La pensee systemique

La pensee systemique

La Pensee Systemique La pensee systemique LE PARADIGME SYSTEMIQUE La Methode : d’un discours a l’autre Depuis le Discours de la methode pour bien conduire sa raison de Descartes en 1637, quatre preceptes regissent nos modes de pensee : le precepte d’evidence : ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse evidemment etre telle, le precepte reductionniste : diviser chacune des difficultes en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux resoudre, e precepte deterministe ou causaliste : conduire par ordre mes pensees en commencant par les objets les plus simples et les plus aises a connaitre, pour monter peu a peu comme par degres jusques a la connaissance des plus composes, le precepte d’exhaustivite : faire partout des denombrements si entiers et des revues si generales que je fusse assure de ne rien omettre La systemique n’a rien moins que l’ambition d’y substituer les preceptes d’un nouveau discours de la methode : e precepte de pertinence : tout objet que nous considerons se definit par rapport aux intentions implicites ou explicites du modelisateur, le precepte du globalisme : considerer toujours l’objet a connaitre par notre intelligence comme une partie immergee et

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active au sein d’un plus grand tout et le percevoir d’abord globalement, dans sa relation fonctionnelle avec son environnement, le precepte theologique : interpreter l’objet non pas en lui-meme mais par son comportement en herchant a comprendre ce comportement et les ressources qu’il mobilise par rapport aux projets que, librement, le modelisateur attribue a l’objet, le precepte d’agregativite : convenir que toute representation est deliberement partisane pour le modelisateur et rechercher des selections d’agregats tenus pour pertinents en excluant l’illusoire objectivite d’un recensement exhaustif des elements a considerer. C’est un changement radical de nos modes de pensee et de nos facons de voir, une autre logique.

Il n’est pas trop fort de parler de paradigme systemique ou la modelisation et le modelisateur jouent un role de premier plan, d’une autre rationalite liberee du modele causaliste de connaissance du monde. Petite histoire La systemique est nee au cours des trente dernieres annees de la fecondation de plusieurs disciplines dont la biologie, la theorie de l’information, la cybernetique et la theorie des systemes. Ce n’est pas une idee neuve : ce qui est neuf c’est l’integration des disciplines qui se realise autour d’elle.

C’est une approche transdisciplinaire qu’il ne faut pas considerer comme une science, une theorie ou une discipline mais comme une approche commune permettant de mieux comprendre et de mieux decrire la complexite organisee, une nouvelle methodologie permettant de rassembler et d’organiser les connaissances en vue d’une plus grande efficacite de l’action. La systemique s’est repandue dans de nombreuses directions, notamment en sciences de l’organisation, en economie, sociologie, cologie, en psychiatrie et psychotherapie, en informatique et intelligence artificielle, en sciences de l’ingenierie,… Qu’est-ce qu’un systeme ? L’approche systemique s’appuie sur la notion de systeme, notion vague et ambigue pourtant utilisee aujourd’hui dans un nombre croissant de disciplines en raison de son pouvoir d’unification et d’integration. Une ville, une cellule, un organisme sont des systemes. Mais aussi une voiture, un ordinateur, une machine a laver, ou … une entreprise.

La definition la plus courante est qu’un systeme est un ensemble d’elements en interaction dynamique, organises en fonction d’un but. L’introduction de la finalite – le but du systeme – est fondamentale. En fait, aucune definition du mot systeme n’est satisfaisante et seule la notion de systeme est feconde, a condition d’en mesurer la portee et les limites. Alors que la thermodynamique classique ne considere que les systemes fermes, abstraction des physiciens, la systemique s’interesse au systeme ouvert, en relation permanente avec son environnement (en generalisant on pourrait dire son ecosysteme).

Il echange energie, matiere, informations utilisees dans le maintien de son organisation contre la degradation qu’exerce le temps, et rejette dans l’environnement de l’entropie, energie usee. Dans la fin des annees 40, la cybernetique, discipline qui etudie essentiellement les regulations et la communication chez les etres vivants et les machines construites par l’homme, a apporte une contribution essentielle pour le developpement de la systemique, en developpant notamment les concepts de boite noire et de retroaction (feedback).

