LA CRITIQUE DE L’UTILITARISME DANS LA PENSEE POLITIQUE CONTEMPORAINE Les societes occidentales ont grandement ete influencees par la pensee utilitariste. Effectivement, cette theorie qui a ete en bonne partie developpee par les economistes depuis le 18e siecle a largement contribue a l’erection de nos differents mecanismes de rapports sociaux. Cette conception a pour principal postulat que l’Homme est avant tout un etre de sensations.
Elle nous demontre en effet que tous recherchent ce qui leur est agreable et evitent ce qui leur apporte un inconfort. Avec cette theorie, tous les etres humains tentent, a l’aide de leur rationalite, de maximiser leur utilite, comprise ici comme la somme des sensations negatives et positives. L’utilitarisme, applique au gouvernement, recherche donc a atteindre le plus grand niveau collectif de bonheur.
Cependant, nous avons vu a travers notre cours que cette conception du monde est loin de faire l’unanimite chez les penseurs politiques contemporains. En effet, les quatre auteurs que nous avons etudies dans le cours soient John Rawls, Jurgen Habermas, James Taylor et Jon Elster, bien que venant d’horizons philosophiques parfois tres eloignes, s’entendent tous pour dire que l’utilitarisme, dans sa forme actuelle, ne peut servir de principe de base pour orienter nos societes.
Dans ce texte,
Pour ce faire, Taylor nous propose une maniere de penser axee sur la predominance du bien sur le juste. Nous verrons qu’Habermas se forme une opinion semblable a celle de Rawls sur les failles de l’utilitariste, mais que celui-ci propose des solutions differentes a travers son ethique de la discussion. Finalement, nous allons voir que la critique d’Elster tourne surtout autour de l’irrationalite des gens et de leur incapacite a determiner ce qui est dans leur meilleur interet. John Rawls
Dans son livre, La justice comme equite, John Rawls denote que deux facons de concevoir la societe ont marque la pensee democratique soit : une qui se l’imagine « […] comme un systeme equitable de cooperation entre les citoyens tenus pour libres et egaux »[1], conception auquel il adhere et qu’il associe a la tradition du contrat social, et l’autre « l’idee de la societe concue comme un systeme social organise de maniere a produire le plus grand bien possible apres une addition prenant en compte tous ses membres, ce bien etant un bien complet specifie par une doctrine englobante »[2] a laquelle il associe notamment l’utilitarisme.
Rawls voit ces deux visions comme foncierement antagonistes, l’une etant l’image inversee de l’autre : Il y a une opposition fondamentale entre ces deux traditions : l’idee d’une societe concue comme un systeme equitable de cooperation sociale est assez naturellement specifiee de maniere a inclure les idees d’egalite (egalite des droits et libertes de base, possibilites equitables) et de reciprocite (dont le principe de difference est un exemple). A l’inverse, l’idee d’une societe concue de maniere a produire le bien le plus important exprime un principe maximisateur et agregatif de justice politique.
Dans l’utilitarisme, il est rendu compte de maniere seulement indirecte des idees d’egalite et de reciprocite, comme es elements qu’on estime normalement necessaires pour maximiser la somme du bien-etre social. [3] Rawls denote donc que nous devons faire un choix entre deux valeurs fondamentales lorsque vient le temps de decider de l’orientation que nous devons donner a nos institutions soit : le bien (l’utilitarisme) et la justice (sa justice comme equite). Dans le premier cas, la justice est seulement percue comme un moyen de parvenir a la maximisation du bien-etre general de la societe.
Le probleme, pour Rawls, vient du fait que les notions de justices et d’equites restent toujours subordonnees au principe d’utilite maximum. Ce faisant, il peut arriver des situations dans lesquelles ce systeme de pensee apporte une justification a un eventuel sacrifice de certains elements d’une societe en vertu d’une quete d’utilite maximale. Rawls apporte notamment le cas de l’esclavage dans lequel une partie de la population voit ses droits fondamentaux disparaitre pour permettre une augmentation de la production de bonheur totale.
