La figure du basileus dans le roman d’alexandre du pseudo-callisthene

La figure du basileus dans le roman d’alexandre du pseudo-callisthene

PREFACE En 323 avant J-C, Alexandre meurt apres avoir conquis l’ensemble du monde connu, depuis les rivages de la Thrace jusqu’aux bords de l’Indus et de l’Oxus. Ses compagnons[1] relaterent sa vie, ses expeditions ou ses rencontres. Ainsi, Clitarque[2], Ptolemee[3], Nearque[4], Callisthene[5] ont redige des ecrits qui sont malheureusement perdus pour nous aujourd’hui. Par la suite, des historiens qui voulurent retracer les expeditions d’Alexandre s’inspirerent d’eux pour rediger une Vie d’Alexandre.

On a ainsi conserve Diodore de Sicile[6] (entre 54 et 36 avant J-C), Quinte-Curce[7] (du Ier siecle ou du IIe apres J-C), Plutarque[8] (environ 40 et 120 apres J-C), Arrien[9] (IIe siecle apres J-C)… Au fil des siecles, certains inventerent des faits qu’ils preterent a Alexandre afin de le magnifier[10]. C’est de cette legende que naquit le Roman d’Alexandre au IIIe siecle de notre ere[11]. D’abord attribuee a Callisthene, on a prefere garder quelques reserves en nommant communement son auteur le « Pseudo-Callisthene»[12].

De cette premiere version, en effet, derivent les Legendes, Vies, Romans, Histoires ou Exploits d’Alexandre le Grand qui se multiplieront, a partir du Ve siecle, en Syrie, en Perse, en Palestine, en Armenie, et, plus tard en Georgie, en Turquie et jusqu’en Asie centrale. Par la suite, il y eut

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d’autres Romans d’Alexandre. On parle alors de recensions. Il en existe cinq : la recension ? , ? , ? , ? et ?. Ces textes grecs auraient ete ecrits entre le IIIe et le VIIIe s apres JC[13]. Mon travail repose sur l’etude de la recension e.

Cette recension nous a ete transmise par plusieurs manuscrits: le codex Oxonius Bodleianus Baroccianus 17 date du XIIIe siecle, le codex Oxonius Bodleianus Holkham gr. 99 du XVe siecle et le Mosquensis mus. Hist. gr 436 du XIVe ou du XVe siecle[14]. Elle est datee de la fin du VIIe siecle ou du debut du VIIIe siecle. En effet, l’auteur reprend les revelations du Pseudo-Methode[15] qui traite des annees 640 apres J-C, apres l’invasion arabe en Syrie, ce qui fournit un terminus ante quem assez precis.

Ces elements sont d’ailleurs renforces avec la mention du peuple des Bersiles (39,1) qui occupait le Caucase et qui a ete decrit par deux ecrivains byzantins: Theophane (environ 760-818) et Nicephore le Patriarche (758-828). INTRODUCTION « Mais que d’admirables choses [Alexandre ] n’a-t-il pas faites de son vivant ! Que de nations, que de villes par lui soumises, quelles guerres n’a-t-il pas faites, quelles victoires, quels trophees ! » ecrit Saint Jean Chrysostome dans l’une de ses Homelie[16] .

Alexandre, personnage historique, ne en 356 et mort en 323, parvint en ses trente-trois ans de vie a dominer le monde entier, ce que jusqu’alors, personne n’avait reussi a faire. Il n’est donc pas surprenant que ses conquetes et son ambition impressionnerent les generations futures. De nombreux ecrits en decoulerent. Et le Roman d’Alexandre n’est qu’une infime representation des histoires imaginaires que le heros inspira. Dans la recension e, la vie d’Alexandre est racontee avec des elements egyptiens, chretiens, byzantins melant des faits historiques avec des histoires legendaires.

Redigee vers la fin du 7e et le debut du 8e siecle, peut-etre sous les Isauriens, l’auteur donne a Alexandre une version christianisee et byzantinisee. De nombreux traits l’apparentent a une illustration de l’ideologie imperiale: la course de char a Rome ou les quatre couleurs des factions de Constantinople s’affrontent, la reception des ambassadeurs de Darius et l’incarnation des vertus imperiales. Quelle est alors la place d’Alexandre, le basileUj? Quel role tient-il dans ce roman? Pourquoi appelle-t-on cette oeuvre, le « roman » d’Alexandre? Pourquoi ce parallele entre Rome et Constantinople?

Apres une presentation detaillee de l’oeuvre resumee et en partie traduite, il s’agira d’etudier les differentes sources de cette recension, quelles soient religieuses, etrangeres voire des versions anterieures du roman d’Alexandre pour ensuite s’interroger sur la narration. Puis, il faudra s’interroger sur le personnage romanesque d’Alexandre, s’il s’agit bien ici d’un « roman », pour enfin aboutir a la representation du souverain ideal qu’Alexandre incarne. PREMIERE PARTIE: PRESENTATION DU ROMAN « Il est bien doux de vivre avec courage, et de laisser en mourant une gloire immortelle » Arrien, Histoire d’Alexandre, v. 26

Chapitre I: La recension e et les versions anterieures. On regroupe sous l’appellation « Roman d’Alexandre » toutes les versions issues du texte grec d’origine, de l’Antiquite jusqu’au Moyen-Age. On distingue parmi elles deux traditions: une branche orientale dans laquelle on distingue une version armenienne du Ve siecle, une version syriaque du VIIe siecle, une version ethiopienne du IXe siecle, une version byzantine du XIIIe siecle, une version turque et une version persane; et une branche occidentale qui fut largement developpee sous plusieurs versions latines, puis en langue vulgaire en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie…

Notre texte provient de cette tradition litteraire. Il fut donc marque par de nombreuses influences qu’elles soient litteraires ou religieuses. Ses sources, elles aussi, sont mises en evidence. Il s’agit donc de resumer la recension e en la mettant en parallele avec ses recensions anterieures pour ensuite presenter leurs particularites. I/ Vie d’Alexandre roi de Macedoine Chapitre 1: (b, I, 1-3; l, I, 1-2) Les sages de la Grece presentent la vie d’Alexandre.

Nectenabo[17], qui etait le dernier pharaon d’Egypte[18], et qui exercait des pratiques de divination et de magie, fuit son pays lorsqu’il decouvre que l’Egypte est menacee par des invasions exterieures. Il arrive alors en Macedoine, deguise en mendiant. Il occupe ses journees a dresser l’horoscope des personnes qui le lui demandaient. La reine Olympias le fait demander. En effet, soucieuse de ne pas avoir d’enfant, elle risque de se faire repudier par son epoux Philippe, roi de Macedoine. Chapitre 2: (b, I, 4-15; l, I, 3-13)

Nectenabo fait croire a Olympias que les dieux vont s’unir a elle afin de pouvoir s’approcher d’elle la nuit, sous leur forme. Alors que la reine est enceinte, Philippe apprend cette union en songe[19] mais ne la desapprouve pas puisque ses conseilleurs lui affirment que « cet enfant, tu le tiens des dieux ». Chapitre 3: (b, I, 16; l, I, 14) Alexandre grandit. Eleve d’Aristote, il apprend par ses camarades qu’il pourrait egalement etre savant en astronomie en se faisant le disciple de Nectenabo. Olympias y consent mais lors d’une lecon nocturne, Alexandre pousse son maitre dans un ravin.

Sur le point de mourir, Nectenabo lui revele la verite sur sa naissance. Chapitre 4: (b, I, 17; l, I, 17) Alexandre dompte un cheval appele Bucephale qui etait repute pour etre anthropophage. Passant la main par l’ouverture de sa cage, il saisit le cheval par l’oreille et le tire vers lui. Alexandre parvient a monter le cheval, ce qui terrifie tout le monde et les fait fuir. Philippe, lui, admire les talents de son fils. Chapitre 5: (b, I, 18-19; l, I, 18-19) Alexandre apprend qu’une course de char est prevue a Rome et demande a Philippe d’y participer puisque seuls les fils de rois peuvent concourir.

Philippe refuse, Alexandre n’etant age que de huit ans, avant de ceder. Alexandre affronte Laomedon, Callisthene et Nicolas et en sort vainqueur. Chapitre 6: (b, I, 20-22; l, I, 20-22) Alexandre, rentre de la course de char, apprend que Philippe a repudie Olympias. Un conflit eclate entre Alexandre et Philippe. Philippe sort son epee pour le tuer. Alexandre cogne les invites contre les murs et les precipite du haut du palais. Il contraint ensuite Cleopatre, la futur femme de Philippe, a prendre la fuite. Olympias peut alors rentrer au palais.