Une boucle de retroaction (ou, comme son nom l’indique, des informations sur le resultat d’une transformation ou d’une activite sont renvoyes en donnees) peut avoir des effets divergents, pouvant conduire vers l’explosion ou le blocage total des activites (mais aussi effet assurant croissance et evolution du systeme) ou des effets regulateurs, assurant la convergence vers un but et le maintien d’un equilibre dynamique (mais aussi caracteristiques des resistances au changement).

Le fonctionnement des systemes repose sur le jeu combine des boucles de retroaction, des flux – d’energie, d’information ou d’elements -, et des reservoirs dans lesquels sont stockes de l’energie, de l’information, des materiaux, … Trois notions parmi les plus generales de l’approche systemique et clefs du rapprochement de domaines tres differents, de la biologie a la gestion, de l’ingenierie a l’ecologie. Systemique contre analytique

L’approche analytique, qui a ete favorisee de maniere presque disproportionnee dans notre enseignement, et l’approche systemique sont plus complementaires qu’opposees, mais pourtant irreductibles l’une a l’autre. L’approche analytique cherche a ramener un systeme a ses elements les plus simples afin de les etudier en detail, de comprendre les types d’interactions entre eux et de degager les lois generales regissant le comportement du systeme.

Cette demarche trouve ses limites avec les systemes de haute complexite, constitues par une tres grande diversite d’elements lies par des interactions fortes. L’approche systemique considere au contraire un systeme dans sa totalite, sa complexite et sa dynamique propre et donne autant d’importance, sinon plus, aux relations (une grande variete de liaisons assurant une haute densite d’interconnexions) et aux interactions complexes entre ses elements qu’aux elements eux-memes.

A l’opposition entre analytique et systemique, s’ajoute celle entre vision statique et vision dynamique. La pensee classique, sur laquelle s’appuie notre connaissance de la nature et les grandes lois scientifiques, presente trois caracteristiques principales : ses concepts ont ete formes a l’image du solide : conservation de la forme, du volume, … le temps irreversible, celui de la duree vecue, du non determine, de l’aleatoire, n’est jamais pris en compte, seul prime le temps de la physique et des phenomenes reversibles, nfin la seule forme d’explication des phenomenes est la causalite lineaire s’appuyant sur une chaine logique de causes et d’effets, etalee de long de la fleche du temps, alors que dans une boucle de retroaction, causalite et finalite circulent tout au long de la boucle, sans pouvoir dire si la cause precede l’effet ou le contraire, et la fleche du temps semble se refermer sur elle-meme. Dans la pensee systemique, la notion de fluide remplace celle de solide, le mouvement remplace le permanent.

Souplesse et adaptabilite remplacent rigidite et stabilite. Les notions de flux et equilibre de flux s’ajoutent a celles de forces et d’equilibre de forces. La duree et l’irreversibilite entrent comme dimensions fondamentales dans la nature des phenomenes. La causalite devient circulaire et s’ouvre sur la finalite. La dynamique des systemes fait eclater la vision statique des organisations et des structures. En integrant le temps, elle fait apparaitre le relationnel et le devenir.

Attitude transdisciplinaire et entrainement a la maitrise de la complexite et de l’interdependance, la systemique debouche sur la transmission de la connaissance qu’elle aide a organiser au fur et a mesure de son acquisition, sur l’action permettant d’affronter la complexite et sur la creation qui prend sa source dans la variete. Support de la pensee inventive – par opposition a l’approche analytique, support de la pensee connaissante -, tolerante et pragmatique, la pensee systemique s’ouvre a l’analogie, a la metaphore et au modele.