Certes, il s’agit d’un exemple extreme et les tenants de la doctrine utilitariste pourraient repondre que cette situation ne permet pas d’optimiser l’utilite puisque les scrupules, les remords ou toutes autres souffrances morales entrainees par cette situation seraient superieurs a l’augmentation du bien-etre. Cependant, cet exemple permet a Rawls de demontrer que, dans l’utilitarisme, les droits et la justice ne peuvent etre maintenus qu’a partir de notre « […] sympathie ou, mieux, notre capacite d’identification avec les interets et preoccupations des autres »[4].
Ces raisons n’etant pas suffisamment fortes, il importe de trouver une conception de la justice politique pour orienter les differentes institutions de la structure de base qui ne reposerait pas sur la doctrine utilitariste. Sa theorie se fonde donc sur le fait qu’il existe certains principes universalisables dans nos societes que les individus peuvent decouvrir par intuitions. Il est important de noter que Rawls ne rejette pas completement l’utilitarisme, il remarque effectivement que nos societes sont marquees par le pluralisme des valeurs et des doctrines englobantes et que de telles visions sont inevitables.
Il concoit egalement que la quete de la plus grande utilite possible est une bonne chose, seulement, celle-ci ne doit pas s’effectuer au detriment des principes de justice. Rawls considere en effet que les inegalites sont necessaires au bon fonctionnement de la societe mais, elles doivent pouvoir profiter a tous, particulierement aux plus demunis. On peut citer par exemple la necessite d’associer des salaires plus eleves a certains postes nevralgiques, par exemple les medecins, puisque ceux-ci procurent un incitatif pour les gens les plus qualifies et competents de se diriger vers ces postes[5].
La logique etant qu’un systeme de sante ayant de bons medecins est une bonne chose puisqu’il permet a tous de maximiser son utilite. Concretement, ce que Rawls nous propose est de remplacer le principe d’utilite maximum comme principe organisationnel de la structure de base par des principes de justice independants de toute conception metaphysique ou vision englobante de la realite. Ce faisant, il court-circuite le probleme de la pluralite des conceptions du bien, probleme auquel l’utilitarisme a de la difficulte a apporter une reponse definitive.
Une autre faiblesse de la theorie utilitariste vient du fait qu’elle engendre souvent une grande disparite dans l’allocation des ressources. Il avance donc une procedure deontologique visant, dans le cas de la justice distributive, non pas a atteindre le maximum d’utilite absolue, comme dans le cas de l’utilitarisme, mais, plutot, a maximiser l’utilite minimum (maximin) a l’aide du principe de difference. Avec ce principe, nous sacrifions une partie de l’utilite absolue au profit d’une hausse du minimum. Sa theorie se retrouve donc a etre a mi-chemin entre ’utilitarisme et l’egalitarisme puisqu’elle reprend le concept d’utilite, mais en le limitant pour qu’il permette une redistribution plus uniforme de l’utilite. Nous constatons donc que la critique que Rawls fait de l’utilitarisme tourne surtout autour de la difficulte qu’a cette conception a garantir efficacement des principes de justice egaux pour tous. Nous remarquons egalement qu’il denote le probleme de la pluralite des conceptions du bien et que devant ce probleme il propose de mettre les conceptions de justice au-dessus des considerations de maximisation du bonheur collectif.
Charles Taylor Dans son texte, La liberte des modernes, Charles Taylor exprime l’essentielle de sa critique envers les doctrines utilitaristes ou celles decoulant de la tradition kantienne (telles celles de Rawls ou d’Habermas). Il debute sa reflexion en enoncant le fait que contrairement a ce qu’enoncent ses doctrines, l’unite du bien est problematique. Il demontre cet argument en expliquant que dans la vie morale, il existe une multitude de situations ou les individus ont de la difficulte a juger entre deux biens differents.