Philippe se trouve, lui, dans un etat critique: ivre mort, il tomba a terre en voulant s’opposer a son fils. Alexandre revient le voir un peu plus tard pour les reconcilier. Chapitre 7: (b, I, 23; l, I, 23) Les Scythes prennent les armes pour faire la guerre a la Macedoine. A cette nouvelle, Philippe passe en revue son armee. Philippe est desempare car il n’a pas de forces suffisantes pour resister a l’ennemi. Aristote lui propose de confier cette guerre a Alexandre. Alexandre part alors avec trente mille jeunes gens. « A tous ceux qui encerclaient les Scythes, il commanda d’allumer une trentaine de feux, ou plus encore.

Cela fait, lorsque les Scythes virent le nombre inimaginable des foyers, ils deciderent de prendre la fuite a la faveur de la nuit et de sauver leur vie en quittant les lieux. Aussitot, abandonnant tout leur equipement, ils se mirent a fuir. [20] » Chapitre 8: (b, I, 24; l, I, 24) Anaxarque[21] tombe amoureux d’Olympias. Il est heberge chez Philippe afin d’offrir son alliance contre les Scythes et d’enlever Olympias. Philippe et Olympias vont au devant d’Alexandre pour le feliciter. C’est a ce moment qu’Anaxarque enleve Olympias. Philippe le poursuit mais il n’a avec lui qu’une petite armee.

Quand Alexandre l’apprend, il se met a les pourchasser et rattrape Anaxarque. Il tue alors tous ses ennemis sauf Anaxarque qu’il place enchaine face a Philippe, qui d’ailleurs a ete blesse a la poitrine et est tombe d’un cheval. Philippe peut alors utiliser ses dernieres forces pour l’egorger avec son epee puis rend l’ame. Chapitre 9: (b, I, 25, l, I, 25-26) Alexandre est proclame roi de Macedoine. Suit alors un discours aux anciens qui se sentent trop vieux et trop faibles pour suivre Alexandre. Celui-ci parvient a les persuader. Chapitre 10-11: (b, I, 23 et 26)

Darius envoie des messagers charges de recevoir le tribut verse annuellement de l’orient en Macedoine. Alexandre refuse et envoie Antiochos qui lui ressemblait et le fait accompagner. Antiochos demande aux Perses de se prosterner devant Alexandre[22]. Ceux-ci acceptent. Alexandre refuse devant eux de payer le tribut et les previent qu’ils peuvent se preparer a la guerre. Ensuite, il execute une marche contre Thessalonique et affronte Polycrate. Celui-ci lui envoie de nombreux presents ainsi que son seul fils, Charmide, en signe de soumission totale et de paix.

Chapitre 12-13: (b, I, 27; l, I, 27) Alexandre marche contre les Lacedemoniens. Il y a alors une reunion des chefs de cite a Athenes et des douze orateurs. Alexandre rase Thebes. Puis, il fait route vers Rome. Il y retrouve Laomedon qui lui offre beaucoup de presents. Qui plus est, il s’allie a lui pour combattre Darius. Ensuite, il traverse toute la terre habitee et inhabitee et arrive jusqu’a l’ocean. Il rencontre des hommes bicephales, des femmes hideuses, extremement grandes, plus difficiles a combattre que tous les adversaires dont ils etaient deja venus a bout.

Ces femmes, quand elles couraient, mettaient leurs seins sur leurs epaules, l’epaisseur de leurs poils leur servait de vetement et elles etaient capables de voler. Mais Alexandre ordonne a ses hommes d’allumer des torches et de les tenir a bout de bras. Ils brulent leurs ailes et les tuent a coup d’epee. De la, ne pouvant aller plus loin, parce que l’ocean leur barrait le passage, ils prennent la rive gauche de l’ocean et, apres avoir parcouru les terres du nord, ils regagnent le monde habite. Alexandre livre alors de tres nombreux combats contre les barbares et soumet tout l’occident.

Chapitre 14: (b, I, 28 et 35; l, I, 28) Alexandre rentre en Macedoine pour preparer son expedition pour l’Asie. Il franchit l’Hellespont et se rend au Granique. Des satrapes de Darius en avaient la garde. Une violente bataille est alors remportee par Alexandre. Puis, il se rend maitre de l’Ionie, de la Carie, de la Lydie, de la Phrygie, de la Lycie et de la Pamphylie. Chapitre 15: (b, I, 36-38 et 41; l, I, 36-41) Darius lui envoie une lettre accompagnee d’un fouet, d’une corde et d’une toupie pour amuser Alexandre ainsi que deux cassettes pour lui envoyer le tribut.

Alexandre refuse en disant qu’il a prit le fouet pour mettre les Barbares a mal de ses lances et de ses armes afin de les reduire en esclavages de ses propres mains. Avec la balle, il lui a indique qu’il dominerait le monde et avec la cassette, que c’est lui-meme qui lui versera un tribut. Il lui explique que ce sont de tres bons presages pour lui. C’est alors la bataille d’Issos: Alexandre part au devant de Darius. Le roi est vaincu. Il abandonne son char et fuit. Alexandre capture sa femme, sa fille et sa mere. Chapitre 16: (B, II, 13-15; l, II, 14-15) Alexandre arrive en Perse.

Il reve d’Ammon qui lui dit que s’il envoie un messager a Darius, il le trahira. Alexandre decida alors de se rendre aupres du roi achemenide deguise. Et, alors qu’il est invite au diner de Darius, Candaule le reconnait, car il l’avait deja rencontre lorsqu’il avait ete envoye pour percevoir le tribut. Alexandre parvient a s ‘echapper. Chapitre 17: (b, II, 11-12 et 16-17) Alexandre ecrit a Poros, le roi des Indiens pour le solliciter et il l’informe par la meme occasion du traitement qu’il a inflige aux Perses. Chapitre 18: (b, II, 20: l, II, 19-20) Les satrapes de Darius tuent leur roi.

Alexandre retrouve son cadavre et part a la poursuite de ses meurtriers. Il parvient a le venger en chatiant les responsables de sa mort. Chapitre 19: (b, II, 22; l, II, 22) Alexandre ecrit a la famille de Darius. Chapitre 20: Alexandre execute une marche vers l’Egypte et arrive a Jerusalem. Les Juifs envoient des espions qui pretendent etre des ambassadeurs. Alexandre comprit leur ruse et demanda a des membres de son armee de se jeter dans un ravin, ordre que chacun s’empressa d’executer puisque les troupes macedoniennes faisaient tout ce que le roi ordonnait.

Alors Alexandre s’adressant aux espions leur dit: « Vous voyez, ambassadeurs du peuple juif, comment la mort ne compte pour rien aux yeux de l’armee macedonienne. Retirez-vous donc et menagez votre interet. Pour ma part, je vous attaquerai demain, et j’agirai comme il plaira a la Providence[23]. » Les Juifs deciderent de ceder a Alexandre. Les pretres se presenterent a lui, escortes par le peuple, vetus d’une tenue sacerdotale, ce qui surprit Alexandre mais le convainquit surtout de la veneration qu’ils portaient a leur dieu unique. Alexandre refusa alors leurs presents et leur fit la promesse de ne pas marcher contre eux.

Chapitre 21: Alexandre arrive en Egypte apres avoir traverse la Judee. Il tombe malade apres s’etre baigne dans un lac alors que l’eau etait fraiche. Soupconneux et refusant sa domination, les Egyptiens manigancent un complot mortel: ils demandent a un medecin, Philippe, de lui administrer un poison mortel au lieu d’un remede. Son refus ne les arrete pas. Ils font parvenir a Alexandre une lettre dans laquelle ils denoncent le medecin. Alexandre, craintif, accorde tout de meme sa confiance au medecin honnete et loyal. Chapitre 22: Alexandre, retabli, se prepare au combat.

L’armee d’Alexandre attaque violemment les Egyptiens qui se rendent au sanctuaire d’Apollon pour savoir comment echapper au danger. L’oracle leur recommande de se soumettre a Alexandre. Les Egyptiens comprennent qu’il etait le fils de Nectenabo et l’acclament. Chapitre 23: (l, I, 34) Les Egyptiens se jettent aux pieds d’Alexandre et se rendent avec lui au palais de Nectenabo, heureux d’avoir trouve le digne successeur de leur pharaon. Alexandre refuse d’etre considere comme le fils de Nectenabo. Il revendique sa filiation avec Philippe et avec les dieux. Chapitre 24: (l, I, 32)

Alexandre entreprend des travaux de construction dans la ville: colonnes, remparts fortifies par de hautes tours, statues de Seleucos, d’Antiochos et du medecin Philippe. Alexandre monte alors en haut d’une tour et declare qu’il n’existe qu’un seul dieu veritable. Puis, il institue Seleucos chef des Perses, et donne a Philippe le commandement de l’Egypte. Chapitre 25: Apres avoir occupe toute la terre eclairee par le soleil, il ne lui restait plus de terre a occuper. Alexandre decida alors de partir decouvrir le monde inhabite. Au bout de dix jours, ils rencontrent des femmes sauvages anthropophages.