Tout ce qui decloisonne la connaissance et debloque l’imagination est bienvenu : elle se veut ouverte, a l’image des systemes qu’elle etudie. Modele et systemique La creation de modeles et la simulation, qui permet d’animer un systeme et d’observer en temps reel les effets des differents types d’interactions entre les elements du systeme, comptent au nombre des methodes les plus largement utilisees par l’approche systemique. La notion de modele est au c? ur de la systemique. Notre vision du monde est un modele. Toute image mentale est un modele, flou, incomplet ais servant de base aux decisions. Connaitre c’est modeliser; modeliser c’est decider. Modeliser systemiquement – acte constructiviste au sens de construction de la connaissance -, c’est concevoir puis construire un modele, ? uvre d’architecte, de concepteur et non analyser, decortiquer, dissequer une realite objective, ? uvre d’analyste manipulant son bistouri. L’analyste est l’homme capable de comprendre le probleme qui se pose. Le concepteur sera celui qui saura que les problemes ne se posent pas tout seuls et qu’il doit etre capable de les poser.

Modeliser systemiquement, ce n’est pas resoudre un probleme suppose bien pose en cherchant un modele deja formule dans le portefeuille accumule par les sciences depuis des millenaires; c’est d’abord chercher a formuler, a identifier le probleme que se posent les modelisateurs en mettant en ? uvre une procedure de modelisation dont les regles sont intelligibles et acceptees. Dans cette modelisation, objet modelise et modelisateur, tous deux dotes d’objectifs et de finalite, sont etroitement lies.

Cette nouvelle culture systemique, ce doit etre la fin des theories unitaires qui pretendent tout expliquer, des modeles du monde qui pretendent tout englober : on filtre, on elimine tout ce qui n’entre pas dans le modele. Verra-t-on ainsi la fin des langues de bois – technique, economique, politique,… – qui sont la manifestation du decalage entre les realites et des modeles de reference depasses ? C’est une demarche qui se heurte a beaucoup d’inerties dues en partie aux habitudes et traditions seculaires et en partie au conformisme des ideologies qui supportent mal son pragmatisme et sa souplesse.

SYSTEMIQUE ET ORGANISATIONS La pensee systemique devient plus necessaire que jamais car nous sommes depasses par la complexite. Pour la premiere fois peut-etre dans l’histoire de l’humanite, l’homme est capable de creer des quantites d’informations plus grandes que ce qu’il peut absorber, de concevoir des relations d’interdependance plus complexes que ce qu’il est capable de gerer, et d’accelerer le changement a un rythme que personne n’est capable de suivre. Notre niveau de complexite n’a certainement jamais encore ete atteint dans le passe.

Des organisations connaissent l’echec malgre des individus brillants, tout simplement parce qu’elles sont incapables de combiner ensemble leurs talents et leurs fonctions. La pensee systemique se veut une antidote aux reactions de decouragement ressenties par beaucoup lorsqu’ils sont confrontes a ces phenomenes d’interdependance. Elle permet d’observer les structures qui sous-tendent les situations complexes, et de mettre le doigt sur les effets de levier capables de les modifier.

C’est l’outil fondamental permettant aux organisations intelligentes de concevoir autrement leur univers. En analysant la totalite d’un systeme, nous apprenons a ameliorer son etat, sa sante. Mais pour ce faire, le raisonnement systemique passe par un langage qui modifie notre maniere de raisonner. Il suppose une modification de notre etat d’esprit, abandonnant une vision fragmentaire au profit d’une vision d’ensemble, delaissant l’idee que les individus ne font que reagir a des situations presentes, et ne sont pas capables de modeler leur avenir.

Il s’agit d’un changement profond de mentalite. L’approche systemique se demarque des autres approches en ce qu’elle donne des organisations une representation plus globale et plus realiste pour traiter de leur complexite. La complexite apparait des lors que le comportement ou les proprietes d’un systeme ne peuvent se deduire de la seule connaissance du comportement de ses parties : le tout manifeste des proprietes qui ne sont ni la somme, ni la combinaison des proprietes des parties, chaque niveau est conditionne par les autres et les conditionne.

