La dangerosite n’est pas un concept juridique. Ni l’origine de la notion, ni son histoire, ni ses definitions ne peuvent la rattacher au droit penal. C’est bien une notion criminologique, et c’est dire qu’elle est nee avec la criminologie, qu’elle prend source du cote de l’alienisme et qu’elle a servi a definir une politique criminelle. Elle a mis quelque temps a etre reperee, elle n’a pas ete immediatement denommee « dangerosite » alors meme que le contenu de la notion etait la. Elle a pu ensuite connaitre des eclipses au moins partielles, c’est-a-dire qu’a certaines periodes, elle ne fut plus totalement visible dans le champ penal.
Mais on voudrait tenter de demontrer ici qu’elle est demeuree constamment presente en tout cas dans ce champ, depuis le positivisme, notamment depuis 1890 avec les ecrits de Garofalo jusqu’a aujourd’hui, en passant bien sur par la phase des Etats autoritaires des annees trente, mais aussi, apres guerre, par le courant de la defense sociale nouvelle. La voici aux premieres loges dans les reformes d’aujourd’hui apres qu’elle ait mute ; non pas tant peut-etre en raison des evolutions de la psychiatrie qu’au regard des dispositifs de normalisation et nous y reviendrons.
Plutot que de s’attacher a reperer
Ce ne fut pas le cas. Ses opposants ont, de toute evidence, eu quelque mal a se faire entendre. Il faut tenter de comprendre pourquoi. 1. Un operateur externe au droit En cette premiere partie, nous nous proposons de lire ou relire deux auteurs. Les deux sont juristes. L’un est aujourd’hui un obscur magistrat du XIXe siecle. Il s’est pourtant battu contre les theses de l’ecole positiviste. L’autre, dont le nom demeure tres connu plus d’un demi-siecle apres la parution de son livre, est cite comme le theoricien de l’ecole qui a inspire le legislateur francais d’apres 1945.
Il n’est pourtant pas inutile de le relire avec nos yeux de 2008. Cette relecture va nous aider a realiser que nous avons vecu insouciants dans un monde ou la dangerosite (c’est de la notion criminologique qu’on parle ici) rodait toujours et encore, jusqu’a resurgir tel le virus mutant de la grippe. 1. 1. Une notion criminologique seculaire Cherchez dans le Littre, cherchez dans le dictionnaire « Tresor de la langue francaise » edite par le CNRS, le mot dangerosite n’existe pas.
Les grands dictionnaires boudent ce neologisme. En revanche, chez les juristes, depuis la fin du XIXe siecle, vous trouvez deux mots qui semblent bien des synonymes de « dangerosite » : la nocuite et la periculosite. Le « TLF » connait la notion de nocuite. C’est, nous dit-il, un synonyme rare de nocivite, et la nocivite est definie comme le caractere de ce qui est nuisible a la sante, avec un sens figure, et c’est alors le caractere de ce qui est dangereux pour la sante intellectuelle ou morale de l’individu2.
A l’evidence, nous approchons. En criminologie, la nocuite pourra designer tout aussi bien le caractere de ce qui est dangereux pour la societe ou pour les individus qui la composent sur la base d’un metaphore de la societe, pensee comme un corps vivant. Quant a la periculosite, c’est la traduction litterale, par creation d’un neologisme, de la periculosita italienne, notion employee en 1890 par Garofalo, magistrat, l’un des trois auteurs-cles de l’ecole positiviste avec Lombroso et Ferri.
La periculosite n’est rien d’autre que la dangerosite. Ni chez les auteurs du XVIIIe siecle, les reformateurs tels Beccaria3, Bentham4, ni du cote de ceux qui leur resistent, Muyart de Vouglans, Jousse5, on ne trouvera la moindre trace de ces notions. Pas davantage chez les juristes de l’ecole de l’Exegese. C’est a la fin du XIXe siecle qu’il faut se porter pour decouvrir que cette notion, sous les denominations diverses evoquees plus haut, nocuite, periculosite, et enfin, etat dangereux, dangerosite, surgit au c ur ’un enjeu politique essentiel : le combat entre ceux qui en tiennent pour le droit penal neo-classique et ceux qui se posent comme le camp du Progres, les positivistes. Jusque vers 1914, le combat doctrinal fit rage. Des 1885, le camp positiviste enregistra en France une traduction legislative de ses theories avec la loi sur la relegation, mais cette victoire demeura isolee. C’est entre 1914 et 1940 que les victoires de l’ecole positiviste et de la defense sociale vont marquer les legislations de tres nombreux pays, en Europe et bien au-dela.
Il n’est peut-etre pas inutile de retracer ce que furent les termes du combat des juristes neo-classiques contre l’ecole positiviste parce que nous avons la, nous semble-t-il, de quoi reflechir sur les termes du debat actuel et sur ses enjeux. On a ici choisi un heros discret de ce combat, un magistrat, conseiller a la Cour d’Aix-en-Provence. Il avait, lorsqu’il ecrit le livre sur lequel on va s’appuyer, occupe les fonctions de juge d’instruction, de procureur et, en tant que conseiller a la Cour, il avait preside la Cour d’assises.
Il se nomme Louis Proal et son livre s’intitule sobrement Le crime et la peine6. C’est un gros livre de 540 pages, ecrit par un homme tres cultive, d’une culture classique et contemporaine, philosophique et scientifique, tres au fait des evolutions de la pensee pourtant foisonnantes a cette epoque, et qui se revendique des Lumieres et du camp republicain si l’on en croit les citations mises en exergue de l’ouvrage : l’une est tiree de Diderot7 et l’autre de Jules Simon8.
Ce livre est un livre de combat : il est publie chez Felix Alcan dans la collection meme ou les auteurs qu’ils critiquent, Lombroso, Garofalo, Maudsley et d’autres, sont publies. L’introduction intitulee « La crise actuelle du droit criminel » campe une opposition entre, d’un cote le legislateur, un legislateur qui croit au libre arbitre mais qui est peut-etre trop oublieux, dit l’auteur, des liens entre « l’ame » et le cerveau et, de l’autre, les theories deterministes qui expliquent le crime par l’organisme, le tout sur fond de progres des sciences naturelles, du positivisme et du darwinisme.
Proal, sous la reserve faite a l’instant, se range dans le premier camp, celui des notions de responsabilite morale, de culpabilite et de peine, et ce qu’il critique c’est le caractere systematique des theories deterministes mais sans nier toutefois l’interet des sciences a condition qu’elles ne servent pas une theorie toute faite, un a priori. Position nuancee donc, mais ferme. Lorsqu’il publie la seconde edition, Proal peut penser que son combat sera victorieux : le second Congres d’anthropologie criminelle n’a-t-il pas, apres tout, vu l’echec de Lombroso dont la doctrine n’a pas convaincu ?
En tout cas, il ne masque pas son objectif et des l’avant-propos de la premiere edition, il ecrit (V et VI) : Puisque personne ne s’etait encore presente9 pour montrer la faussete et le danger des theories qui font du crime une fatalite physiologique ou sociale, et qui veulent remplacer la penalite par le traitement10ou l’epuration, magistrat, ne devais-je pas essayer de le faire moi-meme ? …] Ayant acquis dans mes fonctions successives de juge d’instruction, de procureur de la Republique et de conseiller, la conviction que la responsabilite n’est pas une illusion, ayant en quelque sorte fait l’experience du libre arbitre des criminels, je me decidai a defendre ces verites morales qui me sont cheres, et sans lesquelles il n’y aurait plus ni culpabilite, ni justice penale. […] Mon travail se divise en deux parties ; dans la premiere j’examine les theories modernes de la criminalite ; dans la seconde les theories modernes de la penalite. Les secondes dependent des premieres.