Alexandre fait lacher des chiens pour les faire fuir et les devorer. Ensuite, ils sont surpris par des fourmis qui sortaient d’un sol sablonneux pour ravir les hommes et les chevaux. Alexandre pense a allumer un feu pour s’en proteger. Puis, ils atteignent un fleuve immense « dont la largeur representait trois jours de marche [24]». L’eau du fleuve s’asseche. Alexandre lance des coffres remplis de pierre pour etre sur de ne pas s’enliser. Il fait alors construire un pont et le traverse avec son armee au bout de soixante-six jours. Chapitre 26: (l, II, 36) Alexandre rencontre des hommes-nains.

Ensuite au bord d’un immense lac, il permet a ses troupes de se reposer. Chapitre 27: La statue de Sesonchosis avait ete erigee au bord de ce lac. Sur sa stele, une inscription indiquait qu’il n’avait pu aller plus loin et que la prochaine personne a aller aussi loin que lui ne pourrait avancer davantage. Alexandre mit son vetement sur la statue de Sesonchosis pour l’honorer autant que pour cacher son inscription qui aurait apeure ses troupes. Chapitre 28: Les macedoniens rencontrent des hommes sauvages, nus et anthropophages. L’armee craint de ne pouvoir avancer plus loin ais Alexandre ordonne de poursuivre la route. Chapitre 29: Alexandre parvient au palais de Semiramis, inhabite. Puis, reprenant sa marche, il rencontre des hommes a six bras et a six jambes, nus qui s’enfuirent a la vue du feu que les troupes avaient allume. Ensuite, il croise des cynocephales, des hommes a tete de chien qui, eux aussi, prirent la fuite a la vue du feu. Arrives pres de la mer, il jette un cheval mort a la mer mais un crabe geant en ressorti pour le devorer. Puis, afin de pouvoir traverser, Alexandre ordonne d’allumer un feu qui fait fuir tous les animaux marins.

Chapitre 30: (b, III, 6) Alexandre apercoit une ile. Son ami Philon lui propose d’y aller en premier, considerant que sa vie etait moins importante que celle du roi. Des hommes semblables a eux mais nus et qui parlaient le grec vivaient sur cette ile. Chapitre 31: Alexandre arrive sur l’ile des Gymnosophistes et traite avec eux, sous la forme d’un interrogatoire, de la vie et de l’immortalite. Chapitre 32: (b, II, 37 et 39-40; l, II, 38) Alexandre continue son expedition en terres inconnues et au bout de dix jours de voyage, la lumiere du jour disparut completement.

Il arrive alors au bord d’un ravin sur lequel Alexandre fait edifier un arc. Alexandre entre alors dans le pays des tenebres. Le cuisinier prit un poisson afin de preparer un repas au roi mais en le plongeant dans l’eau, le poisson reprit vie. Le cuisinier ne parla de cette aventure a personne. Alexandre rencontre ensuite des oiseaux anthropomorphes. Chapitre 33: Alexandre arrive a un lac. Un poisson bondit hors de l’eau. Alexandre demanda a ce qu’on le peche afin d’ouvrir ses entrailles dans lesquelles ils trouvent une pierre precieuse.

Pendant la nuit, des Sirenes sortent du lac en chantant. Le lendemain, les troupes macedoniennes croisent sur leur chemin des animaux a figure humaine et des hommes-centaures. Chapitre 34: (l, II, 23-41) Alexandre atteint le monde habite apres soixante jours de marche. Alexandre redige une lettre a sa mere en resumant les peripeties qui lui sont arrivees. Ensuite, il ecrit a son maitre Aristote. Chapitre 35: (l, III, 1) Les troupes macedoniennes marchent ensuite contre les Indiens. Alexandre va consulter un oracle d’Apollon qui lui annonce sa mort.

Alexandre est tres afflige, quitte les lieux et rencontre des petits hommes unijambistes. Chapitre 36: (b, III, 1-3) Le roi des Indiens, Poros, envoie une lettre a Alexandre lui ordonnant de s’en retourner en Macedoine. Alexandre lui repond en lui assurant qu’il tombera a son pouvoir. Alexandre affronte les Perses qui sont accompagnes de betes sauvages et d’elephants. Les macedoniens perdirent tout courage et deciderent de livrer leur roi a Poros. Philon avertit Alexandre qui entame un discours d’exhortation, en larmes, a son armee pour les motiver. Chapitre 37: (b, III, 4; l, III, 4)

Alexandre affronte les Indiens qui sont accompagnes de betes sauvages et d’elephants. Les Macedoniens perdent tout courage et decident de livrer leur roi a Poros mais Philon avertit Alexandre qui entame un discours d’exhortation, en larmes, a son armee, pour les motiver. Le Conquerant et ses troupes deciderent de lancer des petits porcelets devant les elephants pour les surprendre. Alexandre parvint a approcher Poros lors de la bataille et le tue d’un coup d’epee. Il lui reserve alors des funerailles royales. Chapitre 38: (b, III, 17 et 26; l, III, 25-26)

Alexandre entreprend de repartir pour les regions du nord ou Poros exercait sa royaute. Il consulte un oracle qui lui predit qu’il mourra a Babylone « Tu periras de la main des tiens, et tu ne pourras pas revenir aupres de ta mere Olympias[25] ». Alexandre quitte l’Inde, afflige. Les Amazones viennent au devant de lui munies de presents marquant leur soumission. Chapitre 39: (b, III, 27) Alexandre entame une guerre contre Eurymithres, le roi des Belsyres parce qu’il ne s’etait pas soumis a la puissance macedonienne. Alexandre les prend a revers et pourchasse le reste de l’armee.

Il parvient au bout de cent jours jusqu’a deux grandes montagnes, a l’entree du monde inconnu, appelees les Mamelles du Nord. Alexandre decide de s’arreter et voit les montagnes se rapprocher entre elles. Il y fait alors edifier des portes de bronze induites d’asiketon. «  Voici quelle est la nature de l’asiketon: il ne peut etre ni consume par le feu ni entame par le fer ». Il fait planter ensuite des ronces pour recouvrir ces montagnes et y enferme vingt-deux rois avec les peuples qui leur etaient soumis. Chapitre 40: (b, III, 19; l, III, 18-20)

Alexandre adresse une lettre a la reine Candace afin qu’elle lui envoie des presents, puisqu’elle a exerce son pouvoir sur l’Egypte. Candace lui repond poliment et lui demande de lui envoyer quelqu’un. Alexandre envoie l’Egyptien Cleomene receptionner les presents de Candace. Celle-ci demande a un peintre grec d’aller faire le portrait d’Alexandre et le garde en un lieu secret. Quelques jours plus tard, l’armee d’Alexandre saisit Candaule, le fils de Candace, qui fuyait la domination d’Alexandre. Auparavant, le tyran Evagride s’etait empare de la femme de Candaule et avait tue la plupart de ses soldats.

Alexandre echange son titre de roi avec Antiochos pour interroger Candaule. Ils decident d’entrer en guerre contre Evagride afin de rendre a Candaule sa femme. Chapitre 41: (b, III, 20; l, III, 20) Alexandre demande a Evagride de se soumettre. Celui-ci refuse apres qu’un espion lui eut confirme que les troupes d’Alexandre etaient peu nombreuses. Au moment de la bataille, Evagride apercoit une foule innombrable qui se tenait cachee en embuscade et prefere alors se donner la mort d’un coup d’epee, redoutant la domination d’Alexandre. Candaule, ravi d’avoir etrouve sa femme, demande a Alexandre de l’accompagner chez sa mere afin d’etre remercie a sa juste valeur. Chapitre 42: (b, III, 21 et 24; l, III, 21 et 24) Avant d’ arriver au royaume de Candace, a Amastris. Alexandre entre dans la grotte des dieux. Candaule lui avait explique qu’en y penetrant, il y connaitrait le sort que les dieux lui ont reserve. Chapitre 43: (b, III, 22-23; l, III, 22-23) Candace reconnait Alexandre grace au portrait que son peintre avait fait de lui mais n’est fachee en aucune maniere puisqu’il a sauve la femme de son fils.