Complexe n’est pas complique La systemique nous apprend que, dans les interactions des multiples facteurs en jeu dans un systeme, des perturbations ou des ecarts minimes peuvent avoir un pouvoir amplificateur considerable et imprevisible : des etats tres peu probables peuvent alors apparaitre, ainsi que des changements brutaux. Elle nous apprend aussi qu’un systeme, pour se mettre en ordre, puise tout ou partie de l’information necessaire dans le bruit et le desordre.

La systemique met aussi en avant la notion de representation : personne n’a jamais vu un systeme et chaque observateur produit une representation de l’objet ou du phenomene qui l’interesse, representation qui lui est utile pour le projet qu’il mene, mais qui ne peut pretendre a l’objectivite pas plus qu’a la neutralite. Ainsi, l’approche systemique comporte necessairement la prise de conscience de la relativite des representations, de la contingence possible des etats et des evolutions qui seront observes ou predits, et de l’impossibilite d’une connaissance et d’une maitrise complete de la complexite.

Elle prone la variete, facteur d’equilibre, la differenciation, facteur d’integration (seule l’union dans la diversite est creatrice), la decentralisation et l’autonomie, reponses a la complexite. Le probleme n’est pas toujours de reduire la complexite. Bien au contraire, de nombreuses organisations, en particulier les grandes entreprises et les administrations, se presentent comme un assemblage trop complique (multiples codes, multiples normes, multiples chaines de controle,… ) d’activites et de processus pauvres et emiettes.

Elles souffrent a la fois d’un deficit global de variete (au sens de la richesse des perceptions, des significations, des communications, … ) et d’une insuffisante repartition de cette variete entre les unites des divers niveaux : chacune des unites est simple (sa fonction et son travail sont meme parfois simplistes et d’une pauvrete – informationnelle, decisionnelle, operatoire – considerable) et leur imbrication est compliquee. Pour l’individu loge dans une de ces unites, son environnement proche de travail est pauvre et son environnement lointain (usine, entreprise, milieu socio-economique) est indechiffrable.

Or c’est de plus en plus souvent dans cet environnement que se situent les evenements et les decisions qui vont conditionner sa vie professionnelle et sa vie tout court Dans l’interet des hommes et dans celui des organisations, il faut donc frayer la voie vers l’organisation a complexite humaine. Complexite doit etre compris ici comme richesse de l’information et des interconnexions, variete des etats et des evolutions possibles, toutes choses bien differentes de la complication au sens de l’imbrication de liaisons lineaires stables, souvent fixees d’une maniere rigide de l’exterieur.

Tout le monde reconnait que la societe industrielle et administrative actuelle sous-utilise d’une maniere dramatique les capacites et les competences existantes ou potentielles de la majorite des individus et que la reponse a la complexite de l’environnement socio-economique pourra de moins en moins se faire a l’aide des grands systemes souvent trop lourds, trop rigides, trop couteux et de plus en plus mal supportes.

Reste la voie de la complexification, de la decentralisation et de l’autonomie, de l’enrichissement des unites sociales et socio-economiques a tous les niveaux, et le processus de l’apprentissage individuel et collectif. Changer les organisations La situation paradoxale a laquelle se trouve confronte tout responsable du maintien et de l’evolution d’un systeme complexe s’exprime par cette simple question : comment une organisation stable, dont la finalite est de se maintenir et durer, peut-elle changer ou evoluer ?

La crise est le moment d’apparition, pour le systeme, de phenomenes menacants auxquels la structure et le fonctionnement en equilibre dynamique ne peuvent repondre de maniere satisfaisante. Le changement, notion vague, correspond a un phenomene de destructuration – restructuration : il y a rupture dans l’organisation du systeme et emergence de nouveautes. Sur une longue periode, l’histoire nous apprend que toutes les societes passent par de telles phases.

On entrevoit ainsi le chemin par lequel peut evoluer un systeme stable construit pour resister au changement : il evolue grace a un processus complementaire de desorganisation (totale ou partielle) et de reorganisation, ce qui se produit, soit au cours de l’affrontement du systeme avec les perturbations aleatoires venant de l’environnement (mutations, evenement, « bruit ») soit au cours du reajustement d’un desequilibre resultant, par exemple, d’une croissance trop rapide.