En effet, si le criminel est une bete malfaisante, privee de la personnalite, on peut l’eliminer. Si c’est un malade, son placement dans un asile est la seule mesure qu’on puisse prendre a son egard. Si on ne voit en lui qu’un ignorant, il faut l’envoyer a l’ecole. Enfin s’il est demontre que c’est un coupable, on a le droit de le punir, dans le cas ou l’interet social et la justice le commandent. Proal va donc passer en revue pour les refuter ces theories. L’atavisme d’abord qui, selon Lombroso, fait revivre chez les criminels des societes modernes les instincts de l’homme prehistorique.
Voila bien une affirmation peremptoire dit Proal qui reproche vivement a Lombroso d’avoir bati sa theorie sur une hypothese que Darwin avait, dit-il, pose de facon tres prudente. Il la refute donc et se posant lui aussi en homme de progres, il en appelle a Claude Bernard sur les exigences de la science experimentale auxquelles les theories de Lombroso ne satisfont pas. L’heredite ensuite. Proal veut bien accepter qu’elle pese sur le criminel mais il refuse d’en faire l’explication unique du crime. Pour conclure son chapitre par une justification de l’idee qu’il se fait du travail du juge lorsqu’il apprecie la culpabilite (104) :
L’observation etablit aussi que, malgre la difference des predispositions hereditaires, il n’y a pas d’hommes n’ayant que des tendances au crime, de meme qu’il n’y a pas d’hommes n’ayant que des penchants pour le bien… Par suite le devoir du magistrat est de tenir compte aux accuses de ces inegalites de responsabilite, et de rechercher dans les predispositions hereditaires tout ce qui peut attenuer la culpabilite. C’est peut-etre le chapitre suivant qui nous approche le plus du debat contemporain sur la dangerosite au moins par la description qu’il contient du public de criminels en cause. Il y est question de l’anomalie morale.
Ici, c’est a un auteur francais que Proal repond, le Dr Despine (105-126). Le moment est venu d’examiner la theorie de M. le Dr Despine, qui a ete adoptee par l’ecole italienne d’anthropologie criminelle et combinee avec l’atavisme. D’apres cette theorie, les criminels sont atteints d’une insensibilite morale qui les place dans un etat psychique analogue a celui de la folie ; ils ne sont ni libres ni responsables parce qu’ils sont prives du sens moral. Cette insensibilite morale, incompatible avec le libre-arbitre n’est point le resultat de la maladie ; elle doit etre attribuee a l’organisme qui n’est point malade mais incomplet. …] L’intelligence, ajoute M. le Dr Despine, ne manque pas aux criminels, mais le sens moral leur fait defaut ; ils n’ont pas de pitie pour les victimes, ils n’eprouvent pas de remords. Cette absence de sens moral rend le criminel irresponsable, comme elle affranchit l’aliene de toute responsabilite. […] Pour justifier cette assimilation, M. le Dr Despine et apres lui MM. Lombroso, Garofalo, E. Ferri invoquent l’absence de sens moral constatee chez les grands criminels, la frequence des recidives, l’imprevoyance et le defaut de pitie des criminels.
Proal refute encore la theorie d’une anomalie morale innee. Pour ce faire si, in fine, il en appelle a Kant et a J. Stuart Mill11, c’est d’abord a son experience de magistrat qu’il se fie : Le criminel n’est pas une brute, un monstre a face humaine, incapable d’un bon sentiment, faisant le mal pour le mal, n’ayant ni conscience, ni liberte morale. La conscience peut s’obscurcir en lui, la volonte peut se depraver, mais cet abrutissement est le resultat d’une perversite acquise, progressive dont il est esponsable et non d’une perversite congenitale et fatale. Le plus souvent, 12 la conscience n’est pas encore eteinte, elle peut se reveiller. On voit bien ici la ligne de defense du juriste : le libre arbitre existe et il n’est de perversite qu’acquise dont le criminel est au moins pour partie responsable. Il est responsable, coupable et justifiable d’une peine qui pourra le plus souvent servir a la reinsertion, reserve faite tout de meme d’une fonction de neutralisation de la peine que la mort ou la perpetuite peuvent servir. Nous y reviendrons.
Mais evidemment ce qui emeut plus encore Proal, et ici, on voit a quel point la conjoncture a change en un siecle, c’est la solution preconisee par le Dr Despine : le remplacement de la privation de liberte par des soins. L’enjeu est ici institutionnel : de qui vont relever les criminels ? Sous quelle tutelle vont-ils tomber, celle du juge ou celle du medecin ? La peur d’une dejudiciarisation est ici evidente chez notre president d’assises qui convoque aussitot un argument securitaire : nous sommes meilleurs gardiens des criminels que vous, dit-il aux medecins, voire mieux armes, au sens litteral du terme, pour les neutraliser.
La peine est ici avancee comme une meilleure reponse a l’insecurite que le « traitement ». Et Proal d’ajouter : Il serait peut-etre sage de penser un peu plus aux victimes qui sont assassinees, volees, outragees, et de ne pas renoncer si facilement aux moyens d’eviter aux honnetes gens les douleurs que les crimes leur imposent. L’assimilation du crime a la folie, par d’autres medecins cette fois, est egalement refutee en des termes d’ailleurs a mi-chemin entre modernite et representation classique de la folie. L’enormite des crimes n’est pas une preuve de folie ecrit Proal, en titre d’un paragraphe.
Et il poursuit (133) : Lorsqu’un crime monstrueux est commis, on se demande quelquefois s’il n’est pas l’acte d’un fou. La folie, en effet, inspire des actes horribles de ferocite et de lubricite. Toutes les fois qu’un de ces actes sera commis, faut-il supposer qu’il ne peut emaner d’un homme sain d’esprit ? L’experience judiciaire nous apprend que les crimes les plus odieux, les plus repugnants peuvent etre accomplis par des hommes qui ne sont pas alienes. De meme Proal refute-t-il l’assimilation des degeneres aux criminels, c’est-a-dire l’explication du crime par la degenerescence, theorie de Morel.
Erreur, dit Proal, tous les degeneres ne sont pas des criminels, et tous les criminels ne sont pas des degeneres. Au passage d’ailleurs, il nous livre une representation classique pour l’epoque des « populations dangereuses » quand il explique qu’il n’a rencontre pour sa part de degeneres que chez les vagabonds mais ajoutant aussitot : tous ne le sont pas. On voit bien ce qui se joue dans cette partie du livre : maintenir les notions de culpabilite, de responsabilite, de libre arbitre, de peine contre les notions de determinisme, de folie, de folie morale et de traitement. Proal ne laisse pas un argument sans reponse.
Ainsi, brocarde-t-il l’etrange demonstration des deterministes lorsqu’ils s’attachent a l’aveu ou au deni. Il ecrit ici encore de maniere tres moderne au regard des pratiques actuelles dans les pretoires (302-303) : Les deterministes font encore deux objections : 1° les criminels, en general, nient leur culpabilite ; « leurs denegations tenaces, obstinees sont la meilleure preuve qu’ils n’ont pas de repentir » (Lombroso, L’homme criminel, 398 ; Ferri, Bulletin de la societe des prisons pour 1886, 27) ; 2° le remords qu’ils expriment n’est pas sincere ; il est inspire par la peur du chatiment et le desir d’apitoyer le juge. …] Si l’accuse nie le fait qui lui est reproche, pour echapper a la peine il est atteint d’une insensibilite morale, resultat de son insensibilite physique ; il est comme le sauvage qui ne connait pas le remords (L’homme criminel, 413) Si, au contraire, l’accuse fait des aveux, il montre par la qu’il n’a aucune repugnance a parler des crimes qu’il a commis ; il manque de sens moral. Ne sont-ce pas la des reproches contradictoires ? Proal repond aussi a l’argument statistique et sur deux fronts.