Elle lui promet de nombreux presents. Alexandre part alors retrouver son armee. Chapitre 44: (b, III, 32; l, III, 31) Alexandre rentre en Macedoine en festoyant. Un esclave perfide « ? d »lioj doaloj » cherche comment attenter a sa vie. Finalement, il verse un poison dans la coupe d’Alexandre qui la boit lors d’un banquet. Les premiers signes du poison se font sentir immediatement. L’univers entier meme reagit a ce sacrilege « Et a cet instant-meme, l’air se noircit, et les etoiles, comme si elles ne supportaient pas de voir ce qui s’etait passe, affaiblirent leur eclat. 26]» Chapitre 45: (b, III, 33; l, III, 30) Alexandre, comprenant que sa vie allait s’achever, ecrit une lettre a sa mere lui resumant ses dernieres expeditions avant de lui faire ses adieux. Chapitre 46: (b, III, 33-35; l, 34-35) Charmide se presente au chevet d’Alexandre ainsi que l’ensemble des Macedoniens. Bucephale entre alors et punit le coupable, present, en l’ecrasant au sol. A la vue de ce chatiment, Alexandre rend son dernier souffle. Il est ensuite enseveli en Alexandrie d’Egypte. II/ Particularites des recensions anterieures a e.

Avant d’etudier les innovations de notre recension, il s’avere interessant de rechercher les similitudes avec les autres recensions et leurs particularites. Comme nous avons pu le voir dans notre resume du Roman d’Alexandre, notre texte est posterieur aux recensions a, b, et l. Or, chacune de ses versions possede ses propres caracteristiques qui ont ete conservees, le plus souvent, dans e. En effet, chaque siecle a laisse son empreinte sur le pseudo-Callisthene. Chaque peuple qui s’en est empare n’a pas manque de l’approprier a sa culture et a sa religion. 1. 1 La recension a : La recension a est la plus ancienne.

On la date du IIIe siecle de notre ere. Elle s’accorde avec Diodore, Quinte-Curce et Justin, les 3 representants de la Vulgate, ainsi qu’avec Plutarque et Arrien et se rapproche des Res gestae Alexandri Magni de Julius Valerius, qui aurait vecu vers 330 apres J-C. Elle est ecrite en prosimetre. Cette oeuvre reprend les traditions egyptiennes. En effet, le mythe de la conception d’Alexandre par Nectenabo/Ammon est present ainsi que la fondation d’Alexandrie. En fait, les Egyptiens ont imagine une liaison adultere entre Olympias et Nectenabo qui fit d’Alexandre un des souverains legitimes de l’Egypte.

C’est a l’Egypte qu’est rapportee la gloire d’Alexandre: les vaincus revendiquent le vainqueur, et lui donnent pour pere un de leurs rois, Nectenabo. La fondation d’Alexandrie, elle, est entouree de circonstances merveilleuses. Predite par un oracle d’Ammon, Sesonchis apparait a Alexandre et lui annonce la future grandeur de cette ville. Ensuite, on note la mention d’elements magiques et astrologiques : toutes choses qui donnent au roman une coloration tres « egypto-centrique [27]». Ces references evoquent surtout l’essor de la science grecque a l’epoque Alexandrine, dont le principal foyer fut Alexandrie.

Selon Armand Abel[28], cette version serait finalement une revendication des Alexandrins a travers le chant de gloire universelle que represente le Roman. Le texte insiste egalement sur la jeunesse d’Alexandre [29]. En effet, l’auteur insiste qu’ Alexandre n’est qu’un enfant lorsqu’il recoit la royaute de son pere. Et le jeune age d’Alexandre apparait lors de ses expeditions. Le merveilleux est egalement present avec des histoires imaginaires qui prennent place: celle de la baleine dont on prend le dos pour une ile; la description de la terre de la nuit; la description des bambous, de la foret tropicale et de sa faune.

On releve egalement la mention de chiens volants (cynoperdices), de vampires (nycterides) et du Jardin de la Lune et du Soleil dans la ville de Prasicia dans lequel se trouvent des arbres vetus de peaux comme des hommes qui prononcent des oracles et annoncent la mort d’Alexandre. 1. 2 La recension b: La recension ? , serait plutot une reecriture grecque de ce modele egyptionnisant avec les dates du calendrier romain et non egyptien. Elle attenue le caractere egyptien de l’oeuvre au profit de l’hellenisme tout en la simplifiant. Le texte est plus clair, plus populaire avec des accumulations de petites phrases.

De surcroit, l’une de ses particularites est l’omnipresence du merveilleux, du fabuleux. C’est ainsi qu’apres le recit du mariage d’Alexandre et de Roxane, une lettre d’Olympias est intercalee afin de decrire toutes les merveilles que le roi avait vues dans les regions extremes de l’orient. On note le besoin d’accumuler des recits etonnants. Enfin, cette recension est emplie d’influences religieuses: des elements chretiens apparaissent : on peut ainsi noter une formule de phraseologie en usage chez les chretiens : « il s’endort d’un sommeil eternel » au lieu de « fermer les yeux ».

Cependant, les Juifs hellenistes firent de nombreux efforts pour combattre les preventions dont le peuple hebreu faisait l’objet dans le monde grec. En effet, cette recension insere l’entree d’Alexandre a Jerusalem. Lors de sa visite au temple, on le voit s’agenouiller devant la statue de Jehova avant de dire : « Allez en paix, vous etes les pretres du vrai Dieu, et votre Dieu sera le mien ». Cette proclamation d’un seul vrai Dieu, invisible, incorporel, apparait ici comme une innovation. Toutefois, cela n’empechera pas l’auteur de conserver quelques traits egyptiens dans son oeuvre et de conserver la parite entre Alexandre et Ammon.

Enfin, elle comporte egalement l’expose relatif aux peuples impurs, situes au dela du Caucase, que le conquerant separa de la terre des hommes par une muraille de fer[30]. 1. 3 La recension l: La recension ? qui serait derivee de ? apporte des innovations narratives : le merveilleux est toujours omnipresent. Les Byzantins montrent ici la puissance du conquerant qui ne connait pas de limite, notamment en le faisant monter au ciel, porte par deux aigles. D’autre part, l’auteur fait de nombreux paralleles avec l’Apocalypse de Jean et les Revelations du Pseudo-Methode[31] avec des sentences sapientielles.

Pseudo-Callisthene s’eloigne ici de la tradition historique : certains episodes sont modifies ou ont ete ajoutes. L’auteur, en effet, en profite pour fouiller les origines et les diverses versions de l’episode de Gog et Magog, enfermes par Alexandre derriere les portes de la Caspienne, que ces nations ne franchiront qu’a la veille de la fin des temps: « Apres que nous l’eussions vaincu, je les ai poursuivi par derriere et je les ai chasse de leur propre terre et je les ai enferme dans la plaine du nord qui n’a pas de fin.

J’ai invoque dieu, souverain du ciel et de la terre pour qu’il vienne a mon secours, et il a ferme leur sortie. Mais aussitot, il reunit les deux Mamelles du nord et a intercepte leur fuite. En cet endroit, moi-meme j’ai fixe des portes enduites d’ asikhtoj et je plantai un buisson de ronces, qu’ils ne pourront pas franchir jusqu’au moment ou le peche se sera repandu sur la terre. Alors, Dieu les conduira pour qu’ils aneantissent tous les vivants. [32] » CONCLUSION Ainsi, certains elements de ces recensions se retrouvent dans e.

Plusieurs episodes, par exemple, sont racontes a la fois dans le texte a et e: l’episode de l’assemblee d’Athenes (e, 12, 1-3), l’histoire de l’ile inconnue que Pheidon, compagnon d’Alexandre va explorer en premier pour proteger le roi (e 30, 2-3; a, III, 17, 3-7) ou la tentative de suicide d’Alexandre (e, 44, 5; a, III, 32, 4-7). La forme du recit est egalement semblable: plusieurs morceaux poetiques sont inseres dans la narration du texte. En effet, ces deux recensions sont des prosimetres. Le texte b, selon C. Jouanno, conserve un parallele avec e dans la description des pays mythiques.

On y releve, entre autres, les femmes nues anthropophages, les hommes sauvages, les crabes geants ou les oiseaux anthropomorphes. Dans l, enfin, c’est l’episode de Gog et Magog qui marque la plus forte ressemblance. Mais on y observe egalement le meme recit pour l’arc bati par Alexandre au pays des tenebres, le portrait d’Alexandre que Candace reclame a un peintre et la rapidite avec laquelle elle reconnait le roi, bien qu’il soit deguise en messager. De cette maniere, notre recension peut etre consideree comme une compilation de toutes ces versions precedentes.