Une organisation doit donc etre en mesure de capter les germes de changement et de les utiliser pour son evolution, ce qui l’oblige a adopter un mode de fonctionnement caracterise par une grande mobilite des hommes et des idees. Admettre le risque transitoire d’une desorganisation passagere, c’est accepter et vouloir le changement car il n’y a pas de changement reel sans risque. SYSTEMIQUE ET APPRENTISSAGE

Les concepts d’apprentissage et de systeme ont des liens et des similitudes tres etroites. D’une part l’apprentissage est un processus systemique et d’autre part toute approche systemique est fondee sur un besoin d’apprentissage. Dans tout processus d’apprentissage le sujet apprend a apprendre et devient de plus en plus apte a resoudre non seulement le probleme pose mais des problemes en general.

Cela signifie que le sujet apprend a classifier les contextes des problemes, et donc a reconnaitre d’une maniere ou d’une autre, des indicateurs de contexte dont, en verite, on sait peu de chose. Un premier aspect du concept d’apprentissage systemique est individuel : l’acquisition par une personne de mecanismes de representation des interactions qui relient son action a un environnement complexe et mobile, de recherche de strategies de lutte contre la complexite, d’accroissement de la connaissance et du controle, …

Mais un deuxieme aspect est collectif et concerne le social : c’est apprendre a etre acteur dans un systeme complexe ou sont loges d’autres acteurs; c’est acquerir des mecanisme de representation qui prend en compte les representations des autres acteurs; c’est aussi apprendre a confronter et a associer des representations et a elaborer avec d’autres des representations communes.

L’apprentissage collectif est donc par nature systemique au sens que c’est un processus d’interaction entre differents projets individuels, differentes connaissances, contraintes, influences,…. La demarche systemique peut fortement aider a developper de tels apprentissages, notamment en suggerant des modeles de references et des representations ouvertes, plus interrogatives que normatives. En resume, on pourrait se demander s’il est possible d’etre systemicien » isolement, ou autrement dit si l’attitude et l’approche systemique d’un individu n’exigent pas non seulement l’interaction avec les autres, mais surtout la prise en compte explicite des informations, des representations, et des projets que transportent ces interactions. L’apparition et le developpement de processus d’apprentissage est probablement le seul recours contre la montee de la complexite. Encore faut-il que les organisations reconnaissent son role fondamental, en comprennent mieux les mecanismes et desirent favoriser son developpement.

LE PROJET ET LES ACTEURS Dans l’approche systemique, le concept de projet joue un role fondamental : le comportement d’un systeme s’interprete par rapport a ses projets et non ses structures, son pilotage consiste a gerer ses projets dans le temps et non pas a activer ses structures, sa regulation et son adaptation ont pour objet la satisfaction de ses projets, son equilibre n’a de raison que par rapport a ses projets, a ses finalites, ses performances se definissent par la mise en rapport de ses comportements observes ou anticipes et de ses projets ou finalites,…

A son stade le plus eleve, le systeme est non seulement dote de projets mais aussi apte a engendrer lui meme ses projets : il s’auto-finalise. RECADRAGE SYSTEMIQUE Les travaux de l’Ecole de Palo Alto (un groupe de chercheurs d’origines scientifiques diverses qui, a un moment donne de leur existence, ont travaille dans cette petite ville au sud de San Francisco) se sont orientes suivant trois grandes directions : une theorie de la communication, une methodologie du changement et une pratique therapeutique. Ce qui fait l’unite de ces recherches, c’est leur reference commune a la demarche systemique.

La facon dont est abordee la communication est a la fois deductive (en s’appuyant sur des modeles et concepts empruntes a la systemique, la linguistique et la logique) et inductive (en les confrontant a l’observation precise et a l’analyse de communications reelles). La theorie elaboree qui s’applique a la fois a prendre en compte des processus complexes et a en donner une formalisation rigoureuse, est une theorie de la communication dont la portee est tres generale, meme si elle interesse en premier lieu les situations d’interaction humaine.