Il concoit la difficulte suivante : « […] choisir l’action qui aura les meilleures consequences peut parfois entrer en conflit avec les exigences de mon integrite; les exigences de la bienveillance a l’egard d’autrui peuvent contredire celles de mon propre epanouissement, ou les exigences de la justice celles de la pitie et de la compassion. »[6] On remarque ici que cette critique ne s’attarde pas uniquement a l’utilitarisme, mais egalement aux methodes deontologiques, fondees sur la justice, tel que propose par Rawls et Habermas.
Sa deuxieme remarque est qu’il est tres difficile de comparer et de choisir entre « […] des exigences emanant des conceptions ethiques de cultures et de civilisations tres differentes […] »[7] . Taylor remarque qu’il existe, dans la vie morale, une tension entre la difference et l’unite. En effet, pour effectuer des choix il faut prealablement arriver a une certaine unite morale, mais celle-ci est difficile a obtenir de par la grande diversite des biens.
L’utilitarisme et les demarches kantiennes ont reussi a formuler des systemes unitaires permettant une certaine forme de decidabilite a partir d’un critere unique (la realisation du plus grand bonheur chez les utilitaristes), mais ceux-ci se sont realises aux depens de plusieurs considerations qui ont ete expulsees du contexte moral. L’utilitarisme exprime (articulate) notre sens de l’importance de la « bienveillance » pour reprendre le terme du XVIIIe siecle, c’est-a-dire notre inclination a aider nos semblables a vivre et a s’epanouir, a preserver leur vie et a reduire leurs souffrances.
Mais il ne semble pas faire de place aux objectifs d’accomplissement personnel, ou aux aspirations a realiser dans notre vie d’autres biens que la bienveillance : l’integrite, la sensibilite, l’amour (sauf dans la mesure ou ils sont des moyens de la bienveillance). [8] Quant aux theories proposees par Rawls et Habermas, en placant la justice au centre de leur systeme on obtient un systeme avec une delimitation tres claire entre le juste et l’injuste, mais on place les notions d’accomplissement personnel a l’exterieur du systeme ou bien encore, elles sont releguees a un role de second plan.
La theorie Rawlsienne est un bon exemple de cette critique. En fournissant des criteres tres precis de sa structure de base, il exclut un tres grand nombre de considerations morales. De par la surdetermination de ses doctrines, les questions ethiques se polarisent sur les obligations envers autrui[9] aux depens des considerations de developpements personnelles. Ainsi, la demarche de Taylor vise a trouver une conception de la morale qui permet de reconcilier «[…] aussi bien son inevitable diversite que son aspiration permanente a l’unite. [10] . Sa pensee marque donc un retour a la predominance du bien (comme les utilitaristes) sur les questions de justice (contrairement a Rawls et a Habermas). Pour y arriver, Taylor definit deux types de bien soit les « biens de vie » et les « biens constitutifs »[11]. Il definit le premier type de bien comme suit : « les actions, les modes d’etres, les vertus qui definissent ce qu’est reellement une vie bonne pour nous. »[12] .
Les biens constitutifs sont quant a eux ceux qui determinent et donnent une justification au bien de vie a travers « […] une definition de notre nature, de notre position ou de notre relation a un pouvoir superieur […] »[13]. Il reproche aux theories utilitaristes et kantiennes de volontairement eviter de tenir compte de ce dernier niveau. L’utilitarisme utilise le scepticisme vis-a-vis des religions et des definitions de l’homme pour dire que les seuls principes que l’on peut considerer universels sont ceux du bonheur et de la souffrance humaine.