Mais ce sont surtout les influences religieuses qui apportent a cette oeuvre toute son originalite. III/ Les influences religieuses Le Roman d’Alexandre[33] possede la particularite de conserver des traces des caracteres religieux des autres recensions. Bien qu’elle serait une reecriture chretienne d’une version juive pour certains, le redacteur d’ e s’est efforce de conserver les allusions aux autres religions. Ainsi, l’episode qui decrit Alexandre lors de sa marche dans les tenebres, a la recherche de l’eau d’immortalite, se retrouve dans le Talmud de Babylone tout comme dans le Coran. 2. Le Talmud[34] Lors de la redaction de cette recension, les Juifs se sont empares de la figure du heros macedonien pour l’enrichir de nouvelles fables et en faire un heros semitique, defenseur et propagateur de la religion du dieu unique. En effet, les voyages du Conquerant sont exposes dans ce roman. Juste avant son entree en Egypte, Alexandre passa par Jerusalem. Face au scepticisme du peuple juif qui envoya des espions afin de mieux connaitre le roi, Alexandre choisit de les surprendre en leur demontrant le devouement extreme que son armee lui portait en leur ordonnant de se jeter dans un ravin.

Finalement, les Juifs se plierent a la domination d’Alexandre. Lorsque le roi rencontra alors le peuple et les pretres juifs, il fut frappe par leur veneration a leur dieu et par leur religion monotheiste. C’est dans ce contexte que le Pseudo-Callisthene choisit de convertir Alexandre a cette religion. Aucun des historiens du Conquerant ne raconta ce voyage, qui serait donc purement fictif. Pourtant, cette rencontre entre Alexandre et les Juifs s’est inseree dans la tradition litteraire et est egalement presente dans b.

Meme dans la legende syriaque, on releve cet episode: « And Alexander went up and worshipped in Jerusalem. When he died, he gave his royal throne of silver to be in Jerusalem[35] ». D’autre part, Flavius Josephe evoque dans ses Antiquites Judaiques la rencontre d’Alexandre avec le pretre juif qui lui montre le Livre de Daniel [36]: « On lui montra le livre de Daniel, ou il etait annonce qu’un Grec viendrait detruire l’empire des Perses, et le roi, pensant que lui-meme etait par la designe, se rejouit fort et renvoya le peuple. »

Dans le Talmud de Babylone[37], alors, on apprend que les Koutim, une secte qui pratiquait l’idolatrie mais pretendait appartenir au peuple juif, demanderent a Alexandre l’autorisation de detruire le Temple de Jerusalem et que ce dernier la leur accorda. « Lorsque Simon le Juste[38] eut vent de cette terrible catastrophe qui allait s’abattre sur Israel, il se vetit de ses habits de Grand Pretre, se fit accompagner des notables d’Israel qui tenaient en main des flambeaux, et sans aucune arme ils avancerent, dans la penombre, au devant de l’armee d’Alexandre. Alexandre fut alors subjugue par Simon qu’il avait vu en reve precedemment : «Apercevant Simon le Juste, Alexandre le Grand descendit de son char et se prosterna devant lui. Les proches de l’empereur s’etonnerent: «  Un roi aussi puissant que toi se prosterne devant ce Juif? – Lors de mes combats, j’apercois toujours l’image de cet homme qui avance au devant de mes troupes, repondit-il. (… )  Le lendemain, ayant assemble les Juifs, il les invita a demander des faveurs. Le Grand Pretre demanda pour eux la liberte de vivre suivant les lois de leurs peres.

Le roi accorda tout… » Ici, Alexandre manifeste rapidement le souhait de se convertir a la religion juive « Votre dieu sera mon dieu », ( e, 20,4, « ? g¦r qeOj Omin ‘ stai mou qe »j »). Ce changement radical pourrait paraitre deroutant mais finalement, ce devouement pour cette religion ne s’inscrit que dans ce chapitre (20). On peut alors se demander si le redacteur d’e n’a pas voulu apporter a ce texte sa culture de juif hellene. A. Abel[39], considere que le Talmud n’a pas pris son information dans le Roman et qu’il ne l’a pas non plus inspire.

Selon lui, les deux ouvrages ont pris « la matiere dont ils se sont enrichis » dans « ce qui circulait comme recits independants ». Enfin, un certain vocabulaire appartenant a la Septante se degage du paragraphe 4, chapitre 20. En effet, le pretre annonce a Alexandre: « qeOn ? me‹j ‘ na dedouleUkamen, ‘ j ™po…hse tOn oUranon ka? t? n gAn ka? p? nta t¦ ? remena te ka? ? »rata (… ) » que l’on peut traduire par: « Nous, nous servons un dieu unique, qui a cree le ciel et la terre ainsi que toutes les choses visibles et invisibles. » La Genese[40], elle, indique : «  ‘ j ‘ ktisen tOn oUranon ka? ? n gAn ». M. Simon[41] considere la recension e comme la reecriture chretienne d’une version judaisante. Il insiste sur les nombreuses formules du Nouveau Testament presentes dans e. Il met en parallele, par exemple, la formule de benediction qu’ Alexandre adresse aux juifs  « ? pite, ™n e„r»n? » avec celle de l’Evangile de Luc[42] : « poreUou, e„j e„r»nhn. » Puis, il compare la suite du discours d’Alexandre « Ka? e„r»nh mou meq’ Omin » avec les mots prononces par le Christ au moment de prendre conge de ses disciples[43] : «  e„r»nhn t? n ™m? n d…dwmi Om‹n. »

On ne peut alors nier l’influence de la religion judaique sur le Roman d’Alexandre. Cependant, les autres religions n’en sont pas pour le moins evoquees et d’autres influences sont mises en evidence dans differents chapitres. Il s’agit donc maintenant de s’interesser au Pseudo-Methode, dont la presence surprenante merite de soulever quelques interrogations. 2. 2 La legende syriaque Apres avoir fait une guerre contre Eurymithres, le roi des Belsyres, Alexandre pourchasse les peuples du Nord et arrive, au bout de cent jours, dans le Caucase, au pied de deux montagnes.

Il se produisit alors un miracle: les montagnes se rejoignirent, fermant le passage avec des portes de bronze. La poursuite des impies jusqu’au Mamelles du Nord ( dUo MazoYj toa Borr©), explicitement citees dans e[44], est une reference directe aux Revelations du Pseudo-Methode. Nous n’en possedons qu’une readaptation tardive, ou l’on peut deceler la trace d’une structure plus ancienne. Fidele a la tradition danielique, elle s’ouvre par une esquisse historique, qui va d’Adam a Alexandre, et qui apparait par l’edification des portes de Gog et de Magog, comme une sorte de precurseurs des Temps Derniers.

En fait, l’Apocalypse du Pseudo-Methode, autrement appele Revelations, de la fin du VIIe siecle a forme l’imagination eschatologique de la Chretiente pendant le Moyen Age. Il a ete ecrit en langue syriaque en reaction a la conquete islamique du Proche-Orient. Ainsi, on parle de cette Apocalypse comme d’un violent pamphlet anti-musulman. Elle est faussement attribue au Pere de l’eglise du IVeme siecle, Methodius d’Olympus. Il depeint beaucoup de themes eschatologiques chretiens familiers : l’Antechrist, les invasions de Gog et Magog, et les tourments qui precedent la fin du monde.

Faisant leur propre lecture du pseudo-Callisthene, les chretiens d’orient y trouvent a leur tour matiere a exegese. Le syriaque Jacques de Sarudj, dans une homelie metrique datee de 514, insiste tout particulierement sur le voyage au pays des ombres et la construction de la muraille destinee a contenir les assauts de Gog et Magog. Ces deux missions divines sont a ses yeux la marque de la predestination d’Alexandre. C’est par cette curiosite, et mu par le desir de trouver la source de vie, qu’ Alexandre entreprend le voyage au pays des ombres.

Mais par la faute de son cuisinier, il passe a cote de son but. Pieux conquerant, anime par l’annonce de la venue du sauveur, c’est sous une impulsion divine qu’il construit, a grand effort, avec l’aide du roi d’Egypte, et l’appui d’innombrables allies, la fameuse muraille, dont la ruine, avec ses consequences, lui est ensuite annoncee par un ange. Avec Jacques de Sarudj, le conquerant macedonien, devenu personnage apocalyptique et mythique, fait figure deja d’un personnage predestine, investi par Dieu d’une mission de caractere universel.