Cette theorie sert de base a une approche originale du changement; la encore il s’agit d’un point de vue tres large qui touche pratiquement tous les domaines de la vie. Elle a surtout ete developpee dans le cadre de l’intervention clinique (therapie familiale, therapie breve), bien que son champ potentiel d’application soit beaucoup plus vaste et concerne aussi bien la pedagogie, la negociation politique et commerciale, les institutions, les problemes sociaux, … Apprentissage

Dans le domaine des conduites et des relations humaines, tout comportement (a part ceux qui sont determines par des mecanismes purement genetiques) resulte d’un processus d’apprentissage. Si le changement peut etre concu comme une modification du comportement des sujets, relativement a une situation donnee, on peut donc le ramener a l’apprentissage de nouveaux comportements. Dans cette perspective, les processus d’apprentissage deviennent l’element central pour la comprehension et l’action, dans une methodologie de changement.

On distingue quatre niveaux d’apprentissage : le premier correspond a un comportement de type reflexe, le second consiste a apprendre, le suivant a apprendre a apprendre et le dernier niveau pourrait etre defini comme apprendre comment on a appris a apprendre ou encore trouver les raisons de sa propre raison. L’apprentissage apparait toujours dans un contexte possedant des proprietes formelles specifiques qui influent sur la nature de l’apprentissage.

Deux dimensions importantes en sont la discrimination des contextes, qui tend a introduire une discontinuite entre des contextes qui pourraient sembler similaires, et la generalisation, qui tend au contraire a rapprocher et unifier des contextes qui sont apparemment distincts et permet de transferer un comportement appris dans un contexte specifique a d’autres contextes. La notion de contexte repetable est la cle de toute theorie qui definit le changement comme apprentissage.

Cette notion n’est pas seulement un outil de description : elle contient l’hypothese implicite que l’experience vecue, l’action, la communication sont en quelque sorte segmentees ou ponctuees en sequences ou contextes que nous pouvons differencier et comparer. Les conduites sont des formes d’organisation du comportement appris par l’individu et donc des reponses a certains contextes d’elaboration, de reception et de transmission de l’information dans le systeme d’interaction ou se trouve place l’individu.

Modifier une situation, c’est agir sur le contexte, tres souvent en changeant de niveau, c’est-a-dire en sortant du contexte ou la conduite est figee pour passer a un meta-contexte ou, par recadrage de la situation, la conduite peut prendre un nouveau sens et permettre une reorganisation du systeme de communication et d’echange. Changer de systeme La notion de changement, relativement floue, peut se preter a une multitude de definitions.

Une approche systemique conduit a distinguer le changement qui intervient a l’interieur d’un systeme qui lui reste inchange et le changement qui affecte le systeme lui meme. Le premier concerne une modification de certains facteurs ou parametres a l’interieur d’un systeme dont la structure reste stable; il intervient naturellement lors de phases de croissance, de maturite, ou lors de processus de regulation destine precisement a assurer la stabilite du systeme en exercant des effets auto-correcteurs en reponse a des perturbations internes ou externes.

Dans le cas du second type de changement, c’est au contraire le systeme lui-meme qui se modifie. Le changement de systeme peut revetir plusieurs formes : mutation, rupture, revolution,… ; une configuration de changement, proposee par l’Ecole de Palo Alto, est celle qui modifie les premisses qui gouvernent le systeme en tant que totalite : ce type de changement est appele recadrage. La vision systemique du changement est extremement riche.

Ainsi, la causalite lineaire pose pour principe qu’il existe une relation directe entre cause et effet (une meme cause produit les memes effets); mais a partir du moment ou l’on considere que l’effet peut, par le mecanisme de feedback (retroaction), retroagir sur la cause, l’idee de causalite lineaire se brouille singulierement et la cybernetique la remplace par la notion de boucle ou de causalite circulaire. C’est la meconnaissance de la causalite circulaire qui explique que bien des actions de changement finissent par avoir des resultats inverses a ceux que l’on recherche.

