La brievete de la vie

La brievete de la vie

Vivre ou mourir La philosophie est une science qui tente de repondre aux diverses questions existentielles de l’Homme. Elle est d’autant plus captivante lorsqu’elle s’interesse a des points qui sont lies directement a notre facon de vivre. C’est surtout dans l’ethique, ou philosophie morale, que de tels sujets sont traites. Seneque reste un incontournable quant a ce domaine. Avec La brievete de la vie[1], il tente d’expliquer sa vision de la vie reussie ou de la vie heureuse, tout en donnant des contre-exemples de gens qui ratent leur existence et qui passent a cote de celle-ci.

Et moi, suis-je en train de batir une vie accomplie? Voila une question qui merite developpement. Pour y repondre, plutot que de me baser sur les criteres que defend notre societe contemporaine, je vais aborder la theorie stoicienne telle que developpee dans l’Antiquite. Alors, il sera d’abord question dans ce travail de la conception de la vie idealisee que se fait Seneque, et ensuite d’une mise en perspective de celle-ci dans mon experience de la vie dans le but de critiquer La brievete de la vie. Avant toute chose, Seneque nous met en garde vis-a-vis ceux qui proclament que la vie est courte.

Ce n’est pas le

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fait que la vie n’est pas longue qui la rend breve, c’est le fait que la majeure partie du temps que nous avons est perdue, gaspillee. Seneque explique que la duree de la vie importe peu, seule sa qualite peut servir pour la qualifier de breve ou de longue. Qui sont ceux qui ratent leur vie? Avant tout, ce sont ceux qui sont des etres de passions, qui sont domines par celles-ci. Celui qui est passionne ne possede aucun repos et est pris dans l’instant present, sans jamais se rendre compte que le temps file a toute allure.

C’est ce qui est mis en lumiere dans l’extrait suivant : « […] [le temps] s’echappera necessairement bien vite de vous [ceux qui ratent leur vie] ,[…]car vous ne ralentissez pas la plus rapide des choses, mais vous la laissez partir comme s’il s’agissait d’un bien surabondant et renouvelable. »[2] La meme chose se produit avec ceux qui sont occupes dans leur travail, ceux qui s’occupent avant tout de leur reussite monetaire et professionnelle. Ils n’ont plus de temps pour autre chose, ils n’ont plus la possibilite de vivre. Ils placent tout leur desir de bonheur a plus tard, c’est-a-dire a leur retraite.

Seneque concoit cela comme une vie ratee, car comment peut-on savoir si la mort ne nous attend pas au soir? C’est nous oter l’instant present en nous disant que l’avenir sera different. De plus, ceux qui sont occupes et ne prennent pas le temps de vivre sainement n’ont pas la possibilite de regarder dans leur passe, point important pour Seneque. Effectivement, si une personne ne regarde pas en arriere, au temps qui est le plus sur car n’est plus sous l’influence de la Fortune, il ne peut comprendre les vices qu’il a commis. Il ne peut avoir de remords et ainsi changer le cours de son existence.

Par logique, si une personne oublie le passe et craint l’avenir parce qu’elle a peur de ne pas reussir, que lui reste-elle? Le present, ce moment qui « cesse d’exister avant d’arriver, qui est toujours en marche, qui s’ecoule et se precipite. »[3] Voila pourquoi la vie est breve pour ces gens-la. Lorsque vient le moment de mourir, ils constatent alors qu’ils ont ete occupes a ne rien faire. A l’oppose, la vie reussie selon Seneque n’a rien a voir avec l’argent, la gloire ou l’esperance de vie. Selon lui, la facon de rendre notre vie longue et meme immortelle reside dans la fusion du passe, du present et de l’avenir.

Cela peut se faire que par un seul chemin, celui de consacrer toute son existence a la sagesse. En d’autres mots, c’est de mettre sa vie au service de la philosophie et d’etudier les grands hommes et leurs pensees. « […] Ces grands hommes [nous] mettent sur le chemin de l’eternite et [nous] [elevent] jusqu’a un lieu d’ou personne ne peut etre precipite. C’est le seul moyen de prolonger sa condition de mortel, et meme de la transformer en immortalite ». [4] L’occupation premiere alors est de se poser des questions, de raisonner et de nourrir son intellect. Ces choses ne peuvent disparaitre au fil du temps.

