la misere et du sort des pauvres (Hugo), interrogations sur le sens d’une epoque et sur sa propre identite (Nerval). Le refus des contraintes touche la forme du vers, qui s’assouplit jusqu’a se transformer en vers libre. Entre temps, A. Bertrand « invente »une forme poetique nouvelle, le poeme en prose a laquelle Baudelaire donnera ses lettres de noblesse.. Le sonnet reste predominant, notamment chez Baudelaire, pour qui la poesie aide au dechiffrement d’un monde complexe d’idees, sans limites d’ordre moral.

L’experience poetique prend la forme d’une aventure « extreme» avec Rimbaud, qui fait du poete un «voyant» guide par une recherche de langage total. Peu conformistes, ces recherches isolent les poetes d’un public qui ne les comprend pas. D. Les orientations diverses de la poesie moderne Les premieres modifications se percoivent avec Apollinaire, Verhaeren, B. Cendrars, dont la poesie, en vers libres ou rimes, avec ou sans aucune ponctuation, celebre avec enthousiasme un univers en pleine transformation.

La « revolution surrealiste» revele une maniere automatique d’ecrire, qui privilegie les mouvements non reflechis de la conscience, la spontaneite et le caractere creatif du hasard: elle influence des poetes comme Robert Desnos, Paul Eluard, Louis Aragon, veritables jongleurs de mots, qui sous l’Occupation, mettent leurs talents au service d’un engagement politique. La poesie devient alors une arme. Dans la seconde moitie du siecle, la poesie « eclate» en des formes tres diverses, donnant des images d’un monde que les conflits, le progres et le developpement des communications rendent paradoxalement peu lisible.

Mallarme, a travers le calligramme tente de faire coincider l’image et le mot, le poeme devient image. La poesie de Philippe Jaccottet, de Claude Roy, de Pierre Reverdy, de Rene Char, d’Henri Michaux temoigne de cette complexite et de nombreux motifs d’angoisse. Mais en meme temps, certaines de leurs ? uvres traduisent une sensibilite originale a la nature, un lyrisme omnipresent, et la volonte de rendre compte de la richesse de toutes les experiences humaines. ———————– [1]Expression de TH. Gautier a propos de Baudelaire.