C’est egalement elle qui est la consequence de changements nuls : on ne modifie en rien un modele general si on change simplement une chose en son contraire. On peut egalement expliquer les jeux sans fin : le systeme passe par tous ses changements internes possibles sans effectuer de changement de structure et reste prisonnier d’un jeu sans fin car incapable d’engendrer de l’interieur les conditions de son changement.

De meme, pour resoudre un probleme, on cherche une solution qui semble adaptee au changement desire et, comme on est plonge dans un rapport systemique profond avec le probleme lui-meme et ses causes, la solution que l’on va trouver sera presque obligatoirement en accord avec la logique du systeme dans lequel on vit. Et en s’engageant un peu plus dans cette voie, un peu plus fort ou un peu plus loin, on se trouve pris dans une course escalade qui amene a faire toujours plus de la meme chose, c’est-a-dire a se creer ainsi des problemes supplementaires.

Ce qui fait dire, selon une formule celebre de l’Ecole de Palo Alto, que « le probleme c’est la solution ». Il se peut aussi que ce soit l’absence de difficulte qui soit consideree comme le probleme et on s’engage alors dans une action corrective jusqu’a mettre sur pied un faux probleme bien developpe. Ce qui ressort de toutes ces considerations est que seul un changement au niveau du systeme lui-meme est efficace. La question qui se pose alors est de savoir comment un tel changement est possible et quelles en sont les conditions.

Tel est l’objet de la methode du recadrage. Recadrer Recadrer signifie modifier le contexte conceptuel et/ou emotionnel d’une situation, ou le point de vue selon lequel elle est vecue, en la placant dans un autre cadre, qui correspond aussi bien, ou meme mieux, aux faits de cette situation concrete dont le sens, par consequent, change completement. En eclairant les choses d’une facon nouvelle, le recadrage tend a transformer dans le sens de l’ouverture le rapport a une situation et la signification qu’elle revet.

La technique du recadrage repose sur le principe de la variabilite des realites subjectives : nous n’avons jamais affaire a des realites intrinseques mais a des images de la realite qui s’imposent a nous comme l’evidente presentation de LA realite, seule image possible pensons-nous, alors qu’en fait il y en a une infinite d’autres. Or, c’est justement parce qu’une image unique suppose une solution unique que nous nous acharnons a faire toujours plus de la meme chose au lieu de faire autre chose. Changement de point de vue, ouverture sur les possibles, positionnement du probleme dans un contexte different … le recadrage opere un changement de systeme. Ce qui, dans le contexte habituel etait considere comme la solution devient ici le probleme. Alors que le changement dans le systeme semble reposer sur le bon sens (puisqu’il va dans le sens de la logique du systeme), le changement de systeme apparait souvent bizarre, enigmatique, paradoxal,… Dans les techniques de recadrage, on ne s’occupe que de l’ici et maintenant, des effets et non des causes; on place resolument la situation dans un nouveau contexte qui conserve les anciens elements mais les remanie dans un rapport et dans un sens totalement different.

Le recadrage considere le reel non comme une sorte d’exteriorite objective mais comme une perception subjective qui tient compte de la valeur accordee aux choses et aux faits. L’utilisation des paradoxes et l’humour permettent souvent de recadrer une situation. L’originalite de l’Ecole de Palo Alto est d’avoir identifie le procede de recadrage comme un moyen efficace de sortir d’une situation problematique et de l’avoir integre a l’action therapeutique.

Leur demarche de therapie peut etre divisee en quatre etapes : definir clairement le probleme en termes concrets; examiner les solutions deja essayees; definir clairement le changement auquel on veut aboutir; formuler et mettre en ? uvre un projet pour effectuer ce changement. PRATIQUE DE LA SYSTEMIQUE L’approche systemique n’a d’interet que si elle debouche sur l’operationnel, ce qui passe par sa demystification car ce qui est utile dans l’action quotidienne ne doit pas etre reserve a quelques inities.