Au plan theorique, il entend demontrer que la regularite statistique des crimes que Quetelet affirma le premier, se concilierait avec le libre arbitre et qu’il n’y a pas la comme le croient Lombroso ou Stuart Mill de contradiction. Reprenant Quetelet, et d’autres scientifiques, il rappelle d’abord le sens d’une statistique qui portant dit-il sur le corps social gomme l’action du libre arbitre qui demeure au plan individuel. Mais Proal a mieux a opposer a ses adversaires.
Car il ecrit precisement a une epoque ou cette fixite statistique est demontree fausse et il a beau jeu de rappeler que sur les principaux crimes, on constate une augmentation jusque vers 1855-1860 et une diminution depuis lors jusqu’en 1890, date a laquelle il ecrit. La fixite statistique n’existe pas : l’argument statistique des deterministes tombe de lui-meme. La seconde partie du livre traite de la peine. Elle convainc d’abord de ce que strategiquement la question du jugement des fous et celle du traitement des criminels sont intimement liees13. Elles touchent toutes deux la notion de responsabilite morale.
Contre Stuart Mill qui a, selon lui, resume la pensee des deterministes en disant Avec ou sans libre arbitre, la punition est juste dans la mesure ou elle est necessaire pour atteindre le but social, de meme qu’il est juste de mettre une bete feroce a mort, Proal defend farouchement les causes d’irresponsabilite penale ; il defend les jures quand l’ecole italienne veut les exclure pour ne conserver que des professionnels, juges et medecins ; il se prononce en faveur d’une question speciale a la Cour d’assises sur l’irresponsabilite pour demence ; il est en faveur de l’irresponsabilite civile du ement, c’est a l’epoque le droit positif, et en faveur enfin de l’attenuation de responsabilite du malade mental qui n’a pas perdu tout discernement. Il ne meconnait pas la necessite de l’expertise psychiatrique mais se bat contre les revendications sournoises de toute puissance, d’annexion des criminels par les medecins. Il ecrit (362) : Est-il besoin de dire que l’expertise medico-legale doit avoir lieu avant le jugement ? Cependant on a ecrit qu’elle doit se faire apres le jugement. Que peut vous faire, a vous juges, qui etes appeles a reparer le prejudice cause a la societe par le crime, que le criminel ait agi sous l’influence des causes morbides ou non ? Tachez de savoir s’il a commis son crime et s’il l’a vraiment commis ; qu’il soit malade ou fou, sous l’influence de l’atavisme ou degenere, cela ne vous regarde pas ». Rechercher la responsabilite morale des accuses avant le jugement est une curiosite intempestive ; une fois qu’ils sont condamnes, l’examen se fera, le medecin reconnaitra les siens : « Les cas incurables motiveront un traitement a vie et les malades gueris seront sur le champ remis en liberte. (Revue de philosophie positive, septembre-octobre 1890, 225). L’ecrivain qui place ainsi l’appreciation de l’etat mental des accuses apres le jugement, suppose que tous les criminels sont des malades. Mais alors je me demande a quoi sert le jugement. Il tient donc a une nette distinction entre peine et traitement, distinction qui n’allait pas de soi a une epoque ou le nombre des alienes enfermes a l’hopital atteignit les 100 00014 et ou les traitements pouvaient recouvrir certaines pratiques disciplinaires qui suivaient de peu celles du monde carceral (391-394)15 :
Assurement la societe a le droit de mettre le criminel dans l’impuissance de nuire aux autres, meme quand il est porte a nuire par un penchant irresistible, par l’instinct naturel d’un organisme naturel ou incomplet. C’est ce qu’elle fait a l’egard des alienes et des idiots. Mais une chose est le placement d’un aliene dans une maison de sante, autre chose la detention d’un criminel dans une prison. M. e Dr Maudsley a beau dire que les deux choses se ressemblent (Le crime et la Folie, 25), la difference qui les separe est immense : c’est pour le soumettre a un traitement que l’on place l’aliene dans un asile ; c’est pour lui infliger une peine que l’on detient un criminel dans une prison, apres avoir declare sa culpabilite. Ici, Proal mesure bien que sa ligne de defense devient fragile lorsqu’a la notion de responsabilite morale certains voudraient substituer une notion de « responsabilite legale » qui revient a penser, en penal, une responsabilite pour risque.
Ici, selon lui deux solutions sont possibles : soit, comme Proal le lit dans le dictionnaire de medecine (13e edition, 385), les positivistes preconisent de traiter les criminels comme des malades et les criminels tres dangereux comme des malades tres dangereux, et il peut bien sur agiter l’effroi de l’impunite des malfaiteurs, mais que dire Lorsque d’autres criminalistes deterministes veulent rassurer la societe contre les consequences de leur theorie et tombant dans un exces contraire16, proposent de punir les criminels non a raison de leur culpabilite, qui disparait avec le libre arbitre, mais a raison de leur nocuite.
Il faut se debarrasser des criminels, sans se preoccuper de leur responsabilite morale ; il faut les eliminer. Ce sont des etres nuisibles, cela suffit ; en les eliminant, on epurera la societe. C’est la theorie de l’ecole italienne d’anthropologie criminelle, de M. Lombroso, Garofalo et Ferri. Proal commence par repondre sur les alienes en disant sa « surprise » de voir des medecins vouloir punir les alienes, c’est dit-il « vouloir supprimer l’article 64 du code penal » et s’ensuit une longue demonstration de l’impossibilite de punir les fous, parce que separer libre arbitre et culpabilite n’a pas de sens.
Il conclut en disant : La morale n’a pas d’autres bases, la penalite non plus n’en a pas d’autres. Mais il lui faut encore repondre a ce qu’il percoit bien comme le plus choquant : certaines des propositions de l’ecole italienne d’anthropologie criminelle qui fondent l’usage de la peine de mort contre les criminels sur une necessaire selection qui serait selon ceux-la aussi benefique que la selection biologique. Le passage est important et merite une citation assez longue (435-436) : L’ecole italienne d’anthropologie criminelle… veut remplacer la responsabilite morale par les lois naturelles de la selection et de l’adaptation.
A ses yeux, le droit de punir est une fonction sociale, ayant pour but l’elimination des elements antisociaux. La societe est un organisme qui reagit contre le crime par la penalite… La societe ne punit pas, elle elimine les hommes dangereux, qui ne sont plus nos semblables, mais de veritables monstres a face humaine. La peine de mort, etant le moyen d’elimination le plus efficace, a toutes les preferences de l’ecole italienne. Elle sera appliquee aux criminels entierement prives du sentiment de pitie (Garofalo, 235) …
Par ce moyen, le pouvoir social produira artificiellement une selection analogue a celle qui se produit spontanement dans l’ordre biologique par la mort des individus non assimilables aux conditions particulieres du milieu ambiant ou ils sont nes ou au sein duquel ils ont ete transportes (idem, 232). La peine de mort sera un moyen d’epurer l’humanite ; on fera de l’echafaud un moyen de selection artificielle… L’echafaud auquel on conduisait chaque annee [au temps d’Henri VIII et d’Elisabeth] des milliers de malfaiteurs, dit M.