Rawls concevant l’infinite des doctrines englobantes cherche a les eviter en se contentant de « partir de nos intuitions, et trouve ensuite une formule qui peut pretendre les engendrer, eventuellement en les affinant au cours du processus, jusqu’a ce que nous atteignions un equilibre reflechi »[14]. Habermas, quant a lui, soutient qu’en etant contraints par les « criteres d’une ethique du discours », nous sommes deja engages a les respecter. En resume, Taylor et Rawls s’entendent tous deux sur l’inevitable pluralite des conceptions englobantes dans nos societes modernes.
Tous deux nous proposent une theorie politique qui permettrait de combler les lacunes de l’utilitarisme face a ce probleme. Cependant, leurs champs d’etudes sont fort differents, Taylor s’attardant surtout aux problematiques reliees a l’epanouissement de soi non seulement dans l’utilitarisme, mais egalement dans les theories de Rawls et d’Habermas. Avec lui, on retrouve, contrairement a Rawls, un recentrement de la priorite du bien sur le juste. Cette facon de concevoir le politique marque le retour d’une pensee inspiree d’Aristote et qui est opposee a celle de Kant.
Jugern Habermas Habermas, comme chez les autres auteurs que nous avons vus lors de notre cours, convient pour dire qu’il existe une pluralite de definitions du bien et de visions englobantes dans nos societes. Il concoit les doctrines qui puisent leurs fondements dans la theorie utilitariste, le choix rationnel par exemple, comme etant une maniere de pouvoir arbitrer entre ces differentes sortes de biens a partir d’une forme de rationalite experimentale[15].
Cependant, ces manieres de proceder sont imparfaites puisqu’elles ne comprennent pas les contraintes reliees a la rationalite communicationnelle. En d’autres mots, le defaut relie a l’utilitarisme serait de ne pas comprendre le lien interne qui se fait entre les normes et leurs justifications[16]. Fidele a la tradition kantienne, il concoit donc l’importance de fonder notre systeme politique sur des normes qu’il est possible d’universaliser.
Pour que ces normes soient valables, elles doivent se conformer a deux principes de base soit : le principe U et le principe D. D’abord, le principe U rejoint la necessite d’universalisation presente chez Rawls : « Seul est impartial le point de vue a partir duquel sont universalisables les normes memes qui, parce qu’elles incarnent manifestement un interet commun a toutes les personnes concernees, peuvent escompter une adhesion generale et gagner, dans cette mesure, une reconnaissance intersubjective. [17]. Le principe D quant a lui se definit comme suit : « Une norme ne peut pretendre a la validite que si toutes les personnes qui peuvent etre concernees sont d’accord (ou pourraient l’etre) en tant que participants a une discussion pratique sur la validite de cette norme. »[18]. C’est a l’etape du principe D que la demarche habermasienne se demarque considerablement de celle proposee par Rawls.
On peut resumer la position de Habermas en affirmant qu’il deplore le fait que la procedure d’universalisation des principes proposee par Rawls soit incomplete puisqu’elle n’inclut pas « … un point de vue d’appreciation impartiale et un usage public – au sens strict – de la raison, qui ne serait pas simplement rendue possible par le consensus par recoupement, mais des le depart, pratique en commun »[19].
Rawls nous a propose une methode d’universalisation des principes dans laquelle chacun, a l’aide du voile d’ignorance, est capable de determiner par lui-meme ce qui pourrait et ce qui ne pourrait pas etre accepte par tout individu raisonnable. C’est ce cote monologique des theories Rawlsiennes qui est en cause dans la critique d’Habermas, theories auxquelles il oppose son ethique de la discussion. En effet, il fait remarquer que lorsqu’un individu realise un jugement moral, il lui est impossible de se detacher completement de ses presuppositions et de sa conception du monde.
Le processus d’universalisation s’en trouve biaise du moment ou les principes retenus ne sont plus ceux qui seront acceptes par toute personne raisonnable, mais plutot ceux qui, conformement a mon point de vue, sont susceptibles d’etre acceptes. Habermas considere donc que « … la participation effective de chaque personne concernee est seule a pouvoir prevenir les deformations de perspective qu’introduit l’interpretation d’interets chaque fois personnels. »[20].