La hierarchie des disciplines etablies au XIX° siecle, des sciences les plus nobles aux sciences les moins nobles (mathematiques et physique au sommet, sciences de l’homme ou de la societe au bas de l’echelle) continue a peser lourdement sur notre approche de la nature et sur notre vision du monde. Ce qui explique peut-etre le scepticisme, voire la mefiance de certains. Il nous faut demystifier l’approche systemique et lui permettre de rester une attitude transdisciplinaire, un entrainement a la maitrise de la complexite et de l’interdependance.

La vision globale n’est plus reservee aux seuls grands responsables, philosophes ou savants. Chacun d’entre nous peut prendre du recul, apprendre a regarder a travers le « macroscope » pour appliquer les regles systemiques, construire des modeles mentaux plus rigoureux, et peut-etre parvenir a dominer le jeu des interdependances. Attention danger Avec les approches systemiques, on avait naivement cru pouvoir echapper a la tyrannie et aux limites des modeles qui nous avaient donne la doctrine du « one best way ».

Malheureusement, plus souvent qu’autrement, ces approches systemiques qui nous promettaient un renouvellement de la pensee sur les organisations ont ete recuperees par le courant dominant et, si renouvellement il y a eu, ce fut surtout au niveau du vocabulaire, non a celui de la pensee. Mais il ne faut pas cacher d’autre part les dangers d’une utilisation trop systematique de l’approche systemique et, une fois de plus, nous voila guettes par le danger des dogmatismes : l’approche systemique se ramenant a un systemisme intransigeant ou a un biologisme reductionniste.

Nous voici menaces par la seduction exercee par des modeles concus comme des aboutissements de la reflexion et non comme des points de depart de la recherche; nous voici tentes par la transposition trop simpliste de modeles ou de lois biologiques a la societe. L’un des plus graves dangers qui menacent l’approche systemique, c’est la tentation de la theorie unitaire, du modele englobant ayant reponse a tout, capable de tout prevoir. Espoir si ouverture La systemique ouvre la voie a des approches ouvertes, interrogatives, et non pas des attitudes normatives et prescriptives.

Il faut faire passer le message de l’ouverture et de la diversite des points de vue sur les organisations, de l’association de diverses logiques d’analyse, de la prise en compte des relations entre tout et parties, entre l’individuel et le collectif, de l’importance attachee a la dynamique des processus de fonctionnement, d’evolution et d’apprentissage des organisations. La predominance d’un point de vue et d’un langage est frequente, c’est d’ailleurs souvent l’origine de la demarche eductionniste. Litteralement, un point de vue est un lieu d’ou un observateur regarde un objet; au sens derive, c’est une maniere de voir les choses, une opinion. Le point de vue de l’observateur est une resultante complexe de sa perception et de son processus de connaissance, mais aussi de ses finalites et des contraintes qu’il se fixe, de son champs d’observation et des frontieres qu’il etablit, des invariants pre-supposes, des pressions qu’il subit, de son imaginaire.

La diversite des points de vue, donc des representations, est normale, inevitable et souhaitable. Encore faut-il l’accepter, et meme plus, savoir profiter de la richesse d’information qu’elle recele et non la reprimer au nom de certains points de vue dominants. Cette systemique ouverte, tolerante, creatrice, est le c? ur de l’ecole de pensee qui doit permettre a l’avenement d’une nouvelle societe. Ses concepts sont a la base de la refondation des systemes.

Quand un patron declare « aujourd’hui organiser, ce n’est plus mettre de l’ordre, c’est creer de la vie », n’apporte-t-il pas la le temoignage du chemin parcouru dans les esprits vers le paradigme de complexite ? References : la redaction de cette page a fait appel a des ouvrages de Jean-Louis LE MOIGNE (La theorie du systeme general), Joel de ROSNAY (Le macroscope), Peter SENGE (La cinquieme dimension), Edmond MARC et Dominique PICARD (L’Ecole de Pao Alto) et Jacques MELESE (Approche systemique des organisations. Vers l’entreprise a complexite humaine).