Garofalo, a empeche que la criminalite ne soit, de nos jours, plus repandue dans la population… (Garofalo, 269-270). Proal a beau etre partisan de la peine de mort, il est par principe oppose a cet usage « prodigue » de cette peine. Il ecrit : Sans doute, la peine de mort a pour effet de purger la societe des grands malfaiteurs ; mais ce resultat utile ne doit pas etre confondu avec le but que se propose le legislateur. Ce but est la protection de la societe et non l’epuration de la race. Pour maintenir la securite publique, dans quelques cas exceptionnellement graves, la justice sociale a le droit d’enlever la vie a de grands coupables.
Mais est-il necessaire de dire que la peine de mort ne doit pas etre prodiguee, qu’il faut la reserver pour un petit nombre de crimes tres graves, que tous les criminels prives du sentiment de pitie ne sont pas incorrigibles ? Proal critique encore les peines indeterminees que les positivistes italiens reclament contre les mineurs delinquants et, habilement, il exploite les ecrits de Tocqueville pour demontrer que la recidive des mineurs n’a rien d’ineluctable. Dans une prescience assez claire des folies ou menent les theories de Garofalo, Proal critique aussi la transportation comme etant une peine de mort deguisee.
C’est en fin de chapitre que Proal envisage un instant le pire pour un juriste attache a la notion de responsabilite : les mesures ante delictum. A l’epoque ou il ecrit, l’ecole italienne ne les a pas encore proposees mais le Dr Despine lui n’a pas hesite a envisager l’arrestation preventive (451-452). Sequestrer, dit-il avant le crime le passionne qui devient dangereux et menacant, ou bien l’eloigner forcement de la personne qu’il menace, n’est-ce pas plus rationnel que de la sequestrer apres l’accomplissement du crime ? (Despine, De la folie, 663).
M le Dr Despine oublie seulement que les lois s’appliquent aux faits accomplis, car les faits de l’avenir sont incertains… le chatiment suit le delit (Tacite, Annales, I, III, §69) ; il ne le precede pas. En 1890, la question des mesures ante delictum ne se pose pas encore de facon tres aigue et Proal, on le voit, peut se contenter d’y repondre en citant les classiques. En fin d’ouvrage, au dernier chapitre, Proal revient sur les fondements de la justice penale. C’est la qu’est pour lui la ligne de partage entre ce qu’il nomme deja l’idee de defense sociale17 et la Justice (504-516).
Si dans la creation et l’application de la sanction penale, le legislateur et le juge doivent tenir grand compte du degre de danger que le delit fait courir a la societe, il ne faut pas en conclure que la peine n’est « qu’une mesure de precaution sociale, un acte de defense sociale ». L’idee de defense, isolee de l’idee de demerite, n’aboutirait qu’au placement des criminels dans des asiles, ou ils seraient mis dans l’impuissance de nuire ; elle n’autoriserait pas l’application d’une peine. Pour trouver la justification de la penalite, il faut arriver a l’idee de faute, de demerite ; la peine ne peut etre infligee qu’a un coupable. …] La punition des coupables n’est pas seulement un acte de defense sociale, mais un acte de justice ; elle n’est infligee qu’a ceux qui la meritent. La cause de la peine, dit-il encore, c’est la violation de la loi et le but de la penalite, la prevention des crimes. Mais alors, comment apres avoir pose ces principes, Proal donne-t-il des gages, a ceux qui craignent l’accroissement de la criminalite, crainte qu’il semble partager en depit des statistiques qu’il a lui-meme citees ? Apres avoir tout de meme approuve la diminution du nombre de cas ou la peine de mort est encourue par rapport au code Napoleon, il ecrit :
Aujourd’hui, l’accroissement de la criminalite et de la recidive impose au legislateur le devoir d’edicter des peines plus severes a l’egard des malfaiteurs d’habitude, meme quand la premiere condamnation n’est pas superieure a une annee d’emprisonnement. La perseverance dans le delit ou le crime n’aggrave pas seulement le danger que le criminel fait courir a la societe, mais elle constitue aussi une aggravation de perversite morale, de telle sorte que la justice s’accorde avec l’interet social pour demander une protection plus efficace de la securite publique par une repression plus energique.
Il en appelle enfin a une police plus efficace, un chatiment plus certain, un usage moins frequent du droit de grace, l’isolement et le travail en prison, bref le programme de Beccaria auquel s’ajoute la reforme des prisons. Pour le reste Proal tout a la fin de son livre veut rester optimiste parce que dit-il, les vieilles verites morales restent toujours jeunes parce qu’elles sont eternelles, tandis que les nouveautes paradoxales, meme revetues d’apparence scientifiques, vieillissent vite. C’est tout de meme, on le sent bien, une position tres defensive, voire un peu facile.
Il denie le caractere scientifique des theories deterministes et c’est son meilleur argument pour contester une defense sociale qui ne serait que fondee sur l’appreciation medicale du danger. Il tient enfin a la responsabilite morale, a la culpabilite mais pour maintenir leur caractere central, il est contraint d’accepter une inflation des peines pour repondre a l’argument de la recidive et de la dangerosite. 1. 2. Permanence et mutation de la dangerosite au XXe siecle Portons-nous maintenant en 1966 pour relire la seconde edition de La defense sociale nouvelle de Marc Ancel (1966). La premiere etait parue dix ans plus tot.
Marc Ancel est a l’epoque conseiller a la Cour de Cassation et Vice-president de la Societe Internationale de Defense Sociale. L’ouvrage eut, on le sait, un important succes. Il a represente la synthese de cette ecole criminologique qui a domine l’apres-guerre et a laquelle nous associons un humanisme qui a teinte l’ordonnance de 1945 sur les mineurs et affirme la necessaire reforme des prisons. A relire aujourd’hui ce livre, on a le sentiment que des pans entiers de cette ecole sont demeures un peu masques aux yeux de certains de ses lecteurs des annees soixante et soixante-dix par le ontexte meme de cette lecture, celui d’une epoque anterieure a la remontee d’une politique criminelle securitaire. Sa relecture aujourd’hui met clairement en lumiere cette evidence : la defense sociale nouvelle a moins rompu qu’on ne l’a dit avec la defense sociale qui avait pris le relais de l’ecole italienne d’anthropologie criminelle. La defense sociale nouvelle construit aussi la reponse de la societe a la delinquance sur la notion de traitement face a une dangerosite qui justifie des mesures de surete. L’ecole d’apres-guerre n’a pas meme rompu, malgre le souvenir des etats autoritaires, avec l’idee de mesures ante-delictuelles.
Bien plus, Ancel anticipe l’hybridation de la peine et de la mesure de surete pourvu que les formes, la procedure satisfassent aux principes de l’etat de droit. Voila qui nous amene tres exactement au debat souleve par la loi du 25 fevrier 2008 en France. Sommes-nous alors jamais vraiment sortis de la logique de la dangerosite ? Une reponse negative a cette question semble s’imposer. La notion a certes connu une eclipse du cote de la politique criminelle et de ses traductions legislatives, mais elle etait toujours la, presente en arriere-fond des debats de la doctrine mais presente aussi dans les pratiques judiciaires.
On essayera d’abord de le montrer en relisant certains des passages de « la defense sociale nouvelle ». On dira pourquoi elle a subi cette eclipse et comment il faut alors penser la mutation qu’a faite pendant son eclipse la dangerosite. La premiere edition de l’ouvrage en 1956 s’ouvre par une introduction reprise dans la seconde et Ancel commence par s’arreter sur les « inquietudes » et les « interrogations » que susciterait la « defense sociale nouvelle » (13).