Et dans la tradition syriaque, la meme charge est devolue a ce heros, desormais soldat du christ, espece de moine guerrier, priant constamment le christ et assiste de lui. Cette version syriaque du pseudo-Callisthene fut suivie d’autres encore: arameenne, copte, georgienne, ethiopienne, indienne et meme malaise. Toutes amplifient les exploits d’un Alexandre surhomme et a la limite du divin. 2. 3 La tradition islamique Au VIIe siecle, ce fut au tour de l’islam d’aborder l’epopee d’Alexandre. En effet, la Surate de la Caverne evoque Gog et Magog ainsi que Dul-Qarnain[45].

Ce dernier, avait un surnom, le « biscornu », qui proviendrait de la representation d’Alexandre avec les cornes d’Ammon sur les monnaies hellenistiques. Cette oeuvre connut le destin mystique le plus caracteristique. On y trouve deux passages se rapportant a la legende, telle qu’elle s’etait ramassee dans l’imagination populaire du debut du VIIe siecle. Le premier passage concerne l’eau d’immortalite dans laquelle un poisson reprit vie. Chez le Pseudo-Callisthene, le cuisinier ne fait pas part de cette aventure a Alexandre.

Or, dans la Surate de la Caverne, c’est Moise le protagoniste[46], face a un disciple, qui n’est finalement la que pour jouer un role evoquant le souvenir du cuisinier d’Alexandre: «  Verset 60: Et quand ils furent parvenus, tous deux, au lieu qui en fait la jonction, ils oublierent leur poisson, et celui-ci se fraya, par un canal, son chemin dans la mer. Verset 61: Lorsqu’ils eurent depasse ces lieux, (Moise) dit a son disciple: « voici qu’est venue l’heure de notre premier repas. Nous avons atteint ici la limite de notre voyage. »

Verset 62: Il dit: « As-tu vu que lorsque nous nous sommes abrites sous le rocher, j’ai oublie le poisson; ce n’est peut-etre que le Shaitan[47] qui m’a fait oublier d’y penser. Il s’est fraye un chemin dans la mer, chose etonnante. »[48] Le deuxieme passage, dont les points communs avec notre recension peuvent sembler frappants, apparait, du verset 93 au verset 98, au moment ou les judeos-chretiens viennent voir le Prophete pour lui poser des questions insidieuses: «  Verset 93: Et ils lui dirent: « O, Dhu’l Qarnayn, voila que Gog et Magog mettent la corruption sur la terre.

Te donnerons-nous un moyen d’elever, entre eux et nous, un obstacle? » Verset 94: Il repondit: « Mieux vaut le moyen que m’a donne mon Seigneur. Aidez-moi a force de bras, et je dresserai un obstacle entre vous et eux. Verset 95: Apportez -moi des lingots de fer. » Et quand ils furent parvenus au niveau des montagnes, il dit: « Soufflez ». Et quand ils en eurent fait du feu, il dit : « Apportez-mois du cuivre pour le verser ». Verset 96: « Et les peuples impurs n’y toucheront jamais, pour l’escalader, et ils n’y feront jamais de trou. »

Verset 97: Il dit: « Ceci est une marque de la bienveillance de mon Seigneur, et quand sera venue la promesse de mon Seigneur, il fera de cet obstacle un passage et la promesse de mon Seigneur se verifiera. » Verset 98: Et nous les laisserons, ce jour-la, se meler aux autres comme des flots. Et ton souffle passera sur la muraille, et nous les melerons tous… »[49] CONCLUSION Au VIe siecle, nous pouvons ainsi nous representer la legende d’Alexandre portee dans le proche orient (Egypte, Syrie, Mesopotamie, Asie-Mineure) par une triple radition: la tradition grecque avec les recensions du pseudo-Callisthene, la tradition syriaque, representee par saint Ephrem, Jacques de Sarudj et une tradition orale, ne retenant que les faits merveilleux et edifiants, dont les recits, extremement libres en face des autres traditions, que nous trouvons dans les Talmuds, nous conservent un des aspects. Le Roman d’Alexandre est donc indeniablement riche en references culturelles, historiques et litteraires[50]. Une etude sur la narration s’impose. A quel type de recit avons-nous affaire alors?

Bien que ce soit un roman, selon son appellation, quel role Alexandre joue-t-il ici? Le chapitre que nous venons de traiter nous a demontre comment Alexandre a pu devenir l’embleme de certaines religions. Quelle image le Conquerant incarne-t-il donc dans notre recension? Chapitre II: Etude sur la narration I/ Un recit prosimetre Notre roman est un prosimetre, c’est-a-dire qu’il alterne prose et poesie dans sa composition. En effet, certains passages versifies sont inseres dans le recit. Il s’avere alors interessant de s’interroger sur leur presence a des endroits precis.

D’ailleurs, quel est leur but et leur impact sur le roman? Il s’agit donc d’abord de s’interesser a leurs occurrences pour ensuite analyser en detail leur contenu. 1. 1 Repartition des vers Cette recension contient 49 vers repartis dans le recit selon le tableau recapitulatif suivant: |CHAPITRE |PARAGRAPHE |NOMBRE DE VERS | |Chapitre 1 |§ 3 |3 vers | |Chapitre 1 |§ 5 |3 vers | Chapitre 5 |§ 7 |11 vers | |Chapitre 14 |§ 6 |4 vers | |Chapitre 27 |§ 3 |2 vers | |Chapitre 36 |§ 5 |7 vers | |Chapitre 37 |§ 4 |3 vers | Chapitre 39 |§ 3 |1 vers | |Chapitre 46 |§ 2 |7 vers | |Chapitre 46 |§ 3 |8 vers | OCCURENCES DES PASSAGES VERSIFIES Ce tableau nous permet de constater que les passages versifies sont inseres inegalement dans le recit. Bien u’ils soient presents du premier au dernier chapitre inclus, le debut du roman recouvre quelques vers que l’on retrouve dans de rares chapitres au coeur de l’oeuvre. Puis, finalement, on retrouve des vers en abondance dans les derniers chapitres. Qui plus est, le nombre de vers alterne. Les passages peuvent contenir de 1 a 11 vers. En moyenne, ce sont de cours passages de 3 vers. Cependant, certains se demarquent (chap. 5, § 7; chap. 36, §5; chap. 46, § 2 et chap. 46, § 3). Leur longueur est-elle liee a leur importance? Il s’agit donc de chercher une justification dans la deuxieme partie. 2. 2 Analyse du contenu

Chapitre 1, § 3 « Un heros ne doit pas dormir la nuit entiere, Alors qu’il est de ceux qui ont voix au Conseil Que tant d’hommes lui dont commis et tant de soins reserves. [51]» Ce passage est tire de l’Iliade, chant II, v. 24-25. Le dieu du Sommeil adresse exactement les memes paroles a Agamemnon. Ici, ce sont des paroles sages qui sont proferees. Sans doute l’auteur a-t-il souhaite les inserer afin de montrer la prudence de Nectenabo. De plus, en inserant un extrait de l’Iliade des le debut de l’oeuvre, il temoigne de sa culture hellenique et pose les jalons de l’epopee qu’il tente d’imiter[52].

Chapitre 1, § 5 « Moi je predis que Nectenabo est en terre de Macedoine. Il s’en est alle a un age venerable mais il reviendra plus jeune. Partez, c’est le sort fixe par le destin. [53] » Ce passage est discutable. L’editeur a mis en page cet extrait de maniere a ce que l’on pense a des vers. Le texte pourrait evoquer un passage de l’Iliade mais la reference est fausse: aucun vers comme celui-ci n’est present chez Homere. Chapitre 5, § 7 « Glorifie-toi Philippe, Rejouis-toi Macedoine L’un d’etre appele le pere d’Alexandre L’autre d’etre appelee sa patrie

Soyez fiers de l’accueillir couronne Vainqueur invincible, grand maitre de la terre Car il a comme un soleil levant illumine Rome Et il a fait palir tous les autres astres Recois le donc, illustre Macedoine Et oppose, grace a lui, resistance a tes ennemis Car Alexandre est maitre de l’univers. » C’est un hymne de louange et de gloire que le peuple chante en l’honneur d’Alexandre suite a sa victoire lors de la course de char. Ici, il est question de magnifier Alexandre et de preparer le lecteur a ses expeditions futures[54] .