En effet, ce n’est qu’a travers la discussion que l’on peut s’approcher d’un resultat impartial puisque cette maniere nous devons obligatoirement tenir compte d’une multitude de points de vue et d’interets. Habermas poursuit en affirmant que : « … il y a de bonnes raisons de douter du fait que les citoyens « raisonnables», au sens qui vient d’etre precise, ne peuvent jamais parvenir a un consensus par recoupement, s’ils ne peuvent se convaincre de la validite d’une conception de la justice que dans le contexte de leurs visions du monde chaque fois propres »[21].
Habermas fait remarquer ici qu’en excluant le dialogue des premieres etapes du processus d’universalisation, il est impossible de tenir compte des differentes objections resultantes du fait que notre reflexion s’est realisee a partir d’une certaine vision du monde ce qui rend le consensus beaucoup plus difficile. Habermas denonce egalement le fait que Rawls ne parvient pas a s’extirper de la metaphysique. En effet, la methode rawlsienne depend beaucoup de la conception du bien que nous nous faisons en tant qu’individu, conception qui nous permet d’articuler une vision du monde et de la justice.
Le consensus devient donc possible uniquement si les differentes conceptions du bien ont certaines finalites communes. Jon Elster Elster est l’auteur etudie dans ce cours qui est le plus relie a l’utilitarisme a travers son attachement a la theorie du choix rationnel. Il concoit effectivement que l’etre humain doit maximiser son utilite. Neanmoins, il nous fait remarquer que la premisse fondamentale du choix rationnel qui est que les etres humains sont capables de raisonner de facon complexe afin de determiner ce qui est dans leur meilleur interet est loin d’etre vraie.
Par exemple, dans le cas de l’economie, Elster remarque que « plutot que de recourir a des raisonnements complexes, les acteurs utilisent souvent des heuristiques simples, leur permettant d’arriver rapidement a une decision approximative. »[22]. La theorie d’Elster n’est pas une theorie normative comme c’est le cas avec nos trois autres auteurs. Son ? uvre ne cherche pas a remplacer l’utilitarisme, mais, plutot, a montrer ses failles et comment combler celles-ci. Dans ses travaux, il essaie en effet de demontrer comment nos emotions et nos croyances nous poussent a agir contre notre meilleur interet.
Il remarque que les emotions sont susceptibles de creer une tension entre le moi futur et le moi present[23]. En effet, il arrive que les emotions puissent amener un renversement temporaire de nos preferences en ce sens ou nous pouvons, sous le coup de nos passions, agir differemment que nous avions prevu ou aurions aime faire si nous n’avions utilise que notre rationalite. Dans « Ulysse Unbound », Elster distingue quatre mecanismes par lesquels nos emotions modifient notre comportement[24].
Premierement, nos passions peuvent engendrer une distorsion cognitive (« distorting cognition ») qui a pour effet de nous donner de fausses croyances par rapport aux consequences de nos actes. Elles nous amenent a recourir a la « pensee magique », soit a mal estimer la probabilite des consequences de nos actions ou des evenements qui sont en dehors de notre controle. Deuxiemement, elles peuvent brouiller notre jugement (« clouding cognition ») qui nous amene a agir sans tenir compte des eventuelles consequences de nos actes. Troisiemement, elles peuvent mener a une faiblesse de la volonte diachronique (« weakness of will »).
Ceci arrive lorsque la satisfaction immediate liee au renversement de preference est superieure aux couts psychologiques (« psychic turbulence ») lies a son changement. Finalement, nos emotions peuvent creer une « myopie » en ce sens ou une personne peut avoir une vision de ses interets a plus court terme sous le coup des emotions que si elle n’avait utilise que sa raison. Cette derniere idee est reprise dans « Agir contre soi » lorsque Elster affirme que l’effet des emotions est de raccourcir l’horizon temporel et donc de rendre moins importantes les consequences futures[25].