Sans doute cette defense sociale nouvelle suscite-t-elle des inquietudes ou des oppositions multiples : celles tout d’abord des Neo-classiques attaches a restaurer ou a maintenir le principe de la responsabilite morale et de la peine-chatiment ebranle a la fin du siecle dernier par la revolte positiviste ; celle des Eclectiques du debut de ce siecle, qui se croyaient a bon compte liberes de l’inquietude positiviste pour avoir fait la « part du feu » en admettant quelques-unes des positions de la science criminologique ; celle des tenants du Technico-juridisme, soucieux avant tout de reconstituer un systeme de droit penal et une technique juridique pure se suffisant a elle-meme ; celles aussi des Positivistes, dans le mesure ou il en subsiste encore, inquiets peut-etre d’une concurrence possible et desorientes de voir une doctrine, issue en partie du Positivisme de Lombroso, de Ferri et de Garofalo se detacher, sur des points essentiels de cette doctrine premiere ; celles enfin, dans bien des cas, de beaucoup de criminalistes et de criminologues dont l’adhesion a la doctrine de la Defense sociale nouvelle semblerait toute naturelle mais que derange encore, dans leurs habitudes de pensee omme dans leurs habitudes de langage, un mouvement qui ne se laisse pas enfermer facilement dans une formule simpliste qui n’accepte pas, malgre ses reactions contre les abus de la technique juridique, de supprimer le droit penal au benefice de la biologie de la medecine ou de la science sociale, et dont on devine, au surplus l’etonnant dynamisme. Les « inquietudes » ne portaient donc pas, selon lui, du cote de l’heritage de la defense sociale mais plutot du cote de la distance prise avec elle. Il est vrai qu’il va commencer par retracer la remise en question du droit penal par la criminologie depuis la fin du XIXe siecle et insister sur le necessaire menage a trois que droit penal, criminologie et politique criminelle sont desormais tenus de faire (15). Le chapitre premier repond a une question simple « Qu’est-ce que la defense sociale ? ». Ancel assume donc pleinement l’heritage.
Apres avoir rappele les liens entre l’ecole positiviste et la defense sociale, Ancel reconnait que, pour beaucoup, le concept de defense sociale n’impliquerait pas autre chose que la systematisation des mesures de surete. Prevention, admission de l’etat dangereux, mise en vigueur de mesures de surete applicables a des individus en raison et dans la mesure de leur periculosite individuelle, telle serait alors la signification propre du terme de defense sociale. On peut observer en effet que ces mesures de surete se sont peu a peu cristallisees en droit positif autour de ces deux poles d’attraction que sont les delinquants d’habitude et les delinquants anormaux.
On pourrait alors etre tente de croire que le contenu du terme de defense sociale se trouverait tout a la fois precise et limite par ces deux ordres de mesures. Ainsi l’a d’ailleurs entendu la recente loi belge de 1930 precisement appelee loi de defense sociale18. […] Mais le criterium de la periculosite se trouvant naturellement distinct de celui de la responsabilite morale, certains en arrivent alors a se demander si le terme de defense sociale ne recouvre pas une theorie selon laquelle le delinquant ne serait plus recherche qu’en raison de cette seule redoutabilite. On voit donc ici que dangerosite et mesures de surete sont au c ur de la conception initiale de la defense sociale.
Et Marc Ancel, c’est de bonne guerre, veut positionner cette theorie en soulignant qu’elle se voit accabler de reproches contradictoires. Le Procureur General Leon Cornil avait fait ainsi parfois en Belgique a la defense sociale le reproche de pretendre considerer tous les delinquants « comme des malades irresponsables » a l’egard desquels on deciderait de ne plus prendre que des mesures purement curatives. Ainsi alors que, comme on vient de le voir, certains reprochaient a la defense sociale, dans sa signification etroite, de sacrifier l’individu a l’Etat et la liberte de la personne a la rigueur de la repression, alors que aujourd’hui encore, quelques-uns meme ne eulent retenir d’abord de la defense sociale que la pretendue instauration d’un systeme general et discretionnaire de mesures de surete ante delictum, d’autres, comme on le voit (et ce sont quelques fois les memes), l’accuseraient volontiers de sacrifier la repression, l’intimidation collective et la protection des honnetes gens a la prise en consideration des besoins maladifs du criminel. Mais Marc Ancel doit aussi d’emblee introduire une conception moins problematique de la defense sociale au regard de l’Etat de droit, et de l’histoire du droit penal des Etats autoritaires. Il soutient l’idee que tout comme la pensee de Beccaria et des Lumieres sont une reaction aux supplices de la justice de l’Ancien Droit, la defense sociale serait une reaction contre un systeme de peine uniquement retributif. Bref, la defense sociale serait dans le camp du progres.
Il peut alors evoquer deux conceptions fondamentalement differentes de la notion de defense sociale : a) la conception ancienne encore defendue par beaucoup, qui la limite a la protection de la Societe par la repression du crime ; et b) la conception moderne, qui trouve son expression dans l’excellente formule adoptee par les Nations Unies lors de la creation en 1948 de leur Section de Defense sociale : la prevention du crime et le traitement des delinquants. Prevention et traitement, ce sont pourrait-on dire les deux dimensions qui manquaient a la conception traditionnelle (29). Il existerait meme a l’interieur de cette seconde conception, un courant quasi antiautoritaire, anti penal, quasi libertaire, celui de Gramatica : Pour M.
Gramatica, par exemple, la defense sociale se situerait resolument dans une reaction contre le droit penal repressif ; elle viserait meme a remplacer le droit criminel, entendu stricto sensu par un systeme non punitif de reaction contre l’antisocialite ; son but propre consisterait alors a etablir un ensemble coherent de remedes choisis pour atteindre a l’harmonie sociale. Deux observations importantes a ce stade : il n’est pas si sur que cela et meme il n’est pas sur du tout que les deux conceptions isolees par Ancel soient « fondamentalement differentes ». Il est meme permis de penser que la lecture de son livre demontre exactement le contraire.
Nous sommes en presence d’un courant de pensee, la defense sociale, qui prend sa source dans le positivisme, s’en ecarte certes ou, a tout le moins, s’autonomise puis se diversifie. Apres guerre, l’obligation de prendre des distances avec l’usage fait du positivisme par les Etats autoritaires conduit a penser la defense sociale « nouvelle ». Mais pour un certain nombre de concepts centraux, celle-ci ne rompt pas avec le courant initial. Alors « nouvelle » la defense sociale ? Par le contexte certainement, et le contexte, c’est cette reference aux Nations Unies, mais c’est toujours, et nous allons le voir, la defense sociale. Il faut en second lieu bien omprendre qu’apres guerre, dans le mouvement de la defense sociale nouvelle, cohabitent des penseurs et des acteurs qui, au plan concret des choix de politique criminelle, auront des orientations tres diverses et Ancel ne manque d’ailleurs pas de le souligner. Les positions des uns et des autres sur la peine de mort seront tres differentes et Ancel donne pour exemple Graven, dont il rappelle le role important lors des premiers congres de defense sociale, qui n’hesite pas au debut des annees soixante a se declarer en faveur du retablissement de la peine de mort en Suisse. Quelles sont alors les idees phares de la defense sociale nouvelle, « moderne », comme le dit Ancel ? Il en enonce six.
On peut en resumer brievement cinq : • Il ne s’agit pas seulement de faire expier une faute mais de proteger la societe. • Il convient d’attacher une importance particuliere a la prevention individuelle. • L’action de resocialisation ne peut se developper que par une humanisation toujours croissante du droit penal nouveau. • Il faut s’appuyer sur l’etude scientifique de la personnalite du delinquant. • « Elle se distingue du totalitarisme en ce qu’elle considere que la Societe n’existe que par l’homme et pour l’homme ». « Elle s’appuie donc en definitive sur une philosophie politique aboutissant a ce que l’on peut appeler un individualisme social ».