Les pensees restent tandis que les choses changent. Voila le veritable loisir a quoi l’homme devrait s’occuper. Evidemment, lorsque vient le temps de mettre en pratique la theorie, les obstacles se multiplient et les moyens pour les surmonter ne se retrouvent pas necessairement ecrits sur du papier blanc. En ce debut du XXIe siecle, est-il reellement possible pour un homme de suivre l’ideal de vie stoicien? J’en doute fort. La culture de masse occidentale dans laquelle nous baignons de tout corps repose sur des valeurs telles que l’individualisme, la consommation ainsi que l’instantaneite, tous des facteurs pronant l’instant present.

Que dire des petites emotions faciles et superficielles de notre monde fait de spectacles et de parures? En 2007, en lisant Seneque, je comprends bien que miser notre vie sur l’argent et la reussite revient a dire que nous ne vivons pas pour vrai. Oui, je trouve les phrases comme «  Les esprits les plus nobles forment des familles : choisis celle dont tu veux faire partie »[5] bien jolies. Mais est-ce que tout cela reviendrait a dire qu’il faut tout abandonner pour se consacrer corps et ame a la sagesse? Je pense que non.

Concretement, dans ma vie, j’ai toujours senti autour de moi que pour reussir sa vie, il fallait faire des etudes et decrocher un emploi qui apporte beaucoup d’argent et une bonne reputation. C’est le paradigme de la science qui domine le plus aujourd’hui. Il y a une tendance, dans tous les domaines, d’une ridiculisation des sciences humaines et d’une valorisation des sciences de la nature. Je me dirige probablement en mathematiques a l’universite et les commentaires que j’entends le plus souvent sont que j’aurai un avenir prometteur. Vraiment? Je suis pret a admettre que je n’aurai pas trop de difficulte pour trouver un emploi.

Cependant, est-ce suffisant pour etre heureux et accomplir une vie reussie? C’est a ce moment que Seneque vient me rejoindre. La vie breve est celle ou l’on mise tout a l’exterieur et rien a l’interieur de nous-memes. Si je me retrouve a quarante-cinq ans, professeur titulaire dans une universite, par exemple, et que je decede a la suite d’une crise cardiaque, pourrais-je dire que j’aurai profite veritablement de la vie? Il dependra de si j’aurai ete un bourreau de travail ou de si j’aurai trouve un equilibre entre mon esprit et le monde exterieur.

C’est ici que j’amene l’idee d’un compromis a la theorie de Seneque. Je suis bien d’accord avec l’idee de prendre son temps a reflechir et a se nourrir des idees des grands philosophes. Neanmoins, si on s’adonne continuellement a ce loisir, on ne devient plus fonctionnel. On ne peut plus s’adapter a la collectivite et on devient ainsi un marginal prive de relations interpersonnelles. Il faut plutot consacrer une partie de son temps a examiner le passe et a sonder le futur, et une autre pour se construire une vie sociale et professionnelle grace a l’action de l’instant present.

Je pense ici a une amie qui considere l’argent comme futile et non necessaire, et qui croit que nous n’avons pas besoin de ceci pour vivre et etre heureux. Pour elle, il suffit d’avoir des amis et d’etre charitable et vertueux. Il y a la une insouciance devant la vie, puisqu’il faudra qu’elle travaille comme tout le monde pour gagner sa vie, ou tout au moins vivre convenablement sans dependre de l’aide gouvernementale ou de la charite. Si elle travaille, la vie n’est pas breve pour autant. Pour moi, c’est cette solution-la que je privilegie et que je recommande a tous.

La brievete de la vie est certes une ? uvre fort interessante pour comprendre ce qui fait le succes d’une vie, mais non suffisante. La vision de Seneque pourrait etre qualifiee en partie d’hermetique, car elle se limite a definir le bon loisir comme etant un abandon a la philosophie et a la sagesse. Selon moi, bien que Seneque cerne bien le probleme du temps perdu et celui de l’ephemere moment present, il ne reussit pas a apporter une veritable solution pour connaitre une vie humaine accomplie.

Sa conception me parait legerement inaccessible, simpliste et trop generale. Pour reellement bien comprendre comment reussir notre vie, il faudrait rechercher chez d’autres auteurs des exemples plus concrets et adaptes au XXIe siecle, tels que ceux developpes par Jean-Paul Sartre, en ne citant que lui. ———————– [1] SENEQUE, La brievete de la vie, Carpe Diem, 2006, 66 pages [2] Ibid. , p. 39 [3] Ibid. , p. 48 [4] Ibid. , p. 58 [5] Ibid. , p. 58