Dans le meme texte, Elster fait egalement remarquer que plusieurs emotions sont accompagnees d’une tendance a l’action specifique qui induit un sentiment d’urgence qui pousse l’individu a preferer l’action immediate a l’action differee[26]. Elster remarque aussi que « les emotions sont capables de causer des croyances biaisees. […] la peur exagere facilement le danger, et la colere, la gravite de l’affront. »[27]. Elster donne egalement l’exemple de l’escompte hyperbolique du futur qui fait en sorte que nous preferions des gains immediats meme si nous savons que nous obtiendrons davantage dans le futur.
La theorie des emotions permet egalement d’apporter des explications a certains phenomenes que la theorie du choix rationnel avait de la difficulte a expliquer. En effet, en associant un cout emotionnel a certaines decisions, on arrive a expliquer certains choix qui peuvent paraitre a premiere vue irrationnels. Ceci permet egalement d’apporter une reponse au probleme de l’epanouissement personnel souleve par Taylor. Par exemple, un individu qui agit contre son integrite devra faire face a un grand cout emotionnel qui pourra le dissuader d’agir de la sorte. Conclusion
Nous avons vu a travers ce travail que, dans la pensee politique contemporaine, il existe un certain consensus lorsque viens le temps de denoncer l’utilitarisme comme systeme structurant de la societe. Nous pouvons separer ces critiques en deux categories soit : une associee a la tradition kantienne qui voudrait mettre des normes universalisables a la base qui viendraient controler les abus lies a la maximisation de l’utilite et celle qui, comme Taylor et Elster, concoit que les individus se doivent de maximiser leur bonheur independamment de toute norme superieure.
Neanmoins, tous ses auteurs reconnaissent la pluralite des biens et de la difficulte pour les individus a arbitrer entre ceux-ci a partir de la doctrine utilitariste. Pour resoudre les dilemmes moraux, Rawls propose d’avoir recours aux principes de justice, Taylor avance l’importance de tenir compte du desir d’epanouissement des individus, Habermas met de l’avant l’ethique de la discussion et Elster nous rappelle les differents biais emotifs que nous pouvons avoir lorsque nous prenons des decisions. BIBLIOGRAPHIE Elster, Jon. 2007. Agir contre soi. Odile Jacob. Elster, Jon. 2000. Ulysses Unbound.
Cambridge University Press. Habermas Jurgen, Debat sur la justice politique. Habermas Jurgen, Morale et communication . Rawls, John. 2008. La justice comme equite. Paris : Edition la decouverte. Taylor, Charles. 1999. La liberte des modernes. QUF. ———————– [1] John Rawls, La justice comme equite (Paris : Edition la decouverte, 2008) 137. [2] Ibid. , 137 [3] ibid. , 137 [4] ibid. , 177 [5] Notes de cours sur Rawls : Acetates 61 [6] Charles Taylor, La liberte des modernes (QUF, 1999) 285. [7] Ibid. , 285 [8] ibid. , 287 [9] ibid. , 288 [10] ibid. , 287 [11] ibid. , 289-290 12] ibid. ,289 [13] ibid. , 290 [14] ibid. , 291 [15] notes de cours sur Habermas, acetate 24 [16] Ibid. , acetate 36. [17] Jurgen Habermas, Morale et communication 86 [18] ibid. , 87 [19] Jurgen Habermas, Debat sur la justice politique 169-170 [20] Jurgen Habermas, Morale et communication p. 89 [21] Jurgen Habermas, Debat sur la justice politique p. 170 [22] Notes de cours sur Elster, acetate 17. [23] Notes de cours, p. 54 [24] Jon Elster, Ulysses Unbound, (Cambridge University Press, 2000), 8-11. [25] Jon Elster, Agir contre soi, (Odile Jacob, 2007) 109. [26] Ibid. , 115. [27] Ibid. , 115.