Les lecteurs des annees soixante qui ne pouvaient d’ailleurs douter de l’authenticite des engagements democratiques et humanistes des acteurs de la Defense sociale nouvelle auront attache la plus grande importance a ces cinq idees en negligeant peut-etre le poids de concepts conserves de la defense sociale originelle et qui etaient repris par Marc Ancel en seconde place. Car, apres avoir dans le premier temps rappele que la defense sociale nouvelle qui « se souvient de la « revolte positiviste » contre le systeme classique », « se developpe grace a un effort resolu de discussion et, s’il le faut de revision systematique des valeurs », il enonce ainsi la seconde idee centrale : ° Cette protection sociale, la Defense sociale entend la realiser grace notamment a un ensemble de mesures extra-penales, au sens strict du mot, destinees a neutraliser le delinquant, soit par elimination ou par segregation, soit par l’application de methodes curatives ou educatives ; et l’on retrouve ici les rapports evidents entre les idees de la defense sociale et la notion de periculosite telle que l’avait degagee notamment l’Union Internationale de droit penal. La dangerosite, l’objectif de neutralisation du delinquant par elimination ou segregation et ceci par des mesures extra-penales, sont la, explicitement visees, en 1966. Ancel s’en va ensuite a la rencontre de ce qu’il denomme « les origines du mouvement de defense sociale ». Ceci nous interesse car nous allons voir la place qu’il consacre dans cette histoire a certaines des notions qui nous preoccupent.
Partant du mouvement positiviste qui mettait au premier plan non plus le fait punissable, c’est-a-dire le delit entite juridique, mais le delinquant envisage dans sa personnalite individuelle, dans son entite biologique et dans sa realite d’etre social profondement dependante du milieu dans lequel il a vecu, il va poser bien vite les ponts existants, selon lui, entre le positivisme et la defense sociale. La prise en compte de la dangerosite y figure en bonne place (83-87). C’est au sein de l’Union Internationale de droit penal creee en 1889 que la premiere doctrine de la defense sociale fut constituee et Ancel va accorder une place importante a son premier theoricien Adolphe Prins, un belge. Sans pouvoir nous livrer ici a une etude de ses ecrits19, rappelons que Prins publie en 1910 un livre qui enonce les theses de la Defense sociale. C’est un haut fonctionnaire du ministere de la Justice en Belgique.
Il nous interesse car au plan des positions personnelles de politique criminelle, il est un abolitionniste « de c ur et de doctrine » de la peine de mort et tres critique de la prison et notamment de la prison cellulaire. Or, que dit Prins et que Ancel nous rappelle ? Il critique la responsabilite morale et veut lui substituer le critere de l’etat dangereux sur les bases suivantes rappelees par Ancel (93). En pratique [la theorie de la responsabilite morale] aboutit a multiplier les courtes peines d’emprisonnement et a faire une place sans cesse grandissante a la notion de responsabilite attenuee, qui laisse la Societe sans defense contre les criminels dangereux. Ainsi, la loi penale et la justice criminelle fondees sur la responsabilite morale n’assurent pas la protection efficace de la communaute sociale.
Mais le regime penitentiaire classique, inspire des memes idees ne le protege pas davantage ; car l’isolement cellulaire et l’action pretendument therapeutique de la prison traditionnelle ont fait faillite : l’augmentation considerable des chiffres de la recidive a la fin du XIXe siecle suffirait a le demontrer20. Le mal vient, suivant les premiers partisans de la defense sociale, de ce que les doctrines de la responsabilite morale ont voulu attribuer a la justice penale un but absolu et d’ailleurs irrealiste : punir, dans le plein sens du mot, le criminel en proportion exacte de la faute morale qu’il avait commise. Or la justice penale, uvre essentiellement humaine ne peut jamais avoir qu’une portee et qu’une valeur relatives.
Elle a pour seul objet d’assurer, de la meilleure facon possible, la protection de la personne, de la vie, du patrimoine et de l’honneur des citoyens. C’est bien la comme on le verra, une des positions essentielles du mouvement de defense sociale. Mais, selon Prins, ce but ne peut etre atteint vraiment que par la substitution, a la notion de responsabilite morale, du criterium de l’etat dangereux du delinquant. Les consequences qu’en tire Prins ? Elles sont tres proches de notre retention de surete (Ancel, 1966, 93). Contre cet etat dangereux, une action nouvelle devra etre entreprise. Elle sera fondee, non sur l’acte passager, mais sur l’etat permanent de l’individu.
Elle devra meme, selon cette premiere doctrine, pouvoir au besoin se traduire par une prolongation de la privation de liberte infligee au delinquant, lorsque cette prolongation paraitra indispensable pour assurer la securite de la Societe. A cet egard, il importe avant tout de prendre en consideration, les deux categories essentielles d’individus dangereux, c’est-a-dire les anormaux et les deficients mentaux, d’une part, les recidivistes ou delinquants d’habitude d’autre part. L’action entreprise exigera donc, pour sa realisation, la creation d’etablissements nouveaux en particulier pour les anormaux. Mais Prins en juriste, veut « juridiciser » et meme « judiciariser » les mesures de surete et les peines indeterminees, et d’autre part il se prononce aussi en faveur d’une politique de prevention (Ancel, 1966, 94), debat que nous retrouvons aujourd’hui !
Mais cette action, ou tout au moins l’action post-delictuelle la plus importante, doit etre reservee a l’autorite judiciaire : la notion d’etat dangereux est, en effet, pour Adolphe Prins, une notion juridique, par opposition a la notion des responsabilite attenuee, qui lui parait etre essentiellement une notion medicale. Ainsi se trouve garantie la liberte individuelle en face de mesures nouvelles differentes des peines classiques, les mesures du surete, et meme en face des sentences indeterminees. L’indetermination apparait en effet a Prins comme souhaitable, voire meme comme normale dans le nouveau systeme fonde, non sur une justice retributive et distributive, mais sur une protection bien etudiee de la Societe ; car cette protection, pour etre efficace, doit etre maintenue aussi longtemps que l’etat dangereux lui-meme21.
Enfin, cette action judiciaire devra etre completee par une action preventive, de caractere administratif ou plus exactement meme de caractere social, qui s’efforcera de lutter contre l’etat dangereux avant le delit en essayant par tous les moyens d’empecher cet etat dangereux de naitre. Il en sera ainsi notamment grace a des mesures d’urbanisme, a une lutte contre le taudis, a une legislation sociale destinee a empecher certains desherites de tomber dans la misere et le desespoir et surtout peut-etre par un traitement preventif et une education appropriee des defectueux. Prins trouve de quoi conforter sa conviction dans la relegation francaise ou dans l’Act anglais de 1908, tandis que, Ancel le rappelle, Saleilles voyait la, quant a lui, les exces de l’Ecole positiviste italienne. Voici donc les elements de la doctrine de la premiere defense sociale qu’Ancel tient a nous rappeler.
Or, non seulement Ancel ne prend guere de distance avec l’essentiel de cette doctrine mais il la defend meme explicitement (99). Le merite de Prins est sur le plan moral, de ne pas tomber dans les exces de l’elimination brutale et de se souvenir que celui que Tarde appelle -deja ! – un etre antisocial est, et reste un homme. Prins a egalement le merite, eminent pour l’epoque de chercher, sur le plan scientifique, a incorporer la mesure de segregation ou de neutralisation dans un systeme penal d’ensemble et dans une politique criminelle raisonnee. En fait, le mouvement legislatif des premieres annees du XXe siecle ou des dernieres annees du XIXe siecle, semblait donner raison a cette maniere de voir.