On distingue manifestement un rapport entre la victoire hippique d’Alexandre et sa destinee de futur monarque du monde entier, en echo au lien qui unit l’ideologie imperiale et l’hippodrome a Byzance. [55] En effet, les victoires remportees par les henioques etaient dediees au souverain, qui devait participer symboliquement au triomphe du cocher[56]. Le rituel des courses avait pour but d’exalter la puissance de l’empereur. D’ailleurs, le lien entre l’hippodrome et le pouvoir imperial etait evident a Constantinople puisque l’hippodrome etait directement contigu au palais. Chapitre 14, § 7 Je verse des offrandes car j’ai ete engendre comme toi. Car toi, tu as ete enfante par Zeus et Thetis Et moi je l’ai ete par Olympias et Zeus. Alors nous, nous sommes comme deux freres. [57] » Alexandre s’adresse ici a Achille, son heros pour lequel il temoigne une tres forte admiration. Arrive a Ilion, il compare ses parents avec ceux d’Achille. La religion monotheiste evoquee dans le deuxieme chapitre n’est pas encore presente ici. Alexandre imite le style d’Homere, comme si les Muses lui insufflaient des mots homeriques et l’inspiraient. Un bel oxymore, d’ailleurs, lui permet de mettre en evidence leur lieu de parente « ™k DiOj ».

En fait, l’auteur a sans doute souhaite montrer la frenesie que ressentit Alexandre qui, dans la legende seulement, se rendit a Troie. Chapitre 27, § 3 « Si tu vas la-bas, Alexandre, Tu trouveras un autre monde plus important mais d’ou tu ne reviendras pas. » Un oracle fait cette prediction a Alexandre. Cette recension conserve de nombreux passages restituant les paroles emises dans les sanctuaires oraculaires. Ici, le Conquerant apprend sa mort prochaine. La parole est breve. Les phrases sont courtes afin que la rapidite de l’enonciation apporte un sentiment brutal a l’evenement.

Un effet de surprise se produit alors pour le lecteur qui ne pensait pas y voir une revelation si lugubre. Chapitre 32, § 5 « ›kastoj ‘ BoUloito tin ide ? r? tw, k? n te l…qon ? ka? phlOn ? ka? xUlon. [58] » Ici, Alexandre s’adresse a l’ensemble de son armee. Le passage versifie est sans doute du a l’atmosphere solennelle que le redacteur a voulu instaurer. Alexandre est dans l’injonction pressante avec l’imperatif aoriste employe. Le discours est concis mais clair, lui permettant de toucher chacun de ses soldats. Chapitre 36, § 5 « O »de g¦r ka? d? kruon kard…an kl…nein ka? metastrsfein yuc? n tin ? ampswn, ka? fUsin ™kqrasanai t? n deilanqe‹san, ka? prOj eUtolmon gnemhn ? ntisked? sai. ?n ka? m? lista fil…aj mn»mhn ‘ con, oUd? n „scur »teron tin [ ™nant…wn] prOj ? ntipar? taxin tin polem…wn. [59]» Ce passage versifie suit l’episode de la sedition des Macedoniens. En effet, les Macedoniens, effrayes par la redoutable armee de Poros, voulurent livrer Alexandre au roi perse afin d’obtenir la vie sauve. Philon apprend au Conquerant le complot et Alexandre fait ce discours a ses troupes. Ce discours est base sur l’emotion. Il doit suffisamment toucher les troupes pour faire naitre la pitie chez eux.

Toute la beaute de l’ame d’Alexandre est ici mise en valeur. Son discours d’exhortation a une valeur argumentative. En fait, il remet sa vie entre leurs mains, preferant mourir de leurs faits plutot que de les voir courber le cou sous le joug ennemi. Il doit persuader son armee de reprendre le combat avec autant de vaillance que precedemment et ne pas se laisser impressionner par les troupes perses. L’intertextualite avec Achille Tatius est alors evidente: c’est un veritable echo a un passage des Aventures de Leucippe et Clitophon avec le pouvoir des larmes[60].

Cette volonte de representer les sentiments et les emotions temoignent d’une coloration romanesque du recit. Au-dela de raconter les peripeties d’Alexandre et ses expeditions, l’auteur a ici voulu montrer l’homme qu’il etait, avec ses peurs et ses craintes. Chapitre 37, §4 « Lorsque la necessite et la contrainte nous atteignent Sans que nous connaissions pourtant le terme de notre vie Nous inventons bien des discours pour ne pas mourir [61] » Ici, le roi fait un distique, « dist…cion ». Alexandre accorde son pardon aux Macedoniens apres leur complot et leur tentative de trahison.

Or, il fait meme preuve d’une extreme bonte en leur adressant un distique reconfortant pour alleger leurs remords. On peut parler ici de filanqrwp…a, de generosite de la part d’Alexandre. Chapitre 39, §3 « ‘Epsbh m? n ? j lswn, ? ntsbh d? ?j ‘ lafoj. [62] » Bien que presente comme un « `OmhrikOn •htOn », ce vers est une fausse reference a Homere. En effet, le vers en question ne figure nulle part chez Homere. Cependant, elle temoigne une fois de plus du gout du redacteur pour la poesie homerique et ce pastiche parait assez credible. Cette formule intervient dans le recit de la guerre contre Eurymithres, le tyran des Bersiles.

En fait, les troupes ennemies ont ete effrayees face a l’armee macedonienne et se sont enfuies. Alexandre, qui avait prepare son expedition, est donc considere ici comme un homme vaillant qui ne craignait pas la defaite, qui est parti « comme un lion », mais qui a pu revenir « comme un cerf » c’est-a-dire en vainqueur. D’ailleurs le choix des animaux dans cette pseudo-citation revele la precision du redacteur. Minutieux, il choisit exactement ses mots pour symboliser une idee. Le lion et le cerf sont tous deux des animaux qui representent la noblesse.

Ils sont tous les deux rois de leur environnement, que ce soit de la jungle ou de la foret. Le fait qu’ Alexandre affronte une troupe ennemie en etant deja roi d’un empire et qu’il revient doublement couronne, demontre bien l’immensite du royaume d’Alexandre. Il n’est plus l’image du lion ou du cerf, il est les deux a la fois. Chapitre 46, § 2 « Toi aussi, comme de juste, tu es malheureux car comme un autre Pegase, tu as perdu un autre Bellerophon. En effet parmi les chevaux tu as ete superieur a Pegase tout comme Alexandre a ete superieur a Bellerophon. Helas, qui recevras-tu comme cavalier a sa place?

Mais quel serait celui qui pourrait voir une telle chose: Bucephale portant un autre cavalier? » Ces paroles funestes sont celles de Charmide qu’il adresse a Bucephale. Elles temoignent de l’emotion generale ressentie dans cet ultime chapitre. Charmide eleve ici ses plaintes et s’apitoie sur le sort du cheval bientot prive de son maitre. La tonalite pathetique est mise en evidence avec les questions rhetoriques qui abondent, l’interpellation au cheval qui, par nature, est depourvu de parole, et avec les references a la mythologie. En effet, Charmide evoque ici Pegase et Bellerophon.

Pegase, etait un cheval merveilleux alors que Bellerophon, etait un mortel, bien que fils de Poseidon. Il s’appropria Pegase et put, grace a son cheval, combattre la Chimere, pourtant invincible. Or, Bellerophon se cru digne de prendre place parmi les immortels et voulut, monte sur Pegase, s’elever jusqu’a l’Olympe. Mais le cheval etait dote de sagesse et refusa. Il desarconna son cavalier qui termina ses jours aveugle et estropie a cause de son orgueil. Ainsi, Charmide veut prouver par cet exemple que Bucephale et Alexandre sont aussi lies l’un a l’autre que l’etaient Pegase et Bellerophon.

Ils possedent bien plus de sagesse qu’eux et s’avere donc impensable que Bucephale puisse porter un autre cavalier sur son dos. Chapitre 46, § 3 « Moi qui ai parcouru tout le monde habite, ainsi que la terre inhabitee et tenebreuse, je n’ai pas reussi a echapper au destin. Une coupe amere me livre a la mort, et m’envoie par son poison, prematurement chez les morts. Alors que mon armee me voit contraint a mourir, elle voudrait m’aider mais ne le peut. Je reposerai donc dans l’Hades, enseveli. » Alexandre medite sur la cruaute de son sort. Il resume en quelques phrases ce qu’il a accompli pendant sa vie.

Il trouve justement une sorte d’ironie sur sa mort: il a reussi a faire ce que personne d’autre sur Terre n’avait encore fait, ce qui peut sembler presque sur-humain, et pourtant, Alexandre n’etait qu’un homme, un mortel, et n’a donc pas pu echapper a son destin. De plus, lors de ses expeditions, il pouvait se concerter avec son armee pour trouver une solution mais aupres de son lit, bien qu’elle soit nombreuse et puissante, elle est incapable de sauver le Conquerant. Son amertume se lit quand il evoque sa mort prematuree mais il se voit contraint a se resigner a reposer dans le monde des morts, l’Hades.

Le theme de l’impossibilite et du passe revolu temoignent de la tonalite pathetique de ce passage: l’atmosphere devient lourde, pesante, oppressante: on attend alors le dernier souffle d’Alexandre. CONCLUSION Cette version du Roman d’Alexandre se caracterise ainsi dans sa composition par son alternance entre la prose et la poesie[63]. Leur presence atteste une certaine volonte de magnifier et d’embellir l’image d’Alexandre. L’hymne de louange qui lui est d’ailleurs dedie au chapitre 5 represente parfaitement l’admiration qu’il a pu suscite, en tant que « maitre de l’univers [64]».

Il s’agit donc, en se servant de moyens poetiques, d’insister sur l’importance du role du Conquerant dans le monde qu’il a conquit en etendant la culture hellenique et une koin», une langue grecque commune a tous. Le redacteur d’e, alors, soucieux de souligner le lien mythique entre Alexandre et Achille autant que de montrer sa culture grecque conservee grace a Alexandre cite Homere et quand il ne le peut pas, tente meme de l’imiter. II/ Narration et enonciation 1 2. 1 Le role du narrateur Ce sont les sages de la Grece qui sont a l’origine de ce texte:  » O » sofo? in ‘Ell»nwn, Qein Ontej ? p »gonoi, oUranoa ? stsraj ? riQm»santej, gAj kai Qal? sshj mstra katalab »menoi, ‘ doxen aUto‹j m? lanq? nein oUdsn. fas? g? r: [65] » Les sages hellenes sont donnes pour source de l’histoire de Nectenabo et sont ici loues pour leurs talents d’astronomes, et leur capacite a denombrer les astres et mesurer la terre. Le narrateur s’appuie donc sur les faits qu’il tient de ces savants mais raconte lui-meme l’histoire. Il utilise la troisieme personne du singulier dans son recit au passe. D’autre part, son point de vue est omniscient.

Le narrateur connaissait visiblement l’histoire grace aux sages avant d’en entreprendre sa redaction. Ainsi, il connait exactement l’avenir des personnages ou leurs pensees. Il suffit de se pencher sur l’esclave « perfide » du chapitre 44 qui empoisonna Alexandre. Dans ce chapitre, on note que: « Saisi d’une folie demoniaque, il cherchait comment provoquer la mort d’Alexandre. Cependant, il attendait l’arrivee en Macedoine d’Alexandre afin de le faire perir la-bas » (44, §2). Ses intentions qui ne sont pas encore devoilees sont connues du narrateur qui nous les apprend alors.

Il serait toutefois dangereux de ne parler que d’un narrateur. En effet, comme nous l’avons vu precedemment, plusieurs styles d’ecriture se distinguent. Plusieurs influences, par exemple, sont conservees. Il est probable que le redacteur n’ait pas voulu re-ecrire Le Roman selon ses convictions religieuses afin de conserver l’originalite de l’oeuvre. Mais il est egalement possible que plusieurs « mains » aient conduit a l’achevement de cette recension. N’etant en possession des manuscrits, je ne peux ni affirmer ni nier cette hypothese. 2. 2 Les lettres d’Alexandre

De nombreuses lettres sont inserees dans le Roman. Elles sont utiles a Alexandre pour communiquer avec les souverains ennemis, Darius ou Poros par exemple. Elles peuvent egalement etre de denonciation. Ensuite, elles lui sont egalement utiles pour envoyer de ses nouvelles a sa mere sous la forme de resume de ses conquetes. Tout d’abord, au chapitre 15, Alexandre recoit une lettre de Darius le menacant d’entrer en guerre contre lui s’il refuse de se soumettre aux Perses. Il joint d’ailleurs a sa lettre trois elements: un fouet, une corde et une toupie ainsi que deux cassettes destinees a recevoir le tribut.

Le souverain achemenide considerait qu’ Alexandre etait bien trop jeune pour gouverner et il ne pensait absolument pas que les Macedoniens avaient le pouvoir de rivaliser avec son armee. Dans ce meme chapitre, Alexandre lui repond egalement par une lettre dans laquelle il indique que ses presents etaient de bons presages[66]. Ces deux lettres qui se suivent dans le meme chapitre prennent ici tout leur sens. La parole, l’art de tergiverser est utilise pour intimider l’adversaire. Le combat entre les deux souverains a deja commence. Il s’agit d’impressionner l’ennemi avec des mots et des figures: chaque symbole est interprete.

Ensuite, il faut argumenter et persuader son rival de sa superiorite par rapport a l’autre. Darius, d’abord, reclamait son tribut. Il choisit d’y joindre des objets pour souligner son intelligence et l’immense pouvoir qu’il represente a cote d’Alexandre. Il met ainsi en evidence l’insouciance dont Alexandre fait preuve en refusant de se soumettre. La reponse d’Alexandre se devait donc d’ etre surprenante. Un refus bref en quelques mots auraient pu demontrer un manque de strategie et d’organisation de sa part: c’est l’occasion de prouver combien il lui est possible de gouverner le monde et de s’approprier son royaume.

En conservant les presents de Darius, que ce dernier s’attendait sans doute a recevoir comme seul element de reponse, il s’autorise egalement a tourner en derision ses intentions en cherchant une interpretation pour chaque objet. Darius ne prit alors pas la peine de lui repondre, comme s’il s’avouait deja vaincu par les mots. C’est par la force qu’il decidera ensuite de l’affronter. Alexandre fait egalement preuve de son art de la rhetorique dans la lettre qu’il adresse a Poros, le roi des Indiens[67]. Il s’appuie ici sur le sort des Perses qu’il a reussi a soumettre par sa force et son intelligence.

Il base son argumentation sur leur exemple, et lui demande d’accepter sa soumission s’il ne veut pas se voir inflige du meme traitement. C’est au chapitre 36 que Poros lui repondra en lui ordonnant de s’en retourner en Macedoine. Cette injonction ne fit pas palir Alexandre mais surprit ses troupes qui, en plein desespoir, faillirent livrer leur roi a Poros. Cet ordre de soumission de la part d’Alexandre fut egalement recu par la reine Candace, au chapitre 40. Celle-ci, en revanche, se montra genereuse et lui offrit de nombreux presents. Le chapitre 19 peut alors paraitre deconcertant.

Alexandre ecrit a la famille de Darius. Dans ce texte, il leur apprend le sort du roi achemenide. Il insiste sur la poursuite de ses meurtriers qu’il a menee et sur le chatiment qu’il leur a reserve. Puis, il leur explique qu’ils sont acceptes a Babylone et leur promet de les considerer comme ses semblables, puisqu’il s’agit d’une imposante famille royale. Le caractere de la lettre solennelle perd totalement sa credibilite dans la suite du Roman. En effet, dans le chapitre 21, alors qu’ Alexandre est malade, les Egyptiens decident d’organiser un complot afin de faire disparaitre le roi macedonien.

Adressant leur requete au medecin d’Alexandre, Philippe, ils lui demandent d’accepter d’empoisonner le Conquerant. Philippe refuse categoriquement. C’est donc par une simple lettre denoncant le medecin qu’ils souhaitent tirer vengeance de ce refus et rendre Alexandre suspicieux de son entourage. Cette lettre est seulement mentionnee, nous n’en avons pas le detail. L’imagination du lecteur est alors sollicitee. Enfin, la lettre peut aussi etre utilisee pour la forme romanesque du texte. Chaque roman se voit dote d’une partie dans laquelle le narrateur ou un personnage resume les faits.

La place de cette lettre « somme » peut apparaitre au milieu d’un roman ou a la fin. Dans notre Roman, deux lettres d’Alexandre font office de resume. Dans le chapitre 34, d’abord, le roi macedonien raconte a sa mere les peripeties qui lui sont arrivees. Il mentionne les mondes merveilleux, les peuples rencontres. En fait, il evoque l’ensemble de sa vie depuis qu’il a quitte la Macedoine. La deuxieme lettre resumant l’oeuvre se trouve a la fin du Roman, au chapitre 45. Alexandre, devinant que sa vie allait s’achever, loin de sa mere Olympias, hoisit de lui faire ses adieux par lettre[68]. Or, il ne se contente