Les mesures de defense sociale qui s’introduisaient dans les lois etaient uniquement dictees par l’idee de mettre a part certains delinquants incorrigibles et dangereux pour les soumettre a une peine prolongee, voire perpetuelle. Il importait des lors assez peu que la mesure prise a leur egard fut techniquement une peine ou une mesure de surete. La loi francaise qualifiait la relegation de peine complementaire et coloniale (sic ! ). A partir de 1914, rappelle Ancel, si la controverse doctrinale se calme, la defense sociale inspire de nombreuses lois un peu partout dans le monde, en Europe et en Amerique Latine, dans le systeme de la Common Law, avec, aux Etats-Unis, sans qu’il soit la question de mesures de surete, des mesures de defense sociale qui apparaissent. et c’est ainsi que s’est developpee, a la suite du Baumes Act promulgue a New-York en 1926, toute une serie de lois americaines prevoyant un internement a vie des delinquants d’habitude apres un certain nombre de condamnations, avant qu’a la veille de la derniere guerre un nouveau mouvement legislatif analogue ne vienne instituer l’internement des delinquants sexuels psychopathes, tour a tour adopte en Californie, en Illinois, au Michigan, au Minnesota, puis dans un certain nombre d’autres Etats encore. Il est evident que ce lien note avec insistance par Ancel entre les legislations europeennes et la loi americaine n’est pas anodin, encore moins lorsqu’il nous amene a la delinquance sexuelle.
Dans les annees trente, la multiplication de legislations qui consacrent l’idee d’une peine de neutralisation, d’une peine de defense sociale, en rupture avec la responsabilite penale et en lien avec la dangerosite, est sans doute soulignee a dessein par Ancel, car il nous eloigne du cadre europeen et du glissement vers les Etats autoritaires (Allemagne et Italie). Si Ancel, veut sans doute ici detacher le mouvement de la defense sociale de tout lien avec les experiences totalitaires des annees quarante, il n’en demeure pas moins que nous aurions tort quant a nous de ne pas noter le succes general de la doctrine en cause. Marc Ancel va ensuite soutenir une these contestable et qui nous semble en tout cas contredite par Henri Donnedieu de Vabres dans son ouvrage celebre La crise du droit penal moderne, La politique criminelle des Etats autoritaires22.
En effet si Donnedieu de Vabres constate le succes des theses positivistes et leur reprise dans les legislations allemandes et italiennes des annees trente en particulier pour ce qui est des mesures de surete, de la notion de dangerosite, Ancel quant a lui le minimise. Il soutient que les Etats autoritaires auraient « prefere » la peine retributive et intimidante aux mesures de defense sociale et que le succes des mesures de surete aupres de ces regimes, constatable en effet dans les lois ne serait qu’apparent et il conclut (109) : Le droit penal autoritaire tend par une pente naturelle a proclamer les droits de la repression. On voit bien ce que cette appreciation peut avoir pour Ancel de necessaire lorsqu’il ecrit en 1956 ou en 1966.
Foncierement democrate, humaniste affirme, Ancel, comme tous les membres de son mouvement, ne peut accepter quelque lien, quelque cousinage que ce soit avec le droit penal des Etats totalitaires, qu’il s’agisse de l’Allemagne nazie, de l’Italie fasciste ou de l’URSS. Il prefere donc penser la defense sociale comme sortant de l’ombre sitot apres la guerre et lier son renouveau en « defense sociale nouvelle » a l’action de l’ONU qui, dit-il, prend la direction de ce mouvement en ce qui concerne « la prevention du crime et le traitement des delinquants ». L’usage du mot « traitement » est ici juge essentiel par Ancel. Il permet de celer la nouvelle alliance entre le mouvement de defense sociale nouveau et la pensee onusienne, la pensee des droits de l’homme. Ancel ne masque pas que tout cela survient dans un climat nouveau : on avait bien compris que cette expression de « defense sociale » ne pouvait plus servir seulement a designer une fonction de la justice penale comme avec Ferri, ni a caracteriser les mesures extra-penales que la legislation penale edictait, empiriquement ou meme systematiquement, pour assurer la protection de la Societe comme entre les deux guerres, ni meme a definir, comme avec Prins, la doctrine qui s’efforcait d’incorporer ce souci de protection dans une politique criminelle scientifiquement elaboree. Les reformes penales scandinaves qui, a cette epoque, s’imposaient a tous les esprits soucieux d’humanisme penal s’inspiraient expressement d’un ideal de defense penale souvent invoque comme tel… Ainsi dans le climat particulier de l’apres-guerre, par dela les exces inhumains qui venaient de deshonorer ce siecle, les hommes de science de tous les pays qui se sentaient en meme temps des hommes de bonne volonte s’efforcaient de retrouver la grande tradition humaniste et de repenser, dans un esprit nouveau, le probleme criminel, envisage comme un probleme social. La sincerite d’Ancel n’est pas en cause bien entendu, mais on n’est pas oblige de croire qu’il y ait la de quoi fonder une rupture epistemologique, et l’expression est ici employee en son sens parfaitement litteral. Bien sur, le lecteur d’Ancel, celui des annees soixante, serait tente d’admettre une rupture profonde entre la defense sociale et la defense sociale nouvelle lorsqu’il retrouve sous la plume d’Ancel la description des traits marquants de ces legislations d’apres-guerre que le second mouvement approuve ou meme inspire (page 145) :
Rappelons, … que tous les systemes contemporains, en tant qu’ils ont evolues et representent, au sens des comparatistes du debut du siecle, le « droit des pays civilises », ont accueilli, plus ou moins spontanement, et plus ou moins completement, au moins trois des reformes essentielles postulees par cette politique criminelle moderne : ce sont, historiquement, l’elaboration d’un regime special de l’enfance delinquante, la mise au point d’une gamme d’individualisation comprenant, pour certains delinquants au moins, une serie de mesures extra-penales ou du moins extra-repressives, et poursuite resolue d’une reforme penitentiaire orientee vers la reeducation et la reinsertion sociale du condamne. Mais au coin de ce socle commun, demeurait, discrete, la reference un peu vague, pour certains delinquants au moins, a des mesures extra-penales ou du moins extra-repressives .
Une reference noyee parmi celles, majeures, au droit penal des mineurs et a la reforme penitentiaire. Apres avoir mene une brillante analyse comparatiste, Ancel peut, en 1966, resumer le constat en soulignant d’une part la place grandissante de la defense sociale nouvelle et en montrant comment elle a investi le champ penal (190) : … l’evolution du droit penal moderne, du triple point de vue de la formation legislative, de l’analyse doctrinale et de l’application pratique, fait une place grandissante, explicite ou implicite, mais necessaire, aux notions comme aux exigences de la politique criminelle moderne de defense sociale. La seconde conclusion reside dans ce qu’on pourrait appeler le paradoxe de la defense sociale.
La doctrine, en tant que telle, apparait comme un produit naturel du systeme romano-continental ; car elle suppose a la base un regime de droit ou legalite et individualisation, responsabilite et periculosite, peine et mesure de surete et jusqu’a la notion de politique criminelle elle-meme sont d’abord analysees, confrontees et structurees en fonction de la science penale par les juristes ; d’ou le contre-courant inevitable du neo-classicisme traditionnel. Malgre ces contre-courants, c’est dans ce systeme que la defense sociale trouve ses expressions successives et jusqu’a son vocabulaire propre ; mais il faudra ce qu’on pourrait appeler le neo-humanisme nordique pour lui donner enfin toute sa force. […]
Enfin, le systeme longtemps considere comme le seul rival du systeme romaniste, le systeme de Common Law, est, a premiere apparence, le plus eloigne de telles preoccupations doctrinales, autant par sa continuite historique et le particularisme de ses methodes que par sa technique juridique naturellement fermee aux categories de la Politique criminelle comme a celles du dogmatisme continental. Cependant, avant meme que le vocabulaire de la defense sociale ne recoive droit de cite chez les criminalistes anglo-americains,… le developpement d’une Criminologie orientee vers les donnees de la vie sociale, le souci de l’efficacite pratique de la loi et de la realite judiciaire… predisposaient les pays de Common Law a s’impregner de l’esprit de la defense sociale et a en realiser les revendications essentielles. Et suivait un appel a s’inspirer loyalement de leurs realisations comme de leur ideal (191). Sur ce dernier point, Ancel sera largement entendu.
Sans doute, fait-il preuve d’un optimisme naif a croire qu’un jour le mouvement romaniste de defense sociale sera « repris dans son vocabulaire » par la Common Law et l’on sourira de cette naivete europeocentriste, mais ce n’est pas la l’important. L’essentiel, c’est ce qu’il a bien vu : la defense sociale et la criminologie anglo-saxonne ne sont nullement incompatibles. Ancel revient ensuite sur la rupture entre droit penal classique ou neo-classique et la defense sociale nouvelle ou ancienne : rejet d’abord de toute metaphysique, la justice penale n’a pas pour but d’instaurer une justice absolue exactement proportionnee dans l’abstrait au mal cause (201-202).
La defense sociale, d’autre part, se refuse a construire le delit comme une notion de pur droit et la sanction comme la consequence, juridiquement necessaire, de la violation de l’ordre etabli. Elle refuse de donner a la peine, ou a la sanction, la mission de retablir abstraitement cet ordre juridique. Les doctrines de le defense sociale moderne pretendent – et qui pourrait ici serieusement les contredire ? – que cette theorie classique se fonde a proprement parler sur des mythes, dans la mesure ou elle ne releve pas d’une conception purement mystique de la peine. Par quels moyens et sur quelles balances le juge penal pourrait-il peser l’atteinte portee a l’ordre juridique abstrait et le degre de volonte malicieuse de l’agent ? […]
La justice – humaine – a donc pour mission, non pas de rechercher la dose de peine qui, dans l’absolu, pourrait compenser une faute appreciee en soi ou serait censee retablir le droit, mais de determiner la sanction efficace qui permette aussi bien de redresser, et plus tard de rehabiliter si possible le delinquant, que de proteger la Societe. Mais surtout, en ce qui regarde la mise en uvre du systeme, … la theorie nouvelle concoit la justice penale avant tout comme une action sociale. Qu’est-ce a dire ? Sans doute les lecteurs des annees soixante auront-ils lu pour beaucoup cette expression avec les lunettes du contexte de l’epoque : celle des politiques sociales du Welfare, de l’assistance. Mais on ne peut pourtant pas reprocher a Marc Ancel d’avoir masque en quoi que ce soit les implications de la defense sociale nouvelle, lorsqu’il ecrit (204) : Elle [la defense sociale ouvelle] ne considere pas davantage que tout est dit lorsque le juge a applique ce texte a une infraction legalement qualifiee telle. Elle n’estime pas enfin que tout est termine a l’egard du delinquant lorsque, les voies de recours etant epuisees, la procedure ayant ete regulierement suivie et la sanction correctement appliquee, le delinquant condamne a execute sa peine et, suivant la vieille formule, « paye sa dette ». Le probleme du crime, probleme humain et probleme social, ne se laisse pas si facilement enserrer dans le cadre d’une reglementation legale. Nous ne pretendons pas pour autant que le juge penal ne doive pas statuer selon la loi ou puisse refuser d’appliquer la sanction legale.
La defense sociale affirme au contraire – nous y reviendrons – que c’est la pour lui une tache essentielle, mais elle conteste que le probleme social et humain du crime concret puisse etre entierement resolu par le seul jeu, dans l’abstrait, de cette justice distributive ; et elle accuse la doctrine neo-classique d’avoir deliberement ignore cet aspect essentiel – et inevitable du probleme. L’avertissement etait la, en clair. Alors bien sur, la defense sociale nouvelle repousse le determinisme positiviste en tant que systeme (206), le fatalisme biologique de Lombroso (207) et la necessite sociale de Ferri, mais dit Ancel, elle met au premier plan, la seriation et la classification des delinquants, l’analyse de la dynamique du crime (208). Certes, la defense sociale nouvelle ne rejette pas a priori dit Ancel, les notions de libre arbitre et de responsabilite mais dit-il (page 210-211) : Ce sentiment de la responsabilite, du devoir et de la faute ne pese pas cependant de facon unilaterale sur l’individu.
La defense sociale nouvelle cherche a realiser un equilibre entre l’individu et la Societe, grace a une politique criminelle rationnelle fondee sur l’idee que la Societe a elle-meme des devoirs envers le citoyen. Le respect de la dignite humaine, la necessite de garantir la liberte de l’individu, condition premiere de l’exercice de ses droits et du developpement de sa personnalite, conduit ainsi au maintien d’un regime de legalite, a l’etablissement d’une procedure judiciaire et a une defiance instinctive envers l’etablissement de tout regime de mesures de surete administratives ou de mesures preventives qui pourraient etre etablies discretionnairement ante delictum.
Les mesures de surete, dans les doctrines de la defense sociale nouvelle, ne peuvent donc etre considerees, ainsi que le soutenait encore Grispigni, comme etant de leur nature, administratives et comme n’etant legales ou judiciaires que pour des raisons de commodite pratique. Elles doivent au contraire etre desormais soumises, non seulement a un regime de legalite, mais, par essence en quelque sorte, a une intervention judiciaire. Elles constituent ainsi les instruments d’action d’une politique criminelle inspiree sans doute par les donnees de la science, mais envisagees avant tout comme un art social de lutte contre le crime, dont le droit penal lui-meme est un moyen. Ce sont la les arguments que l’on retrouvera avances en faveur de la constitutionnalite de la loi du 25 fevrier 2008.
Parce qu’il faut envisager la dangerosite de maniere dynamique, ce n’est plus d’etat dangereux inne qu’il s’agit, mais d’une personnalite en evolution dont il faut apprehender la dangerosite, evolutive elle aussi. Si l’examen pre-judiciaire de personnalite est donc une conquete dont Ancel se rejouit (217), ce n’est pas une victoire suffisante, car, dit-il, ce sont toutes les phases du proces et de l’execution de la peine qu’il faut soumettre a l’observation. Nous pouvons dire en 2008 qu’en droit francais, nous y sommes23 ! C’est donc de diagnostic dont on a besoin et quant aux remedes, la defense sociale n’en exclut aucun, pas meme les courtes peines de prison, n’en deplaise a Prins.
Ancel trouve d’ailleurs dans la loi anglaise de 1948 la justification de ce remede que les criminologues anglais avaient appele « le choc psychologique ». Le « traitement » sera donc tres diversifie et peu importe a Marc Ancel, l’etiquette que l’on mettra sur ce « traitement », que ce soit celle de peine ou de mesure de surete. Ici encore l’echo avec le debat recent sur la constitutionnalite de la loi du 25 fevrier 2008 est frappant (265) : … une politique criminelle rationnelle de « prevention du crime et de traitement des delinquants » au sens ou nous l’entendons desormais, devra prendre principalement pour guide de son action anti-criminelle l’efficacite de la sanction a l’egard de l’individu qui en fait l’objet ou du groupe d’individus dont il peut faire partie.
C’est ainsi que l’on passera du crime a la mesure, non pour des considerations de dogmatique juridique ou pour des commodites administratives, mais en raison de considerations biologiques, medicales, psychologiques ou sociologiques, en raison encore une fois de la prise en consideration de la